Particule o
La particule o préverbale est une particule aspectuelle.
(1) | Soñj 'm-eus | kleved | ma zud | o lared... | |||
pensée R.1SG-a | entendre | mon2 parents | à4 dire | ||||
'Je me rappelle entendre mes parents dire....' | Uhelgoat, Skragn (2002:56) |
Morphologie
réalisation de la mutation
La particule o4 précède un verbe qui est toujours infinitif. La particule déclenche sur lui une mutation mixte, appelée aussi léni-provection. Ce déclencheur de mutation est représenté ici par le chiffre 4 en exposant. Cette mutation est persistente à travers tous les dialectes, et ne montre pas de signe de faiblissement. Sa réalisation est sujette à une petite variation de dialecte en dialecte.
Parfois, la particule n'est pas elle-même prononcée et sa présence est uniquement signalée par la mutation consonantique qu'elle provoque sur le verbe comme en Goëlo en (3) ou en bas-vannetais (/(i) fɔ̃ n/, Cheveau 2007:212).
(1) | ' falé, | ' foñnt, | ' freynañ | Goëlo | ||
o vale, | o vont, | o vreinañ | Standard | |||
en train de marcher | en train d'aller | en train de pourrir | ||||
'en train de marcher, aller, pourrir.' | Koadig (2010:83) |
La léni-provection touche un grand nombre de consonnes, cependant, certaines ne sont jamais rapportées en standard.
(2) | Kracherc'h | zo nhijal | diboa mintin-m'. | Cornouaillais de l'Est (Bannalec) | |||
Krakerc'h | zo o nijal | dibaoe mintin-mañ | Équivalent standardisé | ||||
semi.neige | est à4 voler | depuis matin-ci | |||||
'Il vole de rares flocons depuis ce matin.' | Bouzec & al. (2017:62) |
A Ouessant, le verbe mont ne donne pas la forme mutée standard o vont, mais o hont.
(3) | ... | pa | veze ruz | an heol o hond | da guzad... | |
quand1 | était rouge | le soleil à aller | pour1 cacher | |||
'... lorsque le couchant était rouge...' | Ouessant, Gouedig (1982) |
réalisation de la particule
Parfois, la particule n'est pas prononcée du tout. Si le verbe ne commence pas par une consonne mutable et il n'y a alors plus du tout d'évidence morphologique pour celle-ci.
(4) | [ pe vɛɤ | l̥abuˑɤǝ ] | Breton central | ||
pa vezer | o labourat | Standard | |||
quand1 est.IMP | à4 travailler | ||||
'Quand on travaille.' | Breton central, Wmffre (1998:36) |
sans proclitiques
Lorsque la particule apparaît directement devant le verbe, on trouve les formes o ou oc'h en KLT.
forme e
A Sein, en Léon, à Plougrescant ou à Groix, la particule est prononcée /e/.
(1) | Ma fri | 'zo | e | vera. | ||
mon2 nez | est | à4 | couler | |||
'Mon nez coule.' | Sein, Fagon & Riou (2015:'berañ') |
(2) | /xizo bed | eferniča / | ||||
elle.est été | à4 patelles.chercher | |||||
'Elle a été ramasser des patelles.' | Groix, Ternes (1970:252) |
Le Dû (2012:97) signale la forme e4 en trégorrois. On retrouve aussi une forme orthographiée e en Léon.
(3) | N'eus ket | aet den ebet | da baour | e trempañ | e zouar. | |
ne est pas | allé personne aucun | à1 pauvre | à fumer | son1 terre | ||
'Personne n'est tombé dans la pauvreté en fumant sa terre.' | ||||||
Léon, Mellouet & Pennec (2004:93) |
forme i
Ailleurs en vannetais, cette particule est orthographiée é mais prononcée /i/.
(2) | Ne vin | ket me | mui amañ | é [INF | kennig dour deoc'h ]. | ||
ne1 serai.1SG | pas moi | plus ici | à4 | proposer eau à.vous | |||
'Moi, je ne serai plus là à vous offrir de l'eau.' | |||||||
Vannetais, Ar Meliner (2009:107) |
(3) | [hɛ | zo | (i) | [VP | fɔ̃ n | tǝn dɔ̃ :n] . | ||
Int | 'zo | o | vont | d'an traoñ | ||||
eux | est | à4 | aller | à le bas | ||||
‘Ils [les jours] vont en diminuant.’ | Bas-vannetais, Cheveau (2007:212) |
François Louis (c.p.) précise que dans une bonne partie du bas-vannetais, on n'entend pas la particule [i], mais on entend distinctement devant les voyelles le [h] qui y est associé (cf. graphies en éh ou éc'h). Devant L, N, R, J, ce éc'h provoque un dévoisement de ces consonnes (cf. en gallois).
(4) | Ema ec'h ober | e damm marmouz! | ||||
est à4 faire | son1 morceau singe | |||||
'Il est à faire son bout de singe, il fait des grimaces.' | ||||||
Le Scorff, Ar Borgn (2011:57) |
(5) | Atav | 'vez-heñv | é rekinal. | |||
toujours | est-lui | à4 rechigner | ||||
'Il fait le grincheux en permanence.' | Le Scorff, Ar Borgn (2011:57) |
La forme [i] est aussi signalée en pays bigouden (Goyat 2012:274).
devant proclitiques
Les formes ouzh en KLT et doc'h en vannetais et bord vannetais ne sont pas à proprement parler des variations dialectales, ce sont les formes sous lesquelles apparaît cette particule lorsqu'elle est suivie d'un proclitique objet.
De façon consistante à travers les dialectes, la particule o change de morphologie devant un pronom proclitique. Elle prend alors une forme qui ressemble de façon plus transparente à une préposition. En KLT, cette forme devant un proclitique est ouzh.
La forme de la particule lorsqu'un proclitique objet apparaît devant le verbe est doc'h en vannetais et bord-vannetais.
(3) | jɔ̃ | wɛ | dɔʁ | [VP | mǝ hʁogɛ̃ɲ ] . | |
eñ | oa | o | me c'hregiñ. | |||
lui | était | à4 | me2 mordre | |||
‘Il était en train de me mordre.’ | Bas-vannetais, Cheveau (2007:207) |
(4) | Ma | ferson a lâre din | tuchantik, | a pa | oa doc'h | man deveriñ... | ||
mon2 | recteur R1 disait à.moi | tout.à.l'heure.DIM | quand | était à | me2, +C V | |||
'Mon recteur me disait tout à l'heure, quand il me donnait l'extrême onction...' | ||||||||
Vannetais, Ar Meliner (2009:178) |
(5) | Emaont | doc'h | en em lesaat. | |||
sont | à | se courtiser | ||||
'Ils se font la cour.' | Le Scorff, Ar Borgn (2011:29) |
Ternes (1970:304) rapporte qu'à Groix, cette construction progressive en o n'est pas compatible avec un pronom proclitique objet (une alternative avec la préposition / ̌jet/, gant, est alors utilisée).
Syntaxe
une particule aspectuelle
La particule o est la tête d'une projection aspectuelle AspP. Le sujet est dons son spécifieur. Son complément est le groupe verbal constitué du verbe et de son objet le cas échéant.
(1) | [AspP | Sujet Asp° [VP | verbe infinitif | objet ]] |
pas un rannig
Le fait que la particule o précède toujours le verbe la fait parfois analyser comme un rannig (cf. Cheveau 2007). Cette analyse s'appuie sans doute sur le fait que les rannigs a1 et e4 n'apparaissent jamais devant les verbes infinitifs. La particule serait une sorte de rannig réservé aux infinitifs.
Cependant, plusieurs propriétés distinguent o des rannigs.
- les verbes infinitifs peuvent apparaître sans particule aucune (_ Debriñ a ran kakao, 'Je mange du cacao').
- un proclitique objet prend la place d'un rannig, mais pas de la particule aspectuelle (e welout 'le voir', ouzh e welout 'en train de le voir').
- la morphologie de o/ouzh est prépositionnelle
- l'impact sémantique que o obtient est de type aspectuel (par exemple le progressif). L'impact sémantique des rannigs est temporel tout au plus (c'est même douteux puisqu'ils accompagnent des verbes tensés).
l'infinitif suit directement
La particule o4 est la tête d'un domaine non-tensé. Elle précède toujours directement un verbe infinitif. Il s'agit d'une particule aspectuelle qui prend la structure verbale infinitive comme son argument direct.
(1) | Emañ o [VP | vrevi e gorv ]. | Cornouaillais, Trépos (2001:§86) | |
est à4 | briser son1 corps | |||
'Il est en train de se briser le corps.' |
le sujet précède directement
Le domaine non-tensé dont la particule o est la tête est une petite proposition, avec un sujet réalisé ou non (PRO) et parfois un objet. Lorsque le sujet est réalisé, on voit qu'il est devant la particule o, probablement dans le spécifieur de sa projection.
(2) | Aze | ema | Kaou Penngloan | o chom. | Léon, Seite & Stéphan (1957:71) | |
ici | est | Kaou Penngloan | à4 rester | |||
'C'est ici qu'habite Kaou Penngloan.' |
Lorsque le sujet apparaît à droite, il apparaît à droite de tout le groupe verbal, avec tous les signes de la dislocation à droite (Aze emañ o chom, Kaou Penngloan.).
distribution
matrices infinitives
La particule o apparaît aussi dans les matrices infinitives.
(3) | Hag eñ | o redek | d'an | druilh drast. | |
et lui | à4 courir | de'le | N Adj | ||
'Et lui de courir à toute vitesse.' | Standard, Chalm (2008:D4) |
propositions infinitives enchâssées
Le domaine non-tensé sélectionné par la particule o est assez large pour contenir un sujet, réalisé ou vide (PRO). Cette propriété permet de construire des structures où le sujet non-réalisé du verbe infinitif n'est pas co-référent avec celui de la principale.
Trépos (2001:§350) note justement qu'en (4), la particule o permet d'avoir la lecture J'ai vu votre mère qui allait à Quimper. En contraste, la particule en ur aurait été grammaticale, mais aurait bloqué la phrase à son interprétation (b.) où le sujet du verbe infinitif co-réfère avec celui de la principale.
(4) | [DP Ho mamm ]x | am-eusz gwelet | o | [VP PROx/z | vont da Gemper ]. | ||
votre3 mère | R.1SG-kaout vu | à4 | aller à Quimper | ||||
a. 'J'ai vu votre mère qui allait à Quimper.' | |||||||
b. 'J'ai vu votre mère en allant à Quimper.', | Trépos (2001:§350) |
Structures ECM
En (5), cette petite proposition est elle-même l'objet du verbe klevout 'entendre'.
(5) | A-raog pellaad | diouz Penmarh | e karfen | kleved | [ SC | ahanout | o kana | Gwerz Penmarh ]. |
avant éloign.er | de Penmarc'h | R4 aimerais | entendre | P.toi | à4 chanter | chanson Penmarc'h | ||
'Avant de quitter Penmarc'h, j'aimerais t'entendre chanter la complainte de Penmarc'h.' | ||||||||
Léon, (Cléder), Seite (1998:93) |
circonstancielle de cause
Une petite proposition en o peut marquer la cause.
Gourmelon (2014:115) remarque que lorsque ces circonstancielles de cause sont antéposées dans la phrase, elle ne sont alors licites qu'avec un ensemble restreint de verbes de perception comme gwelout, klevout, santout, c'hwesha.
(6) | [ SC | o klevet an dra-se ] | 'm boa graet | ul lamm war ma c'hador. | |||
à4 entendre le chose-ci | 1SG avait fait | un saut sur mon2 chaise | |||||
'A entendre ça, j'avais fait un bond sur ma chaise.' | |||||||
Gourmelon (2014:115) |
- O welet ma neuz distronk, e oa tostaet ouzhin, Gourmelon (2014:115)
ce qui sélectionne o
La particule o semble parfois sélectionnée comme faisant partie de la grille argumentale d'un verbe ou d'une construction en particulier.
Chalm (2008:§D4) cite:
le verbe skuizhañ, '(se) fatiguer (de)', 'se lasser (de)', ainsi que les constructions verbales avec: koll 'perdre': koll amzer 'perdre du temps', koll arc'hant 'perdre de l'argent', koll pasianted 'perdre patience' tremen 'passer': tremen amzer 'passer son [du,le] temps' kaout 'avoir': kaout mezh 'avoir honte', kaout plijadur 'avoir (du) plaisir', kaout poan 'avoir du mal'... bezañ 'être': bezañ nec'het 'être inquiet', bezañ laouen 'être content' et avec bet, participe passé du verbe bezañ, 'être' dans le sens de 'aller' (et 'revenu')
(1) | Laouen on | o vezañ amañ, | asambles ganeoc’h, | evit sinadur ofisiel | Ya d’ar brezhoneg (...). |
content suis | à4 être ici | ensemble avec.vous | pour signature officielle | oui à1' le breton | |
'Je suis heureuse d’être parmi vous pour la signature officielle de Ya d’ar brezhoneg.' | |||||
Standard, Lena Louarn, Présidente de l'Office de la Langue Bretonne, 22 avril 2009 |
(2) | Poan am-eus | o kredi | e vefen pare mad. | ||
peine R.1SG-ai | à4 croire | R serais guéri bien | |||
'J'ai peine à croire que je serais vraiment guéri.' | Léon,Fave (1998:132) |
(3) | Koll a raen | ma amzer | o klask. | ||
perdre R faisais | mon temps | à4 chercher | |||
'Je perdais mon temps à chercher.' | Standard, Chalm (2008:D4) |
(4) | Skuizhañ a ran | o | touzañ ar geot. | ||
fatiguer R fais | à4 | tondre le herbe | |||
'Je suis fatigué.e de tondre l'herbe.' | Standard, Chalm (2008:D4) |
(5) | Bet eo | o | kerc'hat he sac'h. | ||
été est | à4 | prendre son2 sac | |||
'Elle est allée prendre son sac.' | Standard, Chalm (2008:D4) |
[ o + Verbe ] à l'initiale
dialectes sans antépositions
En cornouaillais de l'Est, il semble y avoir un évitement des structures à antéposition de [o + Verbe]. Kennard (2013:179, 203) montre que parmi trois générations de locuteurs interviewés autour de Quimper, les phrases progressives commençant par o + verbe infinitif en tête, de type O tebriñ avaloù emañ ar paotr, 'Le garçon est en train de manger des pommes', sont produits par les jeunes générations mais elle n'en relève pas chez les locuteurs traditionnels. Ceci est confirmé ici par différentes élicitations.
(1) | * | O tont | emañ ar goañv. | |||
à4 venir | est le hiver | |||||
'L'hiver arrive.' | Plogoneg, Renée Ribeyre, kontañ kaoz (12/2017) |
La locutrice H.G. ci-dessous est bilingue en breton standard et en parler de Scaër/Bannalec. Elle peut utiliser le standard o kouezhañ ou le dialectal 'kouezho, mais pas prononcer la particule pour donner o kouezho. De façon révélatrice, la petite proposition standard est antéposable, mais pas la version dialectale.
(2) | Ma loeroù | zo | o kouezhañ / 'kouezho / * o kouezho! | |||
mon2 chaussettes | est | à4 tomber | ||||
'J’ai les chaussettes qui descendent.' | Scaër/Bannalec, H. Gaudart (03/2017) |
(3) | O kouezhañ / * 'Kouezho | ema | ma loeroù ! | |||
à4 tomber / 'tomber | est | mon chaussettes | ||||
'J’ai les chaussettes qui descendent.' | Scaër/Bannalec, H. Gaudart (03/2017) |
dialectes avec antéposition
L'impossibilité du groupe [o + Verbe] à l'initiale n'est en tout cas pas partagée par tous les dialectes, car on trouve une telle antéposition à Sein, à Duault, à Plouzane, Plougerneau ou à Saint-Pol-de-Léon. Kervella (1947:§743) en donne des exemples, et ne mentionne aucune restriction.
(1) | E choujal 'don | va binoklou | 'dint | ket ganeoñ | aneu. | ||
à4 penser suis | mon2 binocles | sont | pas avec.moi | P.eux | |||
'Je suis en train de penser: j'ai pas mes binocles.' | Sein, Kersulec (2016:27) |
(2) | o vɔ̃ n | da zʁebi | ema | Saint-Pol-de-Léon, Avezard-Roger (2004a:217) | ||
O vont | da zrebi | ema. | ||||
à4 aller | pour1 manger | est | ||||
'Il va manger.' |
(3) | [ | tibi | ema | Duault, Avezard-Roger (2004a:281) | ||
(O) | tebri | ema. | ||||
(à)4 | manger | est | ||||
'Il est en train de manger.' |
(4) | O labourat | emaint | en traoñ. | ||||
à4 travailler | sont | dans bas | |||||
'Il y a les travaux en bas / on travaille en bas.' | Plougerneau, M-L. B. (04/2016) |
(5) | Oc'h hunvreal | gant va c'hi bihan | oun bet. | ||||
à4 rêver | avec mon2 chien petit | suis été | |||||
'J'ai rêvé de mon petit chien.' | Léon, Kervella (2009:221) |
(6) | O chom | edont | e Kerber. | Plouzane, Briant-Cadiou (1998:189) | |
à1 rester | étaient | dans Kerber | |||
'Ils habitaient à Kerber.' |
Sémantique
progressif
La particule o4 ou sa variante vannetaise é4 est prototypiquement la particule du progressif du groupe verbal qu'elle introduit. Sémantiquement, l'aspect progressif marque l'inclusion du temps de la phrase dans le temps du prédicat.
(1) | Gwall | drist | e oa gwelet | [ SC | an traoù-se holl | é kouezhel | tamm àr-lec'h tamm ] |
très1 | triste | R était voir | le choses-là tout | à4 tomber | morceau après morceau | ||
'C'était triste de voir tout cela tomber peu à peu en ruines.' | Vannetais, ar Meliner (2009:16) |
L'usage de la particule o avec le verbe de situation emañ fixe sa lecture au progressif.
Elle est alors traduisible en français par en train de (cf.C'était triste de voir tout cela en train de tomber peu à peu en ruines).
Comme la structure française, la structure bretonne ne supporte pas que le temps du prédicat, même réitéré régulièrement à l'intérieur du temps de la phrase, soit non-uniforme (Où es-tu en train de dormir ces temps-ci?).
(2) | Pelec'h | e kouskez ? | Standard | |||||||
Pelec'h | e vezez o kousket ? | |||||||||
Pelec'h | e kustumez kousket ? | Léon | ||||||||
* | Pelec'h | emaout o kousket ? | inadapté | |||||||
'Où dors-tu (ces temps-ci) ?' | Madeg (2013:7) |
L'expression gelée bezañ o chom, litt. 'être à rester', pour 'habiter' est une exception (cf. * Où es-tu en train d'habiter?).
(3) | Pelec'h | emaout o chom ? | ||
où | es à4 rester | |||
Où habites-tu (#ces temps-ci)?' |
L'emploi de la particule o est plus large que celui du progressif français en train de, comme illustré en (4).
(4) | Ni | vie | o redek | kuit | en tu all | dre an nor. |
nous | étions | à4 courir | parti | dans.le côté autre | par le porte | |
'Nous, on courait de l'autre côté par la porte.' | ||||||
Bas-Cornouaillais (Le Juch), Hor Yezh (1983:5) |
(5) | Ne gavan ket ahanoh | o kosaad | tamm ebed. | L'Hôpital-Camfrout, Le Gall (1957:'kôsedi') | ||
ne1 trouve pas P.vous | à4 vieillir | morceau aucun | ||||
'Je ne trouve pas que vous vieillissiez.' |
emplois non-progressifs
La particule o4 n'est pas réductible à l'usage du progressif.
coïncidence temporelle et causalité
La particule o est parfois sélectionnée par des adjectifs prédicatifs (bezañ pell o kanañ, bezañ laouen o kemenn...). En (1), la particule o ordonne une coïncidence temporelle entre une phrase copulative marquant un état et une infinitive. La coïncidence temporelle semble impliquer la causalité.
(1) | Ul lastez lorc'h | oa ennon | o vont da c'hoari | soudardig. | Léon (Bodilis), Ar Floc'h (1985:51) | |
un sapré fierté | était dans.moi | à4 aller pour1 jouer | soldat.DIM | |||
'J'étais sacrément fier d'aller jouer au petit soldat.' |
Chalm (2008:D4,n1) a distingué ces structures du o du progressif, et noté qu'elles peuvent même être incompatibles avec le progressif. Par exemple en (2), il s'agit de la construction bezañ laouen 'être heureux (de)'. La forme du verbe 'être' qui apparaît avec la particule o est la forme d'actualité int. La forme de situation correspondante, qui serait la marque du progressif, serait emaint.
(2) | Laouen int | o | klevet o | bugale | o komz e brezhoneg. | ||
heureux sont | à4 | entendre leur2 | enfants | à4 parler en breton | |||
'Ils sont heureux d'entendre leurs enfants parler breton.' | |||||||
Standard, A. Cousin, 'Ken eürus e galleg hag e brezhoneg' | |||||||
Finistère, Revue d’Information du Conseil Général du Finistère p.22. |
En (3), la forme emañ de la copule typique du progressif serait agrammaticale dans ce dialecte (An ebeulez n'emañ ket pell o skeiñ...).
(3) | An ebeulez na | oa ket bet pell | o skei ar harr | en e hourvez. | ||
le pouliche ne.R | était pas été long | à cogner le voiture | dans son1 couché | |||
'La pouliche ne fut pas longue à renverser la charrette .' | ||||||
Trégorrois, Gros (1989:'gourvez') |
En (4), l'action d'être tué, action ponctuelle s'il en est, montre que la structure aspectuelle du verbe n'est pas au mode progressif.
(4) | "Pupille de la Nation" | e oa bet Kongar, | e dad | o | vezañ bet marvet | er brezel. | |
R était été Kongar | son1 père | à4 | être été mourru | dans.le guerre | |||
'Kongar avait été "Pupille de la Nation", son père ayant été tué à la guerre.' | |||||||
Standard, Denez (1993:23) |
négation
Certaines lectures de la particule o re révèlent dans les phrases négatives qui montrent une grammaticalisation en modal. En (1), une lecture strictement progressive signifierait 'quand il avait une femme, cela ne lui faisait pas de peine'.
(1) | N’en-doa | ket a boan | o kaoud | eur vaouez... | Léon (Plouzane), Briant-Cadiou (1998:41) | |
ne1’avait | pas de1 peine | à4 avoir | un1 femme | |||
'Il n’avait pas de peine à trouver une femme... ' |
On observe le même phénomène en français avec ‘avoir de la peine à V’. Si je dis J’ai de la peine à manger du kouign-amann, la lecture progressive est disponible car je dis que je ressens de la difficulté lorsque je suis dans l’action de manger du kouign-amann. Dans l'équivalent négatif correspondant Je n’ai pas de peine à manger du kouign-amann, on voit que la lecture n’est pas strictement progressive ('Ce n'est pas le cas que je ressens pas de difficulté lorsque je suis dans l’action de manger du kouign-amann'), mais réalise un modal de possibilité ('je peux manger du kouign-amann').
circonstancielle de moyen
La particule o4 peut introduire une circonstancielle de moyen.
(1) | Tout | e vezont krevet | oc'h ober bourjinerezh, | o klask gwelet piv eo ar c'hapaplañ. | ||
tous | R sont crevé | à4 faire bêtise | à4 chercher voir qui est le 5capable.plus | |||
'Tous se crèvent en faisant des bêtises à essayer de voir qui est le meilleur.' | ||||||
Léon, Mellouet & Pennec (2004:160) |
Lorsque o introduit une circonstancielle de moyen, ce qui est traduit en français par le gérondif (en faisant...), on peut en breton utiliser la forme en ur à la place de o si le sujet de l'infinitive coïncide avec le sujet de la matrice.
(2) | Amañ em eus | klasket strollañ | ar pezh a zo bet | skrivet gantañ | diwar-benn ar politikerezh, | ||
ici R.1SG a | cherché grouper | ce que R est été | écrit par.lui | sur le politique | |||
[ o4 tastum | e destennoù | diwar-benn Breiz Atao, | ha diwar-benn | an Istor ]. | |||
à4 collecter | son1 textes | sur Breiz Atao | et sur | le Histoire | |||
'J'ai cherché ici à rassembler ses écrits sur la politique, en collectant ses écrits sur Breiz Atao et sur l'Histoire.' | |||||||
Standard, Denez (1993:33) |
(3) | [ O4 selaou an dud ] | en doa desket | ur bern traoù. | |||||
à4 écouter le 1gens | R.3SGM avait appris | un tas choses | ||||||
'Il avait appris un tas de choses en écoutant les gens.' | ||||||||
Standard, | Chalm (2008:D4) |
o vezañ ma
La construction gelée commençant par o vezañ ma V peut introduire les infinitives de moyen.
(4) | [ O4 vezañ | ma oa | rust ar mor ] | e oa chomet | ar bigi | er porzh. | |
à être | que était | rude le mer | R était resté | le bateaux | dans.le port | ||
'Étant donné que la mer était mauvaise, les bateaux étaient restés au port.' | |||||||
Standard, Chalm (2008:D4) |
Diachronie
Ernault (1888b:246) signale que cette forme est relevée (au moins) depuis le moyen breton.
Horizons comparatifs
Cette construction est très similaire en moyen breton et en cornique.
(1) | my a grys | bos Tom | ow palas | y'n lowarth. | Cornique | ||
Me a gred | bout Tom | o palad | el luorz. | Moyen breton | |||
Me a gred | ema Tom | o palad | el liorz. | Breton | |||
moi R4 crois | est Tom | à bêcher | dans.le jardin | ||||
'Je crois que Tom est en train de bêcher dans le courtil.' | cité par Trépos (2001:§363) |
Le gallois, lui, a maintenant un usage différent de cette particule, qu'on retrouverait ici, dans la même phrase, aussi dans la proposition principale:
(2) | yr wyf yn credu | bod Tom | yn palu | yn yr ardd. | Gallois | ||
_ est prt/en croire | être Tom | prt bêcher | dans le jardin | ||||
'Je crois que Tom est en train de bêcher dans le courtil.' | cité par Trépos (2001:§363) |
L'usage de prépositions spatiales pour former un progressif n'est pas rare à travers les langues (Elle est à bêcher dans le jardin).
A ne pas confondre
Puisqu'elle sert à l'expression du moyen, la particule o4 recouvre partiellement celle de l'équivalent du gérondif français en ur1. Les deux particules ne doivent cependant pas être prises comme équivalentes.
Terminologie
Kervella (1947), considérant que o n'apparaît que devant les verbes, appelle en breton la particule o araogenn rannig-verb.
Bibliographie
- Yann Gerven. 2014. ' oc'h ober? en ur ober? traoù all? ', Yezhadur!, Alioù fur evit ar vrezhonegerien diasur, Keit Vimp Bev, 113-114.
- Kennard, Holly & Aditi Lahiri. 2017. 'Mutation in Breton verbs: Pertinacity across generations', Journal of Linguistics 53:1, 113-145.
- Stephens, J. 1983b. 'Talvoudegezh “o” hag “en ur”', Hor Yezh, 152:23-31.