Verbes infinitifs

De Arbres
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La forme infinitive d'un verbe, ou le mode infinitif d'un verbe est une forme non-fléchie. C'est la forme qui est utilisée lorsque les informations sur le temps de la phrase sont portées par un auxiliaire ou uns structure modale, et qui porte le suffixe verbal de l'infinitif.

Pour la plupart des verbes, on distingue nettement le verbe infinitif troc'hañ 'couper' de son radical de flexion (troc'h-, troc'het 'coupé', troc'hin 'couperai').


Morphologie

radical

En breton, ce n'est pas l'infinitif du verbe qui fournit son radical, mais son participe passé. Par exemple, le verbe infinitif skeiñ 'frapper', au participe passé sko-et 'frappé', se conjugue en utilisant le radical /sko/.


désinences de l'infinitif

Il existe une grande variété de suffixes de l'infinitif (se reporter à l'article).


productivité de la dérivation en noms

Comme en français, un verbe infinitif breton peut être substantivisé en le précédant d'un article défini (le boire, le manger). Ces nominalisations sont plus productives en breton qu'en français, même si ce processus reste restreint et qu'il y a de la variation dialectale.


(2) Ez-yaouank e oa bet dedennet gant al luc'hskeudenniñ.
P-jeune R était été attir.é par le photographier
'Jeune, il avait été attiré par la photographie.'
Standard, Denez (1993:21)


(3) N'eo ket ar mervel ar gwasa.
ne1 est pas le mourir le pire
'Ce n'est pas la mort qui est le pire.'
Trégorrois parlé (Trédrez), Gros (1966:25)


(4) Tamm ha tamm e kolle Anna ar gwelout.
morceau et morceau R4 perdait Anna le voir
'Anna perdait la vue petit à petit.'
Trégorrois (Bulien), Stephens (1982:122)


  • Ar beva a zo tenn.
'La vie est difficile'
Léonard pré-moderne, Moal (1890:517)

genre masculin

Les verbes infinitifs après un article sont visiblement des noms masculins (ar pesketa, 'la pêche', Merser 2011:13).


(5) Honnez, da bemp eur diouz ar beure, a zo war ar bale.
celle-là à1 cinq heure de le matin R1 est sur1 le marcher
'Celle-là est debout à 5h du matin.'
Trégorrois parlé (Trédrez), Gros (1966:26)


modification

Le verbe infinitif peut être modifié par un préfixe intensificateur:


(6) Skuizh on. Ur gwall eostiñ zo bet.
fatigué suis un INT moisson.er R est été
'Je suis fatigué. On a eu une sacrée moisson.'
Standard, FHAB. (1908:285)
cité dans Le Gléau (1973:44)

La question des propriétés nominales des infinitifs

La terminologie bretonne désigne un verbe infinitif comme nominal (anv-verb littéralement "nom verbal"), mais la tendance des dialectes traditionnels modernes est à la perte des propriétés typiquement nominales comme l'assignation du cas génitif à l'objet d'un verbe transitif, et à l'émergence d'un système accusatif. Cette évolution éloigne le breton des autres langues celtiques (v. Le Roux 1957:44). Les dialectes bretons diffèrent à ce propos, le vannetais étant le plus précoce dans son codage de l'accusatif dès la fin du XVII°. Pour les dialectes du KLT, l'étude du cas de l'objet est compliquée par la perte de productivité des proclitiques objets. Pour le dialecte particulier qu'est le breton standard, la volonté marquée de continuité avec les formes plus anciennes est en tension avec la proximité d'avec les autres dialectes modernes.

Les références à consulter pour ce débat sont Stephens (1982:121), Timm (1990), Jouitteau (2005/2010:chap.4), Jouitteau (2005b), et pour une étude approfondie de la diachronie des systèmes pronominaux, Rezac (2020: section 5.4), Rezac (2021:350, fn. 30, & section 4.5). Ce débat doit être mené en différenciant nettement les infinitifs des verbes nominalisés indépendamment (comme le boire et le manger en français).


diachronie des proclitiques objets

Pour une première approche, il est important de comprendre la diachronie des pronoms objet proclitiques. La forme génitive des objets des infinitifs (...e welout '... le voir') a été réinterprétée lorsque les proclitiques des verbes tensés (... er gwelan '... le vois') ont commencé à apparaître sur les proclitiques objets des verbes infinitifs (... er gwelout... 'le voir').


dépendant objet d'un verbe nominalisé

Un article est compatible avec un dépendant objet pour certains locuteurs, comme ci-dessous en 1907, mais il y a nettement de la variation dans les variétés modernes.


(1) Ar gouzout lenn eo an alc'hwez da vont e ti an deskadurezh.
le savoir lire est le clef pour1 aller en maison le éducation
'Savoir lire est la clef d'entrée dans le monde de l'éducation.'
Breton pré-moderne, FHAB. (1907:83)
cité dans Le Gléau (1973:44)


Pour la trégorroise Janig Bodiou-Stephens, c'est agrammatical, comme le montre le contraste entre (2) et (3).


(2) N'eo ket dañjerus dibi awalo an deiz a hirie ?
ne1 est pas dangereux manger pomme.s le jour de1 aujourd'hui
'C'est pas dangereux de nos jours de manger des pommes ?'
Trégorrois (Bulien), Bodiou-Stephens (12/2021)


(3) * An dibi awalo n'eo ket dañjerus ?
le manger pomme.s ne1 est pas dangereux
'C'est pas dangereux de manger des pommes ?'
Trégorrois (Bulien), Bodiou-Stephens (12/2021)


(4) * An dibi awalo prenet n'eo ket dañjerus ?
le manger pomme.s achet.é ne1 est pas dangereux
'C'est pas dangereux de manger des pommes de supermarché ?'
Trégorrois (Bulien), Bodiou-Stephens (12/2021)


La dislocation à gauche du dépendant de l'infinitif ne facilite pas la structure.


(5) * Hoc'h awalo-dec'h, an dibi anezo n'eo ket dañjerus ?
votre3 pomme.s-à.vous le manger P.eux ne1 est pas dangereux
'Vos pommes, c'est pas dangereux de les manger ?'
Trégorrois (Bulien), Bodiou-Stephens (12/2021)


(6) * Ar sumereg, ar studiañ anezi a zo diaes.
le sumérien le étudier de.elle R1 est difficile
'Le sumérien, c'est une langue difficile à étudier.'
Trégorrois (Bulien), Bodiou-Stephens (12/2021)

objet d'une préposition

Le verbe infinitif peut apparaître comme argument de la préposition etre. Celle-ci peut sélectionner des noms mais aussi des petites propositions.


(7) Etre veui ha neui ema.
entre1 noyer et nager est
'Il est entre la vie et la mort.'
Le Berre & Le Dû (1999:80)


DP nemet VP

Nemet 'sauf' sélectionne deux termes de catégorie grammaticale égale. Or, il est possible de le trouver sélectionnant un nom comme son terme de gauche, et un verbe infinitif comme son terme de droite. C'est un indice lourd que les deux arguments de nemet sont de même catégorie, mais on ne sait pas ici si cela parle des propriétés nominales de la tête infinitive ou de la petite proposition qui l'enveloppe.


(8) Ar bugel-se ne ra ken tra nemet gouelañ.
le enfant. ne1 fait plus [DP chose ] seulement [VP pleurer ]
'Cet enfant ne fait plus que pleurer.'
An Here (1995nemet)


Un verbe infinitif français montre la même possibilité de mise en parallèle avec un nom dans la structure C'est une chose de pleurer, une autre de résister.

Syntaxe

distribution du verbe infinitif dans la phrase

Le verbe lexical est généré dans le VP. Comme il n'est pas tensé, il n'opère pas la montée des verbes fléchis vers le haut de la structure.

Il existe des indices que le verbe, même à l'infinitif, ne reste pas in-situ dans le groupe verbal. Par exemple, en (1), l'auxiliaire gouzout sélectionne une structure verbale étendue dont le verbe infinitif est dont 'venir'. Ce verbe infinitif apparaît manifestement plus haut que le site d'origine de son sujet tout an dud, car le quantifieur flottant tout apparaît à droite du verbe infinitif.


(1) An dud a ouie dont tout _ da di Mémère neuze.
le 1gens R savait venir tous à1 maison Mémère alors
'Les gens venaient alors tous chez Mémère.'
Bas-Cornouaillais (Tréboul), Hor Yezh (1983:75-76)


Infinitives narratives

En breton, un verbe infinitif peut apparaître en phrase matrice. C'est le paradigme des infinitives narratives, qui apparaissent surtout dans les contextes de narration.


infinitif passé

Le passé de l'infinitif se forme en plaçant bezañ 'être' devant un participe passé (Gros 1984:316,7).


(2) N'heller ket bezañ ha bezañ bet.
ne1 peut.on pas être et être été
'On ne peut pas être et avoir été.'
Trégorrois, Gros (1984:316)


(3) N'heller ket kaoud goude bezañ bet c'hoaz.
ne1 peut.on pas avoir après être eu encore
'On ne peut pas recevoir après avoir déjà reçu.'
Trégorrois, Gros (1984:317)


 Gros (1984:317)
 "[…] L'infinitif passé s'emploie, en breton parlé, après les verbes exprimant la volonté, l'intention, la pensée, l'espoir, le devoir, la nécessité, là où le français emploie, en général, l'infinitif présent."


(4) Dimeurzh e oan o soñjal bezañ deut.
jour.mardi R étais à4 penser être ven.u
'Mardi je pensais venir.'
Trégorrois, Gros (1984:317)


À Plozévet, Goyat (2012:276) note lui un emploi dans les constructions modales. Il souligne un parallèle avec l'anglais.


(5) /'drefiɲ be la'var ˌdɛ /
Drefen beza lavaret dezañ.
aurais.du être d.it à.lui
'J'aurais dû le lui dire.'
Cornouaillais (Plozévet), Goyat (2012:276)


(6) / va ke 'dɛ be ˌɡɥɛd ãn 'dra hɛ/
Ne oa ket dezañ beza greet an dra-ze.
ne1 était pas ø à.lui être fa.it le 1chose.
'Il n'aurait pas dû faire cela.'
Cornouaillais (Plozévet), Goyat (2012:276)

Discours

ordres

Un verbe infinitif en matrice peut réaliser un ordre (à la place d'un usage de phrase impérative).


(1) Reiñ peoc'h !
donner paix
'On est prié de se taire !'
Léonard, Madeg (2013:9)


Cet usage peut être analysé comme une ellipse de modal de type Dav, Ret, ou de construction modale comme Gwelloc'h eo... . Cet usage est décrit pour le trégorrois de Trédrez comme une stratégie de préservation de la face ("l'infinitif […] étant impersonnel, adoucit l'expression du commandement", Gros 1966:25).

 Gros (1966:25)
 "Hasta ! hasta ! 'Dépêchez-vous !' 'Dépêchons-nous !' 
 Dibri hep naon, neuze 'Mange sans faim, alors !'
 Mond er-mêz ! 'Sors !' 'Sortez !'
 Rei peoh !, Serri da houzoug ! 'Tais-toi'


Terminologie

En breton, le terme correspondant à 'infinitif' est anv-verb (Kervella 1947:§703).


Bibliographie

breton

  • Châtelier, Antoine. 2016. 'Noms verbaux dans la littérature en vannetais classique, le cas des noms verbaux « doubles » et de en devout « conjugué »', Etudes Celtiques, 249-266.
  • Châtelier, Anton. 2015b. 'an anvioù-verb "doubl": stummoù disheñvel an anvioù-verb hervez o flas er frazennoù e lennegezh brezhoneg gwened adal fin an XVIIIvet betek deroù an XXvet', Hor Yezh 283.
  • Timm, Lenora. 1990. 'Some observations on the syntax of the Breton verbal noun', Ball, Fife, Poppe, Rowland, Celtic Linguistics: Readings in the Brythonic Languages Festschrift for T. Arwyn Watkins, Current Issues in Linguistic Theory 68, Benjamins, 189-208.
  • Vendryes, Joseph. 1948. 'Sur quelques infinitifs en -i du brittonique', Études Celtiques 4, 358-364.


horizons comparatifs

  • Li, Chao. 2004/5. 'On Verbal Nouns in Celtic Languages', Proceedings of the Harvard Celtic Colloquium, Vol. 24/25 (2004/2005), 163-194.
  • Richards, G. Melville. 1950-51. 'Synctactical Notes, II. The Subject of the Verb Noun in Welsh', Études Celtiques 5, 51-81.
  • Richards, G. Melville. 1950-51. 'Syntactical Notes, II : the Subject of the Verb Noun in Welsh (suite)', Études Celtiques 5, 293-313.
  • Richards, G. Melville. 1948. 'Syntactical Notes, I : the Negativing of the Verb Noun in Welsh', Études Celtiques 4, 369-378.
  • Thomson, Robert Leith. 1950-51. 'The Syntax of the Verb in Manx Gaelic', Études Celtiques 5, 260-292.