-ach, -aj
Le suffixe -ach, ou -aj, est un morphème nominalisant. C'est un emprunt d'origine romane qui obtient un nom massique à partir d'une racine adjectivale, verbale ou nominale.
(1) | Ken | braz | e | veze | ar genaouajou | ma | venne | tourlonka … | |||||||||||
tant | grand | R | était | le bouche.ée.s | que4 | voulait | travers.avaler | ||||||||||||
'Les bottes étaient si grandes qu'elle manquait d'avaler de travers… ' | |||||||||||||||||||
Léonard (Cléder), Seite (1985:95) |
Kervella (1947:§840) donne sklavach, bugaleach, skolach, luc'hach, koadach, moc'hach, evach, livach, liñvach, mogach.
Trépos (2001:75) donne meskaj 'mélange', evaj 'boisson'.
Favereau (1997:§147) donne debraj 'mangeaille', drogach 'drogue', edaj 'céréales (à déjeuner)', flikaj 'flicaille', pestaj 'peste (fig.)'.
Morphologie
allomorphe en -ad-
(2) | an defotadou | beb | sizun: | sukr, | holen, | kafe … | ||||||||||
le pfx.faut.N.PL | chaque | semaine | sucre | sel | café | |||||||||||
'les produits de nécessité hebdomadaires : sucre, sel, café… ' | ||||||||||||||||
Léonard (Plouzane), Briant-Cadiou (1998:13) |
productivité et variation dialectale
Thibault (1914:433) remarque un usage très large de ce suffixe en vannetais pré-moderne. Il donne gwanaj 'charogne', salopriaj, chtronkaj 'tas de choses, gens malpropres', ifalaj ou difalas 'déchet'.
composition
On retrouve le suffixe -ach, -aj en composition avec -enn dans les finales en -achenn.
exocentricité
Le morphème -ach, -aj est exocentrique; il obtient un nom quelle que soit la catégorie de sa base.
Sur une base adjectivale, -ach, -aj obtient un nom.
(3) dister, 'insignifiant' => disterach, 'babiole, chose futile', Merser (2009)
(4) | Tapet | e | oan | bet | en | berraj. | ||||||||||||||
pr.is | R | étais | été | en | court.esse | |||||||||||||||
'J'avais été prise de court.' | ||||||||||||||||||||
Trégorrois (Perros-Guirec), Konan (2017:'berraj') |
Le suffixe -aj se trouve aussi directement sur un nom.
(5) | Glavaj | a ra | arre. | |||||||||||||||
pluie.sfx | R fait | encore | ||||||||||||||||
'Il mouille encore.' | ||||||||||||||||||
Vannetais, Herrieu (1994:96) |
La base peut aussi être verbale.
(6) | En | ti-mañ | a | zo | daou | chomaj. | |||||||||||
en.le | maison-ci | R | est | deux | reste.sfx | ||||||||||||
'Dans cette maison-ci, il y a deux logements.' | |||||||||||||||||
Trégorrois, Gros (1984:356) |
formation sur base plurielle
Kervella (1947:§840) donne bugaleach 'enfance', qui est construit sur le pluriel bugale 'enfants'.
Gros (1984:356) donne traouajou, /chose.s.sfx.s/, 'choses, nippes, affaires'.
genre
Le genre d'un nom en -ach, aj est celui de sa racine.
Les noms dérivés en -ach, -aj sont mentionnés comme masculins (Kervella 1947:§840, Trépos 1968:§129). Trépos (1968:§129) donne evaj 'boisson', gregach 'jargon'. Cependant, puisqu'ils citent des dérivés verbaux ou adjectivaux leur genre pourrait être le masculin par défaut.
Les noms féminins dérivés en -aj sont féminins, comme mañsoni (et tous les mots en -oni), ou moger, ar voger 'mur'. Les noms masculins comme koad, ar c'haod obtiennent un nom masculin. De façon prédictible, pour Le Gall (1958) à l'Hôpital-Camfrout, les noms mogeriaj, mañsoniaj 'maçonnerie' sont féminins, mais koataj est masculin. Yeun ar Gow, de Pleyben à 30km, a aussi mogeriaj 'maçonnerie' féminin, mais koataj masculin.
(7) | Echu | eo | ar | vansoniaj, | hag | ar | hoataj | braz | a | zo | e | plas. | ||||||
fini | est | le | 1maçonn.erie | et | le | 5bois.erie | grand | R1 | est | en | place | |||||||
'La maçonnerie est finie et la charpente est en place.' | ||||||||||||||||||
Cornouaillais (L'Hôpital-Camfrout), Le Gall (1958) |
(8) | dalc'het | ouzh | ar | c'hoadaj | hag | ar | vogeriaj | gant | mein | ha | kerdin | ||||||||
ten.u | à | le | 5bois.erie | et | le | 1mur.erie | avec | pierres | et | corde.s | |||||||||
'tenu à la charpente et à la maçonnerie avec des pierres et des cordes' | |||||||||||||||||||
Cornouaillais (Pleyben), Ar Gow (2005:37) |
Pour Favereau (1997:§147), les formes féminines apparaissent dans les cas où -aj se substitue au suffixe -iezh, qui forme par ailleurs des noms féminins.
Press (1986:215) relève le nom féminin beaj 'voyage', et propose de l'analyser comme un emprunt direct au français voyage, dont le genre serait influencé par cette initiale en v-.
nombre
Les noms dérivés en -ach, -aj ont un pluriel en -où (Kervella 1947:§840), obtenant -ajoù ou -achoù.
Cependant, toutes les finales en -achoù ne sont pas forcément des pluriels dérivés de bases au singulier en -ach, -aj: il existe un suffixe -achoù qui est un marqueur hypocoristique qui peut former des singuliers (freskachoù, 'viande fraîche', Favereau 1997:§147 sur fresk 'frais') et n'a pas d'équivalent en -ach, -aj (diankachoù, pellachoù, lostennachoù, malachoù, stokachoù, bruzhunachoù, kouezhachoù, dislonkachoù, traoùachoù, Kervella 1947:§840).
Sémantique
Selon Kervella (1947:§840), le suffixe -ach, -aj dénote un état ou un regroupement.
lecture massique
Gros (1984:356) donne glizaj, glizataj 'crachin' et priaj 'de la poterie'.
Gros (1970b:§'avelaj') traduit avelaj par 'grand vent'.
(1) | Pa | veze | bet | avelaj | evel-se | e | miz | Here | ez | een | d'ar | hoajoù | da | geuneuta. | |||||||||||||
quand1 | était | eu | vent.sfx | comme-ça | en | mois | octobre | R+C | allais | à le | 5bois | à1 | petit.bois.ramasser | ||||||||||||||
'Quand il y avait eu de grands coups de vent comme cela en octobre, j'allais dans les bois ramasser du bois mort.' | |||||||||||||||||||||||||||
Trégorrois, Gros (1970b:§'avelaj') |
(2) | E | taoler | houarnaj | ken | nend | eo | ur spont. | ||||||||||||||
R4 | jette.on | fer.N | tant | ne1 | est | un honte | |||||||||||||||
'On jette du fer que c'en est effrayant.' | |||||||||||||||||||||
Vannetais (Le Scorff), Ar Borgn (2011:14) |
La racine peut être un nom d'agent (treitouraj 'mauvais traitement', trubarderaj 'duplicité', Favereau 1997:§147).
La racine peut aussi être un verbe. Le sens obtenu est alors 'matière à V'. Le Bayon (1878:13) donne par exemple bouitaj 'matière à nourrir', ou strakaj 'matière à éclabousser'.
résultat d'une action
(3) | Mouded | a | zo | kignaj. | ||||||||||||||
motte.s | R1 | est | écorch.age | |||||||||||||||
'Les mottes sont de l'écorchage.' (croûte gazonnée) | ||||||||||||||||||
Trégorrois, Gros (1984:356) |
Favereau (1997:§147) donne hadachoù 'semis', ou malachoù 'choses moulues', stagachoù 'ceinture(s) de sécurité', peurachoù 'pâtures'.
impact (parfois) péjoratif
Le Bayon (1878:13) donne en vannetais kaillaj 'boue des rues', draillaj 'retailles', rakaj 'raclures', toraj 'débris', gon̄aj 'ordures', teillaj 'fumier', et loustaj 'immondices'.
Kervella (1947:§840) note qu'à ce suffixe est "souvent" attaché une lecture péjorative. Vallée (1980:XVIII) compare et oppose les suffixes -iezh et -ach, -aj, le second étant "le plus souvent péjoratif" (belegiezh 'prêtrise', vs. belegiach, non traduit).
Gros (1984:355) considère que -aj "a un sens nettement péjoratif dans certains mots", ce qu'il illustre avec evaj 'piquette, jus de chaussettes, tisane, boisson imbuvable', lonkaj 'toutes sortes de liquides', mohaj 'cochonnerie'.
Gros (1984:356) note cependant que les mots en -aj "marquant le résultat de l'action ou une collection" ne sont que "faiblement péjoratifs". Il donne saoznaj pour 'langue anglaise'.
(4) | Te | a | oar | kaozeal | saoznaj ? | ||||||||||||
toi | R1 | sait | parler | anglais | |||||||||||||
'Tu sais parler anglais ?' | |||||||||||||||||
Trégorrois, Gros (1989:'kaozeal') |
-aj vs. -ø
La dérivation en -aj peut être sujette à variation dialectale.
(5) | E | Lanngoad | e vez | greet | strudaj | euz | ar struj. | ||||||||||
à | Langoat | R est | fa.it | "strudaj" | de | le broussailles | |||||||||||
'A Langoat on appelle les broussailles (struj) strudaj.' | |||||||||||||||||
Trégorrois, Gros (1984:356) |
-aj vs. -oni
Gros (1989:'brasoni') donne brasoni et brasoniaj. Le suffixe -oni réalise le nom abstrait de dimension morale, et le suffixe -aj obtient le comportement ou la relation qui en découle ('brasoni 'grandeur, orgueil' et brasoniaj 'un conflit d'orgueil, un conflit de prééminence').
-aj vs. -adur
Selon Trepos (1956:51), le suffixe -aj est supplanté en vannetais et dans la région de Guingamp par le suffixe -adur.
(4) meskadur 'mélange', skubadur 'balayure', kignadur 'écorchure' (Vannetais, Guingamp)
- mintinachoù 'besoins du matin' (Pouldreuzic), traouachoù 'choses banales', truachoù 'désastres'
-aj vs. autres suffixes
Le suffixe -age du français est un suffixe très répandu, et sémantiquement généraliste. On trouve le suffixe -aj, -ach emprunté en concurrence avec les différents suffixes -erezh, -adur, -adurezh, -idigezh, -elezh, -ded et -iezh.
(6) | traduction | dérivé en -ach, -aj | suffixe(s) concurrent(s) | ||||||||||||||
'bornage' | bonnach | bevennerez (Le Gon.) | |||||||||||||||
'crénelage' | kranellach | kranellerez (Le Gon.) | |||||||||||||||
'esclavage' | sklavach | sklaverez (Le Gon. Vallée, etc.) | |||||||||||||||
'glanage' | teskaouach, toc'hatach | teskaouerez, toc'haterez (Le Gon.) | |||||||||||||||
'graissage' | lardach | larderez (Le Gon.) | |||||||||||||||
'hersage' | ogedach | ogederez (Le Gon.) | |||||||||||||||
'forage' | toullach | toullerez, toulladur (Le Gon.) | |||||||||||||||
'abâtardissement' | bastardiach | gwasterez, gwastadur (Le Gon.) | |||||||||||||||
'lambrissage' | lambruskach | lambruskadur, (Le Gon. addition de La Villemarqué) | |||||||||||||||
'affilage' | lemmach | lemmidigez, lemmadur, lemmadurez (Grégoire) | |||||||||||||||
'partage' | lodennach | rannidigez (Le Gon. Vallée, Le Moal, etc.) | |||||||||||||||
'doctorat' | doktorach | doktorelez (Vallée) | |||||||||||||||
'papauté' | pabach | pabelez, (Vallée) | |||||||||||||||
'épiscopat' | eskobiach | eskopded (Grég.) | |||||||||||||||
'absolutisme' | peurvestroniach | mestroniez (Le Gon.) | |||||||||||||||
'intimité' | mignoniach | mignoniez (Ernault) | |||||||||||||||
'patronat' | paeronnach | paeroniez (Vallée) | |||||||||||||||
'pilotage' | lomanach | lomaniez, lomanerez (Le Gon.) | |||||||||||||||
propositions de corrections de Jaffrennou (1914) par Le Roux (1915:81,82) |
emprunt
Dans certains cas d'emprunt, ce suffixe semble élu par ressemblance phonétique avec le nom source, comme dans orolaj 'horloge' ou skolaj 'collège'.
(7) | Hag | e | chome | e-giz-se | div | pe | deir | eur | horolaj, | ha | den | ebet | war | e | dro. | ||||
et | R | restait | comme.ça | deux | ou1 | trois | heure | horloge | et | personne | aucune | sur | son1 | tour | |||||
'Et il restait deux ou trois heures comme ça sans que personne s'en occupe.' | |||||||||||||||||||
Léonard, Mellouet & Pennec (2004:79). |
Diachronie et horizons comparatifs
Le suffixe -ach, -aj est un emprunt au suffixe français -age, qui a le même impact dépréciatif (Deshayes 2003:39).
Selon Bonnard & Régnier (1989:24), le suffixe -age ou -aige de l'ancien français remonte au latin -atĭcum. Il forme, sur des bases nominales ou verbales, "des noms collectifs (visage, corage), des noms d'action (mariage, partage) ou de qualité (folage, vasselage)".
À ne pas confondre
Favereau (1997:§147) note que pour rodellajoù 'spirales', il s'agit probablement d'une dérivation en -ad+-où.
Tout ce qui finit en /-aʃ/ ne ressort pas du suffixe -aj, -ach. Le nom bourach désignant la plante borago officinalis est un emprunt au nom français bourrache qui est lui-même emprunté de l'arabe bou 'père' + rash 'sueur', composé qui souligne son action sudorifique. Les noms bretons qui dénotent la même plante et que donne Favereau (1993) sont kaol garv, littéralement 'chou de cerf' et pilhoù glas /chiffons vert/, ce qui révèle une utilisation moins évidemment médicinale.
Bibliographie
- listenn ar gerioù brezhonek savet diwar -ach war wiktionary, ha listenn ar re savet diwar -aj war wiktionary.