Préfixes
Les préfixes sont des sous-parties de mots signifiants. Ce sont des affixes qui apparaissent devant leur racine.
Par exemple, dans le nom breton dérivé rakger 'préfixe', rak- est le préfixe du nom ger 'mot'.
Inventaire
Les préfixes en breton moderne, productifs ou non, sont:
- ad-, al-, am-, an-/am-, ar-, arc'h-, as-/az-, bann-, bes-/be-/bi-, bis-/biz-, brous-, bu-, chil-, dam-, daou-, dar-, darn-, das-/daz-, de-, dem-, di-/dis-, X di-X, di-/(deiz-), dindan-, div-, dor-, dorn-, dour-, dram-, dreist-, e-, eil-, em-, en-, end-, em-, enep-, er-, es-, ez-, etre-, fe-, fin-, four-, gar-, gast-, gor-, gou-, gour-/gor-/gou-, gra-, hale-/hali-, hanter-, he-, he-/hi-, hele-/heli-, hen-, hep-, hil-/il-, ho-, hogos-, holl-, is-, jil-, ka-, karr-, ke-, ken-, kef-, kev-, kiv-, kent-, kil-, kin-, ker-, kon-, kor-, korn-, krak-, krenn-, kroas-/kroaz-, les-/lez-, lies-, mal-, mar-, mas-, mes-, meur-, min-, mor-/mar-, mor-, mous-, nann-, nep-, ol-, par-, pare-, pase-, pe-, penn-, peur-, peuz-, pik-, pil-, rag-/rak-, rann-, ras-, re-, sa-, si-/se-/ze-/zi-/zo-, skil-, soul-/sour-/sur-, stram-, tar-, tar(v)-, teir-, ter-, tor-, tour-, tremen-, treuz-, tre-, tres-, tri-, tro-, un-, unan-, us-
Autres préfixes anciens, maintenant non-productifs: sa-, si-, sil-, sili-...
Les adjectifs monosyllabiques ou bisyllabiques devenus préfixes sont :
- arall-, berr-, bihan-, boull-, bras-, brizh-, dister-, don-, dreist-, droch-, drouk-, fall-/fals-, gouez-, gwall-, gwen-, gwir-, heñvel-, hir-, kamm-, kozh-, krak-, krenn-, kreñv-, izel-, nevez-, pell-, pounner-, reizh-, skañv-, tomm-, uhel-
La grammaticalisation de noms est aussi une source de création de préfixes, comme on le voit avec dorn-, dour-, karr-, korn-, kroas-/kroaz-, mor-, penn-, rann-, tar(v)-...
Morphologie
Les préfixes sont ce qu'on appelle des morphèmes liés. Ils ne sont rendus possible qu'en co-utilisation avec une racine. Ils n'apparaissent pas tous seuls en isolation. En breton, certains préfixes provoquent des mutations consonantiques sur la racine qui les suit.
mutations
Les préfixes provoquent souvent une mutation consonantique sur la consonne qui les suit.
La mutation qu'un préfixe provoque ne révèle pas sa nature grammaticale, ou la nature grammaticale du lien qui l'unit à la base du composé, car deux allomorphes d'un même morphème peuvent provoquer ou non une mutation.
Par exemple, le préfixe fall-, fals-, 'faux' donne:
- kredenn, 'croyance' > falskredenn, 'hérésie'
- kalon, 'courage' > fallgalon, 'découragement'
préfixes provoquant une lénition
La grammaticalisation de la préposition etre, etre-, provoque une lénition sur sa racine (etrevogalenn, etrevroadel).
La grammaticalisation du pronom objet réfléchi, em- provoque une lénition sur sa racine (emglev).
La grammaticalisation des noms en préfixes est illustrée par dour-, dorn-, karr-, korn-, rann-, qui provoquent une lénition sur le nom qu'ils préfixent. (kroaz- ne précède pas de consonne mutable)
La grammaticalisation du numéral ordinal, eil-, provoque généralement une lénition sur sa racine (eilvaer 'adjoint au maire' mais eilpennadur, eilpenn-ster, An Here 1995:358).
Les numéraux cardinaux d'unités provoquent différentes mutations, mais lorsqu'ils sont préfixés au quantifieur dek 'dix' pour former une unité sur dizaine, ils provoquent uniformément la lénition: trizeg treize, pevarzeg 'quatorze', pemzeg 'quinze', c'hwezeg 'seize'.
préfixes ne provoquant pas de lénition uniforme
La grammaticalisation des prépositions en, en-, et enep, enep- ne provoquent pas de mutation sur leur racine.
mutations inégales à travers les adjectifs grammaticalisés
La grammaticalisation des adjectifs en préfixes est illustrée par :
- arall-, berr-, bihan-, bras-, brizh-, dister-, dreist-, drouk-, fall-/fals-, gouez-, gwen-, heñvel-, hir-, kamm-, kozh-, krak-, krenn-, izel-, nevez-, pell-, pounner-, reizh-, skañv-, tomm-, uhel-.
Les mutations provoquées par ces préfixes grammaticalisés d'adjectifs ne sont pas uniformes.
lénition
- arall-, bihan-, berr-, gouez-, kamm-, krenn-, gwen-, fall-, heñvel-, hir-, izel-, pell-, pounner-, skañv-, uhel-, provoquent une lénition.
- arallvro, bihandra, berrbad, gouezvaout, kammdro, krennbennek, gwengoad, fallgaloniñ, heñvelboan, hirbad, izelvor, pellgomz, pounnerglev, skañvbenn, uhelvor
note sur dister-, disterdra: Menard & Kadored (2001:'dister V') signale que l'antéposition de l'adjectif dister provoque la lénition des consonnes /k, t, p/ (un dister blijadur). Mais existe-t-il réellement un préfixe dister- (cf. un dister a blijadur)?
lénition sur GW, B, M
Sur une initiale /k/, il déclenche, par sandhi, un dévoisement.
- Selon Kervella (1947:§877), la lénition apparaît après brizh- sur les racines en /gw, b, m/ (brizh Vreizhad).
lénition B > V
- Le préfixe nevez- provoque une lénition sur nevezvrezhoneg (Kervella 1947:§885) mais pas sur nevezkeltiek.
lénition GW > W
drouk- et dreist- semblent provoquer uniquement la mutation GW > W.
Avec drouk-, on voit apparaître une lénition dans l'exemple droukverzh, 'insuccès, revers' (Kervella 1947:§881), ou drougher, 'parole désagréable' (Trégorrois, Merser 2009).
Les consonnes /k, p/ ne sont pas mutées.
pas de mutation
- bras- ne provoque pas de mutation sur sa racine (braskanna '(pour la terre) durcir par la pluie', brasprizoud 'évaluer grossièrement', Merser 2009)
endocentricité, exocentricité
En breton, la vaste majorité des préfixes sont endocentriques: ils ne changent pas la catégorie grammaticale de leur hôte, ni son genre. Cette propriété découle de la règle de la tête à droite (RHHR, Right Hand Head Rule, Williams 1981).
Un exemple de préfixe exocentrique breton est arall- qui obtient un adjectif à partir d'un nom (arallvro 'étranger'). Le préfixe di-, dis-, lui, est endocentrique sur les verbes (ober 'faire', disober 'défaire') mais exocentrique sur les noms qui deviennent avec lui des adjectifs (diskiant 'fou', ce qui inclut les noms déverbaux, diwel 'invisible').
Typologiquement, les préfixes exocentriques sont rares, mais on en a quelques exemples dans différentes langues comme l'efik, l'ojibwe ou l'anglais (1). On trouve aussi des préfixes exocentriques en tagalog, où le préfixe ma- précède un nom et obtient un adjectif.
(1) Quelques préfixes exocentriques de l'anglais:
- en-: engender, enrage, encase, endear, ennoble, enlarge
- be-: befriend, becloud; becalm
- de-: declaw, debug, dethrone
- a-: asleep, alive (non-productif)
multiples préfixes
Les préfixes sont beaucoup plus rarement multiples que ne le sont les suffixes. La périphérie gauche du mot en breton est plus pauvre que sa périphérie droite, ce qui construit une image inverse de la phrase bretonne, où la périphérie gauche est beaucoup plus développée que la périphérie droite.
On trouve le préfixe privatif di-, dis- devant le préfixe he- dans dihewel 'invisible à l'oeil nu, qu'on ne voit pas facilement' (Vallée 1980:'invisible'), ou dans dishegar 'cruel, désagréable' (Menard & Bihan 2016-).
Dans les néologismes, on trouve di-, dis- devant le préfixe gour- dans dic'hourfennadur ou trouc'h-gourfenn 'apocope' (Vallée 1980:'apocope').
On trouve le préfixe itératif ad- devant le préfixe en-, em- marquant l'intériorité dans adenkorva /ré.in.corps.er/, 'réincarner', Merser (2009).
Diachronie
Certains préfixes ont complètement disparu du breton moderne, ainsi que les mots qu'ils ont produit, comme le préfixe han-. Dans la liste des préfixes du breton moderne ci-dessus, certains sont très peu productifs et pourraient rejoindre la liste des préfixes éteints.
Horizons comparatifs
Le vieil irlandais ou les langues slaves ont devant les verbes des phénomènes de préfixation multiple – jusqu'à cinq préfixes en bulgare (Josephson 2006:89). Ils peuvent exprimer la télicité ou la manière (voir Filip 2003 pour les préfixes du tchèque). En breton, la suffixation verbale est beaucoup plus restreinte.
Terminologie
Le terme breton est rakger pour 'préfixe' (Press 1986:225).
Le terme anglais est prefix.
Bibliographie
- Cherel, Gab. 1988. Ar Sturyezhañ e Breizh, adarver un nebeut henrakgerioù gant ar gelaouenn "emzav", Hor Yezh 178.
- Gros, Jules. 1974. Le trésor du breton parlé III. Le style populaire (Éléments de stylistique trégorroise), Barr-Heol, Lannion: Giraudon, 369-383.
- Kervella, Frañsez. 1947. Yezhadur bras ar brezhoneg, 1947 édition Skridoù Breizh, La Baule ; 1995 édition Al Liamm, §874-886.
- Preder, éd. 1972c. 'KIS - E103-105: A-zivout arver ar rakger Br. do-, Ev. dys-, ha notennoù da heul, Preder Kaier 159-160, Lavar 05, 87-89.
horizons comparatifs
- Filip, H. 2003. 'Prefixes and the delimitation of events', Journal of Slavic linguistics 11:1, 55-101. texte.
- Josephson, Folke. 2006. 'Old Irish and Slavic Prefixed Verbs and the Function of Prefixes', Séamus Mac Mathúna & Maxim Fomin (éds.), Parallels between Celtic and Slavic, Studia Celto-Slavica 1, 87-98.
études théoriques
- Williams, E. 1981. 'On the Notions 'Lexically Related' and 'Head of a Word, Linguistic Inquiry 12:245-274.