Différences entre les versions de « Ne, na »

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Version du 13 avril 2022 à 17:04

Le morphème ne, ou sa variante na est le premier de la négation bipartite ne... ket du mode indicatif.


(1) Ma ne vijen ket redet kuit…
si4 ne étais pas couru parti
'Si je ne m'étais pas enfui... '
Standard, Drezen (1990:74)


Morphologie

accentuation

La partie préverbale de la négation ne, comme tous les complémenteurs et la plupart des catégories fonctionnelles en breton, ne portent pas d'accent de mot (cf. Hemon 1975c:§282). Cette propriété facilite son élision.

mutation

La négation ne provoque une lénition, sauf sur l'initiale du verbe kaout conjugué.


(1) Magazennoù a oa [...], ne peze james da gont.
magasins R y.avait ne avait jamais ton1 compte
'Il y avait des magasins [...], où tu n'avais jamais ton compte... '
Léon, Mellouet & Pennec (2004:74).

absence de ne

Parfois, le premier morphème de la négation peut n'être pas réalisé et le morphème ne semble optionnel. Dans un corpus carhaisien de cinquante phrases négatives, Timm (1989:364) trouve une élision de ne dans plus de 80% des cas. Cependant, lorsque ne1 n'est pas prononcé, il peut toujours être présent syntaxiquement comme signalé par la mutation qu'il provoque (se reporter à l'article sur les cas d'absence superficielle de ne). Les cas d'absence syntaxique de ne sont traités plus bas dans l'article.


(2) /gaf ki hi:R e amzɛR/
Ne gav ket hir e amzer.
(ne)1 trouve pas long son temps
'Il ne s'ennuie pas.'
Poher (Carhaix), Timm (1989:364)


(3) Pese bugale o deus ket gwelet ar vaouez deac’h ?
quel.sorte enfant.s 3PL a pas v.u le 1femme hier
'Quels enfants n'ont pas vu la femme hier ?'
Plougerneau, M-L.B (10/2018)

réductions morphologiques

h', z'

  Favereau (1997:§490):
 […] Il arrive parfois (et même souvent en tempo I) que n disparaisse et soit remplacé par ’h (Ph, ou ’z en Léon etc.): 
 ’H ez ket da gontañ an dra-se din ! 
 'Ne va pas me raconter ça!'
 
 (cf. ’z eus ket < ne’z eus ket L, 'ha ket < ne’ha ket KT). De même, ’H 'o ket 'vit 'n em zivenn., 'Il ne pourra pas se défendre.' (< (ne) vo ket…), et même chez les jeunes bilingues (Davalan) *C'h ouzon ket.)

A Groix, Ternes (1970:284) note que si la partie ne de la négation est souvent élidée, elle a cependant tendance à être prononcée lorsqu'un pronom objet proclitique est présent.


ned, nan, 'd

Dans certaines variations dialectales, entre la négation ne et un verbe commençant par une voyelle, on trouve une consonne surnuméraire obtenant la forme ned, parfois abrégée en 'd:

Pour le haut-vannetais, Delanoy (2010) donne la forme ned, abrégée dans 'D on ket 'Je ne suis pas', 'D es ket 'Il n'y a pas'.


(3) ... med doa ket seulamant ar voyenn.
mais (ne)+C était pas seulement le 1moyen
'...Mais il n'y (en) avait pas la possibilité.'
Ouessant, Gouedig (1982)


(4) [ tut pe ɥelǝt nǝdǝtʃǝ daɲ ]
tout 'pe(zh) 'welit nend eo ket din.
tout ce que R voyez ne+C est pas à.moi
'Tout ce que vous voyez n'est pas à moi.'
Vannetais (Kistinid), Nicolas (2005:49)


(5) [ ər biwãs d ø tʃət kɛnklõz ɛl irɔk ]
ar bevañs 'd eo ket kenkloñs èl e-raok
le nourrit.ure (ne)+C est ` pas autant que avant
'La nourriture n'est pas aussi bonne qu'avant.'
Vannetais (Kistinid), Nicolas (2005:16)


(6) Ha neuze, ni a vrunelle-ni rac'h àr-un-dro: "'D eo ket gwir, 'd eo ket gwir!"
et alors nous R1 protestait-nous tous P-un1-tour (ne)+C est pas vrai (ne)+C est pas vrai
'Et nous de protester, tous en chœur: "C'est pas vrai, c'est pas vrai!".'
Vannetais, introduction ar Meliner (2009:18)


En Trégor, où ne prend aussi la forme na, on trouve alors la forme nan.

(7) nemet eur bugelig nan eo ! Ha petra a fell d'ec'h ? Eur pôtr dek vlâ nan eo ket evelkent eun den grêt.

'Il n'est qu'un enfant ! Et que voulez-vous? Un garçon de dix ans n'est pas un adulte.,
Bas-Trégor, Al Lay (1925:25)

Syntaxe

un complémenteur

En termes syntaxiques, la partie préverbale ne de la négation est un complémenteur, comme son équivalent en irlandais (Hendrick 1990:130).

Ce complémenteur déclenche une résomptivité obligatoire lorsqu'un sujet passe à sa gauche ('that-trace effect', Jouitteau 2005:411). La prédiction de cette hypothèse est qu'un sujet devant la négation aura un double pronominal, comme le montrent les paradigmes d'accord obligatoire avec un sujet prénégation.


(1) ... SUJET ne verbe.accord du sujet
mes neuze an dud ne c'hellent ket kanañ ken
mais alors le 1gens ne1 pouvaient.3PL pas chanter plus
'Mais alors les gens ne pouvaient plus chanter.'
Standard, Interview Brigitte Kloareg, par Ronan Hirrien


site

Rivero (1993a) considère que ne a son origine dans le champ du milieu et est antéposé devant Infl. Jouitteau (2005/2010:126) propose qu'il s'agit d'une tête de complémenteur de la périphérie gauche.


(2) [ForceP Force° [TopP [FocP [ModeP NEG [FinP Fin
topique suspendu adjoints scéniques topique focus négation ne explétif rannig-verbe
structure du domaine CP, Jouitteau (2005/2010:126)


différentes analyses de na

Le morphème na exprime toujours la négation, mais ne réalise pas le même élément syntaxique à travers les dialectes. En particulier, la voyelle a semble réaliser un rannig en trégorrois, alors que ce n'est pas le cas dans certains environnements syntaxiques et/ou certaines variétés dialectales.


na ne contient pas de rannig

Dans les exemples typiques des dictionnaires où na introduit la négation devant une infinitive, il est clair qu'aucun rannig n'est présent dans la structure (cf. Na vezañ mui en-unan 'être sans connaissance' Menard & Bihan 2016-:'bezañ' III,2).


Martin (1929:182), pour la cornouaillais de l'Est intérieur (Scaër, Guiscriff, Gourin), note une alternance entre ne et na. Pour lui, la voyelle a n'est clairement pas un rannig intégré puisqu'il pose par ailleurs que le rannig employé dans ce dialecte est presque toujours e. "Ne s'y emploie donc dans la négation simple, et Na pour traduire "qui ne", "que ne", "pourvu que ne", ainsi que devant les impératifs [il s'agit alors du complémenteur na réservé aux impératives négatives].

na = NEG + rannig en trégorrois

Le complémenteur ne peut apparaître dans un composé morphologiquement avec le rannig qui le suit. Lorsque le sujet est antéposé devant la négation, celle-ci qui est ne en breton standard peut aussi apparaît avec le rannig a visiblement intégré. Cette forme est typique des écrits des trégorrois Jules Gros (Favereau 2000:§'ne') et Le Clerc.


(2) Hennezh na zav tamm ebet : ur skronn fall a-walh?
celui.ci ne.R1 monte morceau aucun un gringalet mauvais assez (est)
'Il ne pousse pas du tout: c'est un gringalet.'
Trégorrois, Gros (1984:407)


(3) An dour na vo nemet tommoc'h a ze.
le eau ne.R sera seulement chaud..plus de1 ça
'L'eau n'en sera que plus chaude'
Tréguier, Le Clerc (1986:130)


  • cf. aussi:
Ar paotr-mañ na gresk ket... 'Ce garçon ne grandit pas... ' (Gros 1984:20)
Ar re-ze na vezont ket klañv kammed. 'Ceux-là ne sont jamais malades.' (Gros 1984:302)
An tamm-ze na blij ket deoh? 'Ce morceau ne vous plait-il pas?' (Gros 1984:336)...


unique marqueur de négation

Ne peut être l'unique marqueur de la négation dans certains dialectes conservateurs comme le vannetais, dans un breton standard soutenu (Drezen, Morvannou) et dans des expressions figées (cf. ne vern, 'ça m'est égal') ou datées (chansons et proverbes).


vannetais

(4) Én èbr heneoah ne fehè bout kleuet boéhieu en Eled é kañnal d’er Peah.
en.le ciel ce.soir ne serait être entend.u voix le ange.s à4 chanter à le paix
'Dans le ciel ce soir, on ne pourrait entendre les voix des anges chanter à la paix.'
Vannetais, Herrieu (1974:41)


(5) Ne fehér bout karadekoh.
ne serait.on être aimable.plus
'On ne pourrait être plus aimable.'
Vannetais, Herrieu (1974:78)


(6) Guskemanteu hur bro ne fehé bout par dehé.
costumes notre pays ne serait être semblable à.eux
'Il ne saurait être de costumes comparables aux costumes de notre pays.'
Vannetais, IB. (1910:19)

standard soutenu

(7) Penaos e rin-me, emezi, pa n’ho kwelin ?
comment R ferai-moi, dit.elle quand1 ne vous3 verrai
'Comment ferai-je, quand je ne vous verrai plus?'
Standard, Drezen (1990:64)


(8) N’on bet o neuñvial nemed ur wech en hañv-mañ: ur sulvezh e oa.
ne suis été à4 nager sauf un 1fois en.le été-ci un dimanche.ée R était.
'Je ne me suis baigné qu'une fois cet été: c'était un dimanche.'
Standard, Morvannou (2011:153)


négation sans ne

La plupart du temps où ne est absent, on décèle sa présence latente par la lénition qu'il provoque sur le verbe tensé.


avec consonne épenthétique préverbale

En (1), la négation ne est complètement absente du matériel phonologique de la phrase. Son absence est suppléée par une consonne épenthétique.


(1) Pe betek ar gador a-hont ma 'z oc'h ket re skuizh.
ou jusqu'à le 1chaise là-bas si +C êtes pas trop fatigué
'Ou jusqu'à la chaise là-bas si vous n'êtes pas trop fatiguée.'
Léon, Kervella (2009:95)


pas de ne, mais un rannig

Il existe des cas où la négation ne n'est pas prononcée et où la mutation indique qu'il est bien absent, c'est lorsque le rannig e4 apparait. On relève sporadiquement de tels exemples à Ouessant, à Plougerneau, à Briec ou à Groix. Le rannig e est alors compatible avec la négation ket.


(2) ha ni ar vugalez e houlennem ket e viche braz an dachenn…
et nous le 1enfant.s R4 demandions pas R4 serait grand le 1lopin
'et nous les enfants ne demandions pas que le lopin soit grand…'
Ouessant, Gouedig (1982)


(3) Gwechall, pa veze re a avel, ez aent ket d'an aod.
autrefois quand1 était trop de1 vent (ne) R+C allaient pas à le côte
'Autrefois, ils n'allaient pas en mer quand il y avait trop de vent.'
Léon (Plougerneau), Elégoët (1982:9)


(4) [e ˈwee ke χwa, ˈneɔ᷉, lavɐ χwaʁˈveːt]
E oueze ket c’hoaz, anezhañ, lar (e) oa c'hoarvezet.
R savait pas encore P.lui que était passé
'Il ne savait pas encore que ça s'était passé.'
Cornouaille, (Briec), Noyer (2019:242)


pas une forme réduite

Il ne s'agit pas d'une forme réduite de ne. On le voit tout d'abord parce que le rannig e déclenche une mutation mixte, et pas une lénition comme ne. On le voit aussi après la coordination ha(g), qui est en (5) sous la forme hag, c’est-à-dire la forme augmentée de sa consonne finale G en réaction à la voyelle du rannig.


(5) Bez' oa tud pinvidikoh hag e labourent ket.
expl était gens riche.plus et R4 travaillaient pas
'Il y avait des gens plus riches et qui ne travaillaient pas (leur terre).'
Ouessant, Gouedig (1982)


(6) /parskan bud əwaj e-rgaer bijənoX ẃidon... ag əjaleče raportiɲ /
parce.que expl R.y.avait en.le 1foyer petit.plus que.moi que R.pouvait.pas rapporter
'Parce qu'à la maison il y a avait des plus petits que moi qui ne pouvaient pas rapporter (de l'argent).'
Groix, Ternes (1970:248)


avec un rannig a

Dans le dialecte de Briec, il est même possible d'avoir une phrase négative sans ne avec un sujet préverbal. L'absence de ne au niveau syntaxique est alors confirmée par l'accord pauvre sur le verbe.

En (7), le sujet est exprimé uniquement par le pronom fort indépendant me. L'alternative standard N'ez an ket dre aze morse ebet est aussi possible.


(7) [mɛ᷉ ja ke dʁez ɐ mwæas bɛt]
Me (a) ya ket dre aze morse ebet.
moi (R) vais pas par jamais aucun
'Je ne vais jamais par là.'
Cornouaille (Briec), Noyer (2019:248)


En (8), l'alternative standard Ne welan ket anezhañ est aussi possible.


(8) [mɛ᷉ vɛl ke ˈneɔ᷉ ]
Me (a) wel ket anezhañ.
moi (R) vois pas P.lui
'Je ne le vois pas.'
Cornouaille (Briec), Noyer (2019:248)


sans ne et sans rannig

La carte 206 de l'ALBB illustre les traductions de Je ne peux pas courir, avec principalement des utilisations du verbe gallout 'pouvoir'. On note deux cas francs d'absence de ne en Sud vannetais, avec des réponses en gallan ket, ou en guérandais me gel ket. Le G à l'initiale montre une absence de mutation sur la racine du verbe, qui révèle l'absence de ne (comme de rannig préverbal) au niveau syntaxique.


sans ne et sans ket

En (2), il n'y a que l'ordre des mots qui révèle la présence syntaxique de ne, puisque ket est aussi absent.


(2) CONTEXTE: réponse à proposition d'appel utilisant WhatsApp.
_ M'eus WhatsApp met bezan meus facetime.
_ 1SGa WhatsApp mais être 1SG.a facetime
'Je n'ai pas WhatsApp, mais j'ai facetime.'
Trégorrois, Janig Stephens-Bodiou [c.p. 09/05/2020]

Ne explétif

La négation peut être explétive. En (1), le premier ne est calculé sémantiquement, mais pas le deuxième (= 'Il n'a pas cru jusqu'au moment où il a vu').


(1) [zân 'tomaz 'grédaz kén 'ɥelaz ]
Sant Tomas ne gredas kent ne welas.
Saint Thomas ne1 crut avant ne1 vit
'Saint Thomas ne crut qu'une fois qu'il vit.'
Proverbe, Plourin (1982:669)


On trouve aussi parfois un ne explétif après ken, 'tant'.


(2) E taoler houarnaj ken nend eo ur spont.
R4 jette.on fer.N tant ne/que est un honte
'On jette du fer que c'en est effrayant.'
Le Scorff, Ar Borgn (2011:14)


Un ne explétif apparaît aussi devant nemet, 'seulement', de façon similaire au français cela n' est que ... .


(3) Amiguito, ha n’oc’h eus ket lavaret din ne vezoc’h gant ho servij en iliz nemet e-pad ur sizhunvezh ?
amiguito Q neavez pas dit à.moi ne serez avec votre service en église seulement pendant un semaine
'Amiguito, ne m'avez-vous pas dit que vous serez de service à l'église pendant seulement une semaine ?'
Standard, Drezen (1990:63)


redoublement

Gros (1984) a de curieux exemples de doublement de la négation ne:


(4) N' ouzon ket euz peleh e oa ha ne n' ouzon !
ne sais pas de R était et ne ne sais
'Je ne sais pas d'où il était, et je ne le sais (pas du tout)'
Trégorrois, (Gros 1984:64).


(5) Honnez n'eo ket eüruz, ha na n'eo!
celle-ci ne est pas heureux et ne.R1 ne est
'Celle-là n'est pas heureuse, et elle ne l'est pas !'
Trégorrois, (Gros 1984:63).


(6) Anduri zo red, med karoud na n 'eo ket.
endurer est obligé mais aimer ne.R1 ne est pas
'On est obligé d'endurer le mal, mais non de l'aimer.'
Trégorrois, Gros (1984:541)


A ne pas confondre

Il existe en breton plusieurs morphèmes na différents. Ce sont tous des complémenteurs qui ont une affinité avec le mode ou la négation.

  • Na(g), le complémenteur exclamatif: Nag a dud !, 'Que de monde !'
  • Na, le complémenteur au négatif de l'impératif : Na c'hoarzhit ket.', 'Ne riez pas.', na c'hoarzhin ket, 'ne pas rire'
  • Na... na, 'ni... ni' est parfois utilisé hors réduplication pour renchérir sur une proposition négative (N'on ket laouen, na trist kennebeut)


Diachronie

Pour la diachronie des différentes particules na, se reporter à Fleuriot (1984a).

Delanoy (2010) donne la forme de vieux breton nit, où l'on voit l'ancêtre de la consonne finale des formes modernes en ned, 'd.


Bibliographie