Différences entre les versions de « Les intensifieurs »

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||| colspan="15" | 'Et je courus vite-fait pieds-nus à la garenne.'  
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Version du 27 décembre 2023 à 17:11

Les intensifieurs sont aussi appelés des augmentatifs. Ce sont des modificateurs de degré qui augmentent le degré préexistant de l'élément qu'ils modifient. Il existe en breton plusieurs stratégies pour intensifier le sens d'un adjectif, d'un participe passé ou d'un adverbe.


(1) Lies mat da vintin m'o c'hav kej-mej en ur gwelead.
souvent bien de1 matin moi les trouve mêlé en un lit.ée
'Je les trouve bien souvent enlacés dans le même lit au matin.'
Vannetais pré-moderne (1790), MG.:202
cité dans Menard (1995:§ gwelead)


Les pendants des intensifieurs sont les atténuateurs.


Intensifieurs par reduplication

Un des moyens disponibles en breton pour l'intensification d'un prédicat ou d'un adverbe est la reduplication simple, ou autour d'un diminutif (prestik-prest, 'très bientôt', Favereau 1997:§233).

Il existe aussi des répétitions partielles de phrases, des reprises, qui intensifient un prédicat. La phrase en (1) montre deux réduplications. La plus évidente est celle de l'adverbe ken, ker, kel en kenken. La seconde est celle du prédicat de la petite proposition (droug en ennon) qui est répété puis élidé (...ken a oa droug en ennon).


(1) … ha me droug en ennon kenken a oa !
et moi mal en en.moi tant.tant R était
'Et mon sang s'est mis à bouillir !'
Trégorrois (Bulien), Bodiou-Stephens (12/2021)


suffixes intensifieurs de prédicats

 Favereau (1997:§232) cite: 
 -brutal, -abominabl, -minabl, -afreus, -sovaj.
 
 Gros (1984:45) cite:
 minabl, abominabl, disañs, spontuz, euzuz, maleürus, eston, kurius, kruel, kenañ, daonet, mik, mouèk, moust, achu, du, ruz, da-vad, da-vat, kaer, tre.
 
 De Rostrenen (1738:52):
 hardiz bras, hardiz cals, hardiz terrupl, hardiz horrupl… 


-abominabl

(2) Frammet-abominabl eo !
bât.i-abominable est
'Il est formidablement charpenté !'
Trégorrois, Gros (1984:30)


-kaer

Le suffixe -kaer modifie en l'intensifiant le degré des adjectifs. Favereau (1997:§232) donne aussi prest-kaer, 'fin prêt' et mat-kaer, 'fort bien'.


(3) prest-kaër da zigont
prêt.-beau à1 arriver
'sur le point d'arriver.'
Cornouaillais (Riec), Bouzeg (1986:27)


On le trouve aussi en modification d'adverbe. Favereau (1997:§232) donne aussi diouzhtu-kaer, 'à l'instant même'.


(4) Fourlichou, hi ivez, a spias a-benn-kaer Leich.
Fourlichou elle aussi R1 aperçut tout.de.suite-très Leich
'Fourlichou, elle aussi, aperçut tout de suite Leich.'
Vannetais, Ar Meliner (2009:35)


… ou de quantifieur. Favereau (1997:§232) donne aussi nebeut-kaer, bihan-kaer 'fort peu'.


(5) Lod-kaer a vehe gwell gete chomel amañ...
certain-beau R serait mieux avec.eux rester ici
'Un bon nombre aimerait mieux rester ici.'
Vannetais, Herrieu (1994:57)


-kruel

(6) Brao kruel eo.
beau cruel est
'C'est très beau.'
Le Berre & Le Dû (1999:91)


-mat

(7) [ kujõ mat / biw mat / tɥɛmad Ø ]
kouilhon-mat bev-mat toemm-mat eo
couillon-bien vivant-bien chaud-bien est
'bien couillon / bien vivant / il est bien chaud.'
Vannetais (Kistinid), Nicolas (2005:13)


(8) Peder eur kousked, d'un den skuizh, a zo berrik-mat.
quatre heure sommeil à un humain fatigué R est court.DIM-bien
'Quatre heures de sommeil sont bien courtes pour un homme fatigué.'
Vannetais, Herrieu (1994:215)


(9) E vab a zo frammet-mat ivez !
son1 fils R est bât.i-bien aussi
'Son fils aussi est bien bâti.'
Trégorrois, Gros (1984:30)


-meurbet

De Rostrenen (1738:52) signale la forme meurbet dans hardiz meurbet, et il ajoute que cette forme meurbet pour 'grandement', est inusitée à Vannes.


-spontus

(1) Resevet mad spontus e-noa _ ahanon, […].
reçu bien terrible R avait (reçu bien terrible) P.moi
'Il m'avait très bien reçu, […].'
Cornouaillais (Uhelgoat), Skragn (2002:22)


-hardi

(2) Hennez a oa eur paotr chentil hardi.
celui-là R était un gars gentil très
'C'était un gars vraiment gentil.'
Cornouaillais (Uhelgoat), Skragn (2002:27)


-sovaj

Le suffixe adjectival -sovaj est un emprunt transparent au français. Il modifie en l'intensifiant le degré d'un adjectif.


(3) N'eo ket pell-sovaj.
ne1 est pas loin-extrêmement
'Ce n'est pas particulièrement loin.'
Favereau 1997:§232)


-kalz

De Rostrenen (1738:52) note des formes d'intensification de l'adjectif par placement de kalz après l'adjectif, comme hardiz cals 'très hardi'


-klapez

(4) Ha me d'an daoulamm, diarc'henn-klapez d'ar waremm.
et moi de1 le deux.saut sans.soulier-bien de1 le 1garenne
'Et je courus vite-fait pieds-nus à la garenne.'
Léonard (Bodilis), Ar Floc'h (1985:14)


pizh-rac'h

(5) Tan-gwallet pizh-rac'h holl vagazinioù meur ar Gambr-a-Genverzh.
incendié INT-tout tout 1magasin.s grand le Chambre-de1-Commerce
'Incendiés complètement les grands bureaux de la Chambre de Commerce.'
Standard/Cornouaillais, Drezen (1943)


préfixes intensifieurs de prédicats

meur-

Le préfixe meur- est un intensifieur.


gwall-

Le préfixe gwall- est un intensifieur.


(6) Skuizh on. Ur gwall eostiñ zo bet.
fatigué suis un INT moisson R est été
'Je suis fatigué. On a eu de sacrées moissons.'
Breton pré-moderne, FHAB. (1908:285)
cité dans Le Gléau (1973:44)


kozh-

L'adjectif kozh devant un nom peut être soit l'adjectif prénominal soit le préfixe kozh-.

Le Dû (2012:45) distingue deux prononciations: l'intensifieur /koz/ et l'adjectif non-péjoratif prénominal /kóz/.


  • e hoz tarkaz, 'un vieux filou (litt. un vieux matou)', Trégorrois (Plougrescant), Le Dû (2012:45)
  • goz bisiklêt, 'un vieux vélo', Le Dû (2012:45)


tremen-, pase-

Les préfixes tremen- et pase- agissent sémantiquement sur la borne de fin d'une action en insistant sur son antériorité dans le temps. Pour les états, l'équivalent de l'antériorité de la borne de fin est le dépassement du degré maximal caractérisant cet état. Dans le dialogue en (7) et (8), l'état est fichet 'bien habillé'.


(7) - Fichet e oa ar plac'h nevez?
apprêt.é R était le fille nouveau ?
'La mariée était bien habillée ?'
Léonard, Fave (1998:135)


(8) - O, n'eo ket fichet e oa ! Pase fichet e oa.
Oh ! ne1 est pas apprêt.é R était passé apprêt.é R était
'Oh ! pas "bien habillée"! Plus que ça.'
Léonard, Fave (1998:135)


bras-

(9) Bet e oa ar vleunienn-se kaer gwechall; bremañ, avat, edo bras-disec'het...
été R était le 1fleur.SG.ci beau autrefois maintenant cependant était grand-des.séché
'Cette fleur avait été belle autrefois; elle était cependant maintenant complètement desséchée.'
Standard, Kervella (1933:58)


forzh

Forzh est un adverbe modificateur de degré.

De Rostrenen (1738:52) note que forz précède l'adjectif qu'il intensifie. Il donne forz abyl 'très docte', forz vras 'très grand', forz hardiz 'très hardi'.


sapre-/sakre-

L'adjectif sapre, sakre intensifie les propriétés du nom qu'il qualifie.


(9) sapré itourdi, 'sacré étourdi !', ou e sakré hwill !, 'un sacré malin !', Trégorrois (Plougrescant), Le Dû (2012:45)


lastez-

(10) … ul lastez aon em oa outañ.
un sapré peur R.1SG avait de.lui
'… j'avais une sapré peur de lui.'
Léonard (Bodilis), Ar Floc'h (1985:34)


Noms intensifieurs

pezh, mell, pikol, etc.

Les noms intensifieurs antéposés au nom les plus courants sont pezh, pikol, ou mell. Ils prennent des marques de pluriel en -où prototypiques des noms. Les noms intensifieurs semblent être récursifs, "empilables". Leur usage rappelle celui des quantifieurs en ce qu'ils peuvent quantifier sur des noms massiques.


On trouve plus sporadiquement d'autres noms intensifieurs. Certains sont ou dérivent de noms tabous, comme palfoutrenn, foeltr, tanfoeltr, lastez 'ordure' ou le trégorrois malestoue.


(1) … ul lastez aon em oa outañ.
un sapré peur R.1SG avait de.lui
'… j'avais une sapré peur de lui.'
Léonard (Bodilis), Ar Floc'h (1985:34)



Certains usent de dérivés en -ad comme sac'had ou unité de quantités comme felpenn 'tranche'.


Les noms intensifieurs sont normalement une barrière pour les mutations. Lorsque que ce n'est pas le cas, comme dans un hordenn gi, 'un chien énorme, colossal' (tabou à cause de la 'corde de pendu'), ou ur balastrennad vara, 'un énorme morceau de pain', Menard & Cornillet (2020), on peut soupçonner la présence discrète ou sous-jacente d'une préposition a1, littéralement /un faisceau de chien/ ou /une emplâtrée de pain/.


enclitiques

Le nom tra 'chose' semble aussi avoir grammaticalisé en un intensifieur enclitique, sans doute à partir de ha tra.


(1) … ne welomp nemet gwinizhegi bras, berrik-tra an ed enne ha treut...
ne1 voyons seulement blé.champs grand court.DIM-chose le blé en.eux et maigre
'...nous ne voyons que de grands champs de blé, aux céréales très courtes et maigres.'
Vannetais, Herrieu (1994:80)


Certains noms gagnent un emploi d'intensifieur avec un passage à la catégorie adjectivale, comme l'intensifieur bouc'h venant du nom bouc'h 'bouc' dans / ręy(t) tęn un tam, inô boch /, 'Donnez-m'en un morceau, un gros' (Cléguérec, Malguénac, Thibault 1914:177).


Mots tabous

Les mots tabous forment des particules de discours et des intensifieurs de façon assez productive, cf. an diaoul, ar c'hast, etc.


(2) Da belec'h an douar emaoc'h ' vont ?
à1 le terre êtes à1 aller
'Mais où donc allez-vous ?'
Standard, Kervella (2001:57)


(3) e-barzh ar seier daonet-se
dans le sac.s damn.é.
'dans ces fameux sacs'
Standard, Kervella (2002b:27)


Doue, intensifieur de prédicat

En cornouaillais de l'Est, Mona Bouzeg donne le nom adverbial Doue comme intensifieur de prédicat :

 Bouzeg (1986:27) :
 ingal Doue 'tout le temps'
 memes mod Doue 'tout à fait pareil'
 heñvel Doue deus e dad 'tout à fait ressemblant à son père'
 'ser geipal Doue 'en courant à toutes jambes'


Adverbes intensifieurs

holl

(1) Ret-holl eo din e gavout.
obligé-tout est à.moi le1 trouver
'Il faut absolument que je le trouve.'
Standard, Kervella (2001:21)


(2) [[ Re bell ] holl ] eo evit ma 'z afen war va zroad.
trop1 loin tout est pour que R aille sur mon2 pied
'C'est bien trop loin pour que j'aille à pied.'
Standard, Kervella (1995:§502)


Intensifieurs lexicalement spécialisés

Certains items lexicaux sont spécialisés pour l'intensification d'un prédicat en particulier. Ils sont lexicalement spécialisés.


(3) Tomm-gor e oa an noz.
chaud-brûlant R était le nuit
'La nuit était torride.'
Standard, Drezen (1990:11)


(4) Ar berradou dour […] a rae d' an aer beza yen-sklas.
le goutte.s eau R faisait à le air être froid-intensifieur
'Les gouttes d'eau […] rendaient l'air glacial.'
Léonard, Kerrien (2000:8)


(5) Ma zud a veze souezhet dezhoñ bout yen sklas.
mon2 parents R était étonn.é à.lui être froid intensifieur
'Mes parents étaient surpris qu'il soit gelé.'
Vannetais (Le Scorff), Ar Borgn (2011:65)


(6) Brema-zouden ez eot a-dreñv, pe me a roio eun ognad deoh-hu!
maintenant-intensifieur R+C allez en.arrière ou moi R donnerai un marron à.vous-vous
'Tout-à-l'heure vous allez décamper, ou bien je vous donnerai un marron !'
Trégorrois, Gros (1984:26)


(7) tiɥɛl dal mɛw dal.
teñvel dall mezv dall
sombre aveugle saoul aveugle
'très sombre / complètement saoul.'
Vannetais (Kistinid), Nicolas (2005:15)


(8) jøãk flam ɟɥɛnkan tjɔmru tɥɛmskawt.
yaouank flamm gwenn kann tomm ruz tomm skaot
jeune flamme blanc éclatant chaud rouge chaud brûlant
Vannetais (Kistinid), Nicolas (2005:15)


Distribution

On trouve des ordres de mots où l'intensifieur, fortement accentué, est séparé de l'adjectif dont il intensifie le degré.


(1) Eston oa mad _ , Euzuz eo c'hwero _ , Minabl eo kreñv _ .
étonnant était (pro) bon _ terrible est (pro) amer _ INT est (pro) fort _
'C'était étonnamment bon, C'est terriblement amer, C'est formidable comme il est fort !'
Trégorrois, Gros (1974:141)


Il ne s'agit cependant pas d'adverbes de phrase: la lecture n'est pas * 'Il était étonnant que ce soit bon', * 'C'est terrible que ce soit amer', ou * 'C'est formidable qu'il soit fort'.


Horizons comparatifs

Les intensifieurs lexicaux sont faciles à créer, et s'installent facilement dans la langue par effets de mode. Leur effet d'intensification s'use vite et leur renouvellement perpétuel organise leur foisonnement.

Les sources principales sont les adjectifs paroxistiques, les noms tabous qui ont trait à la religion (un sacré cheval) ou à la sexualité (l'anglais fucking, le français putain). Le champ lexical du disfonctionnement corporel et mental est aussi assez présent (l'anglais a bloody/crazy afternoon, le français un après-midi de malade/de folie).


Bibliographie