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Version du 11 avril 2023 à 11:28

Le système d'accord breton régit l'apparitioon des morphèmes d'accord entre le sujet et le verbe conjugué. L'élément immédiatement remarquable est un effet de complémentarité entre le morphème d'accord et la prononciation du sujet.

La phrase en (1) montre deux propositions. Regardons d'abord la seconde: le sujet n'est pas réalisé morphologiquement de façon indépendante, et le verbe apparaît avec les traits de troisième personne pluriel (3PL). Comme ce serait le cas en espagnol ou en italien, la morphologie verbale est un accord riche: la morphologie de l'accord verbal réalise les traits du sujet. Dans la première proposition cependant, le sujet ar c'hezeg-ze 'ces chevaux' est 3PL mais son verbe est 3SG. La morphologie verbale est celle de l' accord gelé: les traits du sujet réalisé pourraient varier sans que la morphologie de l'accord change ses traits 3SG.


(1) Ar c'hezeg-ze a zo hualet ha, daoust da ze, e c'haloupont.
le 5chevaux- R1 est entrav.é et malgré de1 ça R4 galopent
'Ces chevaux-là sont entravés et, malgré cela, ils galopent.'
Standard, Le Bozec (1933:48)


Morphologie

le paradigme d'accord en breton

On dit que deux mots ou expressions s'accordent si elles ont les mêmes valeurs pour leurs traits grammaticaux (personne, genre, nombre). En breton, l'accord se fait en personne, et en nombre, mais pas en genre.

Les verbes bretons se conjuguent aux trois personnes (première, deuxième, troisième), au singulier comme au pluriel. Comme dans toutes les langues celtiques, ils se conjuguent aussi avec une personne supplémentaire, l'impersonnel -er qui n'a pas d'équivalent lexical.


(2) Ne vennont ket krediñ e c'heller bout dishañval doc'hte.
ne1 veulent pas croire R4 peut.on être .pareil de.eux
'Ils ne peuvent croire que quiconque soit différent d'eux.'
Vannetais, Herrieu (1994:249)


Il s'agit bien d'un accord verbal, et non d'une incorporation morphologique comme dans le paradigme des prépositions. Les prépositions conservent le marquage genré d'un pronom incorporé, alors que l'accord efface cette distinction. Le conjoint gauche de la coordination dans l'objet d'une préposition peut s'incorporer, alors que le conjoint gauche de la coordination dans le sujet d'un verbe ne le peut pas (Jouitteau & Rezac 2006).


(3) Ful ha strak a vije bet etrez hag ar Gastafiorenn !
étincelles et /strak/ R1 serait été entre.lui et le 1Castafiore
'La Castafiore et lui, ça aurait fait des étincelles !'
Standard, Kervella (2001:6)


(4) Chom a rae etrezi _ hag ar gorrien.
rester R1 faisait entre.elle [ et le nains ]
'Cela restait entre elle et les nains.'
Standard, Jouitteau & Rezac (2006:x)


(5) * Dec'h ec'h erruas _ hag ar gorrien.
hier R+C,4 arriva [ et le nains ]
'Elle et les nains arrivèrent hier.'
Standard, Jouitteau & Rezac (2006:x)


La morphologie verbale inclut aussi le temps, le mode et l'aspect. En breton, seul l'élément tensé, verbe lexical ou auxiliaire, est susceptible de porter l'accord en personne et en nombre avec le sujet.

Ce n'est pas le cas dans toutes les langues indo-européennes. En français, le participe porte parfois des marques de genre et de nombre (Les chaussettes sont reprisées ensemble). En portugais, les verbes infinitifs portent les traits de leur sujet. Dans certaines langues non-indo-européennes, il est courant de voir plusieurs éléments d'une même phrase porter les traits du sujet (par exemple en ibibio, en kilega ou en swahili, langues nigéro-congolaises).

la forme de l'accord gelé

La forme de l' accord gelé est toujours la forme 3SG correspondante dans l'accord riche. cette correspondance reste parfaite à travers la variation dialectale.

On peut voir qu'il s'agit réellement d'un accord 3SG, plutôt qu'une absence d'accord. Les traits 3SG sont souvent réalisés au présent par un morphème vide, mais on voit des modifications de la racine sur certains verbes irréguliers, et dans certains dialectes un morphème de flexion -a apparaît.

En (1), le verbe 'savoir' montre ces deux phénomènes en même temps. D'une part, l'infinitif en gout montre une modification de racine en goui lorsqu'il est conjugué (McKenna 1978:201). Le morphème -a est ajouté à cette racine. C'est à la fois la marque du 3SG et celle de l'accord pauvre (me ouia, 'je sais', McKenna 1978:201): en (1), le -a persisterait avec un sujet postverbal pluriel an dud 'les gens'.


(1) /hwia ndeiŋ' kèr pïta reï namzir /
ouia ket en den kaer petra e rei an amzer.
ne1 sait pas on bien quoi R1 fera le temps
'On ne sait pas très bien ce que le temps donnera.'
Guémené-sur-Scorff, McKenna (1978:170)


verbes à modification de leur racine

Le verbe gouzout 'savoir' est assez isolé dans cette modification de la racine, mais la modification est persistante à travers les spécificités dialectales.


(3) Ar re-se a houie penaos edo eat kuit.
le ceux-ci R1 savait comment était all.é parti
'Eux savaient comment il était parti.'
Léonard (Lesneven/Kerlouan), Y. M. (04/2016b)


(4) An nen ne oar ket bepred.
le homme ne1 sait pas toujours
'On ne sait pas toujours.'
Cornouaillais (Riec), Mona Bouzeg, c.p. (01/2009)


On pourrait chercher si des locuteurs ont pour 'pouvoir' un infinitif en gallout et un paradigme en gell-.

négatif de l'impératif

Au négatif, l'impératif est associé au complémenteur na. L'accord verbal peut alors n'être pas réalisé.


(1) Na ra ket darngofad mar kerez paneogwir zo boued frank.
ne ! fa.it pas petit.ventr.ée si aimes puisque est nourriture plein
'Ne va pas te priver, parce qu'il y a largement de quoi.'
Trégorrois (Perros-Guirec), Konan (2017:64)


Il est difficile de deviner s'il s'agit d'une absence d'accord ou d'un accord gelé à la personne 3, car le verbe gouzout 'savoir' qui pourrait faire la différence ne s'utilise pas à l'impératif négatif.

dialectes en -a, -ev, -ef, -s au 3SG

Dans certains dialectes du Sud et jusqu'en breton central, une voyelle ou une consonne apparaissent régulièrement à la troisième personne du singulier au présent de l'indicatif.

On relève une 3SG en -a à Malguénac (Le Pipec 2000), à Groix (Ternes 1970:252), à Riantec près de Lorient, dans le breton de Mona Bouzec à Riec, à Duault. Timm (1987a:260,fn30) en relève de façon sporadique à Carhaix. En breton central, c'est un -f. À Plozévet en Cornouaille du Sud, il s'agit d'un /-v/ final (Goyat 2012:277). À Briec et a Locronan, il s'agit d'un -s (Noyer 2019:239, A-M. Louboutin (10/2021)).


(1) /xa gãza nur ze:biɲ /
Int ' gomza en ur zebriñ. Équivalent standardisé
eux R1 parle en1 manger
'Ils parlent tout en mangeant.'
Vannetais (Groix), Ternes (1970:252)


(2) Ioñ ' bollûa en dud ha tout !
lui R1 pollue.3SG le gens et tout
'Il pollue les gens y compris !'
Vannetais (Riantec), RJ.
collecté par B. Allaire, dico parlants 2018


(3) [ jãn zo ' bygœl a labuʁa 'mat baʁ skol ]
Yann ' zo bugel a laboura mat e-barzh ar skol.
Yann R est un enfant R1 travaille bien dans.le école
'Yann est un enfant qui travaille bien à l'école.'
Duault, Avezard-Roger (2004a:248)


Notons en contraste le -a de l'impératif 2SG.


(4) Laka ar gwer war an daol.
mets le verres sur le table
'Mets les verres sur la table.'
Trégorrois, Stephens (1982:164)


En breton central, les bases verbales finissant par une voyelle sont réalisées en -ef. On retrouve la même finale, mais voisée, à Plozevet.


(5) ' Bassef ket kalz a dud.
ne1 passe pas beaucoup de1 gens
'Il ne passe pas beaucoup de gens.'
Breton central (Poullaouen), locuteur né vers 1910, Favereau (1984:439)


(6) / me go·zef / / ẉi valef / / h~̝ɛz ãnef / / pe dɔstef /
moi R1 vieillit vous R1 marche lui R1 sait quand1 approche
'Je vieillis', 'Vous marchez', 'Il sait', 'quand il/elle approche'
Breton central, Wmffre (1998:38)


 Plozévet, Goyat (2012:277):
 Les verbes à finales conjuguées vocaliques (/e/ est la plus fréquente, mais aussi /ɛ/, /i/ et /y/) voient un /-v/ final épenthétique s'ajouter à la 3e personne du singulier de l'indicatif présent [...]. Ce /-v/ final peut bien sûr se dévoiser, conformément aux règles habituelles.
 Exemples :
 /ma va'le:v/, ma valev, /'ba:le/, bale, 's'il/elle marche'
 /pa ba'se:v/, pa basev, /pa'sea/, pasea, 'quand il/elle passe'
 /ma ɡõti'nyv/, ma gontinuv, /kõti'nɥi/, koñtinui, 's'il/elle continue'


 Cornouaille (Briec), Noyer (2019:239):
 Quelques verbes dont la base finit par une consonne phonétique peuvent aussi être suffixées en -s. Dans ce cas, une voyelle phonétique est ajoutée à la base. 
 [koˈsɐːt] (koshaat), base: [kos]
 [nim goˈzeis ˈato]
  Ni a goshes atao
 'Nous vieillissons toujours.'
 Les verbes dont la base finit par un r orthographique finissent en fait par une voyelle car le -r final est généralement réalisé comme une voyelle.
 [ˈseʁɪ] (serriñ), base: [seʁ/sæa]
 [eɔ᷉ zæʁsn nɔʁ hæːʁ]
  Eñ a serres an nor herr
 'Il claque les portes.'


(7) Met plec'h emout ? An dud hag a velon a valez abaoe.
mais es le 1 gens que R1 vois R1 marche.3SG déja
'Où es-tu ? Les personnes que je vois marchent déjà.'
Cornouaillais (Locronan), A-M. Louboutin (10/2021)

Syntaxe

l'effet de complémentarité, première approche

L'effet de complémentarité, appelé aussi principe de complémentarité est décrit par de nombreux auteurs (entre de multiples autres, Le Clerc 1986:62, Fave 1998:83-86, Stump 1984:292...), et rapporté dans tous les dialectes.

Son signe prototypique est l' accord pauvre, aussi dit accord gelé qui montre la marque 3SG quels que soient les traits d'un sujet réalisé. Cela est vrai que ce sujet soit lexical ou pronominal. En (1), les traits de seconde personne et du pluriel sont portés uniquement par le pronom sujet indépendant c'hwi 'vous'. La morphologie d'accord verbal, elle, est à la troisième personne singulier.


(1) pan eo c'hwi a deu.
quand1 est vous R1 vient.3SG
'puisque c'est vous qui venez.' (litt. 'qui vient')
Trégorrois (Tréguier), Le Clerc (1986:137)


Pour une première approximation, il semble donc que la généralisation soit que les traits du sujet n'apparaissent qu'une seule fois dans la proposition (Stump 1984:292). En effet, la double occurrence d'un sujet réalisé et d'un verbe aux traits correspondants mène vite à l'agrammaticalité.


(2) * Me e ran * Me, mont a ran * Te e c'hallez
moi R fais.1SG moi aller R fais.1SG toi R peux.1SG
Manuel pédagogique, Kerrain (2001)


règle naïve de non-redondance

Une règle pédagogique répandue pose que le breton, de manière générale, refuse la redondance des marques. Cette règle "naïve" est souvent assortie de l'idée que le breton serait une langue plus économique que les autres, puisqu'elle éviterait de "redire" les traits du sujet dans la mesure ou ceux-ci seraient déjà énoncés. Cette idée s'appuie sur une analogie avec le groupe nominal: le verbe ne s'accorderait pas avec son sujet de la même manière que le nom ne prend pas de marque du pluriel lorsqu'il est précédé d'un cardinal (dek vloaz mais *dek bloazhioù, c.a.d. /dix an(*s)/).

Une telle règle n'est cependant pas satisfaisante, car elle ne pourrait pas expliquer pourquoi la complémentarité est restreinte au domaine de la proposition. En (3), ci-dessous, elle prédirait par exemple faussement que le verbe 'être' enchâssé pourrait apparaître sans les traits du sujet. Au contraire, il apparaît toujours une marque du sujet (pronominale ou d'accord) dans chaque proposition, indépendamment des besoins de l'interprétation.


(3) ... ne oa ket an doareoù, war-lerc'h ar brezel, ar pezh e oant dek vloaz a-raok ...
ne1 était pas le manière.s après le guerre ce que [ R4 étaient 101 an avant ]
'Les choses n'étaient pas, après la guerre, ce qu'elles étaient dix ans auparavant.'
Denez (1993:32)


De la même façon, un sujet disloqué en périphérie droite devrait selon cette règle naïve déclencher l'accord pauvre, contrairement aux faits.


(4) N'ouzout ket digant piou e teuent, al lizhiri ?
ne1 sais pas de qui R4 viennent le lettre.s
'Tu ne sais de qui elles viennent, les lettres ?'
Cornouaillais / Léon, Croq (1908:21)


La règle de non-redondance prédit aussi incorrectement qu'un cardinal pluriel en situation de prédicat devrait déclencher l'accord pauvre, contrairement aux faits.


(5) Edont aze tregont bennak, gwazed ha merc'hed o labourat.
étaient trente quelque hommes et femme.s à4 travailler
'Ils étaient là une trentaine, hommes et femmes, à travailler.'
Standard, Herri (1982:19)


(6) Diou hoar int, med ar yaouanka aneo eo an terrupla.
deux sœur sont mais le jeune.le.plus de.eux est le costaud.le.plus
'Elles sont deux sœurs, mais la plus jeune est la plus costaud.'
Cornouaillais (L'Hôpital-Camfrout), Le Gall (1958)


La règle d'évitement de la redondance sémantique est trop puissante, et ne rend pas compte des faits. On va voir maintenant qu'il est possible et même obligatoire dans des cas bien définis d'avoir deux marqueurs du sujet dans une même proposition.

inventaire des cas avec un sujet et son accord dans la même proposition

Les exceptions à la complémentarité entre les traits d'un sujet réalisé et un accord verbal dans la même proposition sont, en standard et dans la plupart des dialectes:


  • le verbe kaout/endevout 'avoir' (avec une tendance dans certains dialectes à la régularisation)
  • modification plurielle d'un sujet incorporé (quantifieur flottant, modification de type o daou 'eux deux')


le verbe 'avoir'

Le verbe kaout, ou endevout 'avoir' est exceptionnel dans la grammaire du breton, car ce verbe ne montre pas l'effet de complémentarité : il s'accorde avec un sujet lexical (4) ou un pronom non-incorporé (5).


(4) An dud o doa ur sell stard, du.
le 1gens 3PL avait un regard dur noir
'Les gens avaient un regard dur, noir.'
Breton central (Plouyé), Spered Ar Yezh (2002)


(5) C'hwi ho-peus laret din !
vous 2PL a d.it à.moi
'C'est vous qui me l'avez dit !'
Standard


C'est très important pour la compréhension du système d'accord, car cela montre que ce n'est pas la nature du groupe nominal sujet en breton qui est la source de l'effet de complémentarité. Les pronoms comme les groupes nominaux en breton sont constitués de façon à pouvoir déclencher un accord verbal.

Dans quelques dialectes, ce verbe a tendance à régulariser son système d'accord sur celui des autres verbes. Pour plus de détails, voir Jouitteau & Rezac (2009) et, sur ce site, la page sur kaout.


modification plurielle d'un sujet incorporé

En (6), le sujet est composé de l'adverbe tout qui est un quantifieur flottant, et de son objet 3PL qui a été incorporé. Suite à l'incorporation, tout a été antéposé en zone préverbale, où la mutation consonantique mixte D>T sur le verbe le signale comme adverbial.


(6) Ur bern tud ' vo 'ba 'n eured, [...] ha tout ' teuint da heul.
un tas gens R sera dans le noces et tout R4 viendront à1 suivre
'Un tas de gens viendront au mariage [...], et tous viendront à la suite.'
Cornouaillais (Riec), Bouzeg (1986:II)


En (7), le sujet interprété est int o daou, littéralement /eux leur deux/ 'eux deux'. La tête pronominale du groupe sujet a été incorporée dans le complexe verbal, puis le complément du nom a été antéposé. L'initiale du verbe montre que ce qui le précède n'est pas le sujet (c'est un sous ensemble du sujet).


(7) O daou emaont memes oad.
leur2 deux sont même âge
'Les deux ont le même âge.'
Vannetais (Le Scorff), Ar Borgn (2011:15)


  • o daou e chomont dilavar eur pennad.
'Les deux se turent un moment.'
Filomena Kadored, 'An daou gristen', Kroaz ar Vretoned, [10/09/1916]

En trégorrois, les mêmes faits sont répliqués en (8), mais la distribution des rannigs est erratique.


(8) Ma zud na c'houlent ket miret ahanon. O daou a labourent er-maes.
mon2 gens ne.R1 demandaient pas garder P.moi leur2 deux R1 travaillaient dehors
'Mes parents ne voulaient pas me garder. Ils travaillaient dehors tous les deux.'
Trégorrois, Gros (1966:11)


  • o-daou e oant everien fall a zour
'Les deux étaient de piètres buveurs d'eau.'
Angela Duval, 'Un azen etre daou', mars 1966.

C'est important pour comprendre le système d'accord, car cela montre bien que ce n'est pas le fait que le sujet soit réalisé qui empêche l'accord riche. L'accord avec le sujet est lié à son incorporation: si un sujet est incorporé, alors on obtient un accord riche.

sujet prénégation

En standard et dans la plupart des dialectes, un sujet devant la négation entraine obligatoirement un accord riche sur le verbe, comme décrit dans De Rostrenen (1738:178), Vallée (1926:39ff), Hardie (1948:162f), Kervella (1947:168), Le Roux (1957:Ch.II), Denez (1972:112), Hemon (1975a:273f, 1975b:63), Urien & Denez (1979/1980), Stephens (1982:218), Stump (1984, 1989), Schafer (1995), Schapansky (1996), Jouitteau (2005/2010), Jouitteau et Rezac (2006), Hewitt (2010b)...


(8) An dud ne oant ket ker sot an eil gant egile.
le 1gens ne1 étaient pas tant sot le second avec autre
'Les gens n'étaient pas aussi sots les uns avec les autres.'
Léonard (Plougerneau), Elégoët (1982:11)


Stump (1984:292), remarquant ces faits, propose que le sujet prénégation, à l'emphase obligatoire, était en fait en dehors de la proposition, dans une zone de topicalisation haute. Cependant, l'emphase n'est pas obligatoire sur le sujet prénégation.

Schafer (1995) propose qu'il s'agit d'un fait de résomptivité, dû au croisement de deux éléments A-barre: le sujet focalisé et la tête ne de la négation. Jouitteau (2005/2010:411) pointe cependant que les objets ne déclenchent pas la même résomptivité, et propose que la négation ne est un complémenteur déclenchant un that-trace effect.

Pour l'analyse de l'accord, ces hypothèses reviennent à considérer que l'accord riche est dans ces structures le résultat d'une incorporation du sujet.


exceptions dialectales de régularisation

Il existe quelques variétés de breton dans l'aire Sud dans lesquelles un sujet prénégation ne force pas l'accord. Pour le cornouaillais, Stump (1984:293, n.2) en note des traces dans la grammaire de Trépos et on en trouve des exemples dans un entretien de Mona Bouzeg. Cheveau (2007:214) en relève en vannetais, on en trouve aussi des traces à Guérande selon l'ALBB. Selon Ternes (1970:284), la négation a un impact sur l'accord à Groix uniquement avec les sujets pronominaux.


Pour une documentation précise et illustrée, voir l'article sur le sujet prénégation


Une variété néo-cornouaillaise pourrait aussi être en train d'émerger. Kennard (2013:91, 105) note que pour des jeunes adultes et des jeunes scolarisés dans un système immersif autour de Quimper, dans la moitié des phrases négatives avec le verbe bezañ et un sujet postverbal pluriel, le verbe montre un accord riche. Elle suggère qu'il s'agirait d'une régularisation sur le modèle de kaout 'avoir'.


(1) N'emaint ket an daou gi oc'h ober ar memes tra.
ne1 sont pas le deux1 chien à+C,4 faire le même chose
'Les deux chiens ne sont pas en train de faire la même chose.'
Cornouaillais, Kennard (2013:91)


résomptivité du sujet

Borsley & Stephens (1989) ont pointé que des exemples comme en (1) semblent des contre-exemples à un principe de complémentarité dans l'accord.


(1)a. N'int ket deut anezho c'hoazh.
ne1 sont pas ven.u P.eux encore
'Ils ne sont pas encore venus.'
Trégorrois, Borsley & Stephens (1989)


(1)b. N'int ket bras anezho.
ne1 sont pas grand P.eux
'Ils ne sont pas grands.'
Trégorrois, Borsley & Stephens (1989)


Ces pronoms qui doublent le sujet ne sont jamais incorporables sur le verbe, mais dans une préposition support, sémantiquement vide. Ce sont des structures à résomption du sujet, où un pronom double le sujet réel de la phrase.


résomptivité prédicative équative

La plus répandue est la résomption prédicative équative, présente dans tous les dialectes, sans restriction en personne, en phrases positives comme négatives. Elle est restreinte aux verbes équatifs.


(2) Ni, Breur Arzhur, a zo da vezañ menec'h ac'hanomp
nous Frère Arthur R est pour1 être [SC moine.s P.nous ]
'Nous, frère Arthur, sommes destinés à être moines…'
Standard, Drezen (1990:53)
résomptivité 'à la cornouaillaise'

La résomption du sujet 'à la Cornouaillaise' est une construction restreinte à la personne 3, et aux contextes monotones décroissants ou strictement aux contextes négatifs. On peut voir que le pronom résomptif n'influence pas l'accord, qui peut être riche (3) ou pauvre (4).


(3) Ne rafent ket an dra-se anezo, koulskoude !
ne1 feraient pas le chose- P.eux cependant!
'Ils ne feraient tout de même pas cela !'
Cornouaillais, Trépos (2001:444)


(4) /in 'ɥɛl -ən cə 'mi nin'tʁa: /
Int 'wel -int ket mui netra anezhe.
eux 1voit.3SG -eux pas plus rien P.eux
'Ils ne voient plus rien.'
Cornouaillais (Névez), Desseigne (2015:40)
mouvement A-barre du sujet

Lorsqu'un sujet est focalisé par mouvement A-barre à longue distance, à travers des domaines propositionnels différents, l'accord montre un doublage pronominal de ce sujet. En (5), c'est par exemple le sujet d'un passif.


(5) Toud ar rehier … a lavarfed ez int bet savet gwechall.
tout le pierre.s R1 dirait.on R+C,4 sont été dress.é autrefois
'Il a été dit que les pierres ont été dressées il y a longtemps.'
Urien (1989:211)

les pronoms écho

Les pronoms écho peuvent doubler n'importe quel pronom, indépendant ou incorporé. Ils sont distribués indépendamment de l'accord: en (6), ils doublent un accord riche, en (7), ils doublent un sujet précédant un accord pauvre.


(6) M'eus ket soñj pegement a dud oant ind.
1SG.a pas souvenir combien de1 gens étaient eux
'Je ne me rappelle pas combien ils étaient.'
Vannetais (Arradon), Audic (2011:17)


(7) C'hwi ' zo c'hwi un c'hwil.
vous R est vous un loustic
'Toi, tu es un loustic.'
Vannetais (Le Scorff), Ar Borgn (2011:76)


Dans la phrase, ils peuvent apparaître uniquement après le verbe conjugué dans le champ du milieu, et leur distribution flottante semble y être celle des traces de remontée d'un sujet, préverbal ou incorporé. Les pronoms écho apparaissent aussi dans les groupes nominaux.

Dans leur invisibilité pour l'accord, et aussi car ils peuvent doubler les résomptifs aux personnes 1 et 2 (Stephens 1982:254-5, Hendrick 1988:44), les pronoms écho du breton sont très différents des pronoms écho du gallois.

Pour une documentation précise et illustrée, voir l'article sur les pronoms écho.

incises postverbales

Un sujet en incise dans l'espace postverbal n'est pas visible pour l'accord (cf. ... hag e verz an div vaouez...).


(1) ... hag e verzont, an div vaouez, int bet er memes klas ar memes bloavezh.
et R4 remarquent le deux1 femme sont été dans.le même classe le même ann.ée
'... et les deux femmes réalisent qu'elles ont été dans la même classe la même année.'
Cornouaillais (Scaër/Bannalec), Gaudart (2022:15)

Analyse

l'accord gelé comme résultat d'un intervenant 3SG pour l'accord

Jouitteau (2005/2010:chap 4), Jouitteau & Rezac (2006, 2008, 2009) proposent que lorsque le verbe apparaît avec une morphologie qui coïncide avec celle des traits 3SG, il s'accorde vraiment avec une entité 3SG. Cette entité 3SG est la projection verbale elle-même (FP, la projection du VP étendu, qui contient le sujet).

La localité impose, en breton comme dans tous les systèmes d'accord, que le verbe s'accorde avec l'élément le plus proche de lui, quel que soit cet élément. Lorsque le sujet est un pronom incorporé, le verbe breton le "voit en premier" et s'accorde avec lui. Lorsque le sujet, bas dans la structure, n'est pas incorporé, il contenu dans la structure verbale, et l'élément le plus proche du verbe fléchi est la projection verbale marquée pour les traits 3SG. Le verbe s'accorde alors avec ces traits 3SG, qui n'ont pas de contenu sémantique. Quels que soient les traits du sujet, si FP est le plus proche du verbe, alors l'accord semble gelé.


(1) ... verbe.sujet 3SG[FP [VP <trace du sujet> <trace du verbe> objet ]] >> accord riche
... verbe 3SG[FP sujet [VP <trace du sujet> <trace du verbe> objet ]] >> accord gelé
sujet verbe 3SG[FP [VP <trace du sujet> <trace du verbe> objet ]] >> accord gelé


L'exemple en (2), est la structure pour la phrase Ar varikenn-mañ, a zalc'ha daou gant litrad. Dans ce dialecte où la morphologie 3SG est claire puisque réalisée en -a, le verbe s'est accordé avec la structure verbale étendue FP, qui porte les traits interprétables pour l'accord de 3SG. Les traits du sujet, que celui-ci soit préverbal ou post-verbal, ne sont jamais lors de la dérivation l'élément le plus proche pour l'accord, car le sujet est directement remonté de la position interne à FP à la position initiale de focus.


(2) Ar varikenn-mañ, a zalc'ha daou gant litrad.
le 1barrique-ci R1 contient.3SG [FP [VP <le 1barrique-ci> <contenir> 2 cent litr.ée ]]
'Cette barrique-ci contient deux cents litres.'
Vannetais (Le Scorff), Ar Borgn (2011:27)


En substance donc, la présence de cet intervenant structural dans la structure de la phrase bretonne est la cause de l'effet de complémentarité car c'est lui qui, lorsque le sujet est plus bas que lui, déclenche une morphologie d'accord aux traits 3SG.

prédictions sur les pronoms sujets non-incorporés

Les sujets lexicaux, les pronoms forts indépendants et les pronoms démonstratifs ne s'incorporent pas, et sont associés à l'accord pauvre.

Lorsque, tout à fait exceptionnellement à travers les dialectes, on trouve des sujets pronominaux postverbaux non-incorporés, ceux-ci sont associés à l'accord pauvre comme un sujet lexical normal, car comme lui ils ne s'incorporent pas.


pronoms de focus identificationnel

En Léon, Trégor ou en vannetais, un pronom postverbal qui marque un focus identificationnel peut ne pas s'incorporer et rester sans déclencher l'accord riche sur le verbe.


(3) Ar penneka dén eo c'hwi.
le têt.u.le.plus personne est vous
'Le plus têtu c'est vous.'
Léonard, Seite (1975:90)


(4) Penoz vez te ar mab am boa ganet ?
comment R est toi le fils R.1SG avait n.é
'Comment es-tu le fils dont j'ai accouché ?'
Trégorrois (Plouguiel), Laurent (1971:48)


C'est manifestement plutôt un trait archaïsant qui se retrouve aussi dans les chansons.


(5) ... ar plac'h eo c'hwi, an naer eo me...

'Vous êtes la fille, je suis le serpent.'
Breton pré-moderne (fin XIX°), An Uhel (1984:276)


(6) Hag a lavar, Silvestrig, ez eo c'hwi zo kiriek.
et R d.it Silvestrig R+C est vous R est coupable
'Et qui dit, Silvestrig, que vous êtes le coupable.'
Silvestrig, chanson traditionnelle


Ces pronoms peuvent être modifiés par une relative.


(7) Avañset-kaer Margaritig, pend eo c'hwi zo ma c'hoant.
avancé-bien Margaritig quand+C,1 est vous R est mon2 envie
'Vous êtes bien avancée Margaritig, puisque c'est vous que je veux'
Vannetais (Languidic), Crahe (2013:335)


Dans l'hypothèse de Jouitteau & Rezac, ces sujets pronominaux ont les mêmes propriétés qu'un sujet lexical, situé assez bas, à l'intérieur de la structure verbale étendue qui est l'intervenant pour l'accord.

pronoms postverbaux de Cornouaille de l'Est maritime et vannetais

On trouve aussi un sujet pronominal 3PL postverbal en cornouaillais de l'Est. L'accord verbal est alors gelé aux traits 3SG, comme s'il s'agissait d'un sujet lexical.


(1) Hegarat tre eo-int !
aimable tout-à-fait est-eux
'Ils sont très aimables !'
Haut-cornouaillais du Nord, Keit Vimp Bev (1984:22)


Saint-Yvi

Dans le breton de Saint Yvi (German 2007:174), ces pronoms semblent emprunter leur morphologie aux démonstratifs, qui par ailleurs n'ont pas à subir l'incorporation.


(2) Benn eo kouet barz.
quand est tomb.é 3PL dedans
'Quand ils sont tombés dedans.'
Cornouaillais (Saint-Yvi), German (2007:174)


(3) Benn eo maro .
quand est mort 3PL
'Quand ils sont morts.'
Cornouaillais (Saint-Yvi), German (2007:174)


En (4), tournure innovative restreinte à certaines expressions et à certains locuteurs en breton de Saint-Yvi, le sujet est un pronom incorporé dans la préposition support a et gagne tout le paradigme.


(4) oar ket 'hanon. oar ket 'hanout. oar ket naoñ. oar ket nei. oar ket 'hanom.
sait pas P.moi sait pas P.toi sait pas P.lui sait pas P.elle sait pas P.nous
'Je /tu / il / elle / on ne sait pas.'
Saint-Yvi, German (2007:175)


(5) vi ahanom ' hond da Sant Ivi.
quand était P.nous à4 aller à Saint-Yvi
'Quand nous avions l'habitude d'aller à Saint-Yvi.'
Saint-Yvi, German (2007:177)


Briec
(6) [ bez e bed o mæa la va he᷉ ŋ pinˈviˑdik]
Bez eo bet ur mare, lâr (a) oa int pinvidik.
être est été un moment que était eux riche
'Il fut un temps où ils étaient riches.'
Cornouaillais (Briec), Noyer (2019:245)


Riec, Bannalec

On trouve aussi des pronoms sujet pronominaux postverbaux 3PL dans le breton de Mona Bouzeg en cornouaillais de l'Est maritime, et dans Bouzec & al. (2017) pour Riec et Bannalec (mais pas jusqu'à Moëlan). Il est reporté orthographié ou , apparemment indistinctement. Le pronom, non-incorporé, déclenche l'accord pauvre 3SG comme un groupe nominal le ferait. Cet effet est uniforme sur tous les types de verbes, auxiliaire ou verbe lexical, transitif ou intransitif, à l'actif comme au passif.


(1) ... lerc'h vêè berni't da r'hotoz beut gwenntaed.
e-lec'h ma vezent berniet da c'hortoz bout gwentet. Équivalent standardisé
que4 était 3PL tass.é pour1 attendre être vanné
'... où ils étaient entassés en attendant d'être vannés.'
Cornouaillais de l'Est, Bouzec & al. (2017:264)


(2) ... mag't vê mat ganom.
maget e vezont mat ganeomp. Équivalent standardisé
nourr.i R4 est 3PL bien avec.nous
'... nous les nourrissons abondamment.'
Cornouaillais de l'Est, Bouzec & al. (2017:301)


(3) Tout na- zaet o fenn sar lak' o dorn huch o daoulagad...
Tout o doa savet o fenn e-ser lakaat o dorn a-us o daoulagad... Équivalent standardisé
tout (3PL) avait-(3PL) lev.é leur2 tête en mettre leur2 main en-haut leur2 deux.oeil
'Tous ont levé la tête en se protégeant les yeux de la main...'
Cornouaillais de l'Est Bouzec & al. (2017:416)


(4) Don' ra ' waz'd téo benn gouséf .
Dont a ra ar wazed tev pa goshaont. Équivalent standardisé
venir R fait le 1hommes gros quand1 vieil.i.t 3PL
'En vieillissant les hommes grossissent.'
Cornouaillais de l'Est maritime, Bouzec & al. (2017:89)


(5) Anou'd meus da ma sreid, yeign-sklass 'ma-.
Anoued em eus da ma zreid yen-sklas emaint. Équivalent standardisé
froid 1SG a à1 mon2 pied.s froid-INT est 3PL
'J'ai froid aux pieds. J'ai les pieds gelés.'
Cornouaillais de l'Est, Bouzec & al. (2017:381)


(6) Digoéo raêè- deus parézioù tal-kichen.
Degouezhout a raent eus parrezioù tal kichen. Équivalent standardisé
arriver R faisait 3PL de parroisse.s front-à-côté
'Les gens venaient aussi des communes voisines.'
Cornouaillais de l'Est Bouzec & al. (2017:236)


(7) dre'n ab' ouiè- taeè brawac'h cherc'h vêè had't melch'nn ba e dous.
dre an anbeg ma ouient e teue bravoc'h ar c'herc'h veze hadet melchon en e douesk. Équivalent standardisé
dre le raison (que4) savait 3PL R venait beau.plus le5 avoine était plant.é trèfle dans son1 dedans
'parce qu'ils savaient que l'avoine donnait mieux lorsque planté avec du trèfle.'
Cornouaillais de l'Est Bouzec & al. (2017:262)


Riantec

A Riantec près de Lorient, Benoît Allaire (2018) collecte une phrase qu'il glose en standard par un sujet incorporé dans une préposition a.


(8) 'Gell ķed 'nint hadein.
Ne c'hell ket anezho hadañ. Glose en standardisé
(ne1) peut pas P.eux semer
'Ils ne peuvent pas semer.'
Vannetais (Riantec), RJ., collecté par B. Allaire, dico parlants 2018


prédiction sur les sujets hauts

L'analyse de Jouitteau (2005/2010:chap 4), Jouitteau & Rezac (2006, 2008, 2009) prédit que la seule et unique façon d'obtenir l'accord riche est d'avoir des conditions de localité plus proche du verbe tensé que la projection FP.


(1) ... verbe ... sujet 3SG[FP [VP <trace du sujet> <trace du verbe> objet ]] >> accord riche


C'est évidemment le cas lorsqu'un sujet pronominal est incorporé. Les pronoms résomptifs, comme les autres pronoms faibles, doivent s'incorporer, ce qui explique que les paradigme de résomption soient associés à l'accord riche (comme dans le cas du sujet prénégation, dont la tête C déclenche des "that-trace effect", ou dans le cas de la résomption du sujet 'à la Cornouaillaise').


l'applicative du verbe 'avoir'

L'accord riche est aussi prédit lorsqu'une construction particulière promeut le sujet au-dessus de FP. Jouitteau & Rezac (2006, 2009) proposent que le verbe kaout 'avoir' en breton est analytique, de type mihi est, et qu'une structure applicative amène un sujet nominal au-dessus de la projection FP.

Jouitteau & Rezac (2008) explorent la viabilité de leur hypothèse au regard de la variation des paradigmes d'accord dans les variations dialectales du verbe kaout, 'avoir' à travers les dialectes du breton, enquête complétée depuis sur la page sur kaout de ce site.


les sujets postverbaux comme à Plougerneau

Des dialectes en Léon montrent aussi une remontée haute du sujet (1). En Léon et de façon très persistante à Plougerneau, on trouve un accord riche avec un sujet lexical postverbal.

À Plougerneau, le phénomène d'accord avec un sujet postverbal est productif et établi, en corpus comme en élicitations où il n'y a pas de pause prosodique avant le sujet et où le sujet peut porter l'information nouvelle.


(2) O ! Hir a-walc'h oant ar fournioù PL.
Oh long assez étaient le four.s
'Oh ! Les fours étaient assez longs.'
Léonard (Plougerneau), Elégoët (1982:42)


(3) Anvet oant tout ar gouverioùPL ganeomp.
nomm.é étaient tout le passes avec.nous
'Nous avions donné un nom à toutes les passes.'
Léonard (Plougerneau), Elégoët (1982:39)


(4) Breinañ a reont ar patatezPL e-barzh ar boutot.
pourr.ir R1 font le patates dans le panier
'Dans le panier, les patates pourissent.'
Plougerne, Yvonne P., kontañ kaoz (12/2017)


(5) Niverus { eo / int } { an dud / ar razhed / ar per }PL.
nombr.eux est / sont le 1gens le rats le poires
'{ Les gens/ les rats/ les poires } sont nombreux.'
Léonard (Plougerneau/Diwan), M. Lincoln (05/2014)


(6) Louedañ a { ra / reont } buan ar c'hraonvPL.
moisir R fait / font vite le 5noix
'Les noix moisissent vite.'
Léonard (Plougerneau), M-L. B. (01/2016)


Le verbe chez ces locuteurs ne s'accorde jamais avec un sujet préverbal.


(7) Ar c'hraonv a { goustoum / * goustoumont } louedañ buan.
le 5noix R1 coutume / * coutument moisir vite
'Les noix moisissent vite.'
Léonard (Plougerneau), M-L. B. (01/2016)


(8) An amezeien ' { labour / * labourant } maread.
le voisin.s R travaille / travaillent beaucoup
'Les voisins travaillent beaucoup.'
Léonard (Plougerneau), M-L. B. (01/2016)


Lors de futures recherches, il serait souhaitable de vérifier que des sujets indéfinis et des noms nus, qui ne sont pas dislocables à droite, provoquent bien les mêmes faits d'accord.

En (1), l'accord n'est pas optionnel, et le locuteur ne produit aucune pause prosodique en élicitation.


(1) Gwelet a reoc'h ec'h en em gav*(ont) an dudPL.
voir R1 faites R+C,4 se1 trouve le 1gens
'Vous voyez que les gens arrivent.'
Léon, (Lesneven), A.M. (02/2016)


Timm (1995:fn18), avait signalé en note, sans précision de sa source, que "pour ceux des dialectes qui permettent l'accord du verbe avec un sujet postverbal, il semble hautement probable que (iii) soit acceptable et (iv) ne le soit pas".


(iii) Ne oant ket deut ar merc'hed
(iv) Ne oant ket ar merc'hed deut
ne1 étaient pas le fille.s ven.u le filles
'Les filles n'étaient pas venues.'
Dialecte ?, Timm (1995:fn18)


à ne pas confondre

Parfois, en corpus écrit comme en (3) en vannetais, il pourrait s'agir uniquement d'une faute de ponctuation (une virgule indiquerait une dislocation à droite prédisant un tel accord, de type 'Ils sont nombreux, ceux qui en faisaient autant).


(3) Stank int ar re a rae kement 'rall.
nombreux sont [ le ceux R faisait autant autre ]
'Nombreux sont ceux qui en faisaient autant.'
Vannetais, Herrieu (1994:233)

Autres phénomènes d'accord

accord riche et sujet préverbal

En (1), le verbe porte les traits d'accord du sujet alors qu'il est très distant. La forme a du rannig montre que la particule verbale a réagi au sujet préverbal, signe qu'il est présent au niveau syntaxique.


(1) Nann, ar re-se pa nie diskarget o sardin en hañv a yeent gant o bag da vouilhiñ (...)
non le ceux-ci quand1 avait.3SG .charg.é leur2 sardines en.le été R allaient avec leur2 bateau pour1 mouiller
'Non ceux-là, quand ils avaient déchargé leurs sardines, en été, allaient au mouillage (...)'
Cornouaillais (Douarnenez), G. Nouy, cité par Gwendal Denez dans Pêcheurs de Douarnenez
cité dans Mémoire de la ville n°3 p.23.


Blanchard (2016) transcrit un corpus oral où elle mentionne que le locuteur effectue "souvent" un accord riche avec un sujet préverbal. Un seul exemple est cependant transcrit. Dans cet exemple rescapé (2), la graphie avec la virgule et la traduction évitant un effet de focus sont consistants avec l'hypothèse que le sujet est un topique suspendu (standard Evidon-me, e skoan bremañ... ). Comme dans l'exemple de Douarnenez, le rannig a signale, cependant, que le sujet est visible syntaxiquement dans ce domaine mais la transcription peut avoir été "corrigée" pour rétablir un rannig a car le trégorrois n'a pas toujours des rannigs distincts.


(2) Me, a skoan bremañ gant ar penn-mañ, gant an horzh.
moi R frappe.1SG maintenant avec le bout-ci avec le masse
'Maintenant, je frappe avec ce bout-là de la masse.'
Trégorrois, Blanchard (2016)

sujet coordonné et accord partiel

La coordination de deux groupes nominaux singuliers en position sujet obtient, comme en français, un groupe nominal pluriel. Le verbe d'un sujet pluriel réalisé par une coordination, est associé à un verbe à l'accord pauvre 3SG.


(3) Tapet om ! a zoñjas Aogust ha me...
pr.is sommes R1 pensa Auguste et moi
'Auguste et moi pensâmes: on est faits !'
Taldir
cité dans Seite & Stéphan (1957:142)


On trouve de très rares occurrences en corpus où le second membre d'une coordination n'est pas calculé par l'accord. En (4), le sujet coordonné est devant la négation. L'accord est à la personne 3 et non à la personne 2PL malgré le pronom à la première personne.


(4) Ar pesked ha me n'o deus ket bet en em aranjet jamez !
le poisson.s et moi ne1 ont pas été se arrang.é jamais
'Les poissons ne me plaisaient pas.'
Léonard (Plougerneau), Elégoët (1982:13)

les invisibilités de l'accord comme en français

Les phénomènes d'accord sémantique permettent aussi en breton l'accord à l'intérieur d'un groupe nominal complexe (La plupart des gens sont... ).

Les groupes au vocatif, ou les dislocations à droite, comme en français, semblent invisibles pour l'accord.


(5) Tapet oc'h ma lapous !
attrap.é êtes.2 [ mon2 oiseau ]3SG
'T'es bien attrapé, mon coquin !'
Vannetais (Le Scorff), Ar Borgn (2011:13)


Diachronie

Pour un aperçu du système d'accord en vieux brittonique commun, se reporter à Le Roux (1957:57-59).

En moyen breton, le réfléchi em n'était pas invariable comme en breton moderne et pouvait redoubler les marques du sujet (Hemon 1975:272, Widmer 2017:234). Widmer (2017:237) considère que l'accord en moyen breton dépend de la polarité de la phrase (positive vs. négative). Il ne montre qu'un exemple d'accord avec un sujet devant la négation, et pas d'exemple avec un sujet postverbal. On trouve en moyen breton des exemples isolés où un sujet lexical déclenche l'accord riche du verbe. Dans les deux exemples ci-dessous, ces sujets sont préverbaux.


(1) Nobl ha partabl en vn bezret ez ynt vn heuel da guelet.
nobles et roturiers en un charnier R sont un même à1 voir
'Nobles et roturiers dans un charnier ont semblable apparence.'
Moyen breton, BM.:233, traduction Le Berre (2001:31)


(2) hac ez lauar penaux hon doueou ez ynt diaoulou.

'Et il dit que nos Dieux sont des diables.'
Breton 1576, Ca.:n 12


L'effet de complémentarité est documenté en breton pré-moderne comme conforme au système actuel.


(3) N'eo ket pluet a-walc'h da laboused...
ne1 est pas plumm assez ton1 oiseau.x
'Tes oiseaux n'ont pas assez le plumage...'
Léonard 1878, Inisan (1930:11)


Ernault (1888b:256) relève cependant en breton pré-moderne chez Sauvé (fin XIX°) plusieurs exemples de type hor tiéien a réont... 'nos cultivateurs font... '.


horizons comparatifs

Meelen (2016) relève en moyen gallois des exceptions au système d'accord, où un sujet post-verbal déclenche l'accord du verbe.


(61) e uelly e dianghassant e gelynyon wedy caffael eu golwc
ainsi PRT échapper.PAST.3P les ennemis après acquérir.INF 3P vue
'Ainsi, les ennemis se sont échappés après avoir retrouvé la vue.'
Moyen gallois, Meelen (2016:227)


L'effet de complémentarité (1) est instable dans les textes de vieux gallois en prose, que le sujet soit préverbal (2) ou postverbal (3) (voir Koch 1991, Schumacher 2011).

(1) imaliti duch cimarguithejt

lead.3S you story-tellers
'as the story-tellers would lead you' (Chad 3), cité par Koch (1991)

(2) enuein di sibellae int hinn

names of Sibyllae be.PRES.3P these
'These are the names of the Sibylls' (MC)

(3) imguodant ir degion

beseech.PAST.3P the nobles
'the nobles besought one another' (Chad LL xliii), cité dans Meelen (2016:)


Le système d'accord brittonique a influencé des variétés non-standard de l'anglais, qui produisent un accord pauvre 3SG réalisé par le morphème anglais -s sur les verbes dont le sujet est lexical (Benskin 2008, Bismark 2011).


Terminologie

Ménard (2012) donne le terme breton kenglotadur pour accord (grammatical).

En anglais, les analyses qui postulent que le système d'accord breton est un Principe fondamental de la grammaire utilisent le terme de Complementarity Principle. Les analyses qui le font découler d'autres propriétés présentes dans la grammaire de la langue parlent de Complementarity effect.


accord pauvre vs. formes impersonnelles

Il y a un débat terminologique mouvementé quant à la forme 3SG de l'accord pauvre, celle qui ne varie pas avec les traits du sujet (Me a skriv, Goulwenna ha Yannig a skriv). Historiquement, elle a été appelée conjugaison personnelle, puis conjugaison impersonnelle. Ce malaise terminologique a induit des confusions avec les littératures à la fois celtiques historiques, anglophones et romanes contemporaines a amené de multiples terminologies échappatoires, ajoutant à la confusion.


 Lambert (1976:266):
 "Le Brigant (1779) est bien le premier à désigner la conjugaison me a gar comme conjugaison impersonnelle: pour ses prédécesseurs, c'était au contraire la conjugaison qui exprimait "la personne" ( = le sujet personnel)."


Le Gonidec (1807:69), Ernault (1888b), Vallée (1902), Le Clerc (1908), Trépos (2001), KAG (2016) entre autres utilisent le terme de conjugaison impersonnelle. Similairement en breton, Kervella (1947) utilise le terme displegadur diberson. La terminologie de conjugaison impersonnelle est source de confusion puisqu'il existe en breton comme dans les autres langues celtiques un accord verbal dédié à la conjugaison avec un pronom impersonnel, la conjugaison -r, -d de la septième personne celtique (Atav e skriver... ). Dans la littérature grammaticale romane comme anglophone, le terme d'impersonnel ou impersonal renvoie aussi aux formes grammaticales référant à un humain ou à des humains non-identifiés, comme le français on. Adopter cet usage contemporain international obtient en breton que le pronom sujet impersonnel qui déclenche l'accord en -r fait partie du paradigme à sept personnes de la conjugaison personnelle, en opposition avec un accord dit impersonnel requis avec un pronom personnel.

Urien (1999:654&fn11) s'oppose à la terminologie des formes de l'impersonnel, mais pour une autre raison: "dans l'expression "conjugaison impersonnelle", l'adjectif désigne le morphème invariant qui permet de rassembler dans le paradigme les autres morphèmes variables, alors que dans l'expression conjugaison personnelle, l'adjectif désigne une des variables de la conjugaison". Pour Urien, le paradigme Me a skriv, Te a skriv... n'est donc pas une "conjugaison verbale", mais la déclinaison en personne, nombre et genre du pronom personnel, observé dans un contexte verbal." Ceci revient à dire que puisque l'accord pauvre 3SG est obligatoirement associé avec un sujet réalisé, cette construction appréhendée en son ensemble varie fondamentalement en personne.

Ternes (1970:238) appelle "les formes dépourvues de caractéristique morphologique indiquant la personne sujet", les formes non-déterminées. Press (1986:233) traduit l'anglais invariable par digemm. Cette terminologie donnerait kenglotadur digemm pour l' accord invariable.

Jouitteau (2005/2010, 2005b), Jouitteau & Rezac (2006, 2008, 2009) utilisent le terme poor agreement et en français accord pauvre, car ils obtiennent les faits en adoptant un mécanisme d'accord qui est bloqué aux traits 3SG quand aucun sujet n'est incorporé.


À ne pas confondre

accord sémantique

On distingue l'accord syntaxique, réalisé dans la syntaxe, de l'accord sémantique, et qui peut donner des résultats divergents, comme dans La moitié des membres du jury est/sont présent(s).


pas d'anti-accord

Il existe des langues comme le berbère ou des langues bantoues qui ont un marquage d'accord particulier lorsque le sujet est extrait par un mouvement A-barre. Ce phénomène lié à l'extraction du sujet est connu dans la littérature sous le nom d'anti-accord.

L'accord pauvre en breton n'est aucunement lié à l'extraction du sujet (contra Borsley & Stephens 1989:408, Ouhalla 1993, Phillips 1996, 1998, Luitwieler 2011, Henderson 2009, 2013, Kunio 2017, et malgré quelques précautions oratoires, Pfau 2009:12, fn11).

Un sujet postverbal déclenche en breton un accord pauvre de la même façon que le ferait un sujet préverbal.


(1) Bemdez e lenn { Yann / ar vugale } ul levr.
chaque.jour R4 lit.3SGM Yann / le 1enfant.s un livre
'{ Yann lit /les enfants lisent } un livre chaque jour.'
Standard, Hendrick (1988:28)


(2) Bemdez e lenn(*ont) ar vugale ul levr.
chaque.jour R4 lit.3SGM le 1enfant.s un livre
'Les enfants lisent un livre chaque jour.'
Standard, Hendrick (1988:28)


Lorsque le terme d'anti-accord est utilisé dans les langues celtiques, il réfère uniquement à l'apparition de l'accord pauvre 3SG dans l'effet de complémentarité (appelé aussi principe de complémentarité, complementarity effect).


Bibliographie

description

  • Fave, V. 1986. 'Ar verb : displegadur gour ha dihour', Brud Nevez 97 : 66-68.
  • Le Clerc, Louis. 1986. [1906, 1911], Grammaire Bretonne du dialecte de Tréguier, 3ième édition, Ar Skol Vrezoneg, Emgleo Breiz (précédentes Saint-Brieuc: Prud'homme).

étude théorique

  • Hendrick, R. 1988. Anaphora in Celtic and Universal Grammar, Dordrecht: Kluwer. chap. 2.
  • Jouitteau, Mélanie. & Milan Rezac, 2008. 'From mihi est to have across Breton dialects', Paola Benincà, Federico Damonte and Nicoletta Penello (éds.), Proceedings of the 34th Incontro di Grammatica Generativa, Unipress, Padova, special issue of the Rivista di Grammatica Generativa, vol. 32., 161 - 178., texte en ligne.
  • Jouitteau, Mélanie. 2005b. 'Nominal Properties of vPs in Breton, A hypothesis for the typology of VSO languages', Verb First: On the Syntax of Verb Initial Languages, Carnie, Andrew, Heidi Harley and Sheila Ann Dooley (eds.), xiv, 434 pp. (pp. 265–280) Amsterdam/Philadelphia: John Benjamins Publishing Company. Preview, Description and reviews
  • Muradova, Anna. 2006. 'Analytic and synthetic verb conjugation in Modern Breton' (In Russian: 'Аналитическое и синтетическое спряжение глагола в современном бретонском языке'), Analytism in Languages of Different Types (in Russian: Аналитизм в языках различных типов: сорок лет спустя. К 100-летию со дня рождения В. Н. Ярцевой. Материалы чтений памяти В. Н. Ярцевой), 2nd issue, Moscow, 217-224.
  • Stump, Gregory T. 1989.b. 'Further remarks on Breton agreement: A reply to Borsley and Stephens', Natural Language and Linguistic Theory, 7:429-471.
  • Stump, Gregory T. 1984. 'Agreement vs. incorporation in Breton', Natural Language and Linguistic Theory, 2:289-348.
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études de l'anti-accord citant le breton comme l'illustrant

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