Emañ

De Arbres
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La forme verbale emañ est la troisième personne du singulier du verbe bezañ, 'être'. Cette forme alterne avec les formes zo, eo, ez eus, et vez du même verbe.

Prototypiquement, en standard, le verbe emañ est le verbe de situation spatiale et temporelle (progressif).


(1) Emaint diouig eno o-unanou.
sont deux.pauvre y leur2.un.hyp
'Elles sont deux pauvres filles là-bas toutes seules.'
Trégorrois, Gros (1984:175)


Morphologie

paradigme du verbe

La forme emañ a un paradigme au présent, représenté par la forme 3SG ema(ñ). Le paradigme du passé est représenté par la forme edo, vivante en dialecte du Léon. Il existe aussi des variantes dialectales en emedo et evedo (source des formes standard, Kervella 1995:§206, §229, Merser 2011:93).


emañ et les formes du passé
(2) nombre, personne présent passé passé (forme complète) passé (forme complète mutée)
nombre, personne partout Léon Léon et proche Cornouaille Léon et proche Cornouaille
1SG emaon (ez) edon emedon evedon
2SG emaout (ez) edos emedos evedos
3SG emañ (ez) edo emedo evedo
1PL emaomp (ez) edomp emedom, emedomp evedom
2PL emaoc'h (ez) edoc'h emedoc'h evedoc'h
3PL emaint (ez) edont emedont evedont
on emeur, emaer (ez) edod emedod evedod


La forme standard 3PL est emaint. En vallée du Scorff, on trouve la forme emaont. En vannetais, on trouve la forme emant (Merser 2011:93,fn3).


(2) Emaont doc'h en em lipaat.
sont à4 se1 lécher
'Ils sont en train de se bécoter.'
Vannetais (Le Scorff), Ar Borgn (2011:56)


nasalisation de emañ

La forme du paradigme au présent est uniformément la forme ema- suivie d'un affixe porte-manteau de nombre et de personne. La nasalisation écrite standard de emañ à la troisième personne du singulier y est morphologiquement étonnante. Aucun autre verbe ne forme sa troisième personne avec une nasale.

Favereau (1997:§416) et Deshayes (2003:'ema') proposent de dériver emañ de ema-eñv (est-3SGM), stratégie de désambiguïsation du genre dans les parlers de l'Ouest. Dans ces variétés, le verbe 3SG est ema avec un sujet lexical (ema Mari… ), mais obligatoirement suivi d'un pronom marquant le genre. Lorsque le sujet est vide, on obtient emañ pour un sujet (vide) masculin et emei pour un sujet (vide) féminin (Merser 2011:93,fn2).


(3) [ ma hi 'lhenn o 'lheoə]
Ema hi 'h lenn hoh leor
est elle à4 lire ton3 livre
'Elle est en train de lire ton livre.'
Saint-Yvi, German (2007:164)


(4) n hɥitʁik ma ɔ̃
un Huitric est lui
'C'est un Huitric.'
Cornouaillais (La Forêt Fouesnant), Avezard-Roger (2004a:139)


On ne note pas de telle grammaticalisation sur les autres verbes, ce qui pourrait s'expliquer par le fait que seul le verbe ema requiert que son sujet le suive directement. Les possibilités d'insertion d'adverbes ou autres avec les autres verbes auraient pu empêcher sa réanalyse en morphème d'accord. Merser (2011:93,fn2) considère que le vannetais emploie ema comme forme non-genrée, et que la forme nasalisée emañ n'est pas genrée en Trégor ou en Haute-Cornouaille. La langue standard s'aligne ici sur le Trégor et la Haute-Cornouaille.

emeur

(1) Er gêr emeur oc'h da c'hortoz…
en.le 1foyer est.on à4 te1 attendre
'On t'attend à la maison… '
Léonard (Bodilis), Ar Floc'h (1985:92)


La forme impersonnelle emeur est parfois remplacée par e oar, ce que Kervella (1995:§206) réprouve mais utilise lui-même (§ 231a: E oar oc'h hadañ an ed., 'On plante du blé').


forme edo

La forme edo n'existe pas dans tous les dialectes. Elle est par exemple exogène au trégorrois, où on utilise e oa (Gros 1966:26). Glanndour (1981:11) considère que la forme léonarde edon, edos, edo, edomp, edoc'h, edont provient de formes plus anciennes en ed-oan, ed-oas, etc.


(1) O chom edont e Kerber.
à4 rester étaient en Kerber
'Ils habitaient à Kerber.'
Léonard (Plouzane), Briant-Cadiou (1998:189)


(2) Ne grede ket din, e soñje, edo hi ken fall.
ne1 croyais pas à.moi R4 pensait était elle tant mauvais
'Je ne la croyais pas si mal en point, pensait-il.'
Standard, Riou (1957:15)


(3) Sellout a reas en-dro dezhañ, hag e kredas edo en un hent dianav.
regarder R1 fit autour de.lui et R4 crut était en un chemin inconnu
'Il regarda autour de lui et crut être sur un chemin inconnu.'
Standard, Riou (1957:17)

edi, emedi (présent)

Il existe une forme vieillie en edon, edout, edi, ou bien emedon, emedout, emedi, qui est utilisée au présent.

Cette forme est largement rapportée (Hemon 2000:246, Kervella 1995:§206, Favereau 1997:§416, Kedez 2015a), mais dans la carte 63 de l'ALBB ('Je suis en train de manger', 'Nous sommes en train de manger'), les formes edon, edomp traduisant un temps présent ne sont relevées qu'à Sein. À Ouessant, Malgorn (1909) rapporte qu'il n'a entendu la forme edi qu'à l'île de Sein; mais que Ouessant a perdu juste la troisième personne - il y reste du paradigme edoun, edoud, edoump, edouc'h (edint n'existant pas).

Ces formes existent aussi en corpus. Hemon (2000) pensait cette forme restreinte au Léon. Cependant, Kedez (2015a) en relève des exemples en trégorrois dans Iannik Konan, une chanson que Jules Gros tient de sa grand-mère: Emedi ar ber a-us d'an tan, suivi plus loin de l'équivalent Eman ar ber a-us d'an tan. La phrase en (1) d'une chanson en trégorrois pré-moderne a manifestement une interprétation au présent, puisqu'il s'agit d'inciter des femmes à s'embarquer pour le Canada.


(1) deut eo an eurs da bartian emedi ar lest en oriant
Deuet eo an urzh da bartiañ emedi al lestr en Oriant Graphie standard
ven.u est le ordre de1 partir se.trouve le navire en.le Lorient
'L'ordre du départ est arrivé, le navire se trouve déjà à Lorient.'
Trégorrois pré-moderne, fin XVII°, Kernaudour (2017:5, 12)


Pour le vannetais, Guillevic & Le Goff (1986:40) donnent les formes mei, meint, meidi et meidint. Châtelier (2016:247) relève aussi en vannetais pré-moderne les formes de troisième personne mei et meint réalisant un temps présent chez Marion (Breton de 1838, EOVD.). Il considère que ces formes sont déjà des archaïsmes à cette date et note que leur usage déborde l'usage purement locatif. Kedez (2015a) rapporte pour le Bas-cornouaillais l'usage des formes en emed- pour les paradigme d'état, de lieu ou de temps, comme illustré par des relevés dans ar Gow (1955).

Glanndour (1981:12) considère que ces formes edon, edout, edi sont accentuées sur la syllabe finale.

Selon Kedez (2015a), la forme ema, emaint est la forme nouvelle, apparue en moyen breton, et qui a progressivement supplanté le forme originale edi, edint, que l'on retrouve dans de nombreux dialectes. Le Roux (1957:120) pensait au contraire que la forme emed- était une création dialectale procédant d'une régularisation de emañ sur le modèle de l'imparfait -e des verbes réguliers, entrainant en retour [sic] la création de la forme présent emedi. Cette forme se retrouve dans trop de dialectes pour que ce soit vrai.

emedon, emedomp (passé)

Les formes en emedon, emedomp apparaissent dans la carte 66 de l'ALBB au point 31 (Rumengol à Daoulas) et au point 38 (Lennon) pour la traduction de 'J'étais/Nous étions en train de manger'. Kervella (1995:§229), influencé par le dialecte de Dirinon, dit en effet préférer ces formes "complètes" en emedo pour le paradigme du passé.

Glanndour (1981:12) signale les écrits de Ar Gow comme prototypiques de ces formes, et donne pour l'imparfait les formes emeden, emedes, emede. Favereau (1997:§416) localise ces formes en Léon et "jusqu'à la limite de la Cornouaille, vers Crozon, Hanvec, Pleyben (comme dans l'œuvre de Yeun ar Gow)."

Ar Gall (2013) relève effectivement des formes en emede, emedent chez Yeun ar Gow dans ses écrits édités chez Brud, formes "corrigées" parfois par d'autres éditeurs en edo.

  • Hag e voent techet da grediñ emede ar wirionez gant an Dich.
'Et ils étaient portés à croire que le Dich avait raison.', Cornouaillais (Pleyben), Ar Gow (1958:91)
  • Mignoned e oant d'an Dich ha gantañ emedent, war ar pont nevez, pa oa aet an aotrou kure e-biou.
'Ils étaient amis avec le Dich et étaient avec lui sur le nouveau pont quand était passé le nouveau curé.'
Cornouaillais (Pleyben), Ar Gow (1958:96)


On en trouve en 1958 jusqu'à l'Hôpital-Camfrout.


(5) En devez-se emedo he oll mohigou er gêr.
en.le journ.née- était son tous porc.elets en.le 1foyer
'Ce jour-là, elle était de très bonne humeur.' (imor = he moc'h)
Cornouaillais (L'Hôpital-Camfrout), Le Gall (1958:'mohigou')


evedo (passé)

Les formes en evedo apparaissent dans la carte 66 de l'ALBB au point 30 (Plougastell-Daoulas à Daoulas). Favereau (1997:§416) signale une forme evedo à Landivisiau. Merser (2011:95) associe tout le paradigme au Léon et proche Cornouaille. On en relève à Plougerneau au XXIe. Ce paradigme semble illustrer l'interprétation de l'initiale e en rannig e provoquant une mutation mixte M>V, ou l'insertion d'une consonne V.


(6) Un' bennak zo bet o klask war da lerc'h, mes n'evedos ket er gêr.
un quelconque est été à4 chercher sur1 ton1 suite mais ne1 étais pas en.le 1foyer
'Quelqu'un t'a cherché, mais tu n'étais pas chez toi.'
Gourmelon (2014:132)


(7) Ken presset evedo d'hon kuit, e(n) deus lesket tout e draoù.
tant pressé était à1 aller parti R.3SGM 3.a laiss.é tout son1 choses
'Il était tellement pressé de partir qu'il a laissé toutes ses affaires.'
Léonard (Plougerneau), M-L. B. (05/2016)


(8) Pa vedoun bihan, me soñje va gwaz em beche e veche brasoc'h 'it ma'z eo.
quand1 étais petit moi pensais mon2 mari R.1SG 1.aurait R4 serait grand.plus que que+C est
'Quand j'étais petite, je pensais que mon futur mari serait plus grand qu'il n'est.'
Léonard (Plougerneau), M-L. B. (05/2018)


À Sein, edo au présent, yade au passé

La forme edo pour le présent est relevée à Sein dans la carte 63 de l'ALBB où les formes edon, edomp traduisent un temps présent ('Je suis en train de manger', 'Nous sommes en train de manger'). Cette forme est toujours vivante sur l'île.


(1) Bea 'di atô e Paris ?
être est toujours en Paris
'Il est toujours à Paris ?'
Cornouaillais (Sein), Fagon & Riou (2015:44)


(2) Abagoa ma 'di var-dro henne eo deut or vordiallourez.
depuis que est autour celui-là est ven.u un 1bordell.euse
'Depuis qu'elle le fréquente, c'est devenu une débauchée.'
Cornouaillais (Sein), Fagon & Riou (2015:'bordiallourez')


À Ouessant, Malgorn (1909) donnait l'imparfait edonn, edos, edo, edomp, edoc'h, edont, et contrastait avec l'île de Sein qui a comme imparfait : iade pour ioa, me iade; iaden pour [le Ouessantin] edon. Le paradigme du passé dans la carte 66 de l'ALBB y donne les formes yaden, yademp. Ces formes sont toujours productives à Sein.


(3) Eoñ daoa lavaret yade é vont da vilout e gekenn…
lui 3.avait d.it était à4 aller pour1 voir son1 fiancée
'Il avait dit qu'il allait voir sa fiancée.'
Cornouaillais (Sein), Kersulec (2016:7)


(4) A  : Ne yade ket er gear ? B : Neo, er gear e yade.
ne1 était pas en.le 1foyer si en.le 1foyer R était
'A: Il n'était pas à la maison ? / B: Si, il était à la maison.'
Cornouaillais (Sein), Fagon & Riou (2015:44)


Les formes présent comme passé peuvent, comme souligné par Kedez (2015a) et Kersulec (2016:7), être précédées d'un rannig, et ce depuis au moins le moyen breton.

  • Un merch hag a edoa guerches
Moyen breton 1650, Nl. n.409, p.274.
  • Sant Ephren ha Sant Ian Chrisostom a yedo ivez er memes santimant.
Breton (1718), RP. p.274.

accentuation

Kervella (1995:§206,fn2) note que l'accentuation de mot de emañ tombe sur /a/ (orthographié en standard) ou sur /ər/, eur, marque de l'impersonnel.

Dans le Sud-Ouest (Merser 2011:93,fn1), les formes sont contractées (/(e)mɔ̃n, (e)mut, (e)mɔ̃m, (e)mɔX/ ).


un verbe défectif

Le verbe emañ est un verbe défectif, ce qui veut dire que ses paradigmes ne sont complets dans aucun dialecte.


temps

Il n'a de paradigme du futur dans aucun dialecte, et c'est, le cas échéant, la forme eo de la copule qui le remplace.


(5) Ne vin ket me mui amañ é kennig dour deoc'h.
ne1 serai pas moi plus ici à4 proposer eau à.vous
'Moi, je ne serai plus là à vous offrir de l'eau.'
Vannetais, Ar Meliner (2009:107)


personne

Ce verbe est aussi défectif au temps présent dans l'Est du territoire parlant. Ce verbe est restreint à la troisième personne dans certains dialectes, comme en trégorrois (Konan 2017:263), en Pélem et en vannetais (Favereau 1997:§416). Dans la carte 63 de l'ALBB qui traduit 'Je suis en train de manger', 'Nous sommes en train de manger', on voit le verbe emañ émerger dans la partie Ouest à la première personne. La partie Est, du Trégor au vannetais, utilise la forme 1SG de la copule eo.

La restriction à la personne 3 n'existe pas en Cornouaille, en Léon, en Poher. Elle n'est pas représentée en standard.

La restriction à la personne 3 existe aussi en gallois (Favereau (1997:§416) et en moyen breton (Hemon 2000:§139.4.fn1).

négation

Dans certains dialectes, comme en vannetais (Hewitt 1988a, Delanoy 2010) ou en Pélem (Favereau 1997:§416), la forme emañ n'est pas compatible avec la négation.


(6)a. Ema ar bara àr an daol.
est le pain sur1 le 1table
'Le pain est sur la table.'
Vannetais, Hewitt (1988a)


(6)b. N-ê ket ar bara àr an daol.
ne est pas le pain sur le 1table
'Le pain n'est pas sur la table.'
Vannetais, Hewitt (1988a)


(7) N' e' ket é chom amen.
ne1 est pas à4 rester ici
'Il n'habite pas ici.'
Haut-vannetais, Favereau (1997:§416)


A l'inverse, en cornouaillais de l'Est maritime, la négation favorise emañ par rapport à eo.


(8) Braz ow.
grand est
'Il est grand.'
Cornouaillais de l'Est, Bouzec & al. (2017:22)


(9) ' Ma ket braz noñ.
ne1 est pas grand P.lui
'Il n'est pas grand.'
Cornouaillais de l'Est, Bouzec & al. (2017:22)


composition avec ou sans rannig

Tous les paradigmes commencent par la voyelle /e/, homophone du rannig e. Kervella (1995:§229) considère que les formes du présent type emañ et les formes du passé type emedo ont un rannig e intégré à la morphologie. La forme edo du passé serait, elle, dépourvue de rannig intégré, ce qui prédit que le rannig e peut (parfois) le précéder (D'ar mare-se ez edon dirazañ, 'J'étais alors devant lui.').

Cette hypothèse pose plusieurs problèmes.

  • Au niveau des mutations, un rannig e devrait provoquer une mutation mixte - il devrait ne jamais précéder de consonne /m/ (qui devrait muter en /v/). C'est le cas des formes en evedo du Léon et proche Cornouaille, mais pas des autres formes.
  • Syntaxiquement, si le rannig était intégré à la forme verbale, on devrait pouvoir observer une alternance a/e lorsque l'on fait précéder le verbe d'un nom, comme par exemple dans les constructions du faux sujet (1), ou dans une antéposition de l'objet (2). Or, ce n'est jamais le cas.


(1) An den emaon o komz outañ.
le personne1 suis à4 parler à.lui1
'La personne à qui je parle / Je suis en train de parler à la personne.'
Standard, Kervella (1995:§230)


(2) Petra ema en e zoñj ober _ ?
quoi2 est en son1 pensée faire <quoi>2
'Que pense-t-il faire ?'
Léonard, Fave (1998:141)


Il est plus probable que la voyelle /e/ réalise une particule liée à la possibilité pour le verbe d'apparaître en position initiale de phrase, avec une hésitation dans le cas de la forme edo, qui peut apparaître avec un rannig e.


composition avec ou sans accord sujet

Les morphèmes de personne, de nombre et de genre à la fin du verbe sont-ils des morphèmes d'accord?

Ce ne sont pas des pronoms forts indépendants: il serait exceptionnel de voir ceux-ci apparaître en situation postverbale. Le breton de St Ivy, Bannalec et Riec a des pronoms forts indépendants post-verbaux 3PL (et peut-être 3SG). Le pronom 3SG haoñ en (5) pourrait y être un pronom fort indépendant, mais c'est moins plausiblement le cas dans les autres dialectes.


(3) Ema haoñ riboter.

'C'est un pistard.'
Ema haoñ eun den mad.
'C'est un homme bon.'
Ema haoñ an hañi brasoñ.
'C'est le plus grand.'
Cornouaillais (St Ivy), Hewitt (1988a)


Les pronoms eñv et hi de la spécification genrée ne sont pas des pronoms écho. Que la forme ema soit ou non un verbe conjugué, eñv et hi ajoutent de l'information genrée.

Les morphèmes du reste du paradigme ne peuvent pas être des pronoms écho car il serait exceptionnel qu'ils ne doublent pas un affixe déjà présent.


Syntaxe

sujet défini

La généralisation standard est que le sujet du verbe emañ est obligatoirement défini (donc jamais : * War an olifant emañ ur c'hazh, ni ''* War an olifant emañ tri c'hazh). La forme du verbe bezañ 'être' dédiée aux sujets postverbaux indéfinis est la forme ez eus, ou, hors Léon, zo.


(1) War an olifant ez eus { ur c'hazh / tri c'hazh }.
sur le éléphant R+C est un 5chat / trois 2chat
'Il y a {un chat / trois chats} sur l'éléphant.'
Léonard, Kerrain (2001)


(2) War an olifant zo {ur c'hazh / tri c'hazh}.
sur le éléphant R1 est un 5chat / trois 2chat
'Il y a {un chat / trois chats} sur l'éléphant.'
Standard et KLT hors Léon, Kerrain (2001)


Dans les tournures météorologiques comme Edo o nosaat (Menard & Kadored 2001:'emañ'), 'La nuit tombait', cette généralisation de la définitude du sujet associé à emañ/edo demande de considérer que le pronom météorologique vide est ici un pronom défini.


contre-exemples

On peut trouver quelques rares contre-exemples, à l'actif comme au passif. Il ne s'agit pas de formes sémantiquement locatives ou progressives.

  • e pe seurt stad ema unan ac'hanoc'h.
'Dans quel état est l'un d'entre vous.'
Breton pré-moderne (1879), BMN. 289


La plupart des contre-exemples sont compliqués par la négation. Le verbe emañ est compatible avec un sujet préverbal uniquement si celui-ci est devant une négation, laquelle crée une sorte de barrière dans la phrase (3).


(3) An dén n'ema két en oto.
le personne ne est pas en.le auto
'L'homme n'est pas dans la voiture.'
Léonard, Seite (1975:61)


Dans la phrase en (4), un sujet indéfini est compatible avec emañ. Syntaxiquement, il se trouve séparé de lui par la négation, et le verbe emañ a ici une lecture existentielle.


(4) Un den n'emañ ket er bed en hevelep doare hag un dra…
un personne ne est pas en.le monde en.le même façon que un 1chose
'Un homme n'existe pas dans le monde de la même manière qu'une chose …'
Standard, Gawain (1941:63)


En (5), edo est en usage d'auxiliaire.


(5) Met va c'halon c'houllo zo chomet pell toc'hor.

Ha remed ebet n'edo kavet evit va fareañ.
Duval 'En koun eus va zad'

conjugué à l'initiale

Le verbe emañ est le seul verbe de la langue bretonne à pouvoir apparaître tensé en initiale de phrase dans tous les dialectes.

Le placement en initiale peut occasionnellement déteindre sur les stratégies de dernier ressort palliant à la défectivité du paradigme de emañ. En (2), le verbe est au passé. La forme edo du passé n'apparaît pas dans Le Bayon (1878), mais on peut noter un ordre à verbe tensé en initiale de phrase qui rappelle emañ.


(2) É oen é choñjal get-n-eign me unañ.
R étais à4 penser avec.moi mon2 un
'Je songeais en moi-même.'
Vannetais pré-moderne, Le Bayon (1878)


Lorsqu'il n'est pas à l'initiale, au positif, emañ peut être précédé par n'importe quel constituant sauf son sujet.


(3) Klañv 'ma, gwall-glañv, ziken.
malade est très1-malade même
'Il est malade, très malade, même.'
Cornouaillais (Riec), Bouzeg (1986:III)

pas de sujet antéposé en standard

Lorsque le sujet de la phrase apparaît devant l'élément tensé, la forme emañ n'est plus licite, et c'est la forme zo qui apparaît.

D'autres syntagmes nominaux peuvent être antéposés : la forme emañ apparaît en effet dans les constructions du faux sujet (Rezac 2008:26).


Rezac note qu'en dialecte du Léon, si un groupe nominal antéposé au temps par mouvement déclenche automatiquement la forme zo lorsqu'il est sujet (63b), c'est la forme emañ qui apparaît si le groupe nominal antéposé (Per) est un objet local (63a) ou résultant d'une extraction longue distance (63c).


 Rezac (2008:26):
 
 Les DPs préverbaux autres que le sujet sont différenciés par la copule selon qu'ils lient une lacune ou un résomptif, et la clef de leur différence n'est pas dans la particule, qui les neutralise.
 
 (63)a. Per EMAÑ / *A ZO Mona o klask __ er c'hoad.
 Per is R is Mona PRG seek in.the wood
 'Mona is looking for Per in the woods.'    (Hendrick 1988: 105-6 note 2)
 
 (63)b. Per A ZO o klask Mona er c'hoad.
 Per R is PRG seek Mona in.the wood
 'Per is looking for Mona in the woods.'    (Hendrick 1988: 105-6 note 2)
 
 (63)c. Petra EMA en e zoñj [ober __] ?
 what is in his thought do.INF
 'What is he thinking of doing ?'            (Fave 1998:141 [Léon])


Les exemples suivants montrent qu'en cornouaillais de l'est, le verbe emañ résiste au sujet préverbal.


(4) Ha brom, 'mañ ho karr-samm doc'h-hwi ho hun !
et maintenant est votre3 camion à.vous votre3 un
'Maintenant c'est ton camion à toi toute seule !'
Cornouaillais (Scaër/Bannalec), H. Gaudart (09/2022)


(5) Ha brom ho karr-samm 'mañ doc'h-hwi ho hun !
et maintenant votre3 camion est à.vous votre3 un
'Maintenant c'est ton camion à toi toute seule !'
Cornouaillais (Scaër/Bannalec), H. Gaudart (09/2022)


place du sujet postposé

Hewitt (1988) note que la forme emañ de situation a ceci de particulier que son sujet la suit directement.

 Hewitt (1988a):
 "La structure double D ne peut pas être considérée comme auxiliaire d'un point de vue syntaxique puisque le sujet vient ordinairement rompre le constituant putatif auxiliaire-auxilié. Il vaut mieux alors parler d'une structure double avec un verbe syntaxique plein, suivi de son sujet et un prédicat lexical indépendant:
 
 Emañ an dud o labourat / e-kreis ar park/ du-hont.


Cette propriété s'étend aux structures locatives (Emañ (Marijo) el levraoueg (*Marijo)) et progressives (Emañ (Marijo) o lenn (*Marijo)). Ce n'est cependant pas le cas dans les structures prédicatives (Emañ (*Marijo) brav (Marijo)) et lorsque emañ peut être utilisé comme un auxiliaire (Emañ (*Marijo) degouezhet (Marijo)).

Les structures où emañ ne peut pas être séparé de son sujet postposé rappellent les ordres mots typiques des autres langues celtiques que le breton. En breton cependant, les autres verbes que emañ peuvent voir différents éléments intervenir entre la forme emañ et son sujet postposé.


usage comme auxiliaire

Certains dialectes n'utilisent jamais emañ comme auxiliaire, et alors même la dimension spatiale ne force pas la présence de emañ. C'est le cas à priori du trégorrois.


(1) Daoust peleh eo abuzet ar falz-se ?
à.savoir est occup.é le faucille-
'Je me demande où est restée cette faucille-là ? '
Trégorrois, Gros (1989: 'abuzi')


En vannetais, en cornouaillais, en Poher et en Léon jusqu'à Ouessant, le verbe emañ se trouve aussi comme auxiliaire 'être'. Favereau (1997:§445) relève en Poher 'Ma deut, 'Je l'ai eu', et en haut-cornouaillais, Astennet emañ aze, 'Il est allongé là', ou chez Yann-Fañch Kemener, Mañ savet 'Il est levé'.


(2) Ale emañ aet !
allez est all.é
'Allez, elle est partie !'
Léonard, Kervella (2009:24)


(3) Pelec'h emaoc'h bet ?
êtes all.é
'Où êtes-vous allé ?'
Cornouaillais (Riec), Bouzeg (1986:35)


(4) Kit da wel ma 'ma digouet ho preur.
allez pour1 voir si4 est arriv.é votre3 frère
'Allez voir si votre frère est venu aujourd'hui.'
Cornouaillais (Scaër/Bannalec), H. Gaudart (04/2016b)


(5) Re gozh emañ-hi degouezhet.
trop1 vieux est-elle arriv.é
'elle est devenue trop vieille.'
Scaër, Cheveau & Kersulec (2012-évolutif:Scaër,'amzer')


(6) An D a zo kouezhet hag ema daet da vout St-Meard.
le D R1 est tomb.é et est ven.u à1 être St-Meard
'Le D est tombé, et c'est devenu St-Meard.'
Vannetais, Herrieu (1915-19:[09-01-1916])


Gary German et Mona Bouzeg reportent pour St Ivy et Riec des formes emañ en usage d'auxiliaire, indépendamment de la présence de la négation.


(7) 'Ma ket degouezhet.
est pas arriv.é
'Il n'est pas arrivé'
Cornouaillais (Riec), Bouzeg (1986:35)


participe passif

On trouve le verbe emañ comme auxiliaire dans les contextes syntaxiques où on trouve généralement l'auxiliaire 'être'. À la voix active, on trouve l'auxiliaire emañ sur des verbes intransitifs inaccusatifs (mont, dont, degouezhout…). L'auxiliaire emañ s'emploie aussi avec des verbes transitifs si ceux-ci sont détransitivisés par le passif (cf. sélection de l'auxiliaire). On trouve ces exemples surtout dans les dialectes du sud, mais ils sont aussi documentés à Ouessant, et même présentés comme standard dans Seite (1975:60).


(1) Bremañ emaint ambarket er vapeur adarre o tond da Eusa.
maintenant sont ambarqu.é en.le "vapeur" encore à4 venir à1 Ouessant
'Ils sont embarqués encore dans le vapeur qui vient à Ouessant.'
Léonard (Ouessant), Gouedig (1982)


 Seite (1975:60):
 "[L]e temps de situation peut s'employer avec le participe passé ou l'adjectif:
 
 Emaon kollet, mais Kollet on = 'Je suis perdu.'
 Emaout kouezet, mais Kouezet out = 'Tu es tombé.'
 Ema lennet al lizer, mais Lennet eo al lizer = '… est lue.'
 Emaom klañv, mais Klañv om = 'Nous sommes malades.'
 Emaoh yah bremañ, mais Yah oh bremañ = '… en bonne santé.'
 Emaint eüruz, mais Eüruz int = 'Ils, (elles) sont heureux.'
 Ema skrivet al lizer gant Ivonig (avec Yvon) "
 Ema skrivet al lizer gantañ (avec lui) - ganti (avec elle) - ganto (avec eux, avec elles) "


Le participe passé ne peut pas apparaître avant l'auxiliaire emañ (en tout cas pas à Moëlan selon Bouzec & al. 2017:23), mais un participe passif le peut.


(2) Deb't 'moñ bet ga'n hwenn pa'n noz.
Debret on bet gant ar c'hwenn e-pad an noz. Équivalent standardisé
mang.é suis été par le puces pendant le nuit
'J'ai été dévoré par les puces pendant la nuit.'
Cornouaillais de l'Est, Bouzec & al. (2017:283)


(3) Ema debet koan. vs. Debet e koan.
est mang.é souper mang.é est souper
'Le dîner est fini.'
Cornouaillais de l'Est (St Ivy)
cité dans Hewitt (1988a)

l'auxiliaire séparé de son sujet

Dans ses emplois en tant qu'auxiliaire, le verbe emañ peut être séparé de son sujet patient par le participe dans le champ postverbal. C'est un contraste fort avec emañ en dehors de cet emploi auxilié, qui doit lui jouxter son sujet.


(1) Ema deuet Yann d'ar gêr.
est ven.u Yann à le 1foyer
'Yann est venu à la maison.'
Cornouaillais de l'Est (Lanvénégen), Evenou (1987:626-38)
cité dans Hewitt (1988a)


(2) al lec'h m' ema tolpet ar gompagnunezh.
le lieu que4 est rassembl.é le 1compagnie
'l'endroit où est groupée la compagnie'
Vannetais, Herrieu (1915-19:[07-07-1915])


Dans le cas de ces participes passifs, le complément d'agent peut aussi intervenir entre emañ et son sujet.


(3) "Emañ lipet ganti he loa!" eme Brimel neuze.
est aval.é avec.elle son2 cuillière dit Brimel alors
'Brimel dit alors "Elle est morte !"'
Cornouaillais (Pleyben), Ar Gow (1958:124)

diachronie

Burel utilise emañ comme auxiliaire en 1905 en Léon. Yvon Crocq, natif du Cap mais usant de tournures léonardes, en fait aussi usage en 1908.


(1) héman anter lazet Yvon ganéoc'h.
est moitié tu.é Yvon avec.vous
'Vous avez à moitié tué Yvon !'
Léonard pré-moderne (Plouider, 1905), Burel (2012:192)


(2) Ah ! lizer benniget ! emout deut !
ah lettre bén.i es ven.u
'Ah ! Lettre bénie ! Te voila enfin !'
Cornouaillais / Léon, Croq (1908:3)

en périphérie droite

C'est la forme emañ qui apparaît dans les tournures complexes de discours en eus + verbe qui apparaissent en périphérie droite de la phrase.


(3) Ar bleizi ' zo er goadeg, eus emaint.
le loup.s R1 est en.le 1bois.sfx P sont
'Le fait est que les loups sont dans le bois.' (bien sûr)
Menard & Kadored (2001):§'eus')

Sémantique

La forme emañ a des sémantiques diverses.


verbe de situation

Prototypiquement, la sélection de la forme emañ au détriment de la forme eo est causée par la présence d'une dimension sémantique de location dans le temps ou dans l'espace.

On a ainsi emañ dans une tournure progressive en (1), ou dans une tournure prospective comme en (2).


(1) Emaint o tont d'ar gêr.
sont à4 venir à le 1foyer
'Ils sont en train de rentrer.'
Standard


(2) Emaint dindan donet d'ar gêr.
sont sous venir à le 1foyer
'Ils sont sur le point de rentrer.'
Vannetais, Herrieu (1994:283)


Selon Hewitt (1988a), l'utilisation de la forme emañ a pour effet de borner le cadre spacio-temporel.


 Hewitt (1988a):
 Quand on veut limiter le cadre spacio-temporel, un prédicat attributif peut devenir situatif avec un changement structurel concomitant,
 
 ewn ê, ewn emañ;
 klañv ê, klañv emañ;
 tèir blac'h int, tèir blac'h emaint."


La généralisation qui propose qu'à chaque fois qu'on a sémantiquement un prédicat situatif, c'est le verbe emañ qui est utilisé semble solide, avec une exception nette : lorsque le sujet est antéposé, il déclenche la forme a zo de la copule.


à ne pas confondre

En (3), on pourrait être troublé par l'hypothèse que eo aurait remplacé emañ dans un sens situatif, en obtenant le sens : 'Les lunettes de Cupidon ne se trouvent pas sur mon nez.' Cependant, il s'agit uniquement ici d'une ellipse de a zo, et la copule eo y a bien un sens contrastif : 'C'est pas les lunettes de Cupidon qui se trouvent sur mon nez !'.


(3) Gwir eo nend eo ket lunedoù Cupidon àr ma fri…
vrai est ne+C est pas lunette.s Cupidon <qui est> sur1 mon2 nez
'C'est vrai que je n'ai pas les lunettes de Cupidon sur le nez.'
Vannetais, Herrieu (1994:225)

copule prédicative

La forme emañ peut être utilisée comme copule prédicative. La carte 61 de l'ALBB montre des réponses en ima en vannetais pour la traduction de '(Souvent) il est malade', '(Souvent) ils sont malades').

Pour un même locuteur, la forme emañ semble pouvoir être utilisée optionnellement de façon sémantiquement équivalente à la forme zo de la copule (le placement du sujet continue d'être le critère qui les départage).


(4) … da lennerion a zo ar brezhoneg o lavar pemdeziek, èl m'ema hon hani-ni.
à1 lect.eurs R est le breton leur2 langue quotidien comme que est notre celui-nous
'… aux lecteurs dont la langue quotidienne est le breton comme c'est le cas chez nous.'
Vannetais, ar Meliner (2009:11)


La forme emañ semble aussi pouvoir être utilisée optionnellement de façon équivalente à la forme eo de la copule, ce qui a un impact sur l'ordre des mots car contrairement à la forme eo, emañ peut apparaître en initiale de phrase (V1).


(5) 'Ma daw gortoz.
est attendre
'Il faut attendre.'
Cornouaillais de l'est maritime, Bouzec & al. (2017:23)


(6) / pehed e / / ma ma:T /
Pec'hed eo. Ema mat.
péché est proi est bon proi
'C'est un péché.', 'C'est bon.'
Cornouaillais de l'Est (Lanvenegen), Evenou (1987:571)


(7) Paour keaz Maze, emaomp devet.
pauvre-cher Maze sommes brûl.é
'Mon pauvre Maze, on est cuits.'
Léonard, Perrot (1907:27)


(8) C'hoazh un hanter dousenn mouded hag emañ echu.
encore une demi douzaine motte.s et est fini
'Encore une demi-douzaine de mottes et c'est fini.'
Léonard, Abeozen (1986:55)


Gary German et Mona Bouzeg reportent pour St Ivy et Riec des formes emañ en usage de copule, indépendamment de la présence de la négation.


(9) Ema ket riboter anaoñ. vs. N-e ket riboter anaoñ.
est pas pistard P.lui ne-est pas pistard P.lui
'C'est pas un pistard.'
Cornouaillais (St Ivy)
cité dans Hewitt (1988a)


L'usage en copule prédicative est répandu dans tous les dialectes et accepté en breton standard, parfois même avec la négation.


(9) N'emañ ket evit he zeod,

E-keñver studiañ emañ deskiñ,
Emañ an daou bried-se an eil diouzh egile.
Standard, Menard & Kadored (2001:'emañ')


bornage temporel

L'usage de emañ en copule prédicative est bornée temporellement en KLT, mais pas en vannetais.


en KLT

Emañ peut induire en KLT un prédicat plus délimité dans le temps que la forme eo de la copule. Davalan (1999), repris dans Avezard-Roger (2007:38), oppose ainsi Klañv eo, 'Il est malade' avec Klañv emañ, 'Il se trouve malade (alors qu'il ne l'était pas il y a peu)'. C'est nettement la lecture dans un ensemble d'emplois. Des effets de contraste similaires sont signalés à Plozévet par Goyat (2012:297), et par Gourmelon (2014:32).


(1)a. / 'ma:d ma ar ˌba:ra/
Mad ema ar bara. Graphie standard
bon est le pain
'Le pain en est à un bon degré de cuisson.'
Cornouaillais (Plozévet), Goyat (2012:297)


(1)b. / 'ma:d ɛ ar ˌba:ra/
Mad eo ar bara. Graphie standard
bon est le pain
'Le pain est bon.'
Cornouaillais (Plozévet), Goyat (2012:297)


(2)a. Set' ma braw an amzer.
voici est beau le temps
'Voilà que le temps est beau.' (passager)
Breton central (Plouyé), Lozac'h (2014:'Be(za)')


(2)a. Braw é an amzer
beau est le temps
'Le temps est beau.' (constant)
Breton central (Plouyé), Lozac'h (2014:'Be(za)')


(3) Warc'hoazh ema ar zul.
demain est le dimanche
'C'est demain dimanche.'
Cornouaillais / Léon, Croq (1908:29)


(4) Gortoz ! War evez emaout ?
attends sur garde es
'Attends ! T'es prêt ?'
Léonard, Perrot (1907:16)


(5) Bremaik emañ yen da batatez.
maintenant est froid ton1 patates
'Maintenant tes patates sont froides.'
Léonard, Abeozen (1986:56)


(6) Emañ klouar da gafe, ev anezhañ buan 'ta !
est tiède ton1 café bois P.lui vite donc !
'Ton café est tiède, bois le donc vite.'
Gourmelon (2014:31)


(7) Etre veui ha neui ema.
entre1 noyer et nager est
'Il est entre la vie et la mort.'
Proverbe, Le Berre & Le Dû (1999:80)


(8) 'Maout kontant dond da Uhelgoad d'ober eur honkour kostumou ?
es content venir à1 Uhelgoat à1 faire un 5concours costume.s
'Tu veux bien venir à Uhelgoat faire un concours de costumes ?'
Léonard (Ouessant), Gouedig (1982)


Dans les dialectes qui autorisent l'usage de emañ en auxiliaire, cet effet de bornage temporel additionné au perfectif du participe obtient un passé proche.


(9) Emañ degouezhet, an hini e oamp o c'hortoz !
est arriv.é le celui R4 étions à4 attendre
'Il est arrivé, celui qu'on attendait !'
Gourmelon (2014:31)


La phrase en (10) montre que le bornage temporel n'agit que sur l'usage en copule prédicative. Le proverbe induit une lecture générique sur la copule emañ, qui n'est pas plausiblement bornée dans le temps. C'est l'usage locatif de emañ.


(10) E-barzh an evezh, emañ an devezh.
dans le soin est le journ.ée
'Travail bien fait, bonne journée.'
Proverbe, Abalain (2001:33)


pas en vannetais

L'effet de bornage temporel du prédicat avec emañ semble absent de l'aire vannetaise moderne. On trouve dans les différentes variétés de vannetais des emplois de la forme emañ de la copule où les propriété prédiquées ne sont pas bornées dans le temps. Il s'agit alors dans les phrases positives de la même distribution que celle de la copule eo (cf. Herrieu 1915-19:[31-07-1916]: Tomm eo atav ken ema tomm a-walc'h.).


(1) /xazo xi:rox ẃi-m-mand ledãn/
eux.est long.plus que que4 sont large
'Ils sont plus longs qu'ils ne sont larges.'
Vannetais (Groix), Ternes (1970:222)


(2) Evite, a-wael, ema achu ar brezel.
pour.eux au.moins est fini le guerre
'pour eux, au moins, la guerre est finie.'
Vannetais, Herrieu (1994:9)


(3) Brâs ê an ti vs. Neuse ema brâs an ti.
grand est le maison alors est grand le maison
'La maison est grande.' (alors)
Vannetais, Hewitt (1988a)


(4) Seul gwezh m'e ta ema ur sort.
chaque fois que4 R4 vient est pareil
'À chaque fois qu'il vient, c'est pareil.'
Vannetais (Languidic), Crahe (2013:332)


(5) [ aɥɛdaɲ ima ]
Evidin ema.
pour.moi est
'C'est pour moi.'
Vannetais (Kistinid), Nicolas (2005:34)


Cette absence de bornage sémantique déborde sur le cornouaillais de l'Est maritime.


(6) Ma moc'h bien, zo 'weu !
Ma emaoc'h bihan, me zo ivez ! Équivalent standardisé
si4 êtes petit moi est aussi
'Si tu es petit, je le suis aussi !'
Cornouaillais (Bannalec), Bouzec & al. (2017:305)

emañ obligatoire, * eo

Thibault (1914:182) à Cléguérec en Nord vannetais montre aussi des usages prédicatifs non bornés temporellement de emañ où il est optionnel (1), mais en plus dans certains contextes (2), emañ est obligatoire et la copule eo est agrammaticale (3).


(1)a. /i ma štal lęr/, Cléguérec, Thibault (1914:182)

I ma (just-)evel al ler.
'C'est comme du cuir'
b. Ar pech a zo gwellañ ganein eo/ima an uioù
'Ce que j'aime le mieux, ce sont les œufs.'

(2) /a gošte mi ma klã/

a-gaoz m'i ma klañv
'parce qu'il est malade'

(3) et pas * /a gaust men de klã/


Selon Thibault (1914:182), ce contexte syntaxique est celui des "propositions conjonctives". Cependant, dans l'exemple qu'il donne, la conjonction comme le prédicat forcent une lecture bornée temporellement (la cause 'parce qu'il est malade' ne fait de sens que 'parce qu'il est malade maintenant').


diachronie

L'usage de emañ en copule prédicative n'est pas récent.


(6) Hag e kri a-bouez penn "'Emaon pare" !
et R4 crie à-poids tête C.suis prêt
'Et il crie à tue-tête : "Je suis prêt" !'
Breton pré-moderne, BSA. (1877:204)
cité dans Le Gléau (1973:41)

copule existentielle

La forme emañ peut aussi être utilisée comme copule existentielle, lorsqu'elle ne sélectionne qu'un seul argument.


(7) An den a zo hirio; warc'hoazh n'ema mui !
le humain R1 est aujourd'hui demain ne1 y.a plus
'L'homme existe aujourd'hui, demain il ne sera plus !'
Breton pré-moderne, BSA. (1877:165)
cité dans Le Gléau (1973:41)


copule équative

En Léon, la forme edo peut aussi être utilisée comme copule équative, là où le standard mettrait la copule oa. Le sujet reste cependant défini.


(1) An aotroù person edo an aotroù Doue
le monsieur recteur était le monsieur Dieu
'Le recteur était le bon Dieu.'
Léonard, Favereau (1997:§416)


(2) Ar rekor' edo 35000.
le record était 35000
'Le record était fixé à 35000.'
Favereau (1997:§416)


(3) En amzer gos gueac'hal éguis ma eman ar guis da lavarèt…,

En amzer gozh gwechall e-giz m'emañ ar giz da lavaret
'Dans le vieux temps d'autrefois, comme on dit… '
Léonard pré-moderne (Lesneven), Burel (2012:34)


On trouve aussi cette forme emañ en copule prédicative équative en cornouaillais de l'Est.


(4) Emañ ur vaouz kozh 'haniñ.
est un femme vieux P.moi
'Je suis une vieille femme.'
Cornouaillais (Scaër/Bannalec), H. Gaudart (09/2022b)


(5) Emañ ur senior 'haniñ.
est un senior P.moi
'Je suis une vieille femme.'
Cornouaillais (Scaër/Bannalec), H. Gaudart (09/2022b)


Une focalisation du sujet est possible par un pronom de troisième personne.


(6) Ka kred start ' ra din 'brom emañ-eoñ a sell ouzh ma c'hoen.
car croire ferme R fait à.moi maintenant est-lui R1 regarde à mon2 crème
'Car je crois fermement maintenant que c'est lui qui en a après ma crème.'
Cornouaillais (Scaër/Bannalec), H. Gaudart (04/2016b)

Récapitulation de la variation dialectale

Ci-dessous, je résume la variation dialectale dans ses dimensions syntaxiques et sémantiques.


léonard

Le dialecte léonard a un paradigme au passé, edo, plus la forme emedo qui irradie jusqu'en proche Cornouaille avec sa forme alternative mutée evedo. En Léon, la forme edo du passé est parfois utilisée en lieu et place de la copule eo au passé (oa) tant que le sujet reste défini (Merser 2011:95).

On trouve des usages de emañ comme auxiliaire.


cornouaillais

On trouve des usages de emañ comme auxiliaire. En cornouaillais de l'Est intérieur, Naoned (1952:61) note que emañ n'est pas un verbe de situation en ce sens qu'il est la forme unilatérale du verbe 'être' à Scaër/Guiscriff (mais il oublie sans doute zo).

Le sujet de emañ peut alors être séparé de son verbe par le participe passé.


(1) Ema aet an dud kuit. vs. Aet e an dud kuit.
est all.é le 1gens parti Allé est le 1gens parti
'Les gens sont partis.'
Cornouaillais (St Ivy)
cité dans Hewitt (1988a)


Selon Bouzec & al. (2017:22), en cornouaillais de l'Est maritime la négation favorise emañ par rapport à eo. Hewitt (1988a) note que dans plusieurs cas, tout du moins à St-Yvi, l'alternance avec emañ/eo n'est pas possible. Ce qui permet ou pas l'alternance n'est pas clair.

(2) Aesoc'h e din.

Kouet e 'zailh ba'n puz.
Benn fin 'n dro e maro haoñ.

trégorrois

Le verbe emañ n'existe en Trégor qu'à la personne trois de l'indicatif présent (carte 65 de l'ALBB, Gros 1970:26). Aux autres personnes, et aux autres temps, c'est le paradigme de eo qui le remplace (carte 63, 64 de l'ALBB). Emañ n'y est pas utilisé comme auxiliaire, mais on peut le trouver en usage de copule équative.


(3) Hañ ! Hiziv emañ deiz Pesk-Ebrel !
Ah ! aujourd'hui est jour poisson-avril
'Ah ! C'est aujourd'hui le jour des poissons d'avril !'
Trégorrois, Duval (1961)


vannetais

Ce verbe n'existe en vannetais qu'à la personne trois de l'indicatif présent (carte 65 de l'ALBB). Aux autres personnes, et aux autres temps, c'est le paradigme de eo qui le remplace (carte 63, 64 de l'ALBB).

En vannetais, les formes emañ de location sont incompatibles avec la négation (Hewitt 1988a, Merser 2011:94), et spécifiquement pour le haut-vannetais Delanoy (2010) ( 'D e ket ir ger, 'Il (elle) n'est pas à la maison').


(4) Ema ar bara àr an daol. vs N-ê ket ar bara àr an daol.
est le pain sur le 1table ne-est pas le pain sur le 1table
'Le pain (n') est (pas) sur la table.'
Vannetais, Hewitt (1988a)


Tous les dialectes utilisent emañ comme copule prédicative, mais seul le vannetais semble l'utiliser pour des usages non-bornés dans le temps. Cet usage était possiblement plus répandu anciennement car on trouve des exemples de copule emañ dans les proverbes sous une lecture générique.

Horizons comparatifs

Selon Deshayes (2003:'ema'), ema correspond au cornique yma et au gallois y mae, avec une composition en une particule verbale (e, y) suivie du verbe ma(e), issu du celtique *mages-est. La graphie bretonne en emañ apparaît selon lui en contraction de ema-eñv, /est-lui/, 'il est'.


Diachronie

En 1499, le voyageur allemand Arnold von Harff récolte le verbe 'être' de situation à Nantes sous la forme -ed.


(1) madin nent (d)a Renis.
où est route pour Rennes
'Où est la route pour Rennes ?'
Moyen vannetais, Gl.AvH
cité dans Guyonvarc'h (1984:42)


Selon Hemon (2000:§139.4.fn2), l'origine de ema n'est pas clairement établie. Hemon mentionne une explication de Morris Jones (1913) concernant y mae en moyen breton. Il ne l'explicite pas et dit n'en être pas convaincu. Deshayes (2003:'ema') donne la racine celtique * mages-est pour le verbe mae, précédé de la particule e, y qui a aussi donné le cornique yma et le gallois y mae.


nasale finale

La diachronie de ce phénomène est discutée.

L'étude de la diachronie de ce phénomène est compliquée, dans les sources écrites, par les différentes orthographes utilisées par les auteurs. Selon Deshayes (2003:'ema'), le marquage de la nasale n'a pas de base étymologique, et n'est que pure convention orthographique. Cette hypothèse pourrait être vraie pour différents codes orthographiques, mais ne date en tout cas pas de la codification du peurunvan car on trouve des formes orthographiées avec une nasale dès le breton pré-moderne. Hemon (2000:§139(4)) relève les formes écrites éman, Breton XVIII° siècle, FG.:72 et eman, Trégorrois du XVIII°, BD.:5004, mais il ne donne pas le contexte, en particulier si le sujet est lexical ou pronominal vide. En (2), le /n/ ne provient pas d'une désambiguïsation genrée de type emañ-eñ puisque le sujet lexical est réalisé. Cependant, il n'est pas clair si Burel prononçait la nasale, ou si ses lectures (d'un autre dialecte ?) auraient induit une orthographe en /n/ sans base phonologique aucune dans son propre dialecte.


(2) héman anter lazet Yvon ganéoc'h.
est moitié tu.é Yvon avec.vous
'Vous avez à moitié tué Yvon !'
Léonard pré-moderne (Plouider, 1905), Burel (2012:192)


Whalley (2008-2015:'to be') propose que la finale nasale bretonne viendrait d'une association avec amañ, 'ici' ou -mañ, le clitique démonstratif. Il laisse ouverte la possibilité que cette association soit faite dès le proto-celtique, ou plus tard. En moyen gallois, l'adverbe locatif correspondant à emañ est yman.

 Whalley (2008-2015:'to be'): 
 One suggestion is Proto-Celtic *esmi est 'here is' > *emmijest > *ymoedd > ymae, but *emmijest ought to yield Welsh *ymydd as *dijen (Acc.) yields dydd. 
 Breton emañ points to a nasal ending and a possible connection with amañ 'there', -mañ 'this' (Welsh yma, Middle-Welsh yman, Cornique omma), which may be Proto-Celtic. *esmi anda (cf. Irish Gaelic ann 'there'). It is possible that more than one ending is at work here, or that Breton was altered by association with amañ. 
 Welsh could be from Proto-Celtic *esmi esV- (where esV- represents some form of the verb) > *ehmi ehV- > *emme ɛ̅ - > *ym-oe > ymae (cf. Proto-Celtic *swesūr > *hwehīr > *hwɛ̄īr > *hwɛ̄r > *hwoer > Welsh chwaer, Cornique hwor, Breton c'hoar, 'sister').


L'hypothèse de Favereau (1997:§416) et Deshayes (2003:'ema') est que la nasale provient d'un pronom post-verbal désambiguïsateur de genre masculin en eñv qui le suit directement dans les dialectes de l'Ouest, et qui aurait par la suite été adoptée en forme non-marquée pour le genre, comme dans les dialectes centraux actuels. Comme l'hypothèse orthographique, cette hypothèse peut être adaptée à différentes périodes.


rannig ?

Whalley (2008-2014:'to be') évoque la possibilité que la forme edo du passé dérive d'une forme de eo conjugué, précédé d'une particule * ed (* ed oan, 'J'étais (là)' > edon). Si c'est le cas, cette forme a été ensuite réinterprétée comme ne contenant pas le rannig (cf. ez edo, emedo, evedo').

défectivité de personne

Selon Hemon (2000:§139.4.fn1), le verbe moyen breton ema est défectif en personne: les personnes 3SG et 3PL se rencontrent aisément, mais les autres personnes n'apparaissent qu'au XVII° et surtout en Léon. Hemon signale ne pas avoir trouvé ces formes établies dans des textes avant 1680 (Dnal.).

Le paradigme de emañ aurait donc été construit diachroniquement par généralisation à partir de la personne 3.

Terminologie

Kervella (1947) utilise le terme amzer lec'hiañ, ou stumm lec'hiañ, parfois même lorsque emañ est au progressif. Chalm (2008) traduit présent de situation par amzer vremañ lec'hiañ.

Press (1986:229) traduit amzer-lec'hiañ par 'locational tense'.

Press (1986:226) traduit amzer-dremenet-lec'hiañ par le terme anglais imperfect locational tense (à propos des formes en edo).


Bibliographie

breton

  • Fave, V. 1988. 'Ar verb beza', Brud Nevez 111 : 18-31. (& 166 :63-69).
  • Yann Gerven. 2014. ' emañ e penn ur frasenn, evit un dra a zo o paouez tremen', Yezhadur !, Alioù fur evit ar vrezhonegerien diasur, Keit Vimp Bev, 31-32.
  • Hewitt, Steve. 1988b. 'Being in Breton: the auxiliary of beza/bout', Poitiers: Cerlico.
  • Hewitt, Steve. 1988a. 'Ur framm ewid diskriva syntax ar verb brezoneg / Un cadre pour la description de la syntaxe verbale du breton', La Bretagne Linguistique, 4:203-11.
  • Koulizh Kedez. 2015. 'Notennoù yezh war implij emeden, emede, emedemp…, arveziadennoù war eil furm an eilgevor leel', Hor Yezh 283, 3-9.
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