Les articles

De Arbres
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Les articles en breton standard sont an, al, ar pour l'article défini et un, ul, ur pour l'article indéfini. La voyelle marque la définitude, et la consonne dépend de l'élément phonologique qui suit.


(1) Anmañ ar c'hourrier a vez kavet da zeiz eur.
ici le 5courrier R est trouv.é à1 sept heure
'Ici ils livrent le courrier à sept heures.'
Léonard (Lesneven/Kerlouan), Y. M. (04/2016)


Morphologie

description générale

La distribution de la consonne finale (-n, -l, -r) dépend du contexte phonologique, suivant les règles phonologiques d'un dialecte donné, et ne change jamais le sens de l'article.

La morphologie alterne donc principalement sur la voyelle, avec deux bases vocaliques: [ ɑ̃ , ɑ ] (an, al, ar), vs. [ ə / ø / œ / y ] (un, ul, ur).

Cette alternance duale marque la définitude du nom (1) si rien d'autre ne le fait (2):


(1) ti, an ti, un ti

'maison', 'la maison', 'une maison'

(2) ho ti, ti Marjanik, mais pas * ho an ti, ni * an ti Marjanik

'votre maison', 'la maison de Marjanik'


Les articles, an, al, ar et un, ul, ur, ne portent pas de suffixe de nombre. Cependant, l'article indéfini un, ul, ur est restreint à la précédence d'un nom singulier. Comme il n'a pas de réalisation devant les noms pluriels, on pourrait choisir de considérer que sa forme plurielle est phonologiquement vide, ce qui constitue une alternance de nombre.


(3) un ti, Ø tiez, mais pas * un tiez

'une maison', 'des maisons'
an ti, an tiez
'la maison', 'les maisons'


Les articles, an, al, ar et un, ul, ur, ne portent pas de suffixe de genre. Les spécifications abstraites de genre et de nombre du nom sont décelables dans le type de mutation consonantique que la présence de l'article provoque sur ce nom.


Les articles définis et indéfinis ont un comportement différent pour la cliticisation. Lorsque la préposition e 'en, dans' précède un article défini, il peut en résulter un morphème porte-manteau en (en ti 'dans la maison'). Cette cliticisation est indisponible pour l'article indéfini (en un ti mais pas * en ti 'dans une maison').

variation dialectale

dans la consonne finale

standard et Léon

En standard, la consonne finale de l'article montre une alternance phonologique -n, -r, -l. La consonne finale est réalisée [ n ] devant [ n, d, t, h ] ou une voyelle; [ l ] avant [ l ] ; et [ r ] partout ailleurs.

À ne pas confondre: Les noms comme ar ouenn 'la race', ar ouiziegezh 'la science' ou ar ouizidigezh 'la connaissance' n'ont qu'à l'écrit une voyelle à l'initiale. Ils débutent par une consonne initiale en /w/.


trégorrois

En trégorrois de Plougrescant, la forme terminée par une nasale ([ n ]) apparaît devant les noms commençant par t, d ou une voyelle.

"Devant les noms commençant par une consonne autre que t- ou d-, l'article disparaît après finale vocalique […] dans les autres positions il se réalise e" (Le Dû 2012:42).


(4) Mẽ wié tœjé mœdœsin.
moi savais R4 viendrait médecin
'Moi, je savais que le médecin viendrait.'
Trégorrois (Plougrescant), Le Dû (2012:107)


(5) e bèrn labour-zé

ar bern labour-se
le tas travail.
'ce tas de travail'
Trégorrois (Plougrescant), Le Dû (2012:41)


La forme de l'article en -r "n'est utilisée que dans un style solennel […] elle n'apparaît presque jamais dans le langage courant." (Le Dû 2012:43).

pays Glazik

À Locronan, la forme de l'article défini peut être abrégée en /a/ et la forme de l'article indéfini peut être or /ɔr/ or pezh sklabous 'une sapré patouille' (A-M. Louboutin (10/2021)).


(6) Me garfe mat ma nefe tout a brozioù chakodoù.
moi R1 aimerait bien si 3.aurait tout le jupe.s poche.s
'J'aimerais bien si toutes nos jupes avaient des poches.'
Cornouaillais (Locronan), A-M. Louboutin (10/2021)


(7) A bank zo kouet g'or pezh mell trouz.
le banc R1 est tomb.é avec un morceau grand bruit
'Le banc est tombé en grand fracas.'
Cornouaillais (Locronan), A-M. Louboutin (10/2021)


Noyer (2019:160) relève plusieurs cas à Briec de liquide devant une voyelle. Tous ces cas sont avec la préposition gant (gant al... /gal/).


(8) [ møz gwɛt gal aˈmɑ᷉n duːs ]
E meus graet gant al amann dous. Graphie standard
R 1SG.a fa.it avec le beurre doux
'Je l'ai fait avec le beurre doux.'
Cornouaillais (Briec), Noyer (2019:160)


cornouaillais de l'est maritime

Selon German (2007:166), dans la région allant de Fouesnant à Riec, an se trouve comme en standard devant /t/, /d/ et les voyelles, mais aussi devant /p/, /b/, /g/, /h/, /w/ et occasionellement devant /s/ et /m/.


(8) N'oun ket hann ema chomet haoñ ba'n ger.
ne1 sais pas si est rest.é lui dans le 1foyer
'Je ne sais pas s'il est resté à la maison.'
Cornouaillais (Saint-Yvi), German (2007:174)


En cornouaillais de l'Est à Riec (Bouzeg 2012, c.p.), cette consonne est :

[ m ] devant [ b, m, p ] ,
'm bloaz, 'm mare, 'm pôt, 'm pouez
'l'année, le temps, le garçon, le poids'
et [ n ] devant [ d, g, h, t, v ] et les voyelles.
'n deiz, 'n gwez, 'n heol, 'n tad, 'n arat, 'n oad, 'n ui
'le jour, l'arbre, le soleil, le père, le labourage, l'âge, l'œuf'
Selon Bouzeg (1986:25), on entend un [ r ] "atténué" devant [ l ]
'r loar, 'r levr

L'article peut aussi ne pas être prononcé du tout dans ce dialecte.

vannetais

Dans la vallée du Scorff, on trouve des exemples de ar devant une voyelle.


(1) Tec'het ' neus kuit dirak ar eontroù-kordenn.
enfui R 3.a parti devant le oncle.s-corde
'Il s'est échappé devant les gendarmes.'
Vannetais (Le Scorff), Ar Borgn (2011:38)


On trouve aussi une finale en n devant [X], que Ar Borgn (2011:76) relève comme un trait du bas-vannetais, et devant un [w].


(2)a. C'hwi 'zo c'hwi un c'hwil.
vous est-vous un loustic
'Toi, tu es un loustic.'
Vannetais (Le Scorff), Ar Borgn (2011:76, 108)


(2)b. An wiz a zozva.
le truie R1 pond
'La truie pond.' (!)
Vannetais (Le Scorff), Ar Borgn (2011:76, 108)


  • On trouve [r] devant une liquide ([l]) en vannetais:


(3) [ bøde pət a bɛmdø a: mam belo dər labur ]
bout eo bet ha me ' yae bemdez àr ma belo d'ar labour.
être est été que moi R1 allait chaque.jour sur mon2 vélo à le travail
'Il fut un temps où j'allais tous les jours au travail à vélo.'
Vannetais (Kistinid), Nicolas (2005:51)


(4) Un arrest a ra Alan kent digor kloued ar liorzh.
un arrêt R fait Alan avant ouvrir barrière le jardin
'Alan s'arrête avant d'ouvrir la barrière du jardin.'
Vannetais, Ar Meliner (2009:105)


L'absence d'accommodation de consonne finale en vannetais est ancienne. En 1499, le voyageur allemand Arnold von Harff rapporte dans son glossaire la forme notée honoreck 'une femme', avec un article en /n/ final (cf. ur wreg).

diachronie
 German (2007:166): 
 "In Cornish and Middle Breton, an was the usual form of the definite article in all positions (not ar and al). This archaic feature of southern Cornouaillais Breton disappeared everywhere else in Lower Brittany, but has been preserved in place names throughout western Brittany, such as Kerampont, Keramborgne, Kerangall, etc. Nevertheless, when d'Arbois de Jubainville came to Fouesnant in 1874, he specifically stated that he heard neither ar, nor al here."


dans la réalisation de la voyelle

breton central et haut-cornouaillais (et bas-cornouaillais)

L'article indéfini ur du standard correspond à la réalisation en or en breton central et haut-cornouaillais. Cette voyelle irradie jusqu'en bas-cornouaillais.


(1) or mell bern keneud
un grand tas bois
'un énorme tas de fagots'
Breton central, Favereau (1984:392)


(2) 'Po ke' me' selled, ene zo or pezh blokad rehier.
2.aura pas mais voir y est un gros bloc rocher.s
'Tu n'auras qu'à regarder, il y a là un gros bloc de rochers.'
Breton central (Poullaouen), locuteur né vers 1910
Favereau (1984:438)


(3) Kompen a raoñ la out gwasket on tamm.
comprendre R fais que es oppress.é un morceau
'Je comprends que ça te pèse.'
Breton central (Poullaouen), locuteur né vers 1910
Favereau (1984:439)


(4) / o dãtin ɛl møs /
un dantin all 'meus.
un 1tante autre R.1SG a
'J'ai une autre tante.'
Cornouaillais (Carhaix), Timm (1989:366)


En Bas-cornouaillais en pays glazik à Locronan, la voyelle peut être /o/ (or verc'h vihan 'une petite fille), mais l'article peut aussi être standard ou entièrement absent phonologiquement.


(5) Ame zo verc'h vihan kollet he-unan.
ici est un 1fille 1petite perd.u son-un
'J'ai ici une petite fille perdue toute seule.'
Cornouaillais (Locronan), A-M. Louboutin (10/2021)
perte de distinction dans toute l'aire centrale

En Goëlo, Koadig (2010:25) note que pour certains locuteurs, il n'existe qu'un seul paradigme d'articles, dont la consonne fluctue.

 "Tud 'zo ne lakaont kemm ebet etre ar gerioù-mell strizh hag ar re amstrizh hag ober a reont koulz gant ër pe eur, ën pe eun, ë pe eu.
 Darn all a laka kemm evel m'eo merket e-barzh en Atlas Yezhoniel met hep na vehe reizhiadek."
 

Dans certains de ses exemples, l'article semble même absent.


(2) Mè zèll dë gê _ poñnt.
moi regarde P P ø pont
'Je regarde le pont.'
Goëlo, Koadig (2010:48)


Selon Le Dû (2012:43), l'opposition défini/indéfini ne s'observe que pour certains noms monosyllabiques.

Avezard-Roger (2007:40, fn38) note des exemples en Centre Bretagne (Duault) et en Cornouaille (La Forêt-Fouesnant) où la distinction défini/indéfini n'est pas réalisée sur l'article (et l'article n'est parfois pas réalisé du tout).


(3) [ wa n øʁt ]
était def-indef noce
'C'était la noce.'
Breton central (Duault), Avezard-Roger (2007:40)


(4) [ wa vjɛ†X a wa m pot ]
était 1fille et était def-indef garçon
'Il y avait la fille et il y avait le fils.'
Cornouaillais (La Forêt-Fouesnant), Avezard-Roger (2007:40, 2004a:123)


 Bouzec & al. (2017:15):
 "Les articles, définis ou indéfinis, sont souvent élidés à Riec et Bannalec, sourtout ar/ur. Mais c'est bien moins vrai à Moëlan ou Clohars. Il est en outre délicat de différencier les articles définis des articles indéfinis. Souvent, seul le contexte permet la distinction. 
 Remarque: contrairement à l'usage standard, un indéfini devant un nom d'une seule syllabe ne prend pas l'accent tonique." 


Ci-dessous, comme noté par German (1984) pour Saint-Yvi, l'article n'est décelé que par la mutation induite.


(5) / giž vex /
e-giz (ur) verc'h Graphie standard
comme ø1 fille
'comme une fille'
Saint-Yvi, German (1984:87)


(6) 'Ma koéñt veuc'h.
Emañ koeñvet ar vuoc'h. Équivalent standardisé
est enfl.é (le)1 vache
'La vache est enflée, météorisée.'
Cornouaillais de l'Est, Bouzec & al. (2017:310)


(7) Don' ra ' waz'd téo benn gouséf yè.
Dont a ra ar wazed tev pa goshaont. Équivalent standardisé
venir R fait le 1homme.s gros quand1 vieil.it eux
'En vieillissant les hommes grossissent.'
Cornouaillais (Riec), Bouzec & al. (2017:89)


En (8), il n'y a pas même de mutation induite.


(8) Daw vo rei foenn da zaout…
Dav e vo reiñ foenn d'ar saout… Équivalent standardisé
obligé R sera donner foin à1 le vaches
'Il faut donner du foin aux vaches… '
Cornouaillais de l'est maritime, Bouzec & al. (2017:310)

mutation

L'article peut provoquer une mutation sur un nom féminin singulier ou masculin pluriel.

Ces mutations sont sujettes à des variations dialectales dans leur réalisation (voir par exemple la carte 302 de l'ALBB, '(Dites la) vérité', où l'initiale de gwirionez, 'vérité' oscille entre v, w et u).


accentuation

Les articles définis et indéfinis ne se comportent pas de la même manière pour l'accentuation.

L'article défini n'est généralement pas accentué (Hemon 1995:§282), alors que l'article indéfini est souvent traité comme la première syllabe du groupe nominal pour le système accentuel (Hemon 1995:§281, Gros 1984:178, 141).


 Gros (1984:178):
 "En Trégor, eun, eur, eul ne forme qu'un seul mot avec le nom qui le suit et, lorsque ce dernier n'a qu'une syllabe, l'accent tonique tombe sur l'article indéfini.
 
 eun ti, accentué: eun ti; 'une maison'
 eur harr, accentué: eur harr; 'une charrette'
 
 Cet accent tonique est encore plus fort lorsque l'article indéfini est employé emphatiquement, avec un sens exclamatif, comme il l'est fréquemment en trégorrois parlé.
 
 Hennezh zo eur gwaz, me lavar dit !; 'C'en est un homme fort, celui-là, je t'assure !'
 […]
 
 Avec les substantifs de plusieurs syllabes, c'est le substantif qui porte l'accent tonique."


variation dialectale

On observe une variation dialectale dans cette accentuation. Tout d'abord, dans les dialectes comme le vannetais où l'accentuation n'est pas sur la pénultième mais en fin de groupe, on ne peut pas voir si l'article indéfini est ou non considéré comme faisant partie du groupe pour l'accent.

Conformément à la description standard, un article défini inaccentué et un article indéfini accentué sont décrits à Botsorhel en Trégor (Le Gall 1903), ou à Ouessant (Malgorn 1909).

Dans la carte 202 de l'ALBB, hors de l'aire vannetaise, on voit que l'accentuation de l'article indéfini devant le monosyllabique gad/c'had 'lièvre' est très répandue, mais cependant pas systématique. Bouzec & al. (2017:15) remarque qu'en cornouaillais de l'est maritime, "contrairement à l'usage standard, un indéfini devant un nom d'une seule syllabe ne prend pas l'accent tonique".


Syntaxe

Les articles font partie de la classe des déterminants, comme les quantifieurs.

propriétés clitiques

Stephens (1992:148) remarque que l'article n'est pas syntaxiquement indépendant, "mais se présente plutôt comme un clitique. On ne peut pas le faire suivre de noms liés par une coordination comme ce serait le cas s'il s'agissait d'un déterminant ordinaire" (ar paotr hag ar plac'h, et non pas * ar paotr ha plac'h).


noms propres

Les noms propres de fonction sont précédés de l'article, sauf lorsqu'ils sont au vocatif ("en apostrophe", Hingant 1868:132).

'monsieur le recteur', ann aotrou person
'monseigneur l'évèque', ann otro 'n eskop
'madame', ann itron, Hingant (1868:132)

Il y a un flou dans l'usage de l'article devant les noms de famille.


(1) Lavar kerc'hat Ar Prad aman.
dis chercher le Prat ici
'Fais dire à Prat de venir ici.'
Breton central (Kergrist-Moëlou), Le Garrec (1901:64)


modification

Hingant (1868:132) note que les relatives restrictives complément du nom ne provoquent pas la disparition de l'article. La présence d'un adjectif modificateur n'a pas non plus d'impact.

ann tog plouz hoc'h euz gret d'in (*Ø tog plouz hoc'h euz gret d'in)
'le chapeau de paille que vous m'avez fait'


l'indéfini un, ul ur et le cardinal unan

Le cardinal unan, lorsqu'il suit un nom, apparaît sous la forme un, ul ur (un aval, 'une pomme' mais * unan aval).


Unan peut aussi être précédé de un, ul, ur, il réalise alors un minimiseur.


(2) Mat, Per, n'o doa ket frigaset un unan zoken.
bien Per ne 3PL avait pas écras.é un un même
'Bien, Per, ils n'en avaient pas écrasé la moindre.' (pas même une motte)
Léonard, Abeozen (1986:59)


l'indéfini un, ul ur devant un duel ou un pluriel

L'article singulier est disponible devant un duel ou devant un nom collectif, malgré le fait que les collectifs soient syntaxiquement pluriels.


(3) Eun daoulagad glaz, eur bleo bloundin...
un deux.œil bleu/vert un chevelure blond
'Des yeux clairs, une chevelure blonde … '
Léonard (Bodilis), Ar Floc'h (1922:347)


Rezac (c.p.) note aussi que un, ul, ur se trouve aussi devant des pluriels morphologiques comme ur geriennoù bennak 'quelques mots' (cf. Kergoat & al. 1989:41, Favereau 1997:§36). Ces cas d'article au singulier devant des pluriels morphologiques sont réduisibles à des ellipses d'un nom singulier. Ces ellipses sont conventionnalisées (nebeut 'peu', niver 'nombre'), et ressortent dans l'interprétation. Lorsqu'un adjectif apparaît dans le groupe nominal, c'est ce nom singulier qu'il modifie.


les cas d'ellipse d'un nom singulier

Dans certains cas, on peut voir la trace de l'ellipse d'un nom singulier et d'une préposition a1. En (4), le sens de la phrase montre que l'adjectif bras ne modifie pas tud ('il ne s'agit pas de gens particulièrement grands'), mais le nombre de ces personnes qui composent la foule (un niver a dud bras awalc'h). Le nom pluriel tud, a dud, est en fait un modificateur du nom singulier niver qui a été élidé.


(4) Un _ _ dud bras a-walc'h a oa oc'h ober an engroez ...
un <nombre> de1 gens grand assez R1 était à+C,4 faire un foule
'La foule était dense ...'
Standard, Mordiern & Menard (1992:32)


Ce même exemple un dud bras awalc'h permet aussi d'écarter l'hypothèse selon laquelle les cas d'article devant un nom pluriel seraient en fait des singuliers malgré leur apparence plurielle (cf. Menard & Kadored 2001:'kartoù','tud'). On voit que tud est bien un pluriel, car si cela avait été un nom singulier, on se serait attendu à une absence de mutation (on n'a pas * un tud).


ellipse de nebeut

Le modificateur bennak, 'X quelconque, quelque X, quelques X' est restreint aux noms au singulier. Lorsqu'il apparaît à la suite d'un nom pluriel, c'est le signe qu'un nom singulier a été élidé. L'interprétation pointe alors souvent vers l'élision de nebeut 'peu' car bennak ne peut pas alors signifier 'quelconque', mais 'peu de, quelques X'


  • eun _ deiziou bennak
'quelques jours, peu de jours'
Breton pré-moderne (1911), SKRS.:p.169 cité par Hemon 2000:§88)
  • ''un deizioù bennak, ur gerienn bennak, un hinienn bennak
'quelques jours', 'quelques mots', 'quelques individus'
Standard, Menard & Kadored 2001:'bennak')

Doublement d'article

devant un adjectif

L'article défini est parfois doublé devant un adjectif superlatif. Il est possible qu'il s'agisse, dans les cas de doublement de l'article, d'une substantivisation de l'adjectif superlatif qui est ensuite placé en apposition du nom (cf. la maison, la plus grande du bourg).

Le trégorrois Le Clerc (1986:130) signale et désapprouve cette forme de doublement ("on dit moins bien en répétant").


(4) an ti (ar) brasañ er vourc'h
le maison le grand.le.plus en.le 1bourg
'la maison la plus grande du bourg'
Vannetais, Nicolas (2005:22).


(5) an hini (ar) goshañ
le N1 le 1vieux.le.plus
'la plus vieille'
Vannetais, Nicolas (2005:22).


Ces doublements devant l'adjectif existent en français (la maison la plus vieille), et sont comme en breton restreints aux superlatifs.

En contraste, des doublements du déterminant devant tout adjectif sont aussi documentés en hébreu, en arabe (Ouhalla 2009) ou en grec moderne.


devant un titre

En breton, l'article peut précéder les noms aotrou et itron ('monsieur' et 'madame') lorsqu'ils ne sont pas au vocatif. Les titres doubles obtiennent donc un effet de doublement: an aotrou an eskop (/le monsieur l'évèque/, 'monseigneur l'évèque').


devant un numéral

Il est possible d'avoir un article défini suivi d'un article indéfini. Le premier est imposé ici par le démonstratif discontinu an.… -se. Le second est imposé par la règle qui remplace le cardinal 1 unan par un, ul, ur lorsqu'un nom le suit directement.


(1) Degas an ur mein ha tregont-se din.
envoie le un roche et trente. à.moi
'Amène-moi ces trente et une roches.'
Léon/Standard, M. Lincoln (07/2016), c.p.


Absence d'article

Certains noms apparaissent sans aucun article dans des environnements syntaxiques particuliers.


dépendant possesseur direct

Dans la pluparts des dialectes, l'article n'apparaît pas lorsque le nom a un dépendant possesseur direct (état construit).


(3) Roi __ fest ar vaz
donner fête le 1bâton
'frapper'
Le Berre & Le Dû (1999:35)


(4) a. ø penn ma biz (*ar penn ma biz)
extrémité mon2 doigt
'l'extrémité de mon doigt'
(4) b. ø moger al liorz (*ar voger al liorz)
mur le jardin
'le mur du jardin'
(4) c. ø tog Iann (*ann tog Iann)
chapeau Yann
'le chapeau de Iann'
Hingant (1868:132)


même avec démonstratif

Les démonstratifs sont analytiques en breton et débutent par un article défini. Un dépendant possesseur, complément direct du nom, implique la disparition de cet article défini.


(5) an dour-se

'cette eau'

(6) ø dour lous-mañ ar gêr

_ eau sale.ci le ville
'l'eau sale de la ville'


nom modifié attribut

Trépos (1968:§179) note que "l'article indéfini peut se supprimer devant le nom complété lorsque celui-ci est attribut", comme dans Me grede din e oa __ mab da Ber.


(1) __ Douar diaes d'arat oa hennezh.
terre difficile à1 labourer était celui-là
'C'était une terre dure à labourer.'
Cornouaillais (Plogonnec), Kergoat (1976:54)

indéfinis pluriels (sans bennak)

Les indéfinis pluriels ne prennent normalement pas d'article.


(2) Staga ø boutonou
attacher bouton.s
'faire traîner le travail' (référence au tailleur)'
Le Berre & Le Dû (1999:41)

comptables; noms nus

Les noms singuliers comptables sans déterminant sont des noms nus.


X pe Y

Ci-dessous, l'article n'apparaît pas devant les noms pik et bran. La lecture semble être celle d'un indéfini singulier.


(4) ø Pik pe ø vran ne hwito ked da gonta.
pie ou1 corbeau ne1 manquera pas de1 conter
'Quelqu'un vendra bien la mèche.'
Le Berre & Le Dû (1999:56)


'en robe'

Gourmelon (2014:127) note que certaines expressions caractérisant quelqu'un par son ou ses habits montrent une absence d'article. L'habit est alors sémantiquement "symbole d'un âge, d'une origine, d'un état".


(1) Soñj 'm eus eus da dad, sae gantañ c'hoazh.
mémoire 1SG a de ton1 père robe avec.lui encore
'Je me souviens de ton père encore en robe.' (à - de trois ans)
Gourmelon (2014:127)


(2) Ur sae lous a oa gantañ.
un robe sale R1 était avec.lui
'Il avait une robe sale.'
Gourmelon (2014:127)


Ce contraste a un parallèle en français avec en robe vs. en une robe. On trouve la même opposition avec Elle sortait en cheveux (* sales) et un religieux en robe (* sale). L'absence d'article y est parfois datée, et n'est pas obligatoire partout (Nul n'est besoin de porter chapeau pour entrer., mais Elle portait le bonnet à ravir).

adjectif comparatif antéposé

Un adjectif comparatif de supériorité antéposé au nom provoque la disparition de l'article.


(3) Lan a lavar d'e vab rei peoc'h gant aon da zigeri brasoc'h gouli e kalon an tad koz.
Lan R dit à son1 fils donner paix avec peur de1 ouvrir grand.plus blessure en cœur le père vieux
'Lan dit à son fils de se taire de peur d'ouvrir plus grand la blessure dans le cœur du grand-père.'
Cornouaillais (Pleyben), Ar Floc'h (1950:71)


(4) N'am-eus ket bet anavezet morse gwasoh c'hoantuzenn.
ne1 R.1SG a pas eu conn.u jamais pire envi.eus.e
'Je n'ai jamais connu de pire envieuse.'
Cornouaillais (L'Hôpital-Camfrout), Le Gall (1957:'c'hoantuzenn')

adjectif superlatif nominalisé

(5) Gwellañ oa da ober oa se.
mieux était à1 faire était ça
'C'était le mieux à faire.'
Léonard (Bodilis), Ar Floc'h (1922:54)


expressions

Dans certaines expressions verbales, où le nom n'est pas comptable, ce sont plausiblement des noms incorporés sémantiquement à la tête verbale, comme dans reiñ bronn 'donner (le) sein'.


(1) Rei bronn d'ar bal
donner ø sein à le 1pelle
'se la couler douce, faire une pause'
Le Berre & Le Dû (1999:39)


(2) C'hoari ø troadig kamm. , c'hoari ø mouchig dall
jouer pied.DIM boiteux jouer bandeau.DIM aveugle
litt. 'jouer petit pied boiteux', 'jouer petit bandeau aveugle'
Le Berre & Le Dû (1999:105, 106)


(3) Deh em-oa bet ø lizer diganti.
hier R.1SG avait eu lettre de.elle
'Hier j'ai reçu une lettre d'elle.'
Gros (1970b:§'lizer')


(4) Kavet a ran-me ø gwele e ti mignoned vat hag ar vourc'h.

'Moi je trouve un lit chez de bons amis du bourg.'
Vannetais, Herrieu (1994:14)


(5) Leun eo ø kêr a soudarded.

'La ville est pleine de soldats.'
Vannetais, Herrieu (1994:84)


(6) Get ar glac'har, e pellaas-eñ ø bro.

'De tristesse, il quitta son pays.'
Vannetais, Herrieu (1994:281)


à l'initiale

Les groupes nominaux sans article semblent se trouver souvent à l'initiale de phrase.


(1) ø buhez hir a reketan dezhi.
vie long R1 souhaite de.elle
'Je lui souhaite longue vie.'
Léonard (Bodilis), Ar Floc'h (1922:156)


La présence du groupe à l'initiale montre que s'il y a incorporation, elle est uniquement sémantique et non syntaxique, car le nom sans déterminant peut être antéposé à son verbe fléchi.


(2) ø Bod e roas _ din ar porzhier.
abri R donna _ à.moi le port.ier
'Le portier m'offrit l'hospitalité.'
Trégorrois, Priel (1957:210)
cité dans Le Gléau (1973:17)


(3) ø Urz a oa bet da nompaz kuitaad an tiez e-pad an noz.
ordre R1 était été de1 ne.pas quit.ter le maison.s pendant le nuit
'Le couvre-feu avait été déclaré.'
Léonard (Plouzane), Briant-Cadiou (1998:193)


(4) ø Taolenn ha ø blaz braouac'hus ne vo ket tu da hani ac'hanomp ankouaat ken tre ma vevahomp !

'Un tableau et une odeur effarants qu'aucun de nous n'oubliera tant qu'il vivra.', Vannetais, Herrieu (1994:24)


optionalité et variation

Il y a des zones d'optionalité dans la présence de l'article (cf. dre eñvor 'par coeur').


(5) Her gouzout a raen dre 'n eñvor.
le savoir R1 faisait par le souvenir
'Je le savais par cœur.'
Léonard (Bodilis), Ar Floc'h (1922:20)

Sémantique

Les articles sont des quantifieurs existentiels.


lectures plurielles

expressions

Quand on dit J'aime bien prendre le train, malgré l'article défini qui d'habitude présuppose l'unicité du référent, plusieurs trains sont en cause. Ces lectures sont plus rares hors des contextes génériques mais existent dans certaines expressions.


(1) Lod o-doa ar brud da deuler eur sort. Setu ma veze aon araozo.
certains 3PL avait le réputation de1 jeter un sort voici que4 était peur devant.eux
'Certains avaient la réputation de jeter des sorts. Donc on avait peur d'eux.'
Léonard (Plouzane), Briant-Cadiou (1998:26)


lecture générique d'un indéfini

L'indéfini peut avoir une lecture d'espèce dans une phrase générique.


(2) Un ivraign e goll é speret a nebedigueu, e uz é yéhæd.
un ivrogne R1 perd son1 esprit à peu.DIM.PL R1 use son1 santé
'Un ivrogne perd son esprit petit-à-petit, s'use la santé, (...).'
Vannetais pré-moderne (1830), IS.
cité dans Louis (2015:209)


Diachronie

En moyen breton, l'alternance phonologique -n, -r, -l n'a pas émergé et les finales sont en n.

(3) da-n re man pep tro ez roher

'On donne toujours à ceux-là.', Breton 1557, B. 657


L'article indéfini semble ou aisément élidé, ou n'être pas projeté du tout.

 Le Berre (2009:17):
 "Le déterminant indéfini est absent alors qu'il est attendu dans : clezeff don (v. 8) ; clouar pardon (v. 52). Le déterminant indéfini vn n'est certes présent nulle part dans ce texte, ce qui renforce le sentiment qu'on a de lire un texte ancien. Mais il est bien représenté par une centaine d'exemplaires dans la Vie de sainte Nonne (contre environ 500 an, il est vrai), certainement antérieur à Ovz hars an croas. Il s'agit donc ici d'une coquetterie poétique, au même titre que le français 'j'ai grand-peine à le reconnaître' pour 'j'ai une grande peine'."

Horizons comparatifs

Le breton est la seule langue celtique à avoir un article indéfini (et ne l'a d'ailleurs qu'au singulier).

Pour les ressemblances phonologiques du déterminant défini du breton an, al, ar avec le déterminant défini de l'arabe comme ʔal, et pour une comparaison avec les articles des langues romanes, se reporter à Angoujard (2002).


Une langue donnée peut avoir deux articles définis différents (cf. Ebert 1971 pour le fering, un dialecte du frison du Nord). En breton, français, anglais, allemand, grec ou espagnol, l'article apparaît à gauche du nom, mais dans d'autres langues, il peut apparaître à sa droite, comme en basque. Pour le maninka du Niokolo (langue mandingue du Sénégal oriental), Creissels (2013:section2) donne bántaŋ 'fromager', bántáŋo 'le fromager', ou même avec seulement l'allongement de la voyelle finale: [sáːɣà] 'mouton', [sâːɣáː] 'le mouton.


Terminologie

L'article défini est désigné par le terme breton ger mell strizh (SADED 2010), ou ger-mell strizh (Kervella 1947, Chalm 2008). Selon Kervella (1947:§402), le déterminant défini, ger-mell strizh, est un adjectif démonstratif (anv-gwan diskouezañ). Selon Kervella (1947:§368), le déterminant indéfini un, ul, ur, ger-mell amstrizh, est un adjectif numéral (anv-gwan niveriñ).

L'article indéfini est désigné par le terme breton ger mell amstrizh (SADED 2010), , ou ger-mell amstrizh (Kervella 1947, Chalm 2008).

En anglais, les termes sont definite article et indefinite article.


À ne pas confondre

Contrairement au français, le breton tolère aisément la redondance du possessif et de l'expérienceur (cf. Tu me casses la/#ma tête !).


(1) Terri a rez din va fenn !
casser R1 fais à.moi mon2 tête
'Tu me casses la tête !' (les pieds)
Léonard, Seite & Stéphan (1957:35)

Bibliographie

breton

  • Angoujard, J-P. 2002. 'Phonologie de l'article défini', ms. Université de Nantes.
  • German, G. 1986-7. 'Une description du déterminant défini an à St-Yvi en Cornouaille', La Bretagne Linguistique 3 : 157-168.
  • Yann Gerven. 2014. ' boned ganti? ur boned ganti ?', Yezhadur !, Alioù fur evit ar vrezhonegerien diasur, Keit Vimp Bev, 127-128.
  • Jouitteau, Mélanie. 2010. 'A Breton dependent indefinite created by reduplication', présentation à 6th Celtic Linguistics Conference, Dublin, 2010 sept. 11.

autres langues celtiques

  • Hannahs, S.J. & Tallerman, M. 2006. 'At the interface: selection of the Welsh definite article'. Linguistics, 44(4), 781-816.
  • Ó Murchú, Máirtín. 1976. 'The article in a variety of Perthshire Gaelic', Celtica 11:187–193.
  • Williams, J.E.C. 2002. 'The article/demonstrative in Old Welsh and Modern Welsh', Hor Yezh 229: 33-40.


horizons théoriques

  • Abbott, Barbara, 2004. 'Definiteness and Indefiniteness', Laurence R. Horn & Gregory Ward (éds.), The handbook of pragmatics, Blackwell Publishing, 122-149.
  • Creissels, Denis. 2013. Le maninka du Niokolo (Sénégal oriental), esquisse phonologique et morphosyntaxique, liste lexicale, textes glosés, Mandenkan 49, texte.
  • Ebert, Karen H. 1971. 'Referenz, Sprechsituation und die bestimmten Artikel in einem nordfriesischen Dialekt', (No. 4). Bredstedt: Nordfriisk Instituut.
  • Ouhalla, J. 2009. 'Variation and Change in Possessive noun Phrases: The Evolution of the Analytic Type and Loss of the Synthetic Type', dans Brill's Annual of Afroasiatic Languages and Linguistics 1, 311–337. texte