Propositions infinitives

De Arbres

Les propositions infinitives sont les propositions dont tous les auxiliaires ou verbes lexicaux sont morphologiquement à l'infinitif, comme c'est le cas de klozañ en (1).


(1) kent d'in kloza
avant de.moi fermer
'avant que je ferme'
Standard, Académie bretonne (1922:153)


Les propositions infinitives ont de multiples usages en breton; elles peuvent être argument d'un verbe ou d'une préposition (1), ou arguments de modaux (Dav eo din klozañ 'Il faut que je ferme'). Les propositions infinitives peuvent même être des phrases matrices dans le cas des infinitives narratives.

Selon la définition des petites propositions, les propositions infinitives sont aussi des petites propositions, puisqu'elles possèdent des arguments et un prédicat, mais pas de projection tensée. Linéairement, les infinitives peuvent être introduites par ha, da, la particule aspectuelle o, ou encore par rien (Kervella 1995:§276, Jouitteau 2012b).


Les infinitives arguments

argument d'un verbe lexical

en position sujet

Une structure infinitive peut être en position sujet. En (2), l'infinitive bouetañ ar c'hezeg est le sujet du verbe de la matrice plijout. Le sujet vide de l'infinitive (PRO) co-réfère avec l'expérienceur du verbe de la matrice al labourerien-douar.


(2) Amañ e plij d'al labourerien-douar boueta ar c'hezeg.
ici R4 plait à1 le travaill.eurs-terrei [ PROi nourr.ir le 5chevaux ]
'Ici, les paysans aiment (à) nourrir les chevaux.'
Standard, ar Barzhig (1976:35)


en position objet

Une structure infinitive peut être en position objet.


(3) Ha klevet hoc'h eus a-wechoù displegañ an taolennoù e misionoù hor bro ?
et entend.u 2PL a parfois [ PRO expliquer le tabl.eau.x en mission.s notre pays ]
'Avez-vous parfois entendu expliquer les tableaux dans les missions de notre pays ?'
Standard, Kervella (1933:39)


(4) [ wa kOmâsǝd ǝ rEzistâs nEm fòrmo ]
Oa komañset ar Rezistañs [ SC en em furmañ ].
était commenc.é le résistance se former
'La résistance avait commencé à se former.'
Cornouaillais de l'Est (Lanvenegen), Evenou (1987:627)


(5) Par e oan d'ar vugale a c'hortoz an erc'h da zont...
pareil R étais à1 le 1enfant.s R1 attend [ SC le neige à1 venir ]
'J'étais pareille aux enfants qui attendent la neige … '
Standard, Beyer (2009:6)

horizons comparatifs

Les langues changent suivant quel verbe est lexicalement spécifié comme sélectionnant une proposition infinitive ou un domaine tensé comme complément. Ainsi, en cornique et en moyen breton, le verbe 'croire' sélectionnait une infinitive. En breton moderne, ce même verbe peut sélectionner un domaine tensé.


(1) my a grys bos Tom ow palas y'n lowarth. Cornique
Me a gred bout Tom o palad el luorz. Moyen breton
Me a gred ema Tom o palad el liorz. Breton
moi R1 crois est/être Tom à4 bêch.er en.le jardin
'Je crois que Tom est en train de bêcher dans le courtil.'
cité dans Trépos (2001:§363)

argument d'une préposition

Une proposition infinitive peut être l'argument objet d'une préposition ou particule aspectuelle.


(1) Ar hrampouez tano-ze a yee d'an traoñ evel skei mein en eur puñs.
le 5crêpes mince. R allait à le bas comme [SC PRO jeter pierre en un puits ]
'Ces crêpes minces-là descendaient comme des pierres qu'on jette dans un puits.' (dans l'estomac)
Trégorrois, Gros (1984:20)


(2) Ne vin ket me mui amañ é kennig dour deoc'h.
ne1 serai pas moi plus ici à4 [SC proposer eau à.vous ]
'Moi, je ne serai plus là à vous offrir de l'eau.'
Vannetais, Ar Meliner (2009:107)


(3) heb d'e hoar gouzoud penaoz e-nevoa greet.
sans de son1 sœur [SC savoir comment R.3SG avait.HAB fa.it ]
'Sans que sa sœur sût comment il avait fait.'
Cornouaillais, Trépos (2001:§346)


(4) gant dont duman, am gwelfet.
avec [SC venir chez.moi ] R.me2 verrez
'Vous me verrez, pourvu que vous veniez chez moi.'
Trégorrois (Tréguier), Le Clerc (1986:212)


(5) Gant kemer hoc'h amzer e teufet a-benn deusontañ.
avec prendre votre3 temps R4 viendrez à.bout de.de.lui
'A condition de prendre votre temps, vous viendrez à bout de lui.'
Trégorrois, Gros (2014:'amzer')


(6) Daoust d' an hañv bezañ nevez-c'hanet e oa yen ar mintin-se war ar c'hae-lestrañ.
malgré de [ SC le été être nouveau1-n.é ] R était froid le matin. sur le 5quai-embarquement
'Ce matin était froid sur le quai bien que l'été fût nouvellement arrivé.'
Standard, Beyer (2009:5)

argument d'un modal

On trouve des propositions infinitives comme objet d'un modal (rankout dleout...) ou comme sujet d'une construction modale (Ret eo X..., Posupl eo X).


(6) ma teufe dezhañ mervel.
si4 venait [ SC à.lui mourir ]
'S'il venait à mourir.'
Léonard, Fave (1998:135)


(7) Lavared a reer ive ne dle morse eur horv-maro tremen diou wech dre hent Kastellin.
dire R fait.on aussi ne1 doit jamais [ un 5corps-mort passer deux1 fois par route Chateaulin ]
'On dit aussi qu'il ne faut jamais que le corps d'un mort passe deux fois par la route de Chateaulin.'
Léonard, (Cléder) Seite (1998:8)


(8) Daoust da-ze eo red d' eur bloavezh tremen.
malgré de ça est obligé [ à1 un ann.ée passer ]
'Malgré cela, il faut attendre qu'une année passe.'
Léonard, (Cléder), Seite (1998:54)


(9) N'eo ket posupl derc'hel ur soñj da zaou vloaz !
ne1 est pas possible [ garder un souvenir à1 deux1 an ]
'Il n'est pas possible de se rappeler quoi que ce soit à deux ans !'
Cornouaillais (Scaër/Bannalec), Gaudart (2022:2)

Les matrices infinitives

Dans les propositions infinitives indépendantes, appelées infinitives narratives, le temps verbal est un temps anaphorique, calculé comme directement consécutif au dernier temps morphologiquement réalisé. Ces phrases principales infinitives sont parfois en ha… da ou parfois en ha… ha.


(1) Hag hi ha mont.
et elle de/et aller
'Et elle s'en alla.'
Léonard, Fave (1998:136)


Visant Fave, locuteur du breton de Cleder, préfère la forme en ha… ha, et trouve l'autre trop semblable au français et lui de … ( Fave 1998:136). On trouve cependant les deux formes en alternance chez des locuteurs natifs comme la vannetaise Ar Meliner.


(2) Ha hi da wiskiñ he dilhad kaer.
et elle de1 vêtir son2 habits beau
'Elle revêt ses beaux habits.'
Vannetais, Ar Meliner (2009:106)


(3) Ha Marivonn ha lakaat daou vlank e dorn ar baourez.
et Maryvonne de/et mettre deux1 pièce en main le 1pauvre.F
'Maryvonne dépose deux sous dans la main de la mendiante.'
Vannetais, Ar Meliner (2009:107)

Les évidentielles

En (1), la proposition infinitive da yann da welout est un évidentiel qui permet à la locutrice de préciser que la source de l'affirmation vient précisément de Yann et non d'elle-même.


(1) Da Yann da welout e oant holl aze.
[ SC pour1 Yann de1 voir ] [CP R4 étaient tous ]
'Autant que Yann puisse voir, ils étaient tous là.'
Trégorrois, Stephens (1990:154)


Dans cette structure, l'hypothèse d'une ellipse de la copule eo n'est pas tenable car insérer la copule obtient un sens différent, et une structure différente.


(2) Da Yann eo da welout e oant holl aze.
[ SC pour1 Yann ] est [CP de1 voir R4 étaient tous ]
'C'est à Yann de voir qu'ils étaient tous présents.'
Standard


La négation dans les infinitives

pas de négation discontinue

En breton parlé moderne, les propositions infinitives ne sont pas grammaticales avec les morphèmes de négation discontinue des phrases tensées neket.


sélection par un élément négatif

Plutôt que d'apparaître à l'intérieur de la proposition infinitive, la négation a tendance à être comprise dans la sémantique du verbe ou de la préposition qui sélectionne la proposition infinitive, comme la préposition hep 'sans' ou des verbes contenant une négation sémantique comme mirout a 'empêcher' = 'faire que ne pas… ' ou diwall 'faire attention que ne pas… '.


(3) evit chom hep gortoz re
pour rester sans [ attendre trop ]
'Pour ne pas attendre trop longtemps.'
Standard, Kerrain (2001)


 Ernault (1892b:150):
 "M. l'abbé Hingant enseigne dans sa Grammaire (trécoroise), p. 202, qu'il faut se servir de tremen hép (ober), ou lézel hép (ober), litt. 'se passer, omettre de (faire)'. On peut ajouter diwal d'(ober) 'se garder de', chom hep (ober)' 'rester sans faire'."
 Chalm (2008:E6):
 "On utilise des tournures comme tremen hep [litt. 'passer sans'], 'se passer de'; mirout a, se garder de; chom hep [litt. 'rester sans']: 
 Chom hep mont da welet ar medisin, 
 'Ne pas aller voir le médecin'
 Tremen hep debriñ
 'Ne pas manger', 'se passer de manger'
 Mirout a c'hoarzhin
 'Ne pas rire.'"

pas, nompas

Des morphèmes de négation sont depuis apparus, comme pas ou nompas, des emprunts relativement récents dans la langue.


diachronie et répartition dialectale

Selon Kerrain (2001), la structure en (1) est "rare, d'un niveau très soutenu". Il semble en effet y avoir eu un stade ancien de la langue où ne ket était licite en infinitives (Leroux 1957:383).


(1) na zebriñ ket
ne1 manger pas
'ne pas manger'
Kerrain (2001)


Rostrenen (1732:'ne') donne ne garet qet 'n'aimer pas' comme restreint au vannetais. Il donne pour le même dialecte na gahout quet, n'en devout qet, etc., 'ne pas avoir'.

Ernault et Leroux en relèvent des exemples rares en cornouaillais et en trégorrois. Comme en propositions tensées, l'un ou l'autre de ne et ket peut apparaître dans ces environnements.

 Ernault (1892b:150):
 "J'ai entendu encore, en ce dialecte [trégorrois], par exemple red e beañ pe  veañ 'il faut être ou ne pas être' (c'est-à-dire être l'un ou l'autre, chair ou poisson); ma karjes beañ ket laret ze 'si tu avais voulu ne pas dire cela'."
 Leroux (1957:383):
 "… il ne semble pas que même en vannetais cette construction ait été très employée. […]
 Ne quet ne peut non plus se placer devant l'infinitif […] Le Confessionnal (dont l'auteur est de Cornouaille) a bien ne crediff quet 'ne pas croire', 20v.; mais cette construction est rare […]"


Ordre des mots dans l'infinitive

extraction de l'objet

Une infinitive introduite par da peut antéposer son objet devant da.


(1) [pøs ke poˈsaut ˈdɔːbɐ __ ]
Peus ket paotr-saout d'ober __
2.a pas gars-vache de1 faire
'T'as rien à faire, t'es pas chargé de famille.'
Cornouaillais (Briec), Noyer (2019:321)

Diachronie

paradigme proclitique objet sur les sujets des infinitives en moyen breton

En moyen breton, les sujets des propositions infinitives pouvaient apparaître avec le même paradigme que les pronoms proclitiques objets (voir Le Roux 1957 et, pour un relevé d'exemples, Botrel 1989).


  • Ha te na goar ez lauarer e uezaff eff Doe an croeer.
'Et tu ne sais pas qu'on dit qu'il est Dieu le créateur'
Breton 1557, B.:804, cité dans Botrel (1989:12)

Horizons comparatifs

En breton, en anglais ou en français, les propositions infinitives ne peuvent pas se conjuguer. En portuguais européen et en galicien (Sheehan & al. 2019), le verbe de certaines infinitives ont un morphème d'accord avec le sujet.


Terminologie

Le terme breton pour 'proposition infinitive' est lavarenn anv-verb ou lavarenn dizispleg, et pour 'proposition subordonnée infinitive' est islavarenn anv-verb (Kervella 1947:§703).

Bibliographie

breton

  • Botrel, Alan. 1985. La Subordonnée infinitive à sujet distinct en moyen-breton, thèse de doctorat, Rennes.
  • Jouitteau, Mélanie. 2012.b, 'Phi-feature agreement : the distribution of the Breton bare and prepositional infinitives with the preposition da', Frota, Gonçalves, Moia & Sabtos (éds.), Journal of Portuguese Linguistics 11 :1, 99-119. pdf sur lingbuzz /001483.
  • Stephens, Janig. 1990. 'Non-finite Clauses in Breton', Ball, Fife, Poppe, Rowland (éds.), Celtic Linguistics: Readings in the Brythonic Languages, Festschrift for T. Arwyn Watkins, Current Issues in Linguistic Theory 68, Benjamins, 151-166.
  • Tallerman, M. 1997. 'Infinitival clauses in Breton.', Canadian Journal of Linguistics, Special issue: Topics in Celtic Syntax, 205-233.


autres langues

  • Sheehan, Michelle, Martin Schäfer & Maria Carmen Parafita Couto. 2019. 'Crowdsourcing and Minority Languages: The Case of Galician Inflected Infinitives', Frontiers in Psychology, 25 June 2019, https://doi.org/10.3389/fpsyg.2019.01157.