La copule existentielle
La copule existentielle prend un argument dont elle affirme l'existence. Elle surtout réalisée en breton par les différentes formes du verbe bezañ 'être'.
(1) | Er | poull-ze | e | tlee | bezañ | chevr. | ||||||||||||||
en.le | mare-là | R4 | doit | être | crevettes | |||||||||||||||
'Dans cette mare-là il doit y avoir des crevettes.' | ||||||||||||||||||||
Trégorrois, Gros (1984:321) |
Il existe plusieurs formes fléchies de la copule existentielle. On peut la trouver sous la forme a zo, vez ou (ez) eus, et plus rarement emañ.
A la tournure négative, seule la copule (ez) eus est utilisée.
Sémantiquement, la copule existentielle sélectionne un seul argument dont elle asserte l'existence (Ce prédicat d'existence est noté en sémantique par le sigle E). Syntaxiquement, la copule existentielle est reconnaissable car elle sélectionne un sujet vide.
Morphologie
La variation dialectale de l'utilisation de la copule existentielle en tournure positive est documentée dans la carte 028 de Le Dû (2001), par une traduction du français Il y a. Cependant, la présence de réponses utilisant l'auxiliaire ober 'faire' suggère que le protocole demandait la traduction d'une tournure telle que Il y a de la pluie, ce qui peut infléchir les résultats globaux.
La variation dialectale de l'utilisation de la copule (ez) eus en tournure négative est documentée dans la carte 030 de Le Dû (2001), par une traduction du français Il n'y en a plus, et dans la carte 029 par une traduction de Il n'y a pas.
Infinitif
L'infinitif de la copule, bezañ 'être', a de multiples variantes dialectales.
Alternance des formes dans les phrases positives
vez
Toutes les formes morphologiques possibles du verbe 'être' semblent pouvoir recevoir la lecture existentielle. La forme vez apparaît lorsque l'existence assertée est stable sur une longue période de temps, ou habituelle.
(2) | Eno | a zo | kokouz | penegwir | ne | vez | ken | med | kargañ | ar voz | d'ober. | ||||||||
y | R est | coques | puisque | ne1 | est | plus | mais | charger | le 1poignée | à faire | |||||||||
'Là, il y a des coques, puisqu'il n'y a qu'à ramasser à pleines mains.' | |||||||||||||||||||
Trégorrois, Gros (1984:13) |
(3) | Ha | goude-se | ar re-se | ouie | dont | tout | setu | vie | blag | ken-ha-ken. | |||||||
et | après-ça | le ceux.là | AUX | venir | tous | voila | y.avait | blague | autant-et-autant | ||||||||
'Et après tous ceux-là venaient et on blaguait tant et tant.' | |||||||||||||||||
Bas-Cornouaillais (Tréboul), Hor Yezh (1983:76) |
zo
En breton standard, la forme zo est obligatoire dès que la copule existentielle est précédée de son argument.
(4) | An diduadenn | a | zo | bremañ. | ||||||||||||||
le récréation | R1 | est | maintenant | |||||||||||||||
'Maintenant, c'est la récréation.' | ||||||||||||||||||
Léonard, Seite & Stéphan (1957:14) |
Cependant, on trouve des exemples où le seul argument réalisé précède une forme en ez eus.
Kervella (1970:59), tel que reporté dans Press (1995:65), note une généralisation partielle des existentielles en ez eus avec un nom préverbal. Cette généralisation ne toucherait pas les sujets (Tri den a zo deut, 'trois personnes sont venues', mais * Tri den ez eus deut.). On peut expliquer ces faits par l'hypothèse que dans les existentielles, il existe en fait un sujet vide indéfini après la copule, ce qui explique la forme ez eus.
(5) | Arc'hant | ez | eus | e | Breizh, | tud | kalonek | ez | eus | ivez. | |||||||||
argent | R+C | est | en | Bretagne | gens | courag.eux | R+C | est | aussi | ||||||||||
'En Bretagne, il y a de l'argent, des gens courageux aussi.' | |||||||||||||||||||
LLMM. 114/63 | |||||||||||||||||||
cité dans Le Gléau (1973:41) |
À Plougerneau, M-L. B. a une alternance ez eus/ zo, et même une forme en az eus, avec un rannig a en début de complexe (elle utilise aussi le verbe kaout 'avoir').
(6) | Pell | amzer | z | eus | . | / | Glav { ez eus / zo } | . | / | Bara | az eus. | |||||||
loin | temps | R+C | est | pluie est/est | pain | R y.a | ||||||||||||
'Il y a longtemps.' / 'Il pleut' / 'Il y a du pain.' | ||||||||||||||||||
Léonard (Plougerneau), M-L. B. (01/2016) |
ez eus
En breton standard et en Léon, la forme ez eus de l'existentiel est réservée au sujet postverbal indéfini.
(7) | E | savanenn | Afrika | ez eus | laboused ampart | hag | int-i | gwiaderien. | |||||||||
en | savane | Afrique | R+C est | oiseaux habiles | et | eux-eux | tisserins | ||||||||||
'Il existe dans la savane africaine des oiseaux habiles qui sont des tisserins.' | |||||||||||||||||
Al Liamm (346:115) |
À Plougerneau, M-L. B. considère aussi agrammaticale, comme en standard, la forme en zo avec un sujet indéfini post-tensé.
(8) | Bez' | {z'eus / * zo } | bara. | ||||||||||||||
être | est / * est | pain | |||||||||||||||
'Il y a du pain.' | |||||||||||||||||
Léonard (Plougerneau), M-L. B. (01/2016) |
En trégorrois, il existe une alternance avec zo. Gros (1970:26) note même que la forme eus à l'affirmative n'est pas présente du tout en Trégor (alors qu'il la note comme possible ailleurs).
(9) | Aze | e-traoñ | ar prad | a zo | eun naer | hag | a zo | ken | koz | ken | a zo | savet | blev | warni. | ||||||
Aze | e-traoñ | ar prad | ez eus | eun naer | hag | a zo | ken | koz | ken | ez eus | savet | blev | warni. | Équivalent standardisé | ||||||
là | en-bas | le prairie | R y.a | un serpent | C | R est | tellement | vieux | C | R y.a | pouss.é | cheveux | sur.elle | |||||||
'Là au bas de la prairie il y a une couleuvre qui est tellement vieille que les poils lui ont poussé dessus.' | ||||||||||||||||||||
Trégorrois, Gros (1984:20) |
emañ
La forme emañ se trouve aussi utilisée comme copule existentielle:
(1) | An den | a | zo | hirio; | warc'hoazh | n'ema | mui ! | |||||||||||||
le humain | R | y.a | aujourd'hui | demain | ne1 est | plus | ||||||||||||||
'L'homme existe aujourd'hui, demain il ne sera plus !' | ||||||||||||||||||||
Breton pré-moderne, BSA. (1877:165) | ||||||||||||||||||||
cité dans Le Gléau (1973:41) |
rare usage de eo
Il est très rare de trouver la forme eo en copule existentielle.
(2) | mall | bras | eo | ganin | mont | da | welet | penoz | ema | an traou… | |||||||
hâte | grand | est | avec.moi | aller | pour1 | voir | comment | est | le choses | ||||||||
'J'ai grand hâte de voir comment ça avance … ' | |||||||||||||||||
Cornouaillais / Léon, Croq (1908:41) |
(3) | Mall | eo | gantañ. | / | Bloaz | eo. | |||||||||||
hâte | est | avec.lui | / | an | est | ||||||||||||
'Il a hâte.' / 'Il y a un an.' | |||||||||||||||||
Vallée (1980:XXIV) |
usage de kaout pour l'existentiel
On trouve des variétés de breton, en standard, mais aussi au moins en Léon et en Vannetais, qui utilisent la forme du verbe kaout 'avoir' comme copule existentielle.
(4) | D'ar | mareoù-mañ | deus | ar bloaz | n'eo | ket | dleet | kaout | erc'h | ken. | ||||||||||
à le | moment.s-ci | de | le an | ne1 est | pas | dû | avoir | neige | plus | |||||||||||
'Il ne devrait plus y avoir de neige en cette saison.' | ||||||||||||||||||||
Standard, Keit Vimp Bev (1987:4) |
(5) | E noa | ket | a | vugale | barzh | ar jardin. | |||||||||||
R 3.avait | pas | de1 | enfant.s | dans | le jardin | ||||||||||||
'Il n'y avait pas d'enfants dans le jardin.' | |||||||||||||||||
Léonard (Plougerneau), M-L.B (10/2018) |
(6) | En des | ched | ir | mour | a-pih | ur sorsérez | èl | hounnen. | |||||||||
R.3SGM 3.a | pas | en.le | mer | entier | un sorcièr.e | comme | celle-là | ||||||||||
'Il n'y a pas pareille sorcière dans la mer entière.' | |||||||||||||||||
Vannetais, An Diberder (2000:102) |
La même locutrice vannetaise utilise par ailleurs aussi la copule zo pour l'existentiel.
(7) | Kar | g'er | luér-gaer | pehanni | e | zou, | mi | huil | a ziabél. | |||||||||
car | avec le | lune1-belle | lequel | R | est | moi | 1voit | de loin | ||||||||||
'Avec le beau clair de lune qu'il y a, je vois de loin.' | ||||||||||||||||||
Vannetais, An Diberder (2000:102) |
Ces formes ne sont pas propres au XXe.
(8) | E | Gwirionné, | n'en dès | ket | kalz | él | oh. | ||||||||||
en | vérité | ne1 R.3SGM 3.a | pas | beaucoup | comme | vous | |||||||||||
'Vraiment, il n'y en a guère comme vous.' | |||||||||||||||||
Breton pré-moderne, Guyot-Jomart (1867:61) |
usage de bout a ra pour l'existentiel
On trouve des variétés de breton central qui utilisent la forme du verbe bout 'être' suivi de l'auxiliaire ober comme copule existentielle (cf. carte 80 de l'ALBB).
(9) | Bout | a | ra | tud | a soñj | gante | ec'h on-me | ur poeltron. | |||||||||
être | R | fait | gens | R1 pense | avec.eux | R+C suis-moi | un poltron | ||||||||||
'Il est des gens pour croire que je suis un pleutre.' | |||||||||||||||||
Breton central, Marie-Josèphe Bertrand, Kimiad paotred Plouilio |
Dans les phrases négatives
variation dialectale
Gros (1970:26) rejette pour le trégorrois la forme affirmative (ez) eus pour la copule existentielle. Au négatif, cependant, il note la forme n'eus ket.
N'eus ken X
(1) | N'eo | ket | diaes | vi | laret | deoc'h | oa | ken | glu | partout ! | ||||||||
ne1 est | pas | difficile | pour | dire | à.vous | était | seulement | glu | partout | |||||||||
'C'est bien simple, il y avait de la glu partout !' | ||||||||||||||||||
Cornouaillais (Locronan), A-M. Louboutin (02/2022) |
'il n'y a que', 'il n'y a pas que'
La négation explétive provoque le même emploi de ez eus que la négation sémantique.
(2) | N'eus | a | du | ganin | nemet | kalz eus ar vistri skol | ha lod eus ar vugale. | ||||||||||
ne1 est | de1 | côté | avec.moi | seulement | beaucoup de le 1maître.s école | et partie de le 1enfant.s | |||||||||||
'Seuls beaucoup de maîtres d'école et une partie des enfants sont d'accord avec moi.' | |||||||||||||||||
Cornouaillais / Léon, Croq (1908:33) |
Cependant, lorsque la négation sémantique s'ajoute à cette structure, ('ce n'est pas le cas qu'il n'y a que … '), le breton utilise des tournures prépositionnelles.
Kerrain (2001): "Pour traduire le gallicisme 'Ya pas que' […], voir les prépositions estreget et ouzhpenn."
Existentiels et relativisation
kement X a zo, 'tout X (qu'il y a)'
Lorsque le nom quantifié par kement 'autant' est suivi par la relative a zo ('qu'il y a'), le sens global est: 'tous les X existants', 'autant de X qu'il y en a'.
(2) | Pleustriñ | a | reomp | war | gement | Levr | Sakr | a zo. | ||||||||||
s'entraîner | R | faisons | sur1 | autant | livre | sacré | R y.a | |||||||||||
'Nous nous entraînons sur tous les livres sacrés.' | ||||||||||||||||||
Standard, Drezen (1990:41) |
Notons que dans cet exemple, le quantifieur kement n'est pas lui-même en contexte existentiel.
En contexte existentiel, les quantifieurs forts comme pep 'chaque' ou kement 'autant' sont illicites (comme en français * Il y a chaque pain.).
Tud zo, … , 'Il y a des gens, que … '
La structure en (3) est étrange. Il ne s'agit pas de deux phrases indépendantes car Tud 'zo aurait une autre interprétation ('Il y a du monde' vs. 'Il existe des personnes telles que.… '). La pause intonative et le liage du pronom sujet suggèrent un topique suspendu mais les indéfinis sont rares en position de topique suspendu (Une pizza, j'en mange toujours que la moitié.). Si l'indéfini tud 'des gens' était seul sans la copule, la phrase serait agrammaticale.
(3) | Tud | ' zo, | n'ouzon | ket | pelec'h | ez eont | da | glask | menozioù | evel-se ! | ||||||||||
gens | est | ne1 sais | pas | où | R4 vont | à1 | chercher | idée.s | comme-ça | |||||||||||
'Il y a des gens, je ne sais pas où ils vont chercher des idées comme ça !' | ||||||||||||||||||||
Standard, Herri (1982:95) |
En (4), la structure est similaire et le complémenteur que est réalisé.
(4) | Bez | ez eus | ur c'hategori tud | ha | n' | ouzon | ket | pe | o deus | nosion | eus | un dra | bennak | pe | d'o deus | ket. | |
être | R est | un 5catégorie gens | que | ne1 | sais | pas | ou | 3PL 3.a | "notion" | de | un 1chose | quelconque | ou | ne 3PL a | pas | ||
'Il y a une catégorie de personnes, je ne sais pas s'ils ont une notion de quoi que ce soit.' | |||||||||||||||||
Léonard, Mellouet & Pennec (2004:18) |
Expressions
(5) | N'eus | ket | anezhoñ | kén ! | ||||||||||||||
ne1 est | pas | de.lui | plus | |||||||||||||||
'Il est abattu, réduit à rien !' | ||||||||||||||||||
Vannetais (Le Scorff), Ar Borgn (2011:7) |
Bibliographie
- Kersulec, Pierre-Yves. 2016. 'Un evezhiadenn bennak diwar-benn ar stumm-lec'hiañ ha stummoù all ar verb bezañ e brezhoneg an Enez-Sun [Quelques remarques relatives aux formes situatives et aux autres formes du verbe être dans le breton de l'île de Sein]', Hor Yezh 285, 5-65.
- Urien, Jean-Yves. 1989. 'Le syntagme « existentiel » en breton. Définition syntaxique et sémantique {X + zo / n'eus ket + X, « Il y a X / il n'y a pas X »}', La Bretagne Linguistique 5, CRBC.