Différences entre les versions de « Le passif »
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| (1)||Dall, || ne wele ket mat, || kollet en deus || e wel. | | (1)||Dall, || ne wele ket mat, || ''kollet'' en deus || e wel. | ||
|- | |- | ||
| ||aveugle||[[ne]] voyait [[ket|pas]] bien ||perdu [[R]].[[kaout|3SGM a]] ||[[POSS|son]] vue | | ||aveugle||[[ne]] voyait [[ket|pas]] bien ||perdu [[R]].[[kaout|3SGM a]] ||[[POSS|son]] vue | ||
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| (2)||Kollet ||eo||e eñvor||'''gantañ'''. | | (2)||''Kollet'' ||eo||e eñvor||'''gantañ'''. | ||
|- | |- | ||
| ||perdu||[[COP|est]] ||[[POSS|son]] mémoire ||[[gant|avec]].[[pronom incorporé|lui]] | | ||perdu||[[COP|est]] ||[[POSS|son]] mémoire ||[[gant|avec]].[[pronom incorporé|lui]] |
Version du 10 avril 2013 à 15:48
Le passif est un mode verbal où, pour un verbe transitif, l'agent apparaît comme un argument indirect du verbe introduit par la préposition gant. L'argument interne, ici le patient, est sujet.
(1) | Skoeit on | genoc'h. | ||||
frappé suis | avec.vous | |||||
'Je suis frappé par toi, tu me plais.' | ||||||
Le Scorff, Ar Borgn (2011:40) |
Le passif est un cas d'absorption dans la grille thématique du verbe: un verbe transitif passe de deux arguments obligatoires (le sujet argument externe et l'objet argument interne) à un seul (le sujet argument interne). En (2), l'argument externe agent de l'action de manger est absent de la phrase. Le sujet grammatical réfère à l'entité affectée par l'action, l'argument interne qui porte le rôle thématique de patient.
(2) | A-benn neuze | e vint | debret | toud. | |||||||
d'ici alors | R seront | mangé | tous | ||||||||
'D'ici là ils seront tous mangés.' | Trégorrois, | Gros, (1984:312) |
Le passif a une distribution très large en breton, comparativement au français ou à l'anglais.
La distribution large du passif en breton est due à différents facteurs convergents.
Verbes transitifs
Verbes transitifs sans agent
En breton, la préposition du complément optionnel du passif introduit les compléments d'agent comme les expérienceurs.
Le verbe koll, 'perdre', en (1), est à la voix active. Son sujet 3SGM est un expérienceur.
(1) | Dall, | ne wele ket mat, | kollet en deus | e wel. | |||||||||
aveugle | ne voyait pas bien | perdu R.3SGM a | son vue | ||||||||||
'Aveugle, il ne voyait pas bien, il a perdu la vue.' | Combrit, Dastum fichier SAY2913610. |
La structure en (2) montre le même verbe au passif. Son équivalent actif est Kollet en deus eñvor. Le prédicat est kollet, prédiqué sur le sujet e eñvor par la copule eo (forme de la copule qui confirme que son sujet la suit). La préposition gant amène l'expérienceur.
(2) | Kollet | eo | e eñvor | gantañ. | |||||||||
perdu | est | son mémoire | avec.lui | ||||||||||
'Il a perdu la mémoire.' | Uderzo & Goscinny (1977:13) | ||||||||||||
(*'sa/la mémoire est perdue avec/par lui.') | |||||||||||||
(*'his/the memory is lost by him.') |
En français ou en anglais, la passivisation d'un verbe transitif dont le sujet est un expérienceur est impossible. Les verbes transitifs dont l'argument externe est un expérienceur, et non un agent, n'ont pas de forme passive dans ces langues. Cette différence typologique concort à faire qu'en breton, les formes passives soient plus répandues.
tournures impersonnelles
Il est parfois compliqué en breton de décider si une tournure est passive (Une souris a été attaquée par le chat) ou s'il s'agit d'une tournure impersonnelle (Il a été attaqué une souris par le chat). En effet, l'équivalent de l'explétif il en français serait en breton un pronom vide.
En (1), on voit que la forme ez eus est déclenchée par la définitude du patient, car la forme eo apparaît dès que le patient ar priz, défini, lui est substitué.
(1) | Diou wech | ez eus | bet roet | eur priz | d'eul levr savet gantañ. | ||||||
Diou wech | eo | bet roet | ar priz | d'eul levr savet gantañ | |||||||
deux fois | R est | été donné | le prix | à un livre monté par.lui | |||||||
'Deux de ses livres ont reçu un prix.' | Léon, | Fave (1998:142) |
Ce n'est cependant pas un argument définitif pour écarter l'hypothèse d'une tournure impersonnelle, car ces tournures sont prototypiquement limitées de la même façon ('*Il a été attaqué la souris par le chat). S'il existait un pronom explétif vide, on peut juste dire qu'il serait indéfini, puisque la forme eo de l'auxiliaire ne pourrait pas lui être associé.
(2) | Skrivet | 'z eus/' zo / *eo | bet ul levr. | ||
écrit | est | été un livre | |||
'Il a été écrit un livre.' | Favereau (1997:§443) | ||||
'Un livre a été écrit.' |
En (3), le sujet indéfini est soit un explétif vide de tournure impersonnelle, soit l'enchâssée elle-même.
(3) | Diskouezet | ez eus | bet gant x | [CP | e vez muioc'h... | ||||||
montré | R est | été par x | R est plus | ||||||||
'Il a été montré par X qu'il y avait plus de...' | Léon, | Fave (1998:142) |
Il est possible que l'usage du passif ait l'air plus répandu en breton en partie pour la raison que les tournures impersonnelles sont comptées dans les passifs.
désambiguïsation syntaxique
Avec les verbes transitifs à deux arguments lexicaux, utiliser un passif permet de différencier syntaxiquement le sujet de l'objet dans les ordres VSO (verbe-sujet-objet).
pragmatique et stylistique
Les verbes transitifs sont plus souvent au passif en breton qu'ils ne le sont en français ou en anglais pour des raisons de pragmatique (préservation de la face par impersonnalisation).
Gros (1970:32): Le passif breton se traduit dans de nombreux cas par l'actif [en français] Debret eo ho koan ganeoh?, 'Votre dîner est-il mangé par vous? (avez-vous dîné?) Souezet braz on ganit, 'Je suis fort étonné par toi (tu m'étonnes beaucoup).' Gant piv eo bet gwerzet?, 'Par qui fut-il trahi? (: qui le trahit?)' E peleh e vez prenet an traou-ze?, 'Où sont achetées (où achète-t-on) ces choses-là.' Piou a vez greet diouzit (ahanout)?, 'Qui est fait de toi? (qui, comment t'appelle-t-on?)' Hennez a zo bet greet evitañ, 'Il a été fait pour lui (on l'a aidé).' Hag e veze lavaret evel-henn gand an dud., 'et il était dit comme ceci par les gens (et les gens disaient ceci...)'
Verbes intransitifs
Trépos (2001:§419): "En principe, les verbes intransitifs, qui n'ont pas de complément d'objet, ne peuvent pas se mettre à la voix passive. Cette tournure est cependant possible pour beaucoup d'entre eux: la préposition qui précède le complément déterminatif devient préposition conjuguée; ainsi: voix active Ar vugale a zent ouzh ar mestr-se. 'Les enfants obéissent à ce maître.' voix passive Ar mestr-se a vez sentet outañ gant ar vugale. 'Ce maître est obéi des enfants.'
Même mis à part la construction du faux sujet, l'équivalent en français est agrammatical (* Il est obéi à ce maître par les enfants).
Faux passifs
Il peut se trouver en breton des phrases avec l'auxiliaire bezañ, 'être' et un argument amené par le préposition gant qui ne sont cependant pas des passifs.
En (1), le verbe est à la voie active: le sujet du verbe intransitif est Lili, qui porte le rôle d'agent.
(1) | Lili | zo komañset | get e eost. | ||||
Lili | est commencé | avec son moisson | |||||
'Lili a commencé sa moisson.' | Le Scorff, Ar Borgn (2011:15) |
La structure en (2) donne l'impression fausse qu'un verbe inaccusatif comme c'hoarvezout, 'arriver, survenir' a une forme passive. Cette forme n'a cependant pas d'équivalent actif.
(2) | C'hoarvezet eo gantañ. | ||||
arrivé est avec.lui | |||||
'Ça lui est arrivé.' | |||||
(*'C'est arrivé avec/par lui.') | français | ||||
(*'It is happened by him.') | English, Jouitteau [03/2012] |
Il existe aussi des cas troublants de faux passifs où la préposition gant introduit un complément causal.
La préposition gant peut aussi exprimer la cause d'un inaccusatif. En (3), on sait qu'il ne s'agit pas d'une tournure passive juste car il n'existe pas de version de cette phrase à la voix active.
(3) | Steuziet eo | gant ar vrumenn | a oa. | |||
disparu est | avec le brume | R y.avait | ||||
'Elle a disparu à cause de la brume.' | ||||||
(*'Elle a disparu avec/par la brume qu'il y avait.') | français | |||||
(*'She disappeared by the fog there was.') | English, Jouitteau [03/2012] |
La question d'un pronom explétif indéfini
En (1), le sujet syntaxique du verbe passif est soit la proposition enchâssée, soit un explétif du passif impersonnel, co-référent avec l'enchâssée. Comme les seuls auxiliaires possibles en (1) sont les formes zo et ez eus, formes dialectalement autorisées associées avec un sujet indéfini, l'hypothèse d'un explétif indéfini semble plus plausible.
(1) | Lavaret | 'z eus/' zo / *eo | bet din | [ e oa klañv ]. | |
dit | est | été à.moi | R était malade | ||
'Il m'a été dit qu'il était malade.' | Favereau (1997:§443) |
Par parité d'argument, il y aurait en (2) ce même explétif indéfini, sujet du verbe passif, co-référent avec l'infinitive.
(2) | N'eus ket bet | laret dit morse [ | souchañ da filip? ]. | ||
ne est pas été | dit à.toi jamais | cacher ton zizi | |||
'On ne t'a jamais dit de cacher ton zizi?' | Favereau (1997:§443) | ||||
'Il ne t'a jamais été dit de...' |
On obtient donc une analyse où il existerait en breton au moins deux pronoms explétifs vides, l'un défini, associé à certaines constructions, et visibilisé par la forme eo de la copule, et l'autre indéfini, associé, suivant les dialectes, aux copules zo et ez eus.
(3) | Difennet | zo | tapout kokouz | sujet indéfini | |
défendu | est | prendre coques | |||
'On a défendu de ramasser des coques.' | Gros (1970:124), cité dans Favereau (1997:§443) |
(4) | Difennet | eo | tapout kokouz | sujet défini | |
défendu | est | prendre coques | |||
'Il est défendu de ramasser des coques.' | Gros (1970:124), cité dans Favereau (1997:§443) |
Variation dialectale
Trépos (2001:§593): La préposition dre peut, en vannetais, introduire le complément d'agent (au lieu de gant en KLT)
On trouve aussi la préposition da dans la vallée du Scorff.
(2) | An hani wellañ | gwraet dezhoñ | biskoazh. | ||||
le celle meilleure | faite à.lui | jamais | |||||
'La meilleure qu'il ait jamais faite.' | Job Jaffré, Le Scorff, cité par Ar Borgn (2011:53) |
(3) | Achapomp | 'raok ma vimp | tapet dezhe! | |||
échappons | avant que serons | attrapé à.eux | ||||
'Echappons-nous avant qu'ils ne nous rattrapent!' | ||||||
Le Scorff, Ar Borgn (2011:38) |
(4) | Nag a wez | pilet d'an avel foll! | ||||
que de1 arbres | abattu à'le vent fou | |||||
'Que d'arbres abattus par le vent déchainé!' | ||||||
Le Scorff, Ar Borgn (2011:7) |
Cependant, on trouve aussi des compléments d'agent introduits par gant dans la vallée du Scorff.
(5) | Lod traoù | 'vez difennet | g'an Iliz. | |||
certain choses | est défendu | avec le Eglise | ||||
'Certaines choses sont interdites par l'Eglise.' | Le Scorff, Ar Borgn (2011:67) |
Horizons comparatifs
La polyvalence sémantique de la préposition 'avec', traduction mot-à-mot de gant, est un trait saillant du français de Basse-Bretagne. Dans cette variété de français, la préposition avec apparaît au passif.
(1) Vous devriez être étouffé avec la honte! > = 'Vous devriez avoir honte!' (Gallen 2006:7)
Terminologie
Le terme anglais pour 'passif' est passive.
Le terme breton pour 'voix passive' est tu gouzañv, opposé à la 'voix active', an tu gra (Kervella 1995:§208-211).