Différences entre les versions de « Tournures réfléchies »

De Arbres
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== Diachronie ==
  [[Hemon (1954)|Hemon (1954]]:248):
  "La particule ''em'', précédant directement le verbe, indique la forme reflechie. Elle correspond au cornique ''em, ym, om'', au gallois ''ym''. On lui a attribue la même origine que le préfixe brittonique ''am'', irlandais ''imb'' (Ped. II p. 297, LP. p. 263-264). Pedersen considère le breton ''em'', cornique ''em, ym, om'', gallois ''ym'' comme contenant "eine umgelautete Form" de la voyelle.
  ''Em'' est l'orthographe usitée en moyen breton. C'est aussi l'orthographe actuelle, correspondant à la prononciation [ɛm]. Mais la voyelle peut varier selon les dialectes et selon l'[[accentuation]] : [əm] s'entend, aussi bien que [ym] et [œm]. La Variante orthographique ''um'' confirme le fait. Il est à remarquer que le cornique ''om'' indique  l'existence d'une forme arrondie de la voyelle."
"En général", la particule ''em'' est précédée en [[moyen breton]] d'un pronom personnel régime.


= À ne pas confondre =
= À ne pas confondre =

Version du 22 août 2022 à 07:00

Le breton dispose de deux stratégies pour former des verbes réfléchis. La première stratégie s'articule autour d'un composé morphologique de type /mon-un/, avec un déterminant possessif et le cardinal 1 unan comme en (1). La seconde stratégie utilise une anaphore proclitique invariable, en em sur le verbe (glosé ici 'se'). Ces deux stratégies sont compatibles, comme en français se juger soi-même.


(1) Barner a zidamall torfed ' zo e-unan en em varned.
jug.eur R1 .reproche méfait R1 est son1-un se1 jug.é
'Celui qui juge se juge lui-même.'
Proverbe


ma-unan /mon un/, 'moi-même' ou 'seul'

Cette construction varie selon la valeur du possessif. En (2), c'est la valeur de la première personne. En (3), c'est la valeur de l'impersonnel.


(2) Ret e vo d'in emaoun-me d'in va-unan mont da welout an estlamm-ze.
obligé R sera à.moi dis.moi-moi à.moi mon2-un aller pour1 voir le merveille-
'Il faudra, me dis-je à moi-même, que j'aille voir cette merveille.'
Léon, Kerrien (2000:2)


(3) Goulenn a reer ouzor an-unan ha n'eo ket an anv-ze eun distresadur [...]
demander R fait.on à.on le-un si ne est pas le nom-ci un trans.form.ation
'On se demande si ce nom n'est pas une transformation.'
Léonard (Cléder), Seite (1998:88)


Comme souvent dans les langues, le réfléchi sert aussi à signifier 'seul'.


(4) i-heun 'vel or c'hi
son1-un comme un 5chien
'seul comme un chien.'
Breton central, Favereau (1984:298)


Morphologie

variation dialectale

En langue standard, seul le possessif varie, suivi de unan.


(1) Gwelet e vezo, eme ar prins outan e-unan.
voir R sera dit le prince à.lui son1-un
'On verra, dit le prince pour lui-même.'
Saint Pol de Léon, Milin (1922:401)


À Plozévet, la racine du cardinal unan varie aussi.


(2) personne traduction Plozévet
1SG 'moi-même' ma2-hunan
2SG 'toi-même' = 2PL
3SGM 'lui-même' e1-gunan, e-hunan
3SGF 'elle-même' heh2-unan
1PL 'nous-même' on5-unan
2PL 'vous-même' ho3-kunan, hoh-unan
3PL 'eux/elles-mêmes' o2-hunan
source basé sur Goyat (2012:253)


(3) bremañ e oc'h camion d'oc'h ou hin.
maintenant est votre+C camion à vous votre+C un
'Maintenant c'est ton camion à toi toute seule.'
Michelle Nicolas (Plozévet), Kontañ kaoz (06/2019)


(4) Breman eo hennezh ho kamion deuzoutoc'h ho keñ.
maintenant est celui.ci votre3 camion de.à.vous votre3 un
'Maintenant c'est ton camion à toi toute seule.'
GB2210 (Douarnenez), Kontañ kaoz (06/2019)


impersonnel

Toutes les variétés n'ont pas d'impersonnel distinct dans le paradigme. Le composé a une forme invariable, a-unan, où le possessif est vraisemblablement remplacé par la préposition a.


(5) Holl a-unan, en em dôljont da ziskar eur c'horniad eus koat Bresilian.
tous de-un se1 jetèrent pour1 défricher un 5coin.ée de bois Bresilian
'Tous ensemble, ils s'attachèrent à défricher un coin de la forêt de Bresilian.'
Buhez ar Zent, p. 583

Syntaxe

avec le verbe 'être' ou 'avoir'

Le réfléchi s'utilise en breton avec le verbe bezañ 'être', même lorsqu'il est existentiel, ou même avec le verbe kaout 'avoir'.


(1) Droug a oa ennañ outañ e-unan, rak en em gemeret en doa evel ur genaoueg…
mal R était en.lui à.lui son1-un car se1 prendre R.3SGM avait comme un idiot
'Il s'en voulait à lui-même car il s'y était pris comme un idiot… '
Standard, Drezen (1990:73)


(2) Ar vugale o deus en em welet deac'h.
le 1enfant.s 3PL a R se1 v.u hier
'Les enfants se sont vus hier.'
Plougerneau, M-L.B (10/2018)

C'est un contraste avec le français qui est restreint au verbe être pour les tournures réfléchies (* Il s'avait pris mal) et qui résiste même aux structures existentielles (#?Il y avait de l'amertume en lui-même).

Hors du domaine verbal, en français, on a recours à une tournure différente (leurs propres parents, pour leur propre usage...). Le composé avec le cardinal est, lui, disponible dans ces domaines en breton.


  • Mezvet eo ar ganerien gant o fringol o-unan ha gant anal domm an noz.
Standard, Drezen (1990:13)
  • Goude e oa aet betek penn pellañ ar vali izelañ, evit bezañ outañ e-unan.
Standard, Drezen (1990:34)

préposition support

Dans certaines tournures réfléchies, on voit aussi apparaître la préposition support a, avec un pronom référant au sujet d'un intransitif.


(3) An nor a zigoras anezhi hec'h-unan.
le porte R1 ouvrit P.elle son1-un
'La porte s'ouvrit toute seule.'
Konan (1980:173)
cité dans Timm (1995:10)


(4) Aet eo er-maez anezhañ e-unan.
all.é est dehors P.lui son1-un
'Il est sorti de lui-même [de son propre chef, seul].'
Kervella, 253, cité dans Timm (1995:7)

Sémantique

La structure en (5) montre que le réfléchi pluriel peut être distributif sur deux entités au singulier (pep pried 'chaque époux').


(5) Ar madoù a oa da bep pried a-raok an dimeziñ [...] a chom o madoù dezho o-unan.
le bien.s R était à1 chaque époux avant le mariage R restera leur2 bien.s à.eux leur2-un
'Les biens dont chacun des époux était propriétaire avant le mariage [...] leur demeurent propres.'
Standard, contrat de mariage, an Ofis.

Pronom invariable en em

Le pronom réflexif en em est invariable et se trouve toujours directement préverbal (on le dit 'proclitique' sur le verbe). Sa forme standard est [en em V ].


(1) An daou vekaniker a zo en em dennet hep re a boan.
le 21 mécanic.ien R est se1 tiré sans trop de1 douleur
'Les deux mécaniciens s'en sont tirés sans trop de mal.'
Standard, Ar Barzhig (1976:63)


Le pronom en em peut aussi être utilisé dans un sens qui n'est pas précisément réflexif mais réciproque. Le sujet est alors toujours pluriel.


décomposition morphologique

variation dialectale

vannetais

On trouve le morphème em seul dans des environnements syntaxiques particuliers. Selon Le Gléau (1973:22), ces environnements sont:

 - Les modes jussifs, impératif et subjonctif:
 Em daol er mor !, Vannetais, Oliereu (1913:255)
 Ret eo ma em nac'ho !, Vannetais, Oliereu (1913:154)
 
 - la structure nominale, infinitif et participe
 Kae d'em welc'hiñ,
 Me meus em welc'het, Vannetais, Oliereu (1913:171)
 
 - après un sujet
 Int em blijo o tarempred ar baganed, Vannetais, Oliereu (1913:XVI)"


hum, em à l'impératif

La forme vannetaise du réflexif reportée par Guillome (1836:32,133) est Hum. Il note que Hum s'emploie quand le pronom régime d'un verbe est à l'impératif (2). On voit qu'elle provoque la mutation douce (K>G; P>B).


(2) hum gâre, 'aime-toi' hum bunisse, 'punis-toi'
hum gâret, 'aimez-vous' hum bunisset, 'punissez-vous'


em au participe et infinitif

En vannetais, Ar Meliner utilise en em dans les domaines tensés, mais seulement em dans les propositions infinitives ou avec un participe. Cela suggère qu'elle interprète le premier morphème de en em comme un rannig.


(1) Ma c'halon he devoa em stardet.
mon2 cœur 3SGF avait se1 serr.é
'Mon cœur s'était resserré.'
Vannetais, Ar Meliner (2009:28)


(2) A pa oa predet, holl an dud o doa em stardet muioc'h c'hoazh trema an oaled...
et quand1 était dîn.é tout le 1gens 3PL avait se1 serr.é plus encore vers le foyer
'Après le repas, tout le monde se rapprocha encore plus du foyer... ' (*... s'a rapproché)
Vannetais, Ar Meliner (2009:135)


(3) Kentizh an holl ober èlti hag em lakaet da respont d'o zro.
aussi.vite le tous faire comme.elle et se1 mettre à1 répondre à1 leur2 tour
'Et tous, aussitôt, de faire comme elle et de se mettre à répondre à leur tour.'
Vannetais, Ar Meliner (2009:136)


On trouve similairement des groupes infinitifs en em dans Herrieu.


(4) Em gavet a ran get kenseurted, amezeion.
se1 trouver R1 fais avec con.sort.eur voisin.s
'Je me retrouve avec mes pareils, des voisins.'
Vannetais, Herrieu (1994:§13)


  • Eh omp doch taol, e ti tud a Reims, a pa zaer da lâret deomp em zerc'hel prest da vonet…
'Nous sommes attablés chez dez gens de Reims lorsqu'on vient nous dire de nous tenir prêts à partir.'
Vannetais, Herrieu (1994:33)
  • Em astenn a ran-me àr tamm lien…
'Je m'allonge, moi, sur un morceau de drap.'
Vannetais, Herrieu (1994:40)


cornouaillais de l'Est et Léon

En cornouaillais de l'Est et en Léon, le rannig et en em peuvent se suivre.


(6) ... ar pez a en em gave aliez...
ce que R1 se1 trouvait souvent
'... ce qui était fréquent.... '
Plouzane, Briant-Cadiou (1998:26)


(7) Setu eh en em guzan da huñvreal.
voici R se1 cache pour1 rêver
'Je me cache alors pour rêver.'
Léon (Roscoff), Rozmor (1980:65)


(8) Ha piou ah en em okupfe deuz Monsieur [...] ?
et qui R se1 occuperait de Monsieur
'Et qui s'occuperait de Monsieur ?'
Cornouaillais de l'Est, Derrien (1980:6)


Merser (1963:§381) mentionne de telles occurrences. Il considère que "cela alourdit la phrase et est à éviter".


(9) Ar vugale (a) en em walhe.
le 1enfant.s R se1 lavait
'Les enfants se lavaient.'
Merser (1963:§381)


(10) Bremañ (eh) en em walh ar vugale.
maintenant R se1 lave le 1enfant.s
'Les enfants se lavent maintenant.'
Merser (1963:§381)

trégorrois

Le standard en em a un équivalent en non, [nõn], en trégorrois (Gros 1966:7, fn1). La forme rapportée à Bégard est pour da en em gompren, 'à/pour se comprendre', [də nõn 'gõmpʁən] (Georgelin 2016:'ar verboù gant ober').

À noter qu'en trégorrois de Tréguier, l'équivalent du réfléchi en em est prononcé de la même façon que l'équivalent de en ur, traduisible par un gérondif français.

(1) nõnn gɑ̃nnɑ̃

'se battre'
Tréguier (Plougrescant), Le Dû (2012a:38)

(2) Lênn ré nõnn gèrzed

Lenn a rae en ur gerzhet
lire R faisait en marcher
'Il lisait en marchant.'
Tréguier (Plougrescant), Le Dû (2012a:72)


analyse: en, un rannig ?

Quelques auteurs, dont Le Gléau (1973:22), proposent que la première partie de en em n'est autre que le rannig. Cette hypothèse prédit justement l'absence de en devant em en vannetais à l'impératif, au participe et à l'infinitif. Elle ne prédit cependant pas son effacement devant un sujet.

Cette hypothèse ne peut pas être retenue du tout dans les dialectes qui peuvent voir le rannig et en em apparaître côte à côte : en standard (Drezen 1990:46), en Léon (Mellouet & Pennec 2004:77) à Bodilis ( Ar Floc'h 1985:17), Plouzane (Briant-Cadiou 1998:31) ou Ouessant (Gouedig 1982).


(1) Entrétant ar médécin à èném gavas da vélet an den blesset...
entretemps le médecin R se1 trouva à1 voir le homme bless.é
'Entre-temps, le médecin arriva pour visiter le blessé.'
Breton 1905 (Plouider), Burel (2012:192)


em, à ne pas confondre

La partie em1 du pronom réfléchi n'a de ressemblance morphologique avec em2, pronom oblique de première personne du singulier, que si l'on ignore les mutations qu'elles provoquent. Le pronom réfléchi provoque une lénition sur la consonne initiale du verbe qui le suit, alors que le pronom oblique provoque une spirantisation sur la consonne initiale du nom qui le suit.

syntaxe

site d'insertion

Le pronom réfléchi ne se distingue pas des autres pronoms objets proclitiques pour son site d'insertion. Il est proclitique sur le verbe lexical.

Le pronom réfléchi est, du moins en cornouaillais, sous les particules comme en ur.


(1) Me, atao, a huñvree en eur en em lakaad e stad ar baotred faro ...
moi toujours R rêvait en se1 mettre en état le 1gars.x fier
'Moi, toujours, je rêvais en me mettant à la place des gars fiers... '
Uhelgoat, Skragn (2002:96)


(2) ... en eur en em laza war al labour
en se1 tuer sur le travail
'... en se tuant au travail.'
Cornouaillais / Léon, Croq (1908:13)


On peut voir précisément dans certains dialectes que le site d'insertion du pronom réfléchi est situé dans la zone clitique entre le rannig et le verbe.


(3) Nemet unan bennak a en em gave da gaout en ur chipal.
seulement un quelconque R se1 trouvait à1 avoir en chiper
'Mais quelques-uns arrivaient à en avoir en chipant.'
Léon, Mellouet & Pennec (2004:77)


(4) Amzer eur zerr-lagad hag ar pod eh en em gave mezuz eun tamm anezañ e reor en noazh...
temps un 1serre-œil et le gars R se1 trouvait hont.eux un peu P.lui son1 cul en nu
'En un clin d'œil, le gars se trouvait honteux, le cul nu.'
Miossec (2009:68)


Le pronom réfléchi est proclitique sur le verbe lexical plutôt que clitique sur le rannig, comme le montre sa présence dans les environnements syntaxiques où le rannig n'apparaît jamais : le mode impératif (5), les propositions infinitives (6), ou les dislocations à gauche (7).


(5) En em zaskorit !
se1 rendez
'Rendez-vous !'
traducteur Cosey (1983:7)


(6) Goude bout em lakaet en e sulieg e red d'ar vourc'h, e drezol getoñ.
après être se1 m.is en son1 dimanch.é R court à le 1bourg son1 trésor avec.lui
'Après s'être endimanché, il va en courant au bourg, en emportant son trésor.'
Vannetais, ar Meliner (2009:18)


(7) Em zifenn ouzh un enebour kuzh , n'on ket gouest ...
[ se1 défendre contre un ennemi caché ] ne suis pas capable
'Me défendre contre un ennemi caché, je ne sais pas faire... '
Beyer (2009:48)


Dans les temps composés, le pronom réflexif est uniformément préfixé au verbe lexical, et non à l'auxiliaire. L'ordre /AUX-REFLEX-V/ se trouve tant dans les infinitives (8) que dans les domaines tensés (9), (10). Cela donne un ordre des mots très différent du français ( * Je ne regrette pas d'être me trouvé avec vous !).


(8) Meus ket keuz tamm ebet da vezañ en em gavet ganeoc'h !
1SG.a pas regret morceau aucun de1 être se1 trouv.é avec.vous
'Je ne regrette pas m'être trouvé avec vous !'
traducteur Cosey (1983:7)


Comparez (9) avec le français * Comment suis-je me retrouvé ici ?.


(9) Peseurt mod on en em gavet amañ ?
quelle manière suis se1 trouv.é ici
'Comment me suis-je retrouvé ici ?'
traducteur Cosey (1983:22)


(10) Matriona a oa en em gustumet ouzhin, ha me outi, en em glevout mat a raemp.
Matriona R était se1 accoutumé à.moi et moi à.elle se1 entendre bien R faisions
'Matriona s'était habituée à moi, et moi à elle, nous nous entendions bien.'
Standard, ar Barzhig (1976:40)

les arguments obliques licites en en em

Rottet (2010:71) note qu'un argument oblique en ouzh ne peut être pronominalisé en en em, comme dans ober gaou ouzh unan bennak 'faire du tort à quelqu'un'.


(1) (* en em) ober gaou an eil ouzh egile
se1 faire tort le second à autre
'se nuire l'un l'autre'
Standard, Rottet (2010:72)


(2) (* en em) gomz an eil da egile
se1 parler le second à autre
'se nuire l'un l'autre'
Standard, Rottet (2010:72)


Il existe cependant quelques rares verbes avec un argument oblique réalisé en en em devant son verbe lexical. C'est particulièrement repérable lorsqu'il s'agit de verbes intransitifs comme plijout da 'plaire à'. L'équivalent en français est dans l'expression 'se plaire' ('X plait à X' ou bien 'X se plait (ici)').


(3) Me 'zo bet en em blijet partout.
moi est été se1 pl.u partout
'Je me suis plue partout.'
Favereau (1997:§372)


en em c'houlenn, 'se demander'

Dans le verbe en em c'houlenn l'argument que en em remplace serait oblique (goulenn gant, digant... ), d'où une suspicion d'influence du français se demander. Certains locuteurs rejettent le verbe pronominal en em c'houlenn comme calqué sur le français et exogène au breton, au profit d'alternatives comme goulenn ganin-me ma unan, littéralement /demander à soi son un/, 'se demander'.

Pour la traduction de se demander, Kerrain (2001) accepte en em c'houlenn mais aussi les tournures concurrentes klask gouzout ou l'usage de l'interrogatif polaire daoust.


(2) Daoust piv a c'hallfe sikour ac'hanon.
à.savoir qui R1 pourrait aider P.moi
'Je me demande qui pourrait m'aider.'
Standard, Kerrain (2001)


(3) Daoust pegement e-neus fouetet ?
à.savoir combien R.3SG a dépens.é
'Je me demande combien il a dépensé.'
Trégorrois, Gros (1989:164)


en em dommañ 'se chauffer'

 Rottet (2010:71):
 "Hewitt (1977) and a number of writers after him have given the example en em dommañ a ra ouzh an tan 'he warms himself by the fire' instead of the more traditional tommañ a ra ouzh an tan, calling the former a calque on the French Il se chauffe auprès du feu where the verb is reflexive. 
 A calque it may well be, but the implication that it is purely an invention of 20th century néo-bretonnantswho have incompletely mastered the norms of the language is chal-lenged by the fact that en em dommañ is attested in Middle Breton 
 [illustrated by euit hon em tommaff, quoted from Hemon 1954]."

en em zienoeiñ 'se désennuyer'

(1) Evit en em zienoeiñ e kane a-hed an deiz.
pour se1 dés.ennuyer R4 chantait de.long le jour
'Elle chantait toute la journée pour se désennuyer.'
Léon (Morlaix), Herri (1982:22)
cité dans Rottet (2010:80)

la question de l'influence du français

En français, une partie du paradigme du pronom proclitique objet et du pronom proclitique datif présente une allomorphie (me frapper, te frapper vs. me donner, te donner). Cette allomorphie n'existe pas à la troisième personne (le frapper, la frapper, les frapper vs. lui donner, leur donner).

Le breton moderne ne présente pas cette allomorphie partielle accusatif/datif. Les verbes bretons présentant un argument oblique en en em sont parfois associés à des calques du français, voire rejetés pour cette raison.

temps composé et sélection de l'auxiliaire

Les verbes infinitifs ou les participes peuvent être précédés de en em.


(1) Hag evel-se int en em gavet pinvidig.
et comme-ça sont se retrouver riche
'Et c'est ainsi qu'ils sont devenus riches.'
Trégorrois, Gros (1989:'kavoud')


L'auxiliaire sélectionné par un verbe réfléchi est parfois le verbe kaout 'avoir', parfois le verbe bezañ 'être' (voir: sélection de l'auxiliaire).


(2) 'Meus ket 'n em dommet doc'h 're-se diboa.
ai pas se1 chauffer à le ceux- depuis
'Je ne les ai pas fréquentés depuis.'
Cornouaillais (Riec), Bouzeg (1986:25)


sémantique

Les exemples prototypiques de réfléchis montrent une structure argumentale où, pour un verbe transitif, le sujet co-réfère avec l'objet ('s'arroser' = 'X arroser X').

Le sujet des verbes en en em est un agent. Vallée (1980:XXIV) contraste beuziñ 'se noyer (accidentellement)' et en em veuziñ 'se noyer (volontairement)'.


sens non-compositionnel

Le calcul sémantique d'un verbe précédé de en em n'est pas toujours compositionnel. On parle alors de verbes pronominaux.

En (4), le verbe kavout 'trouver' ne signifie pas, avec un réfléchi, 'trouver soi-même', mais 'se plaire' (cf. s'y retrouver, se trouver (bien)).


(4) 'N em gaven ket 'ba' 'r vro-se.
se1 trouvais pas dans le 1pays-
'Je ne me plaisais pas dans ce pays-là.'
Riec, Bouzeg (1986:VII)

Diachronie

Lambert (2010:177) distingue trois stades diachroniques du réfléchi en em en breton. Au stade celtique insulaire, le vieux gallois, vieux cornique et vieux breton utilisent un préfixe im- 'autour'. En moyen breton et en breton littéraire moderne, le préverbe em- se combine avec un pronom infixe de même personne que le sujet, par influence des verbes pronominaux romans. Enfin, un troisième stade montre un retour à un préverbe invariable em en, avec un infixe figé à la troisième personne du singulier "dans plusieurs dialectes modernes".


  • min gred eun den.
'Il se croit quelqu'un.'
Gouézec, Lambert (2010:177)


En breton moderne, l'ordre est plus souvent en em, ou en vannetais (e) hum.

En moyen breton, le réfléchi s'accordait encore en traits avec le sujet, mais basculait vers un système où les traits 3SGM formant en em commençaient à se généraliser (Hemon 1975:272). Widmer (2017:234) analyse hos- en (1) comme un morphème d'accord qu'il assimile au paradigme du verbe endevout/kaout 'avoir'.


(1) rouanez en vn hent hos-em-caffas.
roi.s en un route 3PL-se-trouva
'Les rois étaient en route.' (vers Bethléem)
Moyen breton (1650), Nl. 428
cité dans Widmer (2017:234)


(2) Da hem maruaillaff a grez en bras oar an edefiç hac an artifiç en templ man...
[ (te) se merveill.er ] R1 fais en grand sur le édifice et le artifice en.le temple ci
'Tu t'émerveilles grandement sur l'édifice et l'artifice de ce temple... '
Moyen breton (1576), Ca., Loth (1890c:290)


Rottet (2010) fournit un résumé de l'évolution du réfléchi dans les langues brittoniques. Les équivalents en gallois sont étudiés dans Irslinger (2014, 2017), et en irlandais dans Dedio & Widmer (à venir).

Horizons comparatifs

Les langues diffèrent dans leurs stratégies pour créer des réfléchis. Rottet (2010) développe l'hypothèse que les systèmes de réfléchis et de réciproques en breton ont été fortement influencés par le système du français, comme le système gallois l'a été par l'anglais. Sa démonstration est basée sur une version un peu idéalisée du breton standard, mais elle montre comment dans les deux cas du breton et du gallois, la langue de contact majoritaire qu'est l'anglais ou le français a tiré le système celtique à elle.

La stratégie pronominale en em du breton ressemble à la stratégie du français se en proposant un clitique ou un préfixe, sauf qu'en français la forme du pronom réfléchi, se, n'est pas invariable (* Je se lave la figure).

La forme composée de type ma-unan, qui utilise un possessif et le cardinal unan, est plus rare typologiquement. C'est la stratégie nominale, qui utilise pour former un réfléchi un matériel nominal comme 'corps, peau, cœur, vie', 'âme' comme en arabe algérien ou 'tête' comme le basque buru.


(1) N'enchedd rohhi.
je.questionne âme.mon
'Je me questionne.'
Arabe algérien, Soraya Hamlaoui (c.p.)


Cette stratégie de grammaticalisation se transmet aisément par contact linguistique (Evseeva & Salaberri 2018). En arabe de la côte Est africaine, le réfléchi est réalisé sur les bases nef 'âme' ou nuhu 'vie'. Heine (2011) utilise cette propriété pour déceler l'influence de l'arabe dans certaines langues à l'Est du Sahel lorsqu'elles forment des réfléchis avec la même stratégie. Le maba utilise ndu 'peau' et néfès 'âme, personne'. La langue saharienne teda-daza, forme un réfléchi sur ɔro 'vie', kasar 'corps' ou daho 'tête'. Le nubien du Nil utilise ɑy 'coeur' ou newerti 'vie, âme'.


(2) Mu:sa xada'-ile ru:hu- ye
Musa tromp-a âme-son
'Musa s'est trompé lui-même.'
Langue Bantoue (Chimwi:ni), Congo-Niger, cité dans Heine (2011)


En breton, un nom comme penn 'tête' avec un possessif est disponible pour des emplois de type pronominal, mais il ne grammaticalise pas en un réfléchi. C'est comparable au français pomme dans L'addition, c'est pour sa pomme ! (c'est pour lui).


(3) Komzet he deus diwar ma fenn
parlé 3SGF a dessus mon2 tête
'Elle a parlé de moi.' (et non pas 'de ma tête')
Breton standard


La lecture proprement réfléchie en breton ne peut pas être obtenue avec juste le possessif et le cardinal unan. Elle est obtenue avec la structure réfléchie utilisant le possessif et unan, ma-unan.


(4) Komzet em eus diwar ma fenn din-me ma-unan.
parlé 1SG a dessus mon2 tête à.moi mon2-un
'J'ai parlé de moi-même.'
Breton standard

Diachronie

 Hemon (1954:248):
 "La particule em, précédant directement le verbe, indique la forme reflechie. Elle correspond au cornique em, ym, om, au gallois ym. On lui a attribue la même origine que le préfixe brittonique am, irlandais imb (Ped. II p. 297, LP. p. 263-264). Pedersen considère le breton em, cornique em, ym, om, gallois ym comme contenant "eine umgelautete Form" de la voyelle. 
 Em est l'orthographe usitée en moyen breton. C'est aussi l'orthographe actuelle, correspondant à la prononciation [ɛm]. Mais la voyelle peut varier selon les dialectes et selon l'accentuation : [əm] s'entend, aussi bien que [ym] et [œm]. La Variante orthographique um confirme le fait. Il est à remarquer que le cornique om indique  l'existence d'une forme arrondie de la voyelle."

"En général", la particule em est précédée en moyen breton d'un pronom personnel régime.


À ne pas confondre

verbes réciproques

Certains réfléchis ont aussi une lecture nettement distinguable, qui est celle de la réciprocité (en em gannañ 'se battre', mais pas en em lazhañ 'se tuer'). Ces verbes sont restreints aux sujets pluriels, et recourrent à du matériel morphologique qui n'est pas disponible pour les réfléchis (an eil d'ar re all, an eil d'eben...).


verbes pronominaux

Tous les verbes en en em ne sont pas des réfléchis. Les verbes pronominaux comme en em gavout 'arriver, survenir' ne sont pas sémantiquement des réfléchis.

Terminologie

Kervella (1947), Chalm (2008) utilisent le terme stumm emober.

Press (1986:247) traduit stumm-emober par l'anglais reflexive form. Sur wikipedia, voir l'article raganv emober.


Bibliographie

breton

  • Fave, V. 1986. 'Displegadur ar verb : stum ha ster emober', Brud Nevez 95 : 54-59.
  • Guillome J. 1836. Grammaire francaise bretonne, contenant tout ce qui est nécessaire pour apprendre la langue bretonne de l'idiome de Vannes, Vannes : J.M. Galles. Preview
  • Le Gléau, René. 19XX. 'Se pronom réfléchi', Dictionnaire classique français-breton, 3354-3360. cité dans Le Gléau (1999a:§ 6)
  • Rottet, Kevin, J. 2010. 'Language contact in Welsh and Breton: The case of reflexive and reciprocal verbs', Clements, J. Clancy, Solon, Megan Elizabeth, Siegel, Jason F. & Steiner, B. Devan (éds.), IULC Working Papers 9: New Perspectives on Language Contact and Contact-Induced Language Change, Bloomington, 61-82. texte.

autres langues celtiques

  • Dedio, Stefan & Paul Widmer (à venir). 'S, A, and P argument demotion with preverbal imm-(an-) in Old and Middle Irish', Études celtiques.
  • Irslinger, Britta. 2017. 'Detransitive strategies in Middle Welsh. The preverbal marker ym-', Erich Poppe, Karin Stüber & Paul Widmer (éds.), Referential properties and their impact on the syntax of Insular Celtic languages, Münster: Nodus, 101–143.
  • Irslinger, Britta 2014b. 'Intensifiers and Reflexives in SAE, Insular Celtic and English', Indogermanische Forschungen 119, 159–163.


autres langues

  • Evseeva, Natalia & Iker Salaberri. 2018. 'Grammaticalization of nouns meaning “head” into reflexive markers: A cross-linguistic study', Linguistic Typology 22:3, 385-436.
  • Heine, Bernd. 2011. 'Areas of grammaticalizations and Geographical Typology', Osamu Hieda, Christa König & Hirosi Nakagawa (éds.), Geographical Typology and Linguistic Areas: With special reference to Africa, 41-66, John Benjamins.