Les mutations consonantiques
Les mutations consonantiques sont un trait remarquable des langues celtiques. Elles modifient les consonnes initiales de catégories lexicales.
En breton, les consonnes initiales d'un mot susceptibles de muter sont:
- K, T, P, G, D, B, M, Gw
- (mnémotechnique: Kasse Ta Pipe Gueule De Bois Marmonne Gwenola)
Dans la réalité de la langue parlée, il en existe en fait d'autres (par exemple la lénition F > V).
Ce qu'il advient de ces consonnes une fois la mutation accomplie est résumé dans le tableau ci-dessous.
Consonne initiale mutable: | K | T | P | G | Gw | D | B | M |
1. lénition | G | D | B | C'h | W | Z | V | V |
1 a. | G | D | B | C'h | W | _ | V | V |
1 b. | _ | _ | _ | C'h | W | Z | V | V |
2. spirante | C'h | Z | F | _ | _ | _ | _ | _ |
3. durcissante | _ | _ | _ | K | Kw | T | P | _ |
4. léniprovection | _ | _ | _ | C'h | W | T | V | V |
5. réduite | C'h | _ | _ | _ | _ | _ | _ | _ |
Inventaire des différents déclencheurs selon la mutations
la lénition
La mutation consonantique dite mutation adoucissante, la lénition, est déclenchée par :
- le rannig a
- les déterminants possessifs da (2SG) et e (3SGM)
- les pronoms objet proclitiques da (2SG) et e (3SGM)
- les prépositions da, a, dre, et parfois après dindan, diwar, pe, war
- les cardinaux daou et div (2)
- les particules négatives ne 'ne' et na 'ni… ni'
- le réflexif en em 'se'
- l'équivalent du gérondif : en ur 'en'
- le quantifieur holl 'tout'
- la préposition eme 'dit'
- la composition morphologique, avec gwall-, hanter, et de nombreux autres préfixes.
- un mot féminin singulier, ou masculin pluriel de personnes qui n'ont pas leur pluriel en -où sur un adjectif épithète ou un nom en apposition
- Cas 1a: après l'article défini ar et an, et l'article indéfini ur et un pour les noms féminins singuliers et les noms masculins pluriels de personnes qui n'ont pas leur pluriel en -où.
- Cas 1b: adjectifs épithètes et noms en apposition après les substantifs se terminant par autre chose que L, M, N, R, V ou une voyelle.
- note: la mutation de Z après N est facultative dans les cas 1a et 1b.
la spirantisation
La mutation consonantique dite spirante est déclenchée par :
- les déterminants possessifs ma, va, em, am (1SG), he (3SGF), o (3PL)
- les pronoms objet proclitiques ma, va, em, am (1SG), he (3SGF), o (3PL)
- les cardinaux tri, teir (3), pevar et peder (4), nav (9)
la mutation durcissante
La mutation consonantique dite mutation durcissante est déclenchée par :
- les déterminants possessifs ho (2PL), az et ez (2SG)
- les pronoms objet proclitiques ho (2PL), az et ez (2SG)
léniprovection/mixte
La mutation consonantique dite de léniprovection, aussi appelée mutation mixte, est déclenchée par:
- le rannig e
- la conjonction ma
- la particule aspectuelle o
Cette mutation consonantique ne touche donc que des verbes, puisque tous ses éléments déclencheurs sont toujours directement préverbaux.
Cette mutation consonantique est dite mixte car elle a l'action de la lénition sur les consonnes G, Gw, B et M, et l'action de la mutation durcissante sur la consonne D.
K > C'H
La mutation consonantique réduite à K > C'H est déclenchée par:
- l'article ar et ur pour tous les mots sauf féminins singuliers et masculins pluriels de personnes (sauf ceux qui se terminent en -où).
- le déterminant possessif hor (1PL)
Les bloqueurs phonologiques de mutation
finales en dévoisées comme -s
Certaines finales de mot comme la consonne non-voisée /s/ ont l'air de suspendre phonologiquement une mutation après elles. En (1), Naig ar Rouz est sans ambiguïté un nom de femme mais l'adjectif attaché apparaît comme en isolation.
(1) … | Naig ar Rouz | kozh | eo | a veze | e | penn | ar | maouezed. | ||||||||||
Naig ar Rouz | vieux | est | R était | à | tête | le | femme.s | |||||||||||
'… c'est la vieille Naig ar Rouz qui prenait la tête des femmes.' | ||||||||||||||||||
Cornouaillais (Bigouden), Bijer (2007:243) |
Konan (2017:'deiz') remarque que après les jours de la semaine dilun, dimerc'her, diraou, digwener, disadorn et disul, le participe tremenet 'passé' subit une lénition, mais pas après dimeurzh 'mardi'. Le -s final du préfixe dis- (de di-, dis- privatif, ou l'autre dis- de de-, di-, dis-) fait aussi le plus souvent obstacle à la lénition provoquée par l'allomorphe di.
Il s'agit en fait de consonnes mutées (par ex, par lénition K>G), mais ensuite dévoisées par sandhi (K>G>K).
horizons comparatifs
En français comme en breton, une marque de genre morphologique peut disparaître dans des contextes phonologiques particuliers. On retrouve en français une neutralisation similaire du genre dans l'adjectif prénominal en contexte phonologique de liaison.
- un vieil homme, une vieille femme mais un vieux raffiot
- un nouvel homme, une nouvelle femme mais un nouveau raffiot
- un bel homme, une belle femme mais un beau raffiot
Oral / écrit
Les écrits modernes marquent la plupart des formes mutées. Cependant, certaines mutations consonantiques marquées à l'oral ne sont pas généralement retranscrites, comme typiquement les voisements F > V, ou S > Z.
(1) | Blaz | vat | zo | gant | ar zoubenn. | |||||||||||||||
goût | 1bonne | est | avec | le 1soupe | ||||||||||||||||
'La soupe a bon goût.' | ||||||||||||||||||||
Léonard (Cléder), Fave (1998:60) |
(2) | Pa | zavo-hi, | eñ | a | ranko | sevel | ive. | ||||||||||
quand1 | lèvera-elle | lui | R | devra | lever | aussi | |||||||||||
'Quand elle se lève il faut que lui se lève aussi.' | |||||||||||||||||
Trégorrois, Gros (1996:118) |
(3) | Gelloud | a | helle | mond | war | ar | bern | da | joaz | |||||||
pouvoir | R1 | pouvait | aller | sur | le | tas | pour1 | choisir | ||||||||
'Il pouvait choisir librement.' | ||||||||||||||||
Léonard (Plouzane), Briant-Cadiou (1998:41) |
L'apprentissage du système des mutations consonantiques réserve de grands moments de joie mélangée lorsque l'apprenant.e se rend compte que sans intérioriser ce système complexe, même trouver un mot dans le dictionnaire devient une gageure. L'apprentissage du breton par des adultes passe souvent par une phase prototypique où le locuteur surgénère et se met à appliquer les mutations consonantiques dans sa langue native, ce qui marque généralement un stade important dans l'apprentissage.
L'apprentissage des mutations à l'écrit peut poser problème même à des natifs, comme le montre le témoignage de J. Kerrien dans Le Peuple Breton n° 287 (1987:14).
Localité et effets d'intervention
Les noms intensifieur de degré comme pezh, mell, pikol, etc., font barrière à la mutation qui serait normalement déclenchée par l'article (div foeltrenn barrikenn 'deux énormes barriques', Menard & Cornillet 2020). En (2), le nom féminin gwezenn 'arbre' mute normalement après un article; ur1 wezenn 'un arbre'. Le nom intensifieur fait barrière.
(2) | eur | mell | gwezenn | glas-kaol | he | deliou | |||||||||||
un | grand | arbres.SG | vert-choux | son2 | feuilles | ||||||||||||
'Un grand arbres aux feuilles vert-chou' | |||||||||||||||||
Léonard (Cléder), Seite (1998:44) |
Tamm 'morceau' est lui aussi un obstacle à la mutation sur le nom suivant, mais on peut aussi trouver l'adjectif après ce nom, qui lui, est muté.
(3) | un tam | kyzən | tam | kigin | viən | viən | |||||||||||
un tamm | kuizin | tamm | kegin | vihan | vihan | ||||||||||||
un morceau | cuisine | morceau | cuisine | 1petit | 1petit | ||||||||||||
'une petite cuisine, une petite cuisine toute petite.' | |||||||||||||||||
Breton central (Duault), Avezard-Roger (2004a:119) |
Tous les éléments prénominaux ne font pas barrière aux mutations. L'adjectif antéposé ou préfixe kozh-, par exemple, n'est pas une barrière aux mutations du nom qui le suit (ar c'hozh vugale-ze).
spirantisation non-locale
Le quantifieur holl 'tout' provoque une lénition, mais si un possessif devant lui provoque une spirantisation, holl est transparent entre les deux (cf. Mondon 2020 pour une analyse diachronique, et Iosad 2021:5.1 pour un équivalent en irlandais).
Contamination
Le nom ti 'maison' et son possesseur interrogatif piv 'qui ?' ne subiraient pas, en isolation de mutation (ti piv, 'la maison de qui ?'). En (3), la préposition da1 provoque une lénition sur le nom tête, qui se propage au possesseur.
(3) | N'eus | forz | da | di | biou | ez in, | e vin | degemeret | mad. | |||||||||
ne1 est | cas | à1 | maison1 | qui | R+C irai | R serai | accueill.i | bien | ||||||||||
'Où que j'aille je serai bien reçu.' | ||||||||||||||||||
Trégorrois, Gros (1989:'forz') |
Code-switching
Les mots bretons insérés dans des phrases françaises (code-switching) peuvent l'être sous leur forme mutée. À l'inverse, l'insertion de français dans une phrase bretonne peut résister à la mutation (à comparer avec # mont da vettre la table vs. mont da vachinañ 'aller machiner').
(2) | Mont | da | mettre | la | table. | ||||||||||||||
aller | pour | "mettre | la | table" | |||||||||||||||
'aller mettre la table.' | |||||||||||||||||||
Production enfantine, (2 ans 11 mois), Stephens (2000:131) |
Acquisition
Les formes acquises en premier par les enfants sont massivement les formes mutées car on rencontre tout simplement plus rarement les formes non-mutées (ici, karr-nij). Il n'est pas aisé de déterminer en (1) si l'enfant importe sur le déterminant français la fonction déclencheuse de mutation ou si le nom importé du breton dans la phrase française est considéré par l'enfant comme non-muté.
(1) | C'est | un | c'harr-nij. | ||||||||||||
c'est | un(5 ?) | véhicule-vole | |||||||||||||
'C'est un avion.' | |||||||||||||||
Production enfantine (2 ans 11 mois), Stephens (2000:131) |
Les mutations produites par les enfants peuvent aussi être incorrectes, incorrections qui sont importées dans la langue adulte comme marque hypocoristique. Le Dû (2012a:'ma') note ainsi l'effet hypocoristique de la production adulte me gaz bien (standard adulte ma c'hazh bihan), pour traduire 'mon petit chat-chat'. Il l'analyse comme "une faute volontaire de mutation, par affection, comme avec un enfant".
Emprunts
Si le changement de code se spécialise sur un mot en particulier, celui-ci peut être adopté définitivement dans la langue cible. Les formes empruntées à d'autres langues peuvent aussi être interprétées comme ayant reçu une mutation.
Le mot 'visage' emprunté au français entre dans le lexique breton comme si son V initial résultait d'une mutation B>V (lénition). Le mot breton est donc rétabli en bizaj, ur vizaj. En (3), on voit que l'initiale de référence du mot est bien B. La mutation spirante déclenchée par le possessif féminin singulier ne change pas l'initiale B.
(3) | Homañ | a | zo | dir | war | he | bizaj. | |||||||||||
celle.là | R1 | est | acier | sur | son2 | visage | ||||||||||||
'Elle a toutes les audaces.' | ||||||||||||||||||
Le Berre & Le Dû (1999:56) |
Bouzeg (1986:38) donne, pour les emprunts pull-over et vélo:
(4) | nombre, personne | belo 'vélo' | pilover 'pull-over' |
---|---|---|---|
1SG | ma2 belo | ma2 filover | |
2SG | da1 velo | da1 bilover | |
3SGM | e1 velo | e1 bilover | |
3SGF | he2 belo | he2 filover | |
1PL | - | - | |
2PL | ho3 pelo | ho3 pilover | |
3PL | o2 beloioù | o2 filover |
Pourquoi ce n'est pas un phénomène phonologique
Les mutations consonantiques sont très intéressantes à étudier du point de vue phonologique, mais le déclenchement des mutations, lui, ne ressort pas de la phonologie en breton moderne. On peut comparer par exemple unan bihan 'un petit' avec l'équivalent féminin unan vihan 'une petite' et voir qu'un même élément peut précéder une mutation ou non. Il ne s'agit pas, en synchronie, d'un phénomène de liaison compliqué, mais bien d'un marquage morphologique dépendant du contexte syntaxique.
les déclencheurs peuvent n'être pas réalisés phonologiquement
Comme noté par Awbery (2004, 2008:14) pour le gallois, un déclencheur de mutation consonantique peut n'être pas réalisé phonologiquement.
(1) | Welan | ket | viche | tra | all. | |||||||||||||||
ne1 | vois | pas | serait | chose | autre | |||||||||||||||
'Je ne vois pas autre chose.' | ||||||||||||||||||||
Léonard (Ouessant), Gouedig (1982) |
(2) | (A) | fydd | digon o amser ? | |||||||||||||||
est-ce-que1 | sera | assez de temps | ||||||||||||||||
'Y-aura-t-il assez de temps ?' | ||||||||||||||||||
Gallois, Awbery (2008:14) |
l'identité syntaxique de la cible importe
L'identité syntaxique de la cible est importante pour décider si une mutation sera effectuée ou pas.
On a ainsi la préposition pe, qui déclenche la lénition, ici D> Z:
Cette mutation n'est pas effectuée quand pe précède un adverbe tel que kentoc'h (* K > G), ou un verbe:
- pe kentoc'h…
- 'ou plutôt… '
(1) | … | a-gaoz | m' | o deus | sammet | pe | kaset | traoù | ponner. | |||||||||
à1-cause | que | 3PL a | charg.é | ou | envoy.é | choses | lourd | |||||||||||
'… parce qu'ils ont chargé ou porté des choses lourdes.' | ||||||||||||||||||
Haut-vannetais, Louis (2015:214) |
En (2), la préposition war 'sur' qui provoque une lénition sur un nom ou un verbe qui la suit ne provoque jamais cette mutation sur un possessif qui la suit (* war za vanne).
(2) | Sao | war | da | vanne | 'ta | Saig ! | ||||||||||||
montée | sur1 | ton2 | verre | donc | Saig | |||||||||||||
'Finis ton verre donc, Saig !' | ||||||||||||||||||
Léonard, Kervella (2009:215) |
la structure syntaxique importe
La préposition war 'sur' peut provoquer une lénition, mais jamais sur un possessif qui le suit linéairement (war zu Kemper 'vers le côté de Quimper', mais * war za daoulin 'sur mes genoux').
(1) | Kea | war | da | zaoulin | e-tal | Gwillou... | ||||||||||||||
va | sur | ton1 | deux.genou | en.face | Gwillou... | |||||||||||||||
'Va à genoux en face de Gwillou...' | ||||||||||||||||||||
Léonard, Perrot (1907:25) |
Holl 'tous' provoque une lénition sur le nom qui le suit (holl dud ar sal, 'tous les gens de la salle'), sauf si la structure syntaxique le sépare du nom qui le suit linéairement. En (2), holl ne quantifie pas sur ce qui suit, mais sur le sujet incorporé dans le verbe ('vous tous').
(2) | Beza | e | vezot | holl | tud | konsakret | d'in | |||||||||||
être | R | serez | tous [ | gens | consacr.é | à.moi | ] | |||||||||||
'Vous serez tous pour moi des gens consacrés.' | ||||||||||||||||||
Breton pré-moderne, Herry (1861:98) |
La branche gauche dans la structure syntaxique semble être une barrière à la lénition entre un déclencheur et la tête de son argument interne:
- ur vag vras 'un grand bateau', mais ur vag brasoc'h (evit...) 'un bateau plus grand (que ...)'
- un daol vras 'une grande table', mais un daol ken bras / * vras * Pa1 grog Anna da… , mais, à Plougerneau Pa kroget en deus Anna… 'quand Anna a commencé.… ' (M-L. B. 05/2016)
- da Verc'hed 'à Berc'hed', mais da1 ma2 merc'h 'à ma fille'.
Un nom féminin déclenche une lénition sur un adjectif qui le suit (ur1 verc'h1 vihan 'une petite fille') sauf si la structure syntaxique n'est pas celle d'un groupe nominal modifié par cet adjectif.
(3) | ur | verc'h | bihan | he | c'hoar | ||||||||||
un | 1fille | [ | petit | son2 | sœur | ] | |||||||||
'une fille dont la sœur est petite' |
Merser (1963:§60) considère que "les mutations ne peuvent se produire que dans un groupement fonctionnel". Cependant, s'il signale une préférence pour la forme non-mutée, il signale que l'alternative forme mutée velen "peut se dire".
(4) | Eur | rozenn | { velen / melen } | he | liou. | |||||||||||||
un | rose.F | 1jaune/jaune | son2 | couleur | ||||||||||||||
'une rose à la couleur jaune' | ||||||||||||||||||
Merser (1963:§60) |
l'interprétation sémantique de la cible importe
L'interprétation sémantique de la cible est importante pour décider quelle mutation effectuer.
Le substantif pluriel kranked, 'crabes', a une interprétation littérale, et une interprétation imagée. En argot, kranked désigne des garçons aux jambes maigres, rappelant celles des crabes (paotred-o-divhar-moan, Kervella 2003:9,79).
Selon le système des mutations, après l'article, le mot kranked qui n'est ni féminin singulier ni masculin pluriel de personne, subit la mutation réduite K>C'H. On a donc: kranked, ar c'hranked, 'les crabes'.
Le mot d'argot, lui, désigne un nom masculin pluriel de personne (qui n'a pas son pluriel en -où), et subit une lénition. On a donc: kranked, ar granked, 'les gars aux jambes de crabes'.
Sans prendre en compte l'interprétation, imagée ou non, du substantif, il est impossible de décider quelle mutation choisir, à moins de considérer qu'il s'agit de deux mots provenant de classes morphologiques différentes.
idiosyncrasie et exceptions aux mutations
Si les mutations étaient un phénomène purement phonologique, on aurait du mal à expliquer les exceptions, telles que celle du mot plac'h.
Ce mot plac'h 'femme' est grammaticalement féminin. Cependant, ce mot ne présente jamais de lénition après l'article (Kervella 2016). C'est aussi le cas de greg 'cafetière' et gar 'gare ferroviaire' (Kervella 1947:§153, Trépos 2001:§82,5).
(1) | Goudeze, | setu | mestrez | an ti, | eur plac'h | koz, | da | lavarout… | |||||||||||
après.ça | voici | maitr.esse | le maison | un fille | vieux | de1 | dire | ||||||||||||
'Après ça, la maitresse de maison, une vieille femme, dit… ' | |||||||||||||||||||
Cornouaillais (Pleyben), Ar Floc'h (1950:157) |
Kervella (1947:§153) signale le cas du nom koz, 'taupe', nom qui se trouve sous la forme ar c'hoz (mutation des masculins), mais aussi "parfois même" ar goz. On trouve par ailleurs en breton moderne ar c'hoz vihan, 'la petite taupe', titre de livre jeunesse, avec la mutation masculine K > C'H appliquée à l'initiale du nom, et la mutation féminine B > V appliquée à l'initiale de son adjectif.
la mutation ou non du déclencheur n'est pas importante
Canoniquement, un déterminant fait muter un nom féminin, qui à son tour fait muter un potentiel adjectif à sa suite (ur vro c'hleb 'un pays mouillé').
les adjectifs de noms non-mutés mutent
On peut observer en (1) que le nom propre féminin Matriona, qui n'est pas précédé d'un déterminant et qui par conséquent n'est pas muté, reste un déclencheur de lénition sur son adjectif postverbal (cf. paour 'pauvre').
(1) | Tristaet-tout | e | oa | Matriona | baour | o | tont | d'ar | gêr. | |||||||||
trist.é-tout | R | était | Matriona | 1pauvre | à4 | venir | à le | 1foyer | ||||||||||
'Matriona était toute triste en rentrant à la maison.' | ||||||||||||||||||
Trégorrois (Kaouenneg), ar Barzhig (1976:38) |
En (2), le nom tud 'gens' n'est pas muté car l'indéfini pluriel ne prend pas de déterminant. L'adjectif subit cependant une lénition (cf. mat 'bon').
(2) | Na | pet | gwech | ne'm eus-me | ket | klevet | tud | vat | o | lavarout (...) | |||||||||
et | combien | fois | ne 1SG a-moi | pas | entend.u | gens | 1bon | à4 | dire | ||||||||||
'Combien de fois n'ais-je entendu de bonnes gens dire (...)' | |||||||||||||||||||
Standard, Kervella (1933:62) |
En (3), le nom intensifieur pikol 'grand' fait barrière à la mutation d'un nom féminin singulier (cf. un dra 'une chose'). L'adjectif subit cependant une lénition (cf. pounner 'lourd').
(3) | evel | ur | pikol | tra | bounner | o | kouezhañ | ||||||||||
comme | un | grand | chose | 1lourd | à4 | tomber | |||||||||||
'comme un poids énorme qui m'est tombé sur la tête' | |||||||||||||||||
Standard, An Here (1993:18) |
En (4), Le possessif 3PL ne provoque aucune mutation sur l'initiale du nom dremm 'visage'. L'adjectif suivant reçoit cependant une lénition.
(4) | O | dremm | vlevek | ' | zo | kuzet | en | o | daouarn | monsek. | |||||||||||
leur2 | visage | 1poilu | R | est | cach.é | dans | leur2 | deux.main | buriné | ||||||||||||
'Leurs mains burinées cachent leurs visages poilus.' | |||||||||||||||||||||
Standard, Riou (1923:1) |
les adjectifs de noms spirantisés peuvent subir une lénition
(5) | ma | c'halon | baour ! | |||||||||||||||
mon2 | cœur | pauvre | ||||||||||||||||
'mon pauvre cœur !' | ||||||||||||||||||
Cornouaillais / Léon, Croq (1908:30) |
En (6), le possessif de première personne provoque une mutation spirante sur l'initiale /b/ du nom bro 'pays', qui n'est donc pas affectée (G>G). Le premier adjectif épithète dans la coordination qu'est gleborek a subi une mutation. La spirantisation n'aurait pas affecté son initiale. Il s'agit d'une lénition provoquée par le nom féminin bro, ur vro.
(6) | Drouk-hirnez | ez eus | ennon | hiziv | d'am | bro | c'hleborek | ha | glas. | ||||||||
mal.longu.eur | R+C est | en.moi | aujourd'hui | à mon2 | pays | 1humid.ess.é | et | vert | |||||||||
'Je me languis aujourd'hui de mon pays humide et vert.' | |||||||||||||||||
Standard, Drezen (1932:11) |
les noms vides font barrière
En (1)a, l'adjectif numéral cardinal masculin tri provoque une spirantisation sur le nom kamm qui le suit. En (1)b, le nom qui suit le cardinal est vide, et kamm est un adjectif. On voit que tri ne provoque pas de spirantisation sur cet adjectif postnominal kamm. Au contraire, c'est le nom masculin pluriel vide qui a provoqué une lénition. Les mutations consonantiques sont donc sensibles à l'environnement syntaxique, puisque tri ne déclenche pas de mutation sur n'importe quel mot qui le suit, et elles peuvent être déclenchées par des noms vides, ce qui montre qu'il ne s'agit pas d'un phénomène phonologique.
(1) | tri | c'hamm, | tri | _[ø]_ | gamm | ||||||||||||||
trois.Masc2 | pas | trois.Masc2 | N.Masc1 | boiteux | |||||||||||||||
'trois pas, trois boiteux' | |||||||||||||||||||
Standard, Kervella (1995:§515) |
La disjonction pe 'ou' est un déclencheur de la lénition, mais avec des exceptions (Merser 1963:§17). En particulier, les éléments fonctionnels résistent plus à la mutation. En (2), M-L. B. considère manifestement l'ellipse comme une barrière.
(2) | Lavar | din | ha | dont | a | ri | pe | { ket / * get }. | ||||||||||
dis | à.moi | si | venir | R | feras | ou | pas | |||||||||||
'Dis-moi si tu viendras ou pas.' | ||||||||||||||||||
Léonard (Plougerneau), M-L. B. (01/2016) |
Le bord gauche d'une infinitive, ou son sujet vide PRO, font aussi barrière à la mutation (Petra faot dit gwell ? Mont gant an tren pe bale da unan ?).
les mutations doubles
Il est reporté parfois des phénomènes de mutations doubles, comme appliquées l'une après l'autre sur la même cible. Iosad (2021:27) nomme ce phénomène les mutations en chaîne ("chain-shifting"). Il considère que les données doivent être revues précisément, car si elles sont parfois décrites comme /p/ → /b/ → /v/, elle le sont aussi parfois comme deux processus séparés (fortis /P/ → lenis /b/ and fortis /B/ → lenis /v/).
M > V > F
Timm (1985:104): … /m/>/v/ or /f/ (as in /i'bRøR zo 'fɛRvɛl/ (< /'mɛRvɛl/ 'Her brother is dying'), which may be explained as the result of provection following the lenition of /m/ to /v/. This has been dubbed the "double mutation" of Breton (Hamp 1951:246). As regards the verb /mont/, Carhaix Breton, along with other Kerne subdialects, has gone one step further and replaced /f/ with /h/.
Le trégorrois Konan (2017:265) signale la forme o font qu'il associe à l'Est du pays (au lieu de o vont 'en allant').
M > V > F > H
Jackson (1967:342): "A solid area consisting of central and North-East Kerne, with point 22 [of the ALLB] in South-East Treger and the far north of Gwened (as well as points 1 and 30, and Belle-Île) has clear initial h- ([ə'hont). etc.), the explanation for which is not quite clear"
Timm (1985:fn10) remarque que dans la discussion qui suit, il le lie à la lénition-et-provection (p. 343)".
Timm (1985:104): … the /m/ > /h/ mutation is lexically restricted to the verb /mont/ 'go'.
P > F > H
Konan (2017:265) signale comme double mutation la forme ma c'hâotr qu'il documente à Plouigno (au lieu de ma faotr).
Diachronie
graphies
En moyen breton, les mutations réalisées dans la langue parlée n'étaient pas transcrites, et les mots apparaissent donc écrits sous leur forme non-mutée, à de rares exceptions (en 1587, Itron Mari a vir sicour, inscription au cimetière de Saint-Thégonnec à Morlaix, Ernault 1897e). La réalisation des mutations fait son entrée dans les graphies en breton pré-moderne, après le dictionnaire du père Maunoir de 1659. En 1671, on voit la première édition des Colloquou de 1626 avec les mutations écrites (Loth 1890c).
descriptions
Les différentes mutations sont classées pour la première fois dans Guillôme (1836).
la mutation nasalisante
La mutation nasalisante qui est vivante en gallois n'est en breton standard qu'à l'état de traces dans dor, an nor 'la porte', ou les formes de l'impersonnel an nen. Dans les dialectes traditionnels, Merser (1963:§59) relève en vannetais les possessifs mem breur 'mon frère', men dorn 'ma main', men gwad 'mon sang'. À Ouessant, Malgorn (1909) associe au pluriel deñvedennet 'des brebis', le singulier ann añvad, eunn añvad 'la brebis, une brebis'.
Merser (1963:§58) relève quelques mutations nasalisantes dans des noms de lieu contenant un féminin singulier comme derv 'chênes' > An Nervoued.
Pour l'origine de la mutation nasale an nor, se reporter à Loth (1897d).
Horizons comparatifs
Des systèmes comparables au système des langues celtiques se sont développés un peu partout dans le monde, de façon apparemment indépendante.
En Afrique de l'Ouest, on trouve un système complet de mutations consonnantiques dans la langue peule fula (= fulfulde, poulard), ainsi que dans les langues mandées. On en relève en sérère, une langue proche du fula parlée au Sénégal et en Gambie (branche atlantique des langues nigéro-congolaises). Merrill (2014) ajoute le biafada, les deux langues buy (kobiana et kasanga). Les langues tenda (konyagi, basari, et bedik) ont même peu ou pas de consonnes qui ne mutent pas. Les mutations y marquent les classes de noms, et le temps et l'aspect sur les verbes. Le wolof utilise les mutations de façon plus réduite, uniquement pour les diminutifs des noms et pour la nominalisation des verbes.
En Amérique du nord-ouest, Merrill (2014) relève les langues numiques (Uto-Aztèques) comme le Paiute du sud.
Le phénomène de mutation consonantique est réputé rare à travers les langues du monde, mais la rareté typologique du phénomène de mutation consonantique dépend aussi évidemment de la façon dont on définit ce phénomène.
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breton
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