Les ordres T3

De Arbres

Le breton est une langue où le verbe tensé est prototypiquement en seconde place (langue à verbe tensé second, V2, ou plus exactement 'à temps second', T2), et les grammairiens insistent souvent sur ce point. Cependant, on trouve des ordres V3 dans tous les dialectes, et même en breton standard ou littéraire sous la plume de Youenn Drezen ou Jakez Riou.

Il existe de nombreuses recherches concernant ces éléments qui peuvent apparaître ensemble devant l'élément tensé, et l'ordre précis dans lequel ils peuvent apparaître (Timm 1989, Schapansky 1996, Jouitteau 2005/2010, 2010...). Cette page recense ces ordres de mots, et en tire des conclusions pour la structure de la périphérie gauche de la phrase en breton.

Dans les exemples ci-dessous, l'élément supplémentaire est signalé en caractères gras, et l'élément remplissant la zone pré-tensée est souligné d'un trait. Les éléments identifiables de la structure informationnelle sont signalés par couleurs.


Ordres V3 agrammaticaux

 Gros (1970:33):
 "L'étudiant évitera [..] de dire: 
 * An deiz all souezet on chomet o weled an dud hanter-noaz war an drêzenn.
 ni:
 * An deiz all chomet on souezet… 
 
 Il faut dire:
 An deiz all oan chomet souezet o weled… 
 'L'autre jour j'ai été étonné de voir les gens à demi-nus sur la plage.'


Anderson & Chung (1977) proposent même qu'en breton, un seul constituant peut être antéposé comme en (1), et non plusieurs comme en (2).


(1) Ni a desk brezhoneg.
nous R1 apprend breton
'Nous apprenons le breton.'
Trégorrois, Anderson & Chung (1977)


(2) * Deskiñ ni a ra brezhoneg.
apprendre nous R1 fait breton
'Nous apprenons le breton.'
Trégorrois, Anderson & Chung (1977)


(3) * He boued er gegin e tebr Mona.
son2 nourriture en.le 1cuisine R4 mange Mona
'Mona mange son repas dans la cuisine.'
Standard, Press (1986:197)


Adverbes + T2

Dans beaucoup de cas d'ordres à verbe en troisième position, il s'agit d'une phrase V2 classique précédée d'un type particulier d'adverbe.


adverbes d'évidentialité

L'adverbe marteze est un adverbe évidentiel; il marque l'attitude du locuteur vis-à-vis de son énoncé. L'adverbe apparaît au-dessus de la négation.


(4) Marteze ivez n'he doa ket klasket Matriona kalz war o lerc'h.
peut-être aussi ne 3SGF avait pas cherch.é Matriona beaucoup à.leur.suite
'Peut-être aussi que Matriona n'avait pas beaucoup cherché à les trouver.'
Standard, Ar Barzhig (1976:34)


Après un ou plusieurs adverbes d'évidentialité, l'ordre des mots de la phrase semble pouvoir être le même que s'ils n'étaient pas présents. Alternativement, l'adverbe peut compter comme l'élément initial.

Les phrases ci-dessous sont différentes alternatives à la traduction de la phrase 'Le ministre est arrivé en retard, et en plus, il semblait avoir bu.': Ar ministr kentañ a zo nin gavet re ziwehat, hag ouzhpenn war ar marc'had… . Elles montrent donc l'ordre possible après une coordination et deux adverbes évaluatifs du point de vue du locuteur.


(4) a. an dud o deus gwelet oa meho.
le 1gens 3PL a v.u était saoul
b. gwelet e veze oa meho.
v.u R était était saoul
c. e veze gwelet oa meho.
R était v.u était saoul
Léonard (Plougerneau), M-L. B. (04/2016)


compléments adverbiaux décrivant la scène

adverbes de lieu et prépositions locatives

Le contexte des phrases ci-dessous est une voisine s'enquérant des heures des services postaux. L'adverbe de lieu est possiblement en focus contrastif, et le sujet (de l'actif ou du passif) est de l'information non-nouvelle.


(1) Amañ ar fakteur a base da seizh eur dach ar mintin.
ici le facteur R1 passe à1 sept heure de le matin
'Ici ils distribuent le courrier à 7h.'
Léonard (Plougerneau), M-L. B. (04/2016)


(2) Anmañ ar c'hourrier a vez kavet da zeizh eur.
ici le 5courrier R est trouv.é à1 [[[seizh|sept]] heure
'Ici le courrier est distribué à 7h/ils livrent le courrier à 7h.'
Léonard (Lesneven/Kerlouan), Y. M. (04/2016)


(3) Er-maez an avel gwalarn a yud gant fulor...
au-dehors le vent noroît R1 hurle avec colère
'Dehors, le vent de noroît hurle avec colère...'
Standard, Riou (1923:2)


En (4), le sujet n'est pas focalisé (il traduit un impersonnel), le focus ne peut pas être une motivation pour sa montée devant le verbe tensé. La structure prépositionnelle locative est possiblement en focus contrastif.


(4) Er Frañs, an dud a zreb melfed.
en.le France le 1gens R1 mange escargots
'En France, ils mangent des escargots.'
Léonard (Plougerneau), M-L. B. (04/2016)

adverbes temporels

En (5), qui vient d'un corpus écrit, toute l'information de la phrase est nouvelle. Le focus porte donc sur la phrase en entier. Le sujet est plausiblement un topique suivant un adjoint scénique.


(5) Un dervezh, an aotrou person, bet moarvat o welet unan bennak klañv diwar-dro , a dremenas dre tal an ti...
un journ.ée le monsieur recteur été sans.doute à4 voir un quelconque malade autour R1 passa par front le maison
'Un jour, le recteur, qui était sans doute allé visiter un malade aux environs, passa devant la maison… '
Léonard (Bodilis), Ar Floc'h (1985:19)


propositions orientées vers le sujet

(1) Harpet war barlenn ar prenestr, tennañ a ra hir ar c'hrennard war e anal.
appuy.é sur1 rebord le fenêtre tirer R fait long le 5adolescent sur son1 haleine
'Appuyé sur le rebord de la fenêtre, l'adolescent respire profondément.'
Standard, Drezen (1990:14)


proposition concessive

(2) Goude dezhañ bezañ klañv, deuet eo.
après/bien.que à.lui être malade ven.u est
'Bien qu'il fût malade, il est venu.'
Vannetais, Falc'hun & Fleuriot (1978-79:7B)


propositions temporelles

Les propositions temporelles peuvent s'empiler en zone préverbale, ici devant une négation.


(1) Gwechall, pa veze re a avel, ez aent ket d'an aod.
autrefois quand1 était trop de1 vent (ne) R allaient pas à le côte
'Autrefois, ils n'allaient pas en mer quand il y avait trop de vent.'
Léonard (Plougerneau), Elégoët (1982:9)


Le sujet peut aussi apparaître après elles, en position de topique comme en (2) ou de focus.


(2) Lakait-hé skoaz-doc'h-skoaz, par-doc'h-par, àr lerc'h c'hwi ' choajo.
mettez-eux épaule-à-épaule égal-à-égal après vous R1 choisirez
'Mets-les épaule contre épaule, égal contre égal, après tu choisiras, i.e. compare-les, après.'
Vannetais (Le Scorff), Ar Borgn (2011:26)


(3) Disul, goude an oferenn, ar beleg a zo aet da c'hoari c'hartoù.
Disul, goude an oferenn, ez eo aet ar beleg da c'hoari c'hartoù.
dimanche après le messe (le prêtre) R est all.é (le prêtre) pour1 jouer 5carte.s
'Dimanche, après la messe, le prêtre est allé jouer aux cartes.'
Standard, Press (1986:204)


L'ensemble peut être précédé d'un topique suspendu (ici au vocatif).


(4) Jôzeb, pa zec'h de Lañnijen, c'hui zei da welet nounn.
Joseph quand1 irez à1 Lanvénégen vous R1 viendrez pour1 voir P.moi
'Joseph, quand tu passeras par Lanvénégen, tu viendras me voir.'
Cornouaillais de l'Est (Lanvénégen), Martin (1929:181)


Il y a variation quant à la possibilité de mettre un temps analytique après ces propositions adverbiales. La phrase en (5) est agrammaticale pour A. M. (04/2016) qui mettrait le sujet en zone préverbale (Ar goañv vo o tostaat… ).


(5) Pan erruo ar brini du, douget gant an avel gwalarn, tostaat a reio ar goañv.
quand1 arrivera le corbeau.x noir port.é avec le vent Nord-Ouest proch.er R fera le hiver
'Quand arriveront les noirs corbeaux poussés par le noroît, l'hiver approchera.'
Standard, Le Bozec (1933:28,29)

propositions locatives

(2) Én èbr heneoah ne fehè bout kleuet boéhieu en Eled é kañnal d'er Peah.
en.le ciel ce.soir ne1 serait être entend.u voix le ange.s à4 chanter à le paix
'Dans le ciel ce soir, on ne pourrait entendre les voix des anges chanter à la paix.'
Vannetais, Herrieu (1974:41)


propositions adverbiales de manière

(3) Stok-ha-stok ni beus gwraet an hent.
contact-et-contact nous a fa.it le route
'Pare-chocs contre pare-chocs, nous avons fait la route.'
Vannetais (Le Scorff), Ar Borgn (2011:27)

Topique + Neg-V

Un topique peut apparaître au-dessus d'une négation.


(1) An dour na vo nemet tommoc'h a ze.
le eau ne.R sera seulement chaud.plus que ça
'L'eau n'en sera que plus chaude'
Trégorrois (Tréguier), Le Clerc (1986:130)


(2) [ zân 'tomaz 'grédaz kén 'ɥelaz ]
Sant Tomas ne gredas kent ne welas.
Saint Thomas ne1 crut avant ne1 vit
'Saint Thomas ne crut qu'une fois qu'il vit.'
Proverbe, Plourin (1982:669)

Topique suspendu + Neg-V

Un topique suspendu, reconnaissable à sa lecture 'quant à', peut aussi apparaître au-dessus de la négation. Ce n'est pas surprenant car les topiques suspendus ont cette propriété qu'ils semblent tranparents pour l'ordre des mots dans la phrase.


(1) Evit yac'h n' eo bet biskoazh _ va mamm-gozh.
[ pour sain ] ne1 est été jamais mon2 mère-1vieille
'Ma grand-mère a toujours été malade.'
Standard, Press (1986:201)

Topique suspendu + focus

(2) Ar re-se, o gwelet em eus __ meur a wech.
le ceux.ci les2 v.u 1SG a moulte de1 fois
'Ceux-là, je les ai vus plus d'une fois.'
Standard (Dirinon), Kervella (1947:§713)


Sujet + Adv

Des compléments adverbiaux de temps peuvent apparaître après un sujet même pronominal. Il peut alors s'agir d'un sujet en topique suspendu, reconnaissable à la pause prosodique après lui, qui n'est pas intégré réellement dans la phrase. Ce topique suspendu est au-dessus de la zone récursive des adjoints scéniques.

Il peut aussi s'agir d'un sujet intégré à la phrase, comme le montre en (1) l'accord pauvre 3SG sur ranke et le rannig a1 qui réagit à un antécédent nominal. Les adverbiaux sont ici en incise.


(1) Me, pa vije echu ar skol, da beder eur, a ranke mont da geuneuta...
moi quand1 était fini le école à1 quatre heure R1 devait aller à1 petit.bois.-a
'(Quant à) moi, après l'école, à quatre heures, je devais aller chercher du petit bois.'
Léonard (Bodilis), Ar Floc'h (1985:22)


En (2), le sujet an dud apparaît devant l'adverbe sans qu'il y ait de rupture prosodique de signalée, cependant la sémantique de la phrase montre que cet adverbe le modifie. Le constituant An dud bremañ est en zone topique.


(2) An dud bremañ a zo gaoutuz !
le 1gens maintenant R est mauvais.ant
'Les gens maintenant sont malhonnêtes !'
Trégorrois, Gros (1984:489)


Cette analyse n'est pas disponible en (3), où on a vraiment un complément de manière qui apparaît entre le sujet et le verbe.


(3) Ar paotr bihan o kouezhañ en devoa dirusket penn e c'hlin.
le gars petit à4 tomber R.3SG avait .écorc.é tête son1 genou
'Le petit garçon s'est écorché le genou en tombant.'
Trégorrois et Haut-cornouaillais, Konan (2017:'diruskañ')


On trouve aussi plus souvent cet ordre de mots sous licence poétique.


(4) Ar mor lïes a zo treitour, hag a lonk lec'h an enebour spenn eur mignon e-kreiz e zour.
le mer souvent R est traitre et R avale en.lieu le ennemi plus un ami au.milieu son1 eau
'Souvent est traitre la mer, qui avale dans ses eaux au lieu de l'ennemi, plus d'un ami.'
Standard, Riou (1923:4)

Faux sujet + Adv

En (3), un faux sujet apparaît devant la proposition adverbiale temporelle.

Le faux sujet est plausiblement en position de topique suspendu. La temporelle est est une circonstancielle plus basse (difficile à traiter comme une incise car la proposition adverbiale temporelle est l'élément visible pour le rannig e).


(3) Me, evel m'am bez evet un dakenn win, e lamm ar gwad dioustu em fenn.
Moi comme que R.1SG a b.u un 1goutte 1vin R4 saute le sang de.suite en.mon2 tête
'Moi, dès que je bois une goutte de vin, le sang me saute tout de suite à la tête.'
Trégorrois, Gros (1984:55).


Objet antéposé

OSV

L'objet peut apparaître au-dessus du sujet en zone initiale. En (1), l'objet est repris anaphoriquement plus bas, ce qui est le signe d'un topique. La présence de la négation force plausiblement une lecture de focus sur le sujet ar wazed.


(1) An ti-se ar wazed n' o deus ket e welet.
le maison.ci le 1homme.s ne1 3PL 3.a pas le1 v.u
'Les hommes n'ont pas vu cette maison.'
Standard, Press (1986:201)


Adv-O-dest-Aux-V

En (2), l'objet sans résomptif apparaît au-dessus du destinataire.


(2) Tanfoeltr biskoazh paper d'id-te n' am euz zinet !
feu.foudre jamais papier à.toi-toi ne1 R.1SG a sign.é
'Jamais de la vie je ne t'ai signé aucun papier.'
Haute-Cornouaille (Kergrist-Moëlou), Le Garrec (1901:49)


SOV

(3) Bilzig gir ne rannas.
Bilzig mot ne1 pipa
'Bilzig ne pipa mot.'
Bas-Trégorrois, Al Lay (1925:33)


* OV-Aux-S

L'antéposition de l'objet n'est pas compatible avec un mouvement LEFT.


(3) Al levr (* lennet) en deus (lennet) Tom.
le livre l.u 3SGM a l.u Tom
'Tomm a lu le livre.'
Standard, Hendrick (1990:130)


XP-SV en vannetais

Les possibilités en vannetais sont à classer à part car les dialectes du vannetais favorisent indépendamment les ordres à sujet initial.


Obj-S-V

(1) [DP Ur riñsad ] ni (hon) boa tapet _ get re Klegereg.
un rinc.ée nous (1PL) avait pr.is avec ceux Klegereg
'Une arrosée, une rinsée on s'était pris par ceux de Cléguérec.'
Vannetais (Le Scorff), Ar Borgn (2011:12)


S-Neg-V

(1) Ar gwez n' int ket stank ba'n dachenn-mañ.
le arbres ne1 sont pas abondant dans le 1parcelle.ci
'Les arbres ne sont pas nombreux dans cette ferme-ci.'
Vannetais (Le Scorff), Ar Borgn (2011:7)


circonstancielle-S-V

(2) Mar kouezhomp àr an douar, ni a savo arre.
si4 tombons sur le terre nous R1 lèvera encore
'Si nous tombons à terre, nous nous relèverons.'
Vannetais (Le Scorff), Ar Borgn (2011:17)


(3) Ha liesoc'h evit ar sul, ni ' garga lan ar vuzul.
et souvent.plus que le dimanche nous R1 charge plein le 1mesure
'Et plus souvent encore que le dimanche, nous chargeons mesure pleine.'
Vannetais (Plouay, Le Scorff), Ar Borgn (2011:17)

circonstancielle-S-NEG-V

(1) Pa vez sec'h an traoù, ar chas n'int ket 'vit mouezhetat.
quand1 est sec le choses le chiens ne1 sont pas pour renifler
'Quand il fait sec, les chiens ne peuvent pas renifler.'
Séglien, Le Scorff, Ar Borgn (2011:52)

C+T2

Press (1986:209) note que met, hogen, 'mais' et rak, 'car' n'ont pas besoin d'être immédiatement suivis du verbe fléchi. C'est pour lui le signe que ce ne sont pas des conjonctions de subordination.


(2) Me a breno ar sae, hogen c'hwi a wisko anezhi.
moi R1 achètera le robe mais vous R1 habillera P.elle
'J'achèterai la robe, mais tu la mettras.'
Standard, Press (1986:205)


La disjonction pe, 'ou bien', a la même propriété.

Licence poétique

Comme en français, la poésie et les chansons permettent des inversions et des topicalisations multiples que l'on ne trouve pas par ailleurs dans la langue orale.


objet + circonstanciel + NEG + verb

(7) Ar bank en tan ne lakaer ket Dre ma vez an alc'hwez kollet.
le coffre en.le feu ne1 met.on pas <le coffre> <dans le feu> par que4 est le clef perd.u
'On ne jette pas le coffre au feu pour en avoir perdu la clef.'
Littéraire Barzaz Breiz 177-178
cité dans Menard (1995:17)


Faux cas de T3

incises

Il semble pouvoir y avoir des incises de façon assez libre entre un élément initial et le verbe tensé. À l'écrit, ces incises sont signalées par des virgules. À l'oral elles le sont par des pauses prosodiques.


(1) Aliez, memestra, e-nijent eur banne zoubenn en eun ti bennaked e kêr.
souvent tout.de.même R4 avaient un verre 1soupe en un maison quelconque en ville
'Ils avaient tout de même souvent un peu de soupe chez quelqu'un en ville.'
Cornouaillais, Skragn (2002:60)


(2) Hag, er mare-se, an tad a lavaras ur wech c'hoazh e oa ret gortoz ur pennadig.
et dans.le moment-ci le père R1 dit un 1fois encore R4 était nécessaire attendre un moment.DIM
'Et, encore une fois, à ce moment-là, le père dit qu'il fallait attendre un petit peu.'
Standard, Riou (1957:15)


Lorsque le rannig varie selon le premier élément d'un ordre T3, il est probable que l'élément entre les deux soit une incise, c.a.d. un élément qui n'intègre pas la structure syntaxique à part entière.

modification de l'élément initial

En (4), la proposition circonstancielle de temps modifie non pas la phrase, mais le sujet 'le cultivateur'. Le faux sujet est donc ici le seul élément devant le rannig.


(4) Al labourer douar, [ a-benn ma vez hanter-kant vloaz], a vez friket e gorf gand al labour.
le travaill.eur terre quand que4 est moitié-cent1 an R est brisé son1 corps avec le travail
'Le cultivateur, quand il arrive à cinquante ans, a le corps brisé par le travail.'
Trégorrois, Gros (1984:53)

Diachronie

En moyen breton, on peut trouver des ordres V3 avec un objet antéposé au-dessus d'un sujet.


(1) Neuze en general ar Salut me a rent.
donc en général le salut moi R rend
'Donc en général je rends le salut.'
Breton 1909, SP. I.50, cité par King (1982:85)

Horizons comparatifs

Les langues à verbe tensé second (T2), à travers les langues du monde, sont de deux types: celles qui imposent strictement un ordre à verbe tensé second, comme le norvégien, et celles qui imposent un ordre où le verbe tensé est au moins en seconde position (pour une tentative de typologie, voir Jouitteau 2010).


les langues à ordres strictement T2

Dans le premier type, représenté par les langues germaniques telles que le norvégien, il n'y a qu'un seul élément qui peut apparaître devant le verbe tensé. Les ordres T3 y sont complètement agrammaticaux, à l'exception de certaines particules focales comme qui peuvent s'ajouter devant le verbe tensé en scandinave continental (Holmberg, présentation à GIST).

Walkden, George & Virve Vihman (présentation à GIST), montrent que si l'estonien écrit est strictement V2, les variétés orales montrent des ordres V3.


les langues à ordres minimalement T2

Dans le second type, qui inclut le breton, il peut y avoir plus de matériel qu'un seul constituant devant le verbe tensé en matrices. Le breton n'est pas la seule langue T2 à autoriser aussi des ordres T3. A l'époque médiévale, toutes les langues celtiques brittoniques permettaient des ordres T3 et plus. Cependant, il n'y avait jamais plus d'un argument devant le verbe tensé en dehors des cas de licence poétique (Eska 2020).

On trouve aussi des ordres de mots minimalement T2 dans plusieurs langues romanes anciennes, comme le vieil italien (Franco 2009b:149), le rhaeto-romance (Poletto 2002), le ladin (Casalicchio & Cognola 2018).

Dans le domaine germanique, les langues anciennes montrent aussi des ordres T3, comme le vieux haut-allemand (Tomaselli 1995) ou le vieil anglais (Roberts 1996) qui autorise des ordres disloqués à gauche en plus d'un focus. Une langue germanique moderne autorisant le T3 est le Mòcheno, langue germanique parlée par 580 personnes dans trois villages du Nord de l'Italie. Kiezdeutsch, une variante de l'allemand émergente dans les communautés multiethniques urbaines, autorise un adverbe temporel et un sujet à précéder le verbe tensé (Auer 2003, te Velde 2017). Ces ordres Adv–S–Vfin émergent aussi en allemand standard, avec une prosodie contrastive sur l'adverbe central (Breitbarth 2021).


(1) [Gester ] [ (der Mario) ] hòt (der Mario) kaft a puach .
hier (le Mario) a (le Mario) acheté un livre
'Mario a acheté un livre hier.'
Germanique (Mòcheno), Cognola (2013:9)


(2) Jetz ich bin 18.
maintenant je suis 18
'Maintenant j'ai dix-huit ans.'
Germanique (Kiezdeutsch, argot turque de l'allemand), Auer (2003:259)


On trouve aussi des ordres T3 dans une autre langue T2 qui n'est ni romane ni germanique: le Karitiana (langue Arikém parlée par 350 personnes au Brésil). Dans l'exemple en karitiana en (3), on peut remarquer que comme en breton, le focus et le topique suspendu peuvent apparaître tous deux devant le verbe tensé. Cependant, par rapport au breton, les places respectives du focus et du topique suspendu sont inversées.


(3) [Gok myry' in ] yn na-amang andyk-i (yn) .
manioc seulement 1SG décl.planter ASP-futur 1SG
'Quant à moi, je ne planterai que du manioc.'
Arikém (Karitiana), Storto (2011).


Bibliographie

breton

  • Jouitteau, Mélanie. 2010. 'A typology of V2 with regard to V1 and second position phenomena: an introduction to the V1/V2 volume', Jouitteau (éd.), Verb-first, Verb-second, Lingua.
  • Schapansky, Nathalie. 1996. Negation, Referentiality and Boundedness in Breton, a case study in markedness and asymmetry, thesis ms.
  • Timm, Lenora. 1989. 'Word Order in 20th century Breton', Natural Language and Linguistic Theory 7: 3. 361-378.

moyen breton


horizons comparatifs

  • Auer, Peter. 2003. Türkenslang': Ein jugendsprachlicher Ethnolekt des Deutschen und seine Transformationen', Häcki Buhofer, Annelies (éd.), Spracherwerb und Lebensalter, Tübingen: Francke. 255-264.
  • Breitbarth, Anne. 2021. 'Prosodie, Syntax und Diskursfunktion von V>2 in gesprochenem Deutsch', Deutsche Sprache: Zeitschrift für Theorie, Praxis und Dokumentation, xx-xx. texte.
  • Casalicchio, Jan & Federica Cognola. 2020. 'Parametrising 'lexical subject - finite verb' inversion across V2 languages. On the role of Relativised Minimality at the vP-edge', Th. Biberauer, S. Wolfe, R. Woods (eds.), Rethinking Verb Second, Oxford/New York: Oxford University Press.
  • Cognola, Federica. 2013. Syntactic Variation and Verb Second, A German dialect in Northern Italy, [Linguistik Aktuell/Linguistics Today, 201], John Benjamins.
  • Holmberg, Anders. 20?? 'On the V3 particle så in Mainland Scandinavian, including Fenno-Swedish', présentation à GIST, Gent texte.
  • Poletto, Cecilia. 2002. 'The left-periphery of V2-Rhaetoromance dialects: a new view on V2 and V3', Sjef Barbiers, Leonie Cornips & Susanne van der Kleij (éds.), Syntactic Microvariation, 214–242. (Meertens Institute Electronic Publications in Linguistics 2). Amsterdam: Meertens Institute.
  • Roberts, Ian. 1996. 'Remarks on the Old English C-system and the diachrony of V2', Language Change and Generative Grammar, Ellen Brandner & Gisella Ferraresi (éds), 154–167. Linguistische Berichte: Sonderheft 7.
  • Storto, Luciana. 2011. 'Focus phenomena in Karitiana', communication orale à l'université Paris-Diderot (Linglunch).
  • Tomaselli, Alessandra. 1995. 'Cases of V3 in Old High German', Clause Structure and Language Change, Adrian Battye & Ian Roberts (eds), 345–369. Oxford: OUP.
  • Grewendorf, Günther. 20xx. 'Double Fronting in Bavarian Left Periphery', U. Shlonsky (éd.), Where do we go from here, Oxford University Press, xx-xx.
  • te Velde, John R. 2017. 'Temporal adverbs in the kiezdeutsch left periphery: Combining late merge with deaccentuation for v3', Studia Linguistica, 71(3):301-336.
  • Walkden, George & Virve Vihman. 20??. 'V3 in Estonian', présentation à GIST, Gent, abstract