Quantifieur

De Arbres
(Redirigé depuis Quantifie)

Les quantifieurs sont les éléments fonctionnels qui opèrent une quantification. En (1), den 'personne' et james 'jamais' sont des quantifieurs. Le nom den 'personne' quantifie sur un ensemble humain, alors que james 'jamais' quantifie sur un ensemble temporel.


(1) Den ne lavar james e neus laeret an asiedoù kaer.
personne ne1 d.it jamais R.3SG a vol.é le assiette.s beau
'Personne ne dit jamais qu'il a volé les belles assiettes.'
Léonard (Plougerneau), M-L. B. (05/2018)


Inventaire

 bennak, bern, bihan, darn, dibaot, diranch, e-leizh, estreget unan, forzh, frapad,
 hanter, holl, kalz, kement, kerlies, leizh, leun, lies, lod, maread, meur, nebeut, paot, paotmat, pekad, pep, pikol, pizh, rac'h, re, serten, seul, stank, toullad, tout, tragaer, yoc'h...


On doit aussi inclure comme quantifieur l'article et déterminant un, ul, ur, et quelques créations nominales.


(2) Boud ' meus ur gabouilhad traou d'ober !
explétif R 1SG.a un tas choses à1 faire
'J'ai des tas de trucs à faire !'
Cornouaillais, Plourin (2000:82)

Morphologie

quantifieur à propriété clitique

Les quantifieurs sont de nature morphologique différente. Stephens (1992:149) note par exemple que pep ou kement peuvent prendre comme objet une tête nominale coordonnée, alors que l'article un, ul, ur, qui est aussi un quantifieur, ne le peut pas (* ur paotr ha plac'h, mais ur paotr hag ur plac'h 'un garçon et une fille'). Elle conclut que l'article se distingue car il a des propriétés clitiques.


(2) Pedet e oa kement paotr ha plac'h a oa er barrouzh.
invit.é R était chaque homme et femme R était en.le 1paroisse
'Chaque homme et chaque femme qui était de la paroisse était invité.'
Trégorrois, Stephens (1992:149)


Le statut de pep 'chaque' est moins clair. À l'ellipse en (3), les locuteurs interrogés par Stephens (1992) préfèrent le rétablissement de pep paotr ha pep plac'h mais la donnée n'est pas rejetée comme avec un, ul, ur.


(3) ? Pedet e oa pep paotr ha plac'h d'an oferenn.
invit.é R était chaque homme et femme à le office
'Chaque homme et chaque femme était invité à l'office.'
Trégorrois, Stephens (1992:149)

Syntaxe

la portée syntaxique

Les quantifieurs calculent sur des domaines syntaxiques de tailles différentes. On dit qu'ils ont portée sur ce domaine. Ils peuvent avoir portée sur un groupe nominal (pep den 'chaque personne', kalz tud beaucoup de gens', an darn vuiañ deus an dud 'la plupart des gens', etc.). Ils peuvent aussi avoir portée sur la phrase entière, comme les adverbes biskoazh 'jamais', atav 'toujours', etc.


La portée d'un quantifieur est syntaxique, et peut révéler des histoires dérivationnelles d'éléments de la phrase. En (1), l'interprétation sémantique de la phrase montre que le quantifieur pep 'chaque' lie le pronom e 'son'. Comme dans la phrase le possessif est plus haut que la quantifieur, on en déduit qu'il provient de la position objet de kempenn (… da bep unan da gempenn e lec'h).


(1) Hag en ur zegouezh ema e lec'h da bep unan da gempenn.
et en1 arriver est son1 lieu à1 chaque un de1 nettoyer
'Et en arrivant, chacun doit nettoyer sa propre place.'
Vannetais, Herrieu (1994:100)


Lorsque c'est le quantifieur qui monte et est séparé du domaine sur lequel il quantifie, on l'appelle un quantifieur flottant, comme tout, holl, kalz...


nombre du nom quantifié

Les quantifieurs diffèrent selon qu'ils imposent le singulier ou le pluriel sur leur argument interne.

Le singulier est utilisé après meur et lies, et le pluriel après kalz (Fave 1998:134), ou frapad.


(2) meur a hini / meur a baotrig / meur a wech / lies gwech
plus de1 N moult de1 garçon.DIM plus de1 fois plusieurs fois
'plus d'un, plus d'un garçon, plus d'une fois, plusieurs fois.'
Léonard, Fave (1998:134)


(5) kalz tud (* den) / kalz a dud (* zen)
beaucoup gens * personne beaucoup de1 gens * personne
'beaucoup de gens.'
Léonard, Fave (1998:134)


(6) ur frapad tud (* den)
un beaucoup gens * personne
'beaucoup de gens.'
Cornouaillais (Riec), Bouzeg (1986:26)

catégorie adverbiale vs. nominale

quantifieur-A, quantifieur-D

Un quantifieur-A est prototypiquement un adverbe, qui a portée sur toute la phrase.

Un quantifieur-D est un type de déterminant indéfini. Comme un cardinal, le quantifieur agit sur la quantité du nom référent.

Le quantifieur se distingue d'un numéral cardinal en ce qu'il peut opérer en plus un calcul sur un ensemble de référence.

cinq pingouins, vs. quelques pingouins, la plupart des pingouins, plus d'un pingouin...


Les quantifieurs qui ont portée sur le groupe nominal peuvent eux-même être de catégorie nominale ou adverbiale.

Les quantifieurs adverbiaux sont invariables. Ils sont formés à partir d'un adverbe de quantité et, parfois, de la préposition a/eus :

awalc'h a X ; kement a X ; kalz (a) X ; muioc'h a X ; re a X… ; nebeut a X

Les quantifieurs nominaux sont formés à partir d'un syntagme nominal. Ils peuvent être précédés d'un déterminant, et peuvent fonctionner sans la préposition a/eus :

un tamm X; an holl X; ur frapad X; un toullad X; ur c'houplad X; ur stropad X; un nebeut X; ur bern X; ur yoc'h X…


Sémantique

distributivité

Certains quantifieurs sont distributifs, c'est-à-dire qu'ils forcent la lecture distributive d'un autre élément dans la phrase. En breton, ce sont les quantifieurs pep, seul et kement.


quantifieur positif vs. négatif

Certains quantifieurs sont positifs:

pep, kement, lod, darn, bern, frapad, e-leizh, holl, tout, bennak, estreget unan, lies, kalz (a), meur (a)

D'autres sont des quantifieurs négatifs:

ebet, nep et les mots composés de ne(p)- comme netra, nikun...


quantifieur existentiel vs. universel

Les quantifieurs peuvent être de type existentiel, comme en (1) Il existe un x, x un homme, tel que x est venu, ce qui donne avec le signe lu "il existe"; '∃ x, x un homme tel que x est venu'.


(1) Deuet ez eus un den.

ven.u R+C est un personne
'Quelqu'un est venu.'


Les quantifieurs qui peuvent apparaître dans les contextes existentiels sont aussi appelés les quantifieurs faibles (Il y a un peu de pain / Il y a beaucoup de pain).

lod, bihan, frapad, darn, bern, e-leizh, X bennak, estreget unan, lies, kalz (a), meur (a), muioc'h a X, re a X...


Les quantifieurs peuvent aussi être de type universel, comme en (2) Quel que soit x, x un homme, x est venu, ce qui donne avec le signe lu "quel que soit"); '∀ x, x un homme, x est venu'.

(2) Deuet eo pep den.

ven.u est chaque personne
'Chaque homme est venu.'


Les quantifieurs universels ne sont pas compatibles avec des continuations de type met unan nemetken, 'mais un seulement'.

Les quantifieurs qui ne peuvent pas apparaître dans les contextes existentiels sont aussi appelés les quantifieurs forts (*Il y a chaque pain / Il y a tout pain.).

pep, seul, kement, holl, tout, rac'h et ioc'h


ambiguïté de portée

Lorsque deux quantifieurs sont présents dans la même phrase, on peut observer des ambiguïtés de portée. En (1), le quantifieur temporel alies, 'souvent' a une portée ambigüe par rapport au quantifieur qu'est l'article indéfini un. Dans un autre contexte, cette même phrase pourrait vouloir dire 'Un pou n'est pas tué souvent (!)'.


(1) Lies ne vez ket lazhet ul laouenn.
souvent ne1 est pas tu.é un pou.singulatif
'Souvent, ça ne tue même pas un pou.'
Vannetais, Herrieu (1994:147)

Acquisition

Katsos & al. (2016) montrent que la compréhension des quantifiers de totalité ('aucun', 'tous') précède la compréhension des autres quantifieurs ('quelques', 'la plupart'), et ce dans au moins 31 langues issues de 11 familles linguistiques différentes. Pour ce faire, ils ont soumis à 768 enfants de cinq ans et à 536 adultes des images de cinq objects placés totalement, partiellement ou pas du tout dans cinq boites. Une phrase décrivant la situation avec un quantifieur devait être jugée correcte ('aucune pomme n'est dans les boites', 'quelques pommes sont dans les boites', etc.). L'étude révèle un ordre universel pour l'acquisition des quantifieurs, indépendamment de la structure particulière de la langue acquise.


Traduire

la plupart de … , la majorité de

(1) ar c'halz deus ar gristenien
le 5beaucoup de le 1chrétien.s
'la plupart, la majorité des chrétiens'
Breton 1906, KPSA:63


  • Ar c'halz anezho ' zo troet kaer ha livet brao.
'la plupart d'entre eux sont bien traduits et bien dépeints.'
SAQ.:'eur ger araog'


(2) Martoloded Douarnenez a dremene var vor ar braz euz ar bloaz.
marin.s Douarnenez R1 passait sur1 mer le grand de le an
'Les marins de Douarnenez passaient la plupart de l'année en mer.'
Breton 1879, BMN.


plus d'un, quelques uns

Pour Kervella (1947:§246), unan bennak peut être sémantiquement pluriel comme meur a hini. Il est en plus syntaxiquement pluriel.


(3) Unan bennak int ha n'int ket deuet.
un quelconque sont et ne1 sont pas ven.u
'Ils sont quelques uns à ne pas être venus.'
Standard, Kervella (1947:§246)


pas beaucoup

(4) A : Tud 'oa ba sinéma ? B : Pas { frapad / bochad / kalz / pikolik }.
gens était dans "cinéma" pas beaucoup
A : 'Il y avait du monde au cinéma ?' / B : 'Pas beaucoup.'
Cornouaillais (Riec), Bouzec & al. (2017:103)

Horizons comparatifs

Toutes les langues ont des quantifieurs de type tout, tous et seulement, mais toutes les langues n'ont pas un quantifieur quelque distinct du cardinal un (Keenan & Paperno 2017).


Terminologie

Le terme de quantifieur n'est pas encore largement usité dans les grammaires bretonnes.


  • en français

de Rostrenen (1738:71) les appelle les pronoms impropres ("Les Pronoms impropres sont appelez tels , parce qu'ils ne sont pas proprement des pronoms, mais parce qu'ils y ont beaucoup de rapport, aussi bien qu'aux noms adjectifs. Ils sont de tous genres, & de tous nombres...").

Favereau (1997:§298) les appelle des "mots au statut indéfini ou mal défini, car peu définissables, du fait de leur statut hybride (adverbial ou autre), dont les emplois méritent cependant bien d'être étudiés à part".


  • en breton

Kervella (1947:§402) utilise le terme ger amresisaat; raganv amresisaat, adverb amresisaat, ou anv-gwan amresisaat. Kervella (1947:§359) utilise le terme anv-gwan amresis.

Press (1986:229-42) traduit anv-gwan-amresisaat par l'anglais 'indefinite adjective', pour lequel il cite holl 'tout', ebet 'aucun' et kalz 'beaucoup'. Il donne aussi le terme raganv-amresisaat, 'indefinite pronoun', pour an holl, et kalz, ainsi que pour netra 'rien'. Il donne le terme anv-niver, 'a noun denoting a number', pour bern 'tas (de)', et (an) damziskouezhañ pour 'indefinite demonstrative' avec bennak 'quelque X, un X quelconque', pep 'chaque' et neblec'h 'nulle part'.

Chalm (2008) les appelle des quantifiants.

  • en anglais

Le terme anglais est quantifier.


Bibliographie

  • Bach, Emmon, E. Jelinek, A. Kratzer, et B. Partee. 1995. Quantification in natural languages, Dordrecht: Kluwer Academic Publishers.
  • Cardinaletti, Anna & Giuliana Giusti. 2005. 'The Syntax of Quantified Phrases and Quantitative Clitics', Martin Everaert And Henk Van Riemsdijk (éds.), The Blackwell companion to Syntax, Blackwell Publishing, vol V, chap.71.
  • Katsos & al. 2016. 'Cross-linguistic patterns in the acquisition of quantifiers', Proceedings of the National Academy of Sciences 113 (33): 9244.
  • Keenan, Edward L., et Dag Westerstahl. 1997. 'Generalized quantifiers in linguistics and logic', J. van Benthem et A. ter Meulen, The handbook of language and logic, Amsterdam: Elsevier.
  • Keenan, Edward L. et D. Paperno (éds.) 2012 [2017]. The Handbook of Quantifiers in Natural Languages, Springer.
  • Kleiber, Georges. 2011. 'La quantification universelle en trio: tous les, chaque et tout', Studii de lingvistică 1:139-157. texte en pdf.
  • Matthewson, Lisa (éd.) 2008. Quantification, North Holland Linguistic Series, Vol. 64. Bingley, UK: Emerald Group Publishing Limited.
  • May, Robert, 1977. The Grammar of Quantification, PhD dissertation, MIT.
  • Partee, Barbara. 1995. 'Quantificational structures and compositionality', E. Bach, E. Jelinek, A. Kratzer, et B.H. Partee (éds.), Quantification in natural languages, Dordrecht: Kluwer Academic Publishers, 541–601.
  • Peters, Stanley, et Dag Westerstahl. 2006. Quantifiers in language and logic, Oxford: Clarendon Press.