Noms nus

De Arbres
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Les noms nus sont des noms sans déterminant.


(1) Biskoazh fri bras n'e-neus difetet bizaj.
jamais nez grand ne1 R.3SGM a dépar.é visage
'Jamais un grand nez n'a déparé un visage.'
Trégorrois, Gros (1984:524)


(2) ne gaoz ket tamm anezhañ.
lui ne1 parle pas morceau P.lui
'Il ne parle pas du tout.'
Cornouaillais (Moëlan), Cheveau & Kersulec (2012-évolutif:Moëlan,'hag')


Items de polarité négative

Les noms nus sont des items de polarité négative; ils apparaissent sous la portée de la négation. Cela veut dire qu'en (1), c'est la négation qui rend possible le nom nu tra 'chose'. Si on mettait cette phrase à l'affirmative, pour avoir une interprétation comme 'Je vois qu'il y a quelque chose d'autre', le résultat serait agrammaticale (* (Hag e) welan viche tra all). Le nom nu n'y serait pas autorisé par une négation.


(1) … Welan ket viche tra all.
ne1 vois pas serait chose autre
'Je ne vois pas autre chose.'
Léonard (Ouessant), Gouedig (1982)


noms nus sous la portée de la négation

(2) Ar plac'h yaouank, ne ouie doare eus a netra, a zo souezet.
le fille jeune ne1 savait façon de de rien R1 est étonn.é
'La jeune femme, qui ne savait rien de rien, est étonnée.'
Léonard (Saint Pol de Léon), Milin (1922:402)


(3) N'am eus ket gwelet biskoaz pez / tra evel an dra-mañ .
ne 1SG a pas v.u jamais N / chose comme le 1chose.ci
'Je n'ai jamais vu un être comme cet être-ci.'
Trégorrois, Gros (1984:16)


(4) N' eus bet biskoaz sotez war an douar evel ma'z out-te !
ne1 est été jamais sot.te sur le terre comme que+C,4 es-toi
'Il n'y a jamais eu sur la terre une sotte comme toi !'
Trégorrois, Gros (1984:17)


(5) N' hon eus kavet den.
ne1 1PL a trouv.é personne
'Nous n'avons trouvé personne.'
Standard, Kervella (2002:28)


(6) Matriona ne ouie nac'h ouzh den.
Matriona ne1 savait refuser à personne
'Matriona ne savait dire non à personne.'
Standard, ar Barzhig (1976:32)


(7) [ ɑ̃zə re tɔr də ɑ̃ni ]
aze 'rit ket tort da hani.
ne faites pas tort à N
'Là (au moins), vous ne portez de tort à personne.'
Vannetais (Malguénac), Le Pipec (2000:109)


nom nu linéairement avant la négation

Parfois, la négation qui l'autorise n'est qu'après le nom nu. Plusieurs noms nus peuvent être autorisés par une même négation.


(1) Den ne gar den.
homme (aucun) ne1 aime personne
'Personne n'aime personne.' (contexte: l'amour a disparu)
Callac, [S. : 11/2009]


(2) Den ne defe evañ alkol …
personne ne1 devrait boire alcool
'Personne ne devrait boire … '
Léonard (Plougerneau), M-L. B. (04/2016)


C'est particulièrement spectaculaire dans le cas d'un sujet pluriel, car l'accord signale clairement un sujet prénégation (il serait à l'accord gelé si le sujet était après la négation).


(3) … pa zéo guir pénaos hini eus ar famil al n'hint ket é poan da choum ébars.
quand+C est vrai que celui de le famille autre ne1 sont pas en peine pour1 rester dedans
'… car aucun des membres de la famille ne souhaite rester dans la ferme.'
Léonard pré-moderne (1905), Burel (2012:198)

domaines d'autorisation sans négation

Certains domaines syntaxiques (à définir plus précisément) autorisent les noms nus, qui apparaîssent alors dans leur lecture positive.

Lorsque le nom nu apparaît dans une phrase sans négation (et en zone postverbale, cf. ci-dessous), il ne signifie plus '(aucune) personne' mais 'quelqu'un'. Par exemple l'expression dont da zen, /aller à personne/, signifie 'devenir quelqu'un, devenir adulte', et non pas 'devenir personne, disparaître'.


(4) Daoust hag afer den eo an dra-se ?
est-ce-que affaire quelqu'un est le 1chose.
'Est-ce que ça regarde quelqu'un ?' (qui que ce soit ?)
Standard, Menard & Kadored (2001:'den')


Cependant, en (6), le nom tra montre un fonctionnement inverse. Il n'y a pas de négation présente, mais la lecture reste négative, équivalente à une phrase comportant une ou plusieurs marques négatives: Ar plac'h paour mañ n'he deus ket tra ebet.


(5) Ar plac'h paour mañ neus tra.
le fille pauvre.-ci a chose
'… cette pauvre fille n'a rien.'
Douarneniste, Hor Yezh (1983:120)


noms nus + ebet

Les noms nus peuvent normalement être modifiés par ebet (ebet en variété B, car il en existe deux). Ces noms nus avec ebet peuvent eux-mêmes être modifiés (1).


(1) Ma zud-kozh ne ouie poz galleg ebet.
mon2 parents-grand ne1 savait parole français 'any'
'Mes grand-parents ne parlaient pas un mot de français.'
Cornouaillais (Riec), Mona Bouzeg


La modification par ebet est en breton un test pour reconnaître les noms nus. Par exemple, le quantifieur négatif netra 'rien' est un nom nu car il peut être modifié par ebet.


les noms nus en usage d'adverbes négatifs

Une liste restreinte de noms nus peuvent être utilisés comme adverbe négatif avec ne ou hep.


idiosyncrasie

Kervella (1995:§234,n.I.) notait déjà que les noms den, hini, tra, tamm, banne ont souvent un sens négatif par eux-mêmes, sans la présence de ebet. Ces noms nus qui peuvent porter un sens intrinsèquement négatif sont restreints à une liste idiosyncratique. Ce sont des minimiseurs.

On peut citer den, 'personne'; gour, 'humain' ou 'chose'; hini, tra, 'chose'; banne, berad, 'contenu d'un verre', takenn, 'goutte'; tamm, 'morceau'; kammed, 'pas'; seurt, 'sorte' ...


(2) A : Mersi bras !.… B : Ne ra tra !
merci grand ne1 fait chose
A : 'Merci bien !…' / B : 'De rien !'
Standard, fiche pédagogique Académie Rennes


(3) Ne gomz diwar mann.
ne1 parle de zéro
'Il ne parle de rien.'
Trégorrois, Schafer (1995:153)


On peut aussi citer avec Favereau (1997:284):

Ne welan banne (/ne1 vois verre/, 'Je ne vois rien/goutte.'),
Ne glevan takenn (/ne1 entends goutte/, 'Je n'entends absolument rien.')
hep kousket tamm (/sans dormir morceau/, 'en passant une nuit blanche')


ou kammed, avec les trégorrois Gros (1984) et ar Barzhig (1976).


(4) Ar re-ze na vezont ket klañv kammed.
le ceux. ne1 sont pas malade jamais
'Ceux-là ne sont jamais malades.'
Trégorrois, Gros (1984:302)


(5) … ha kammed den ne glevas komz anezhe.
et jamais personne ne1 entendit parler de.eux
'Et jamais nul n'entendit parler d'eux.'
Standard, ar Barzhig (1976:34)

Nombre

Les noms nus sont généralement des noms comptables singuliers. En (1), c'est cependant un pluriel.


(1) Glav a rae deus ar beure, ha ne oa ket a voaien da stagañ kezeg ...
pluie R1 faisait de le matin et ne1 était pas de1 moyen de1 attacher chevaux
'Il pleuvait depuis le matin, et pas moyen d'attacher les chevaux ...'
Trégorrois, Duval (1961)


Le nom nu est aussi plutôt repris anaphoriquement par un pronom singulier. Il existe cependant des exemples de reprise pronominale au pluriel, ce qui passe moins bien en français (#Personne ne devrait boire de l'alcool car ils doivent conduire pour rentrer).


(2) Den ne defe evañ alkol ablamour e rankont kondui da vont d'ar gear.
personne ne1 devrait boire alcool car R doivent conduire pour1 aller à le 1foyer
'On ne devrait boire de l'alcool quand on doit conduire pour rentrer.'
Léonard (Plougerneau), M-L. B. (04/2016)

Noms nus devenus mots négatifs

Les noms nus peuvent être des mots négatifs, c'est-à-dire qu'il peuvent porter seuls le sens de la négation.

noms nus intégrant la négation dans leur morphologie propre

C'est le cas d'un quantifieur négatif du type de netra. On voit que c'est un nom nu car il peut être modifié par ebet, et sa morphologie montre qu'il contient morphologiquement lui-même la négation.

C'est aussi le cas des noms nus qui ne contiennent pas morphologiquement de négation, sous certaines conditions.


noms nus négatifs non-marqués morphologiquement

Comme le note Schapansky (1996:183), certains noms nus sont aussi des mots négatifs et peuvent être utilisés sans la négation verbale.


Une hypothèse d'ellipse du verbe et de sa négation peut être avancée pour certaines phrases.

(1) - Van ebet !,
'Pas un geste (un signe, un mot)!'
Trégorrois, Gros (1966:58)


L'exemple en (2) n'est pas le plus solide, car la finale en /n/ pourrait cacher une négation, mais aucune ellipse de négation n'est postulable en (3), car la forme zo de la copule n'est pas syntaxiquement conciliable avec la négation préverbale.


(2) Den oa kötat de vonet d'er brezel.
personne R était content de1 aller à le guerre
'Personne n'était content d'aller à la guerre.'
Vannetais, Corne (1991:4)
cité dans Schapansky (1996:184)


(3) Kaer e-neus goulenn, den 'zo evid lavared netra dezan.
beau R a demander personne est pour dire rien à.lui
'Il a beau demander, il n'y a personne qui puisse le renseigner.'
Mari Noemi an Hergoualc'h (Banaleg), Madeg (1993:35)


distribution

hini directement préverbal

Les noms nus en usage de mots négatifs sont strictement restreints à la position directement préverbale selon Schapansky (1996).


(4) Hañni en des gouiet a-oudé ma ou doé kavet mad en tri deloh.
N 3SG.M a su à-après si 3PL avait trouv.é bon le trois truite
'Personne depuis n'a su s'ils avaient aimé les 3 truites.'
Vannetais, Guilloux (1992:94)
cité dans Schapansky (1996:184)


tamm, postverbal

En breton (et à Ouessant tout du moins), la négation peut être réalisée par un morphème zéro équivalent du ne préverbal. Le verbe peut alors sembler être à l'initiale, et un nom nu comme tamm arc'hant est interprété au négatif dans la zone postverbale (aucun argent, pas du tout d'argent) et non pas positif (un peu d'argent, quelque argent).


(1) med, ato ar memez kestion, oa tamm arhant, setu...
mais toujours le même "question" R était morceau argent alors
'Mais, toujours la même question, il n'y avait pas d'argent, alors… '
Léonard (Ouessant), Gouedig (1982)


Si l'ordre des mots était inversé (Tamm arc'hant e oa), l'interprétation négative ne serait pas disponible sans la négation réalisée (ne). Dans l'hypothèse où il s'agit ici non pas d'un mot négatif mais d'une négation préverbale non-réalisée, il est remarquable que ce nom nu n'est pas autorisé par une telle négation préverbale, au contraire de ce qui se passe avec ne (Tamm arc'hant, ne oa ket).


Les noms nus postverbaux à lecture négative autonome peuvent être des noms comptables, au singulier ou au pluriel.


(2) … peogwir oa tamm moteur c'hoaz.
puisque était morceau "moteur" encore
'parce qu'il n'y avait pas encore de moteur'
Léonard (Ouessant), Gouedig (1982)


(3) bankeier ya, oa tamm kadoriou neuze, noñ, bankeier.
banc.s oui était morceau chaise.s alors non banc.s
'des bancs, oui, il n'y avait pas de chaises alors, non, des bancs.'
Léonard (Ouessant), Gouedig (1982)


den, préverbal et postverbal

On relève aussi des noms nus compatbles avec les positions préverbales comme postverbales


(4) Den (ebet) a gara den.
personne (aucun) R1 aime personne
'Personne n'aime personne.' (contexte: l'amour a disparu)
Quimperlois, [D.L., A. : 11/2009]


(5) Deuz ma welan, aman oa den ouz va gedal.
à.ce que4 vois ici était personne à me2 attendre
'A ce que je vois, personne ici ne m'attendait.'
Cornouaillais (Kergrist-Moëlou), Le Garrec (1901:12)

Contexte positif

En (1), un nom nu singulier est non seulement licite en contexte positif, mais il a aussi une interprétation plurielle.


(1) Lakaet em eus kordenn, gant aon ne vezo diskaret an doenn gand an avel.
m.is 1SG a corde avec peur ne1 sera détruit le 1toit avec le vent
'J'y ai mis des cordes, de peur que le toit ne soit abattu par le vent.'
Cornouaillais, Trépos (2001:§383)


À ne pas confondre

Certains noms ne prennent jamais d'articles, mais n'ont cependant pas les propriétés des noms nus.

Favereau (1997:§10) relève que "kêr 'la ville, le village' est en opposition sémantique à la forme mutée après l'article ar gêr, 'chez soi, le "home")". kêr ne se comporte cependant pas comme un nom nu. Favereau (1997:§11) pointe que les noms de repas ne prennent pas d'article (koan, dijuni, lein, merenn...). Favereau (1997:§12) relève des exemples avec noz 'la nuit', sans article. L'initiale en n- pourrait relever d'une fusion de l'article an, mais pas dans le cas du mot composé da serr-noz, 'à la tombée de la nuit'.


Terminologie

Le terme breton est anv noaz.


Bibliographie

  • Kervella, Frañsez. 1995 [1947].Yezhadur bras ar brezhoneg, 1947 edition Skridoù Breizh, La Baule ; 1995 edition Al Liamm.
  • Schapansky, Nathalie. 2000. Negation, Referentiality and Boundedness in Gwenedeg Breton: A Case Study in Markedness and Asymmetry, Lincom Europa, Munich.
  • Schapansky, Nathalie. 1996. Negation, Referentiality and Boundedness in Breton, a case study in markedness and asymmetry, ms thesis.

corpus

  • Gros, Jules 1974. (réed. 1984). Le trésor du breton parlé III. Le style populaire, Barr-Heol, Lannion: Giraudon, édition 1984 Brest: Emgleo Breiz - Brud Nevez, TBP.III.
  • Gros, Jules 1970. Le trésor du breton parlé I. Le langage figuré, Saint Brieuc: Les Presses Bretonnes, TBP.I.