Topique

De Arbres
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Le topique d'une phrase, pour une première approximation, est l'élément qui réfère à 'ce dont on parle', 'ce dont il est question' dans la structure informationnelle de la phrase. Dans le discours, le topique réactive souvent un référent qui a déjà été mentionné dans le contexte: il porte prototypiquement de l'information qui n'est pas nouvelle, de l'information donnée.


(1) Ar paotr koz a ra laourassennoù runkunuz kenkoulz en ti evel er-mêz.
le gârs vieux R fait crachat.s répugn.ant autant dans.un maison comme dehors
'Le vieux lance de gros crachats dégoûtants, tant dans la maison que dehors.'
Trégorrois, Gros (1984:358)


On identifie deux sortes de topiques: le topique simple (Le bus je le prends souvent) et le topique suspendu (Quant au bus, je le prends souvent.). Le premier est plus intégré à la structure que le second. Il est possible qu'une phrase n'aie pas de topique (Le bus est en feu!) ou soit entièrement topicale. On appelle une telle phrase une phrase thétique.

En breton, la lecture de topique est liée à une position particulière dans la phrase, la position devant le verbe tensé (Anderson & Chung 1977). Dans la plupart des phrases, le topique est le sujet cependant, en (2), dans la construction du faux sujet, le topique te 'toi' n'est pas le sujet de la phrase. Le topique, sauf s'il est sujet, doit être repris de manière anaphorique ailleurs dans la phrase, comme en (2) par le possessif da.


(2) Te a zo re domm da vro.
toi R1 est trop1 chaud ton1 pays
'(Toi) ton pays est trop chaud.'
Standard, Drezen (1932:6)


Topique simple

topique sujet

Lorsqu'un topique simple est le sujet de la phrase, il apparaît dans la zone prétensée. Il n'est pas repris anaphoriquement par un pronom ailleurs dans la phrase, d'autant que le système d'accord en breton impose alors des marques 3SG qui ne sont pas celles du sujet.


(1) Ar vro a zo kaer ive ?
le 1pays R1 est beau aussi
'L'intérieur est beau aussi ?'
Léonard (Cléder), Seite (1998:58)


Un topique simple sujet peut apparaître seul en zone prétensée, ou après un topique suspendu, un complémenteur ou une proposition circonstancielle. Il apparaît au-dessus de la négation.


(2) E-skoaz pa veze fall, […] ar mor ne veze ket ken sklaer...
alors.que quand1 était mauvais le mer ne1 était pas tant clair
'Alors que quand le temps était mauvais, […] la mer n'était pas aussi claire...'
Léonard (Plougerneau), Elégoët (1982:23)


topique non-sujet

Le topique peut être un objet (Ar staliou a yelo ar merc'hed da welout __ warc'hoazh, Anderson & Chung 1977:n°37c).


(3) Al dluzh bras a fell da Lom tapout __ .
le truite grand R1 plaît à Lom attraper
'Lom veut attraper la grande truite.'
Trégorrois (Bulien), Stephens (1982:151)


Lorsque le topique n'est ni objet ni sujet de la phrase, le breton peut recourir à une construction dite du faux sujet. En (4), le sujet de la phrase est o zud-koz, mais le topique en position préverbale est kalz euz pesketerien Treboul.


(4) Kalz euz pesketerien Treboul a zo o zud-koz ginidig diwar ar mêz.
beaucoup de poisson.s.eurs Treboul R1 est leur2 gens-vieil nat.if de le campagne
'Beaucoup de pêcheurs de Tréboul ont leurs grands-parents qui viennent de la campagne.'
Léonard (Cléder), Seite (1998:57)


(5) Jañn a veze eur voubou en he diouskouarn evel trouz ar mor.
Jeanne R1 était un "boubou" en son2 deux1.oreille comme bruit le mer
'Jeanne avait un bourdonnement dans les oreilles comme le bruit de la mer.'
Trégorrois, Gros (1974:397)


En (6), le topique est l'objet de l'infinitive paieañ bara debret, qui est elle-même le sujet de la copule eo.


(6) Bara debret eo diaes e baieañ.
pain mang.é est difficile le1 payer
'Il est dur de payer ce qui a déjà été consommé.'
Trégorrois (Perros-Guirec), Konan (2017:'bara')

topique à l'intérieur du groupe nominal

Il existe des zones favorables pour les topiques à l'intérieur des groupes nominaux complexes, comme le restricteur d'un quantifieur. Dans l'exemple de Krifka (2006) La plupart des zèbres du zoo étaient malades, l'information de la phrase sera stockée comme une information concernant les zèbres du zoo.


topique effacé

Un topique est actif en discours se prête facilement à l'ellipse. On parle alors de topique effacé.


(6) A voe graet.
R fut fa.it
'(Ce) qui fut fait.'
Léonard, Kerrien (2000:88)


Topique suspendu

Un topique suspendu est facilement reconnaissable à sa lecture caractéristique, de type 'Quant à X'- 'As for X'.

Quant à Charles, il ne chercha point à se demander pourquoi il venait aux Bertaux avec plaisir. (Flaubert (1857:I,2); Madame Bovary)
(Quant à) Olivier, elle le kiffe, mais (quant à) elle, tu vas voir la tête qu'elle va faire.
(Quant à) Moi, mon chien saute pas partout.


Les cinq propriétés syntaxiques des topiques suspendus, dans toutes les langues, sont:

une lecture sémantique de type 'Quant à…'
une pause intonative représentée à l'écrit par une virgule,
une restriction sur les pronoms: ils apparaissent enchâssés dans un syntagme prépositionnel ou un complémenteur
la reprise anaphorique qui peut être effectuée par un épithète (Quant à) Olivier, elle kiffe cet idiot.
le topique suspendu n'affecte pas l'ordre des mots de la phrase après lui.

En breton, la projection du topique suspendu est la projection la plus haute de la périphérie gauche (zone CP). Il est donc le tout premier élément prononcé dans la phrase. Les propriétés des topiques suspendus sont détaillées ci-dessous pour le breton.


pause intonative

La pause intonative est la caractéristique la plus aisée à repérer. La projection du topique suspendu est très haute et est séparée du reste de la phrase par une pause graphiquement marquée par une virgule.


(1) Huguette, Nina a zo o vont da droc'h he gwastell.
Huguette Nina R1 est à4 aller pour1 couper son2 gâteau
'Nina coupera le gâteau d'Huguette.'
Cornouaillais (Scaër/Bannalec), H. Gaudart (07/2022)


Un adverbe parenthétique peut séparer le topique suspendu du reste de la phrase (Jouitteau 2005:182).


pas de pronom en topique suspendu

Dans la plupart des dialectes, l'élément en position de topique suspendu ne peut pas consister en un pronom fort. Comme en anglais, ces pronoms doivent être intégrés dans une préposition (As for him, I don't know him 'Quant à lui, je le connais pas' vs. * Him/*He, I don't know him (Jouitteau 2005:183).


(1) { *Te / evidout-te } , komzet ' zo bet diwar da benn.
toi / pour.toi-toi parl.é R1 est été de ton1 tête
'Quant à toi, on a parlé de toi.'
Jouitteau (2005:183)


Le cornouaillais de l'Est a une différenciation sur la première personne du paradigme entre un pronom fort meñ et un pronom faible (non-incorporé) me. Ce pronom fort exceptionnel est licite en position de topique suspendu.


(2) Meñ, me gav mat bara zéc'h.
moi moi R1 trouve bon pain sec
'Moi, j'aime bien le pain sec.'
Cornouaillais (Moëlan), Bouzec & al. (2017:24)


Contrairement à l'anglais, le français tolère un topique suspendu sous forme de pronom fort indépendant. Kerrain (2001) rapporte les formes "calquées sur le français" * me, mont a ran, qui sont agrammaticales en breton, moderne comme ancien.


liage

 Jouitteau (2005:183):
 "Dans chaque exemple de topique suspendu, on peut noter une reprise anaphorique de l'élément en position de topique suspendu par un autre élément plus bas dans la structure, en position préverbale ou interne à IP. La reprise anaphorique peut être le fait d'un pronom ou d'un épithète." 


(3) A(n) re wenn, vi pradet an dilhad gwenn ganoc'h.
le ceux1 blanc était.HAB champ.é le habits blanc avec.vous
'Vous aviez l'habitude de sécher au pré les habits blancs.'
Cornouaillais (Saint-Yvi), German (2007:173)


(4) Me, evel m'am bez evet un dakenn win, e lamm ar gwad dioustu em fenn.
Moi comme C R.1SG a b.u un 1goutte vin R4 saute le sang tout.de.suite en.mon2 tête
'Moi, dès que je bois une goutte de vin, le sang me saute tout de suite à la tête.'
Trégorrois, Gros (1984:55).


(5) Ar vugale n'int ket kouezhet, ar gwaz e nevez aneho.
le 1enfant.s ne1 sont pas tomb.é le homme R connaît P.eux
'Les enfants qui ne sont pas tombés, l'homme les connaît.'
Léonard (Plougerneau), M-L.B (10/2018)


Cette généralisation a des contre-exemples dans la mesure où il est possible indépendamment en breton d'élider certains arguments dans la phrase.


(6) Bidaed, yade ket leun.
chèvres ne1 était pas plein
'Des chèvres, il n'y en avait pas beaucoup.'
Cornouaillais (Sein), Fagon & Riou (2015:'bida')


suspension du filtre sur le cas

Un constituant en topique n'est pas assujetti au filtre sur le Cas, ce qui est un autre argument de son peu d'intégration dans la phrase. En (6), le nom bidaed, 'chèvres' n'est pas précédé d'une préposition assignatrice de cas comme il le serait hors de sa position de topique ( 'yade ket leun *(a) vidaed, 'Il n'y avait pas beaucoup de chèvres').


(6) Bidaed, yade ket leun.
chèvre.s ne1 était pas plein
'Des chèvres, il n'y en avait pas beaucoup.'
Cornouaillais (Sein), Fagon & Riou (2015:'bida')


ordre des mots

Un topique suspendu n'affecte pas le reste des mots dans la phrase (Jouitteau 2005:184). Ainsi, à la différence d'un topique simple, il ne peut pas être le seul élément devant un verbe tensé. Entre un topique suspendu et un verbe tensé, on peut trouver éventuellement un groupe nominal objet, un adjectif prédicatif, un participe, une négation... c'est-à-dire tous les éléments que l'on peut trouver en initiale de phrase quand celle-ci ne comprend pas de topique suspendu.

Il est possible de trouver après un topique suspendu toute sorte d'éléments qui ne sont antéposés à l'élément tensé qu'en dernier recours pour que celui-ci ne soit pas à l'initiale. En (7), le participe a été dérivé par antéposition stylistique.


(7) Evit Marsel, kavet en doa labour e Montroulez.
quant.à Marcel trouv.é 3SGM avait travail en Morlaix
'Quant à Marcel, il avait trouvé du travail à Morlaix.'
Standard, Herri (1982:56)


En (8), le verbe infinitif a été antéposé (par excorporation de la tête tensée).


(8) Gaidig, santout a ran he gwazhiennoù o virviñ.
Gaidig sentir R1 fais son2 veine.s à4 bouillir
'Je sens bouillir les veines de Gaidig.'
Cornouaillais (Scaër/Bannalec), H. Gaudart (07/2022)

sémantique

Le topique suspendu nécessite que le contexte antérieur à sa phrase ait un topique de référent différent, ou qu'un tel contexte puisse être accommodé.

Structure de la périphérie gauche

distribution

Un topique en breton est prototypiquement situé devant l'élément qui porte le temps morphologique, l'élément tensé.

Ce topique peut être le seul élément devant le verbe tensé. Il est alors garant de l'ordre à verbe second. Il peut aussi apparaître avec d'autres éléments dans la zone pré-tensée. On obtient alors un ordre de mots V3 ou plus.

Deux topiques, un topique suspendu et un topique simple, peuvent introduire la phrase (comme en français Quant au patinage artistique, Tom n'en a pas fait depuis 1982). Dans ces cas, le topique suspendu apparaît toujours avant le topique simple.

Le topique est relativement local: il ne lie pas une entité dans une proposition enchâssée, mais dans la même proposition où il apparaît.


analyse

Jouitteau (2005/2010:chap 2) propose une structure de la périphérie gauche de la phrase bretonne comme suit, qui montre l'ordre respectif du topique suspendu et du topique simple.


(1) [ForceP Force° [TopP [FocP [ModeP NEG [FinP Fin
topique suspendu adjoints scéniques topique focus négation ne explétif rannig-verbe
Structure du domaine CP, Jouitteau (2005/2010:126)


 Jouitteau (2005:126):
 "La projection ForceP peut accueillir un topique suspendu en son spécifieur, et des adjoints scéniques (adverbes scéniques ou propositions circonstancielles) en projection intermédiaire. Le spécifieur de la projection TopP accueille des XPs topiques générés in situ. Ces topiques lient un pronom dans une position sous IP."
 
 Jouitteau (2005:178):
 "La projection de topique suspendu est occupée par un unique élément. La zone d'insertion d'adverbes scéniques est récursive, elle peut contenir plusieurs circonstanciels non focalisés. Le spécifieur de la projection de topique héberge un topique avec un résomptif interne à IP et le spécifieur de la projection Focus héberge les XPs focalisés (DPs, adverbes, circonstanciels, VPs…)."


Une même phrase peut contenir en zone préverbale un topique et un focus. En (1), le topique simple kaozioù est co-référent avec le sujet de la phrase, dont le prédicat nemet kaozioù est en zone de focus.


(2) Kaoziou nemet kaoziou na n' int.
paroles seulement cause.s ne1 ne1 sont
'Les paroles ne sont jamais que des paroles.'
Trégorrois, Gros (1989:'kaoz')


Il semble possible de reprendre anaphoriquement en zone préverbale un topique suspendu par un topique simple.


(3) ar re zo chomet, peogwir n'eo ket bras ar menajoù, evit gallout bevañ, [ feiz ], an dud a zo en em vodernizet…
le ceux R est rest.é car ne1 est pas grand le ferme.s pour pouvoir vivre foi le 1gens R1 est se1 modernis.é
'Et [ ceux qui étaient restés] y, parce que les fermes ne sont pas grandes, pour pouvoir vivre, ma foi, [ les gens] y se sont modernisés…'.'
Standard, Timm (1991)
cité dans Jouitteau (2005:189)

Sémantique

topique et focus

Les lectures de topique et de focus ne sont pas incompatibles (voir, par exemple, Grillia 2008 pour le grec). Un topique contrastif est un topique qui reçoit en sus une lecture de focus (Seul le bus 32 passe chez moi.).


topique et quantification

Les topiques suspendus ne peuvent pas être des quantifieurs existentiels (* Quant à une tulipe, je l'ai humée).

Horizons comparatifs

éléments topicalisables

En yiddish, le radical verbal peut être topicalisé (Davis & Prince 1986).


topique de phrase vs. topique de discours

Sémantiquement, on peut distinguer le topique d'une phrase du topique d'un morceau de discours ou de texte (Quant à Nolwenn, elle présenté son article. Il fut longuement discuté). Les deux ne sont pas incompatibles et un topique de discours peut aussi être un topique de phrase (Quant à Nolwenn, elle présenté son article. Elle fut attentivement écoutée).

Grillia (2008:72) montre qu'en grec moderne, le topique de discours peut être désambiguïsé par un marquage grammatical, la présence d'un clitique. Il est par ailleurs compatible avec un focus d'information nouvelle.

Terminologie

Le terme anglais pour topique suspendu est hanging topic. Dans la tradition latine, à cause du cas nominatif attaché au topique suspendu, on parle de nominativus pendens.

Le terme de 'topique' correspond au terme de thème de l'école de Prague; il annonce le thème de la phrase. Cette notion est aussi proche de la notion de lien dans Vallduví (1992, 1993), le constituant qui indique la "rubrique" mentale à laquelle l'information apportée par la phrase sera stockée dans les connaissances organisées du locuteur.

La topicalisation est un nom de mouvement syntaxique. Topicaliser un constituant, c'est l'extraire de sa position canonique pour l'amener dans une position proéminente dans la phrase, dans la périphérie gauche. Il sera alors prononcé avant l'élément qui porte le temps. Cependant, en breton, les topiques semblent être générés en périphérie gauche. Il n'y a donc pas à proprement parler de mouvement de topicalisation.

Bibliographie

en breton

  • Anderson, Stephen. & Chung, Sandra. 1977. 'On grammatical relations and clause structure in verb-initial languages', P. Cole & J. Sadock (éds), Grammatical Relations, Syntax and Semantics, vol. 8, Academic Press, New York, 1-25.
  • Plourin, Jean-Yves. 1998. 'La phrase bretonne comprenant le verbe ETRE au présent de l'indicatif. Conflits de topicalisation', La Bretagne Linguistique 11, CRBC.
  • Timm, Lenora. 1991. 'The discourse Pragmatics of NP-initial Sentences in Breton', Studies in Brythonic word order, J. Fife et E. Pope (éds.), Amsterdam: Benjamins, 275-310.

horizons comparatifs

  • Davis, Lori J. & Prince, Ellen F. 1986. 'Yiddish verb-topicalization and the notion “Lexical Integrity”', A. Farley, P. Farley & K.-E. McCullough (éds.), Papers from the 22nd Regional Meeting of the Chicago Linguistic Society, 90-97.
  • Roberts, Craige. 2001. 'Topics', Claudia Maienborn, Klaus von Heusinger, & Paul Portner (éds.), Semantics: An international handbook of natural language meaning 33, Walter de Gruyter, 1908-1934.
  • Fradin B. 1988, 'Approche des constructions à détachement : la reprise interne', Langue française 78, 26-56.
  • Frascarelli, Mara & Roland Hinterhölzl. 2007. 'Types of topics in German and Italian', Susanne Winkler and Kerstin Schwabe (éds.), On information structure, meaning, and form, 87-116. Amsterdam/Philadelphia: John Benjamins.
  • Grillia, Stella, 2008. On the nature of preverbal Focus in Greek, A theoretical and experimental approach, LOT publications, pdf.
  • Krifka, Manfred. 2006. 'Basic Notions of Information Structure', Féry, Fanselow & Krifka (éds.), Interdisciplinary Studies on Information Structure 06, 13-55, Postdam: Universitätsverlag: Posdam.
  • Le Querler, Nicole. 2003. 'Nominativus pendens in the French language', Cahiers de Praxématique 40, 149-166, texte.