Glas

De Arbres

L'adjectif glas 'bleu, vert naturel' et parfois 'brillant' est un adjectif de couleur typique des langues celtiques.


(1) Hezh zo glas c'hoazh.
celui-là est vert encore
'Il est encore vert.'
Cornouaillais de l'intérieur, Lozac'h (2014:'ablamour')


Morphologie

dérivation

Avec le préfixe ar-, Gros (1984:369) donne arhlaz 'presque vert', Helias (1986:14) arhlas 'bleuâtre'.

Le préfixe ez- obtient ez-c'hlas '(encore) vert (pour du bois)'.

Le suffixe adjectival -ard, -er, puis par une nominalisation à morphème zéro obtient glazard 'lézard'.


glasv-?

Le nom glasvez dénote de la verdure. Sa finale contient le suffixe ez des noms collectifs, mais le /v/ semble venir de la racine.


(2) ar skourrou o hlazvezi
le branche.s à4 verdure.-ir
'les branches qui verdissent'
Léonard (Plouzane) , Briant-Cadiou (1998:37)

mots composés

Lozac'h (2014:'boued-glas') comme équivalent à bouetaj '(du) fourrage' le dérivé glasenn et le mot composé boued-glas.


(3) atrejou mein-glas tammig 'e
débris pierres-bleu morceau.petit aussi
'des débris d'ardoises aussi quelque peu'
Cornouaillais (Laz), Lozac'h (2014:'atrejou')


(4) Rar é ar beïsanted lar lakègn o saout war 'r melchen-glas.
rare est le 1paysan.s que mettaient leur2 vaches sur le trèfle-vert
'Rares sont les paysans qui mettaient leurs vaches sur du trèfle des prés.'
Cornouaillais (Cleden), Lozac'h (2014:'dañjer')


variation dialectale

(5) [ c̈En gla:s a nêw ]
ken glas ha 'n neñv
aussi bleu que le ciel
'aussi bleu que le ciel.'
Cornouaillais de l'Est, (Lanvénégen), Evenou (1987:595)

Sémantique

cerner le spectre chromatique de glas

Le ton de vert dénoté par glas n'est pas forcément marin, ni éclatant.


(1) Loa(r)iet é un aldouarenn deut glas ga'r loar.
lune est un patate ven.u vert avec le lune
'« Loariet », c'est une pomme-de-terre qui est devenue verte à cause de la lune.'
Cornouaillais (Laz), Lozac'h (2014:'avalou-douar')


Lozac'h (2014:'boulenn') relève, à Poullaouen, ur voulenn bleu-glas 'une boule de bleu à linge'. Si le locuteur s'était servi de l'adjectif français pour préciser un spectre de l'adjectif breton trop large, on se serait attendu à la formation inverse, l'inattesté glas-bleu.

Il y a une variation dialectale dans la compétition sémantique de différents termes. Ernault (1879-1880) considère qu'à Audierne et à Pleudaniel, l'emprunt au français bleu a restreint le sens de glas à 'vert', quand "à Lohuec, glaz s'emploie presque toujours pour 'bleu', 'vert' se dit gwér (cf. Le Gon.)". Ernault donne aussi à Lanrodec eur glazard den 'un homme au teint brun (signe de vigueur)'.

Diachronie

Falileyev (2000) relève l'adjectif glas sous cette forme en vieil irlandais, en vieux et moyen gallois, en moyen cornique, en vieux breton glosé iacinctinum, et en latin de Gaule glastum 'guède (matière colorante bleue)'.

Matasović (2009) propose une racine proto-celtique *glasto- qui couvrirait déjà le spectre de couleur 'vert, bleu'. Falileyev (2000) relève plusieurs gloses latines pour le vieux gallois glas dans des manuscrits du IX° et X°. Dans le Juvencus, glas est glosé caerula J30, viridis J72, glauci J75, et yalina dans le De Nuptiis Philologiae et Mereurii 5 b.b. Matasović (2009) rajoute le vieux cornique glesin glosé sandix, et le gaulois glastum 'Isatis tinctoria' (Pliny). Pour Delamarre (2001:179), "la forme gauloise devait être * glasson.… ; Il s'agit au départ d'un adjectif glassos, -a, désignant cette couleur "générique" des langues celtiques qui va du bleu-vert au gris pâle". Les formes gauloises ont aussi été empruntées dans d'autres langues romanes que le latin. Delamarre (2001:179) signale en Languedoc un mot glas 'bleu pâle', et des dérivés d'une forme gauloise qui serait *glasina 'myrtille' dans les dialectes romans du nord de l'Italie.

Matasović (2009) suit Pokorny (1959:429-) qui propose pour glas une racine proto-indo-européenne en *ǵhelh3- 'jaune, vert', ce qui en fait une racine commune avec le proto-celtique *gel(w)o- qui, lui, a donné le breton gell 'brun', le moyen gallois gell 'jaune' et le vieil irlandais gel 'blanc, brillant'. C'est cette racine qui a aussi donné dans la branche germanique l'anglais yellow et l'allemand gell 'jaune'.

Asmus et Ó Fionnáin notent qu'à l'apparition des enluminures de métal et de livres, du VI° au VIII° siècles et jusqu'au XII°, la réalisation et le commerce des pigments nécessaires rendaient indispensables une terminologie des couleurs de référence. Ils considèrent que les termes celtiques antérieurs sont signifiants surtout sur l'axe sémantique de la brillance.


Expressions

'bois vert'

(1) Setu aze balan glaz hag a zev ar re-ze, klev, a zo briz sec'h.
voici ici genêts vert que1 brûle le ceux. écoute R est moitié-sec
'Voilà du genêt vert qui brûle. Celui-là, sais-tu, est à moitié sec.'
Trégorrois, Gros (1970b: 'briz')


ar c'hlas en em gar, 'des fourmis dans les jambes'

(2) Krigi ' ra ar c'hlas 'n em gar.
crocher R fait le 5vert en en.mon2 jambe
'J'ai des fourmis aux jambes.' (engourdissement et picotements)
Trégorrois, Ernault (1879-1880)

Horizons comparatifs

À travers les langues du monde, le breton n'est pas exceptionnel dans l'usage d'un terme comme glas qui couvre un large spectre de couleur. L'Atlas mondial en ligne des structures du langage ([WALS]) met en ligne une carte des langues où bleu et vert ne sont pas distingués (points jaunes sur la carte).

Asmus & Ó Fionnáin citent le proto-turque * kōk 'bleu, vert, gris', le persan sabz 'vert, verdoyant, frais, noir, sombre (yeux) bleus)', et "peut-être même" le latin caerulus, caeruleus '(eau) bleu claire', '(nuages) gris, sombres', '(plantes) vertes', 'noir (monde sous-terrain)'. Ce dernier a donné le français bleu céruléen.

 Ott (1899:89):
 "L'expression la plus répandue en latin pour désigner [la couleur bleue] est caeruleus (ou caerulus), qui, probablement à l'origine, est celle attribuée à la désignation du lapis lazuli, dont on tirait une teinture bleue. Caeruleus désigne un bleu intense, se rapprochant souvent du noir. Il est l'attribut constant du ciel (méridional, naturellement), de la mer, et correspond à notre azur, azuré, seulement ce dernier exprime un bleu plus clair. De même origine que caeruleus est caesius, qui ne se dit que des yeux dans le sens de 'gris bleu, bleu brillant'. Glaucus, emprunté au grec et très rare en prose, signifie 'gris bleu, vert bleu'."

Kay & Kempton (1984) ont montré, par une tâche de classement de jetons colorés, que les perceptions catégorielles de couleur chez des anglophones différaient de celles de locuteurs du tarahumara, une langue Uto-Aztèque qui désigne par un seul terme les spectres du vert et du bleu. Ces travaux fournissent des arguments pour l'hypothèse de Sapir-Whorf que les catégories lexicales d'une langue donnée affectent les perceptions non-linguistiques.

Josserand & al. (2021) ont développé l'hypothèse que la distribution typologique des termes de couleurs ambigus bleu-vert est plus forte dans les populations où les locuteurs sont plus exposés aux rayons UV. Cette hypothèse, de nature statistique, est à peser en vue de la présence de la couleur glas dans les langues celtiques.

A ne pas confondre

On trouve parfois l'orthographe glaz 'bleu, vert' dans des graphies non-standard. Cependant, en standard, l'emprunt roman nominal glaz, ar c'hlaz dénote un 'glas (qui sonne)'.

Bibliographie

langues celtiques

  • Asmus, Sabine. xxx. 'Grüne Abgründe - Kurzanmerkungen zu Fehlannahmen über walisische Farbterminologie'.
  • Asmus, Sabine & Mark Ó Fionnáin. ???. 'The early concept of the Celtic colour term glas and its subsequent semantic diversification in Welsh and Irish', presentation à Lublin.


horizons comparatifs

  • Josserand, M., Meeussen, E., Majid, A. & al. 2021. 'Environment and culture shape both the colour lexicon and the genetics of colour perception', Scientific Reports 11, 19095. texte.
  • Kay, Paul & Willet Kempton. 1984. 'What is the Sapir-Whorf Hypothesis ?', American Anthropologist 86:1, 65-79.
  • Ott, G. André. 1899. Étude sur les couleurs en vieux français, Paris, Émile Bouillon. texte.