Deus, douz, dac'h

De Arbres

La préposition deus, dac'h ou douz est une préposition généraliste. Selon les usages, elle peut être traduite en français par 'de, à, contre, envers, selon, en proportion de'....


(1) … Ha oa aretet deus kostez an ti du-se.
et était arrêt.é il de côté le maison côté-
'… et il s'était arrêté du côté de cette maison.'
Cornouaillais (Le Juch), Hor Yezh (1983:8)


Cette préposition généraliste couvre les contextes d'utilisation des trois prépositions ouzh diouzh et eus du breton classique et standard. Elle est très répandue dans l'aire parlante centrale, et jusqu'en Léon.


Représentation de la variation dialectale

Gourmelon (2014:7) propose une représentation de la répartition dialectale de deus dans le tableau (1).


(1) breton classique, côtes du Léon, Goëlo Cornouaille, Trégor Vannetais
a, eus deus a(g)
ouzh deus doc'h
diouzh deus doc'h


La situation est complexe et par conséquent difficile à représenter schématiquement sans se commettre dans des implications fausses. Pour se faire une idée globale de la distribution de toute et chacune de ces formes, il faut vérifier pour chaque locuteur si son usage de la forme généraliste couvre bien les contextes de distribution de eus, ouzh et diouzh. Il faut aussi pouvoir représenter les formes en concurrences dans un même parler, ainsi que la carte des endroits où une forme donnée n'est pas connue.


systèmes mixtes

Les locuteurs traditionnels habitués au standard ont une compétition entre le système tripartite classique du standard et la préposition généraliste propre à leur dialecte, ce qui est le résultat d'un bilinguisme dans deux variétés proches, et résulte d'un phénomène de contact.

Parmi les locuteurs produisant une variété homogène de dialecte traditionnel, certains semblent utiliser indifféremment les prépositions eus (ou dimeuz au cœur de l'aire centrale) et deus.


(1) Hag e komz d'in deus ar gêr, eus an aotrou person en deus va lakaet da ober va faskou.
et R4 parle à moi de le 1foyer de le monsieur recteur R.3SG a moi mis à1 faire mon2 Pâques
'Et il me parle de chez moi, du recteur qui m'a fait faire mes Pâques.'
Cornouaillais (Pleyben), Ar Floc'h (1950:78)


Dans Briant-Cadiou (1998), locutrice de Plouzane, on trouve un système mixte de formes deus et léonarde dac'h, mais aussi les formes classiques ouzh, diouzh et eus.


(2) … dah eno, e hellent evezia ouz eur pennad mad a vro.
de R4 pouvaient veill.er à un morceau bon de1 pays
'… de là, ils pouvaient surveiller une bonne partie du pays.'
Léonard (Plouzane), Briant-Cadiou (1998:198)


(3) … dindan urz ar Jeneral Ramke, a gavas an tiegez-se deuz o doare.
sous ordre le général Ramke R1 trouva le maisonn.ée- de leur2 façon
'... sous les ordres du général Ramke à qui plut la maison.'
Léonard (Plouzane), Briant-Cadiou (1998:199)


(4) Eur rummad all deuet n'ouzon ket euz a beleh ...
un groupe autre ven.u ne1 sais pas de de1
'un autre groupe venu de je ne sais où… '
Léonard (Plouzane), Briant-Cadiou (1998:200)


Ces prépositions dépendent toutes largement des phénomènes de sélection lexicale qui peuvent varier de façon idiolectale. Deus peut être en compétition avec le standard eus, mais aussi avec la variante dialectale doc'h de diouzh. Selon Goyat (2012:202), "/døz/ ou /doh/ est la préposition la plus usitée après un superlatif" à Plozévet.


(5) /arˌʒapɛl 'ɡaɛra døz / doh ar ˌbarz/
ar japel gaerra euz ar barrez
le 1chapelle 1belle.le.plus de le 1paroisse
'la plus belle chapelle de la paroisse'
Cornouaillais (Plozévet), Goyat (2012:203)


En (6), au début du XXe, deus est en place de diouzh en standard, mais la forme ouzh est préservée, au moins comme forme de la particule o devant un verbe.


(6) Deuz ma welan, aman oa den ouz va gedal.
à.ce que4 vois ici était personne à me2 attendre
'A ce que je vois, personne ici ne s'attendait à moi.'
Haut-Cornouaillais (Kergrist-Moëlou), Le Garrec (1901:12)


Considérant ces facteurs multiples, les formes morphologiquement différentes sont étudiées séparément ci-dessous, en essayant de documenter le plus précisément possible les zones où chacune est reconnue ou inconnue.

La forme deus, KLT sauf Ouessant et bord vannetais

Dès 1922, est signalé l'usage de "deus pour ouzh, diouzh et eus, en Cornouaille" (Académie bretonne 1922:292). Les formes en deus sont typiques en Cornouaille et dans l'aire centrale. On y trouve aussi la forme douz.


(1) Kae kuit douz amen !
va parti de ici
'Va-t-en d'ici !'
Cornouaillais (Moëlan), Bouzec & al. (2017:66)


Pour le trégorrois, on trouve la forme deus /dœzz/ dans Le Dû (2012) dans quelques exemples à l'entrée diouzh, en très large minorité après la forme douz.


 Gros (1970:162)
 "Ce mot n'est pas admis dans la langue littéraire; mais il est d'un usage très étendu en trégorrois parlé qui s'en sert constamment aux lieu et place des trois prépositions classiques du K.L.T. :
 
 eus, 'de' (provenance, extraction)
 ouz (ou oh), 'à, contre, envers' 
 diouz (ou dioh), 'de' (éloignement, séparation), 'selon, en proportion de, à' (convenance)
 
 et dans certains cas, de
 a, 'de' (origine, provenance)
 
 […] à mon avis, deuz, qui est employé en Cornouaille aussi bien que dans le Trégor, devrait être reçu dans le breton écrit concurremment avec euz."


Au-delà de l'aire centrale et de la Cornouaille, les formes en deus sont recueillies en Léon jusqu'à Plouzane (fin XXe) ou Lesneven/Kerlouan (début XXIe).


(1) Deuz uhelder Koz-kastell, an Amerikaned a wele va lienennou.
de haut.eur vieux-château le améric.ains R1 voyaient mon2 linge.SG.PL
'...des hauts de Koz-Kastell, les américains voyaient mes draps.'
Léonard (Plouzane), Briant-Cadiou (1998:198)


La forme deus est aussi relevée dans la vallée du Scorff.


(2) Ma vri ' dosta deus an douar.
mon2 nez R1 approche de le terre
'La côte est raide !'
Vannetais (Le Scorff), Ar Borgn (2011:28)


La forme deus n'apparaît pas en vannetais de Quistinic dans Nicolas (2005) (où la forme en [də] correspond à la préposition standard da). Favereau (1993:§'deus') considère que le vannetais utilise uniquement la forme a(g) (mais on y trouve aussi la forme doc'h). La forme deus est largement repoussée en standard. Elle est par exemple absente des dictionnaires Menard & Kadored (2001) ou Merser (2009).

Sur l'île de Ouessant, Les trois prépositions classiques encore distinctes : diouzh est réalisé en douh (e teued douh an noz 'on venait la nuit'), eus est réalisé comme tel ou sous la forme deus, ouzh est réalisé ouh (et diwar est réalisé en dor, sur war réalisé en 'or', Gouedig 1982).


diachronie

Hemon (2000:§68) note des occurrences de la préposition deus, en mentionnant que comme eus, cette préposition n'admet pas d'incorporation des pronoms sans la médiation d'une autre préposition.

  • deux anesy, (1530, Pm. n. 237); deus anezhe (1874, SBI:II:196).


incorporation instable

La préposition deus a un paradigme instable d'incorporation de ses objets pronominaux.


pronoms objets non-incorporés

(3) o zyn zo deʒa mœs ke bit dø 'kɛvə døs ã
Ur sizhun ' zo dija 'meus ket bet de keve deus eñ.
un semaine R est déjà 1SG.a pas eu de nouvelles de lui
'Il y a une semaine déjà que je n'ai pas eu de nouvelles de lui.'
Breton central (Duault), Avezard-Roger (2004a:121)


(4) Troñs-lostenn ' veze graet deus'tañ !.
retrousse-chemise R était fa.it de.à.lui
'On l'appelait "retrousse-chemise"' (coureur de jupons)
Cornouaillais (Riec), Bouzeg (1986:II)


deusoutañ, deusouti

Comme doc'h, la préposition deus peut sélectionner comme objet la préposition ouzh et former avec elle une préposition complexe.


(5) Me n'ouzon ket petra eo ar paotr, lavaran deoc'h me frekantan gour deuzouto.
moi ne1 sais pas quoi est le gars dis à.vous moi fréquente homme de.de.eux
'Moi, ce gars, je sais pas ce qu'il est, je vous dis que je ne fréquente aucun d'eux.'
Bas-Cornouaillais (Tréboul), Hor Yezh (1983:73)


(6) Tristan a zegas atao ur foto deuhoutañ ...
Tristan R1 apporte toujours un photo de.de.lui
'Tristan envoie toujours une photo de lui… '
Léonard (Kerlouan/Lesneven), A. M. (05/2016)


(7) Gant kemer hoc'h amzer e teufet a-benn deusontañ.
avec prendre votre3 temps R4 viendrez à.bout de.de.lui
'A condition de prendre votre temps, vous viendrez à bout de lui.'
Trégorrois, Gros (2014:'amzer')


(8) … da bellât deuz ouzon trubuill hag enkrezo.
de1 loin.er de.de.moi anxiété]] et angoisse.s
'...d'éloigner de moi des anxiétés et des angoisses'
Breton central (Kergrist-Moëlou), Le Garrec (1901:74)


(9) An ankou neus ket bet ezhomm deusouzoc'h.
le Ankou a pas eu besoin de.de.vous
'L'Ankou n'a pas eu besoin de vous.'
traducteur Cosey, Hag ar menez a gano evidoc'h, Jonathan 2, p.45


paradigmes mixtes

À Briec, Noyer rencontre beaucoup de formes en deusoutañ, deusouti.


(1) [ ˈ velɛa ked døˈzutə gwɐl ɐˈleːs ]
Ne weller ket deusoute gwall alies. Graphie standard
ne1 voit.on pas de.de.eux très souvent
'On ne les voit pas très souvent.'
Cornouaillais (Briec), Noyer (2019:240)


Sporadiquement, apparaissent cependant des formes se passant de ouzh, avec un pronom incorporé directement dans la préposition deus.


(2) … [ ' vefɛa ke vi a nøs ke be døˈzɔ᷉ m]
(ne) vefer ket evit lâr (e) neus ket bet deuzomp.
ne1 serait.on pas pour dire ne1 est pas eu de.nous
'… on ne pourra pas dire que nous n'avons pas existé.'
Cornouaillais (Briec), Noyer (2019:205)


syntaxe

de même emploi que ouzh

(1) Dam 'betra emaoc'h o sell deusoutañ?
pourquoi êtes à4 regarder de.de.lui
'Pourquoi vous intéresse-t-il ?'
Cornouaillais (Le Juch), Hor Yezh (1983:17)


(2) Pa oa graet deus al loened hag ur bitrak bennak tro an ti ' oa deuet ar baotred d'o addijuniñ ...
quand1 était fa.it de le animau.x et un bricole quelconque tour le maison R était ven.u le homme.s à leur2 re.déjeuner
'Le temps de s'occuper des bêtes et de quelques bricoles dans la maison, les hommes étaient rentrés pour leur casse-croûte ...'
Trégorrois, Duval (1961)

de même emploi que eus

En Goëlo, Koadig (2010:49) rapporte un cas d'utilisation de deus en lieu et place d'une préposition standard eus. Ce semble être le cas partout où la préposition deus est relevée.


(2) Digoéo raêè-yè deus parézioù tal-kichen.
Degouezhout a raent eus parrezioù tal kichen. Équivalent standardisé
arriver R faisait 3PL de parroisse.s front-à-côté
'Les gens venaient aussi des communes voisines.'
Cornouaillais de l'Est, Bouzec & al. (2017:236)


(3) Tud Plogon zo tut droch a lar ar c'harrdi deus a loch hag un ibil deus ar broch.
gens Plogonnec est gens ridicule R1 d.it un 5"karrdi" de le remise et un "ibil" de le broche
'Les gens de Plogonnec sont ridicules, ils disent ar c'harrdi pour la remise et un ibil pour l'agrafe.'
Dicton ultra-local (Locronan), A-M. Louboutin (10/2021)


de même emploi que diouzh

(4) An daou-se ' zegouezh ket 'n eil deus egile.
le deux- ne1 1arrive pas le second de autre
'Ces deux-là ne vont pas bien ensemble.'
Cornouaillais (Riec), Bouzeg (1986:VII)


(5) 'Ma ket aes dont 'benn deusoute.
est pas facile venir à.bout de.de.eux
'Ce n'est pas facile de les diriger.' (enfants, subordonnés)
Cornouaillais (Riec), Bouzeg (1986:VII)


(6) Deus al loar ' hadoñ ma saladen.
selon le lune R4 sème mon2 salade
'Je sème mes salades selon la lune.'
Breton central, Favereau (1984:374)

La forme dac'h du Léon

En Léon, à Plouzane, Plougerneau ou à Saint-Pol-de-Léon, la préposition généraliste est réalisée en dac'h.


(1) E-peseurt poent dac'h an devezh ?
en-quel moment de le journ.ée
'[A] quel moment de la journée ?'
Léonard, Kervella (2009:113)


(2) Amañ ar fakteur a base da seizh eur dach ar mintin.
ici le facteur R1 passe à sept heure de le matin
'Ici ils distribuent le courrier à 7h.'
Léonard (Plougerneau), M-L. B. (04/2016)


(3) dac'h an uhelder dac'h ar mor
de le haut.eur de le mer
'selon la hauteur de la mer.'
Léonard (Plougerneau), Elégoët (1982:8)


(4) An dra-se a zepande dac'h an amzer.
le 1chose- R1 dépendait de le temps
'Cela dépendait du temps qu'il faisait.'
Léonard (Plougerneau), Elégoët (1982:9)


(5) ɔX te vɛs tao o kunt ano daʁ da vamgoz
O, te ' vez atav o kount' anv dac'h da vamm-gozh.
Oh toi R est toujours à4 conter nom de ton1 maman-1vieille
'Oh, tu es toujours en train de parler de ta grand-mère'
Léonard (Saint-Pol-de-Léon), Avezard-Roger (2004a:210)


(6) tregont gwech dah reñk
trente fois de rang
'trente fois de suite'
Léonard (Plouzane), Briant-Cadiou (1998:198)


Bibliographie

  • Gros, Jules 1970. TBP.I Le trésor du breton parlé I. Le langage figuré, chapitre II.
  • Ledunois, Jean-Pierre. 2002. La préposition conjuguée en breton, thèse, Skol-Veur Roazhon, Atelier National de Reproduction des Thèses. (p. 263-)