Consonnes épenthétiques

De Arbres

Dans la langue, une consonne est parfois présente pour des raisons uniquement phonologiques, souvent quand un mot finit par une voyelle et que le suivant commence aussi par une voyelle. Une consonne est insérée pour faire un "lien" dans la prononciation. Sur ce site, ce phénomène est signalé par le signe + C en exposant (déclencheur+C) comme en (1) ci-dessous.


(1) Matriona gaezh a yae war goshaat ivez hec'h unanik.
Matriona1 chère R1 allait sur1 vieillir aussi son+C un.petit
'Matriona vieillissait aussi seule.'
Trégorrois, ar Barzhig (1976:50)


Dans certains dialectes, certaines consonnes voisées déclenchent aussi l'insertion de cette consonne. Pour des exemples d'épenthèses de liquides en initiale de mot et en attaques doubles, se reporter à Ernault (1900-1901b).


Inventaire des éléments porteurs d'une consonne surnuméraire

Les éléments porteurs de la consonne surnuméraire provoquent tous une mutation, mais ce n'est pas toujours la même: la consonne surnuméraire apparaît avec des éléments qui provoqueraient une spirantisation (he2 dans hec'h anv 'son nom') une mutation durcissante (ho3 dans hoc'h anv 'votre nom'), ou encore une mutation mixte (léniprovection, oc'h anzav 'en train d'avouer', mac'h anzavan 'si j'avoue').


rannig e, ez, ec'h

On trouve la consonne surnuméraire sur le rannig e4. En standard, c'est le cas du /z/ dans la forme ez eus de la copule existentielle.

Dans le dialecte vannetais, la consonne est un /h/.


(3) 'Gosik eh on-me er-maez.
presque R+C suis-moi dehors
'Je suis quasiment dehors.'
Vannetais, Herrieu (1994:106)


(4) … lâret a rae o ofiserion dezhe eh oant edan monet e Pariz...
dire R1 faisait leur offic.iers à.eux R4,+C étaient sous aller à Paris
'… leurs officiers leur disaient qu'ils étaient sur le point d'aller à Paris… '
Vannetais, Herrieu (1994:29)


Dans le dialecte trégorrois, la consonne surnuméraire sur le rannig e est un /X/. Gros (1966:25) utilise la graphie h ((E)h an kuit, 'Je m'en vais'). Cependant, il faut noter que dans cette variété, la distinction des rannigs n'est pas stable, et c'est normalement la réalisation en a avec une lénition qui est hégémonique. La consonne surnuméraire apparaît dans un environnement phonologique où la mutation provoquée ne peut pas être entendable puisque les voyelles ne mutent pas.


(5) Met kerkent ec'h adkemere an tren e lañs ...
mais aussitôt R+C,4 re.prenait le train son1 élan
'Mais le train reprenait aussitôt son élan… '
Trégorrois (Kaouenneg), ar Barzhig (1976:09)


(6) Ne oar ket ec'h on klanv.
ne1 sait pas R4, +C suis malade
'Il ne sait pas que je suis malade.'
Trégorrois (Tréguier), Le Clerc (1986:203)


Dans les dialectes qui ont perdu la distinction a/e des rannigs, on trouve la consonne sur un rannig réalisé par la voyelle /a/. Le Clerc (1986:63,fn1) le signale par exemple avec la copule eo 'être' (7). En standard ou dans les autres dialectes, la forme ici obligatoire serait la forme a zo de la copule, précédée donc du rannig a1.


(7) Pêr ac'h ê du e dôk.
Pierre R.+C est noir son1 chapeau
'Le chapeau de Pierre est noir.'
Trégorrois, Le Clerc (1986:63,fn1)


négation ne, ne'z, ned, nen, nend

(1) … met nend aomp ket d'ar memp tu.
mais ne+C allons pas à le même côté
'...mais nous n'allons pas du même côté.'
Vannetais, Herrieu (1994:81)


Merser (1963:§365) signale comme optionnelle la consonne devant les formes du verbe bezañ 'être'.


(2) Ne(d) on ket...
ne1 suis pas
'Je ne suis pas… '
Merser (1963:§365)


Pour l'existentiel négatif n'eus ket, n'ez eus ket, ne deus ket, Merser (1963:§366) signale la consonne /N/ comme trégorroise.


(3) N'en eus ket.
ne1,+C est pas
'Il n'y a pas… '
Trégorrois, Merser (1963:§366)


ma, mag, ma'h, mar, mand, marg, ma'z

La consonne surnuméraire prends des formes très diverse avec le complémenteur ma: mag, mah, mar, mand, mard, marg, ma 'z… (voir l'article sur ma pour d'autres exemples).


(1) Mar don harluet amañ, keit all, gant kalzig eus ma c'henvroiz...
si+C suis exil.é ici si.loin autre avec beaucoup.DIM de mon2 com1patri.otes
'Si je suis exilé ici, si loin, avec beaucoup de mes compatriotes… '
Standard, Drezen (1990:30)


(2) Pe betek ar gador a-hont ma 'z oc'h ket re skuizh.
ou jusqu'à le 1chaise là-bas si +C êtes pas trop fatigué
'Ou jusqu'à la chaise là-bas si vous n'êtes pas trop fatiguée.'
Léonard, Kervella (2009:95)


En haut-vannetais, la consonne surnuméraire nasale teinte la voyelle précédente qui devient aussi nasale.


(3) Keuz am eus mand eo ret da ma mab monet.
regret R.1SG a que4,+C est nécessaire à mon2 fils aller
'J'ai du regret que mon fils doive partir.'
Haut-vannetais, Louis (2015:110)


pa, pa'z, pa'h, pa'd, pan

La carte 475 de l'ALBB, traduction de 'quand je vais', montre les différentes consonnes qui apparaissent devant une voyelle. On trouve les formes /pa zã, pa zãn, pa nã, pa hã, pa dã, a pe dãõ/. Il se pourrait que la glide /j/ en fasse partie (/pa yã, pa yãn / dans l'ALBB).

Pa peut aussi se trouver sous la forme pan devant une voyelle.


(4) pan eo c'hwi a deu.
quand1 est vous R1 vient
'puisque c'est vous qui venez.'
Trégorrois (Tréguier), Le Clerc (1986:137)


La consonne épenthétique peut aussi être G en cornouaillais, devant une prononciation du rannig e (cf. pag e teuon 'quand je viens', / pag e yãõ / 'quand je vais', à Pluguffan, point 48 de l'ALBB, cartes carte 482, 475).


Éléments à consonne fixe

Certains mots ont, suivant leur contexte phonologique, une consonne finale prononcée ou pas.

complémenteurs ha(g) 'que, si', na(g) 'que !', na... na 'ni... ni'

C'est le cas par exemple du complémenteur ha(g) 'que, si' ou na(g) 'que !' ou na... na 'ni'. La consonne particulière surnuméraire fait ici pleinement partie de la représentation phonologique de l'élément. Aucune autre consonne n'y est jamais exprimée (*haz, *hah...).

préposition e, en 'dans'

La préposition e se trouve aussi sous la forme en lorsque le mot qui suit débute par une voyelle. À ne pas confondre avec les morphèmes porte-manteaux er, en qui sont des composés de cette préposition sans consonne épenthétique et un article.

particule o, oc'h, ouzh

Finalement, on trouve une consonne finale dans la représentation phonologique de la particule o, qui se trouve même sous la forme ouzh lorsqu'elle est suivie d'un proclitique objet (ouzh e welout... 'à le voir...').


(1) evit deomp nompas bezañ gwelet oc'h erruout asambles.
pour de.nous ne.pas être v.u à4,+C arriver ensemble
'Pour pour que nous ne soyons pas vus arrivant ensemble.'
Cornouaillais (bigouden), Bijer (2007:342)
cité dans Jouitteau (2012b)


possessifs he, hec'h, ho, hoc'h

La consonne surnméraire /X/ apparaît le plus visiblement sur les possessifs he 3SGF, 'son, sa' (hec'h anv, 'son nom (à elle)') et ho 2PL (hoc'h anv, 'votre nom').


(2) darn eus hec'h amezegezed
certain de son+C voisin.e.s
'certaines de ses voisines.'
Standard, ar Barzhig (1976:36)

Variation dialectale

variation des consonnes épenthétiques par défaut

G

 Malgorn (1909), Ouessant
 "G s'intercale souvent par euphonie après la particule négative ne :
 Ne g'eus ket, 'il n'y a pas'; 
 ne g'eo ket, 'il n'est pas';
 ne g'iñ ket, 'je n'irai pas', etc.


D

Delanoy (2010) remarque la consonne épenthétique /d/ après pa et ma en haut-vannetais du XXIe.

 Delanoy (2010:'d')
 "'d particule placée devant certaines formes des verbes bout et mouned: 
 pe 'd a 'quand il va', 
 ma 'd e(s) 's'il y (en) a', etc., 
 d'un ancien t ; Fleuriot (1964b&147]], 2, Delanoy (1995a:66)"


nasales et liquides déclencheuses

En Trégor, en Goëlo, en breton central et en cornouaillais, ce phénomène est déclenché aussi par les consonnes liquides et nasales L, M, N et R. Les consonnes liquides comme nasales sont voisées, et ont en cela le même effet phonologique qu'une voyelle.


(1) Setu petra an neus laret hoc'h mamm.
voici quoi R a d.it votre+C mère
'Voici ce qu'a dit votre mère.'
Trégorrois (Tréguier), Le Clerc (1986:76)


 Koadig (2010:84):
 "E Treger, pa 'n em gav an anv-gwan perc'hennañ he dirak ur vogalenn e teu war glev un h pe un c'h. Da skouer hec'h evn (e-skoaz e evn). 
 
 E Goueloù e lakaer hec'h ivez dirak L, N hag R: hec'h lien. Evel-se ne vesker ket gant e lien. Degasomp da soñj e tistager i ar gerioù he hag e e Goueloù. Graet e vez hañval evit ho hag a zeu da vezañ hoc'h dirak ur vogalenn pe ur gensonenn linkus pe fri.
 
 ho mamm (Standard) >  hoc'h mañm (Goelo)
 ho loer (Standard) >  hoc'h loèr (Goelo)
 ho neizh (Standard) > hoc'h nèz (Goelo)   "


glide, semi-voyelle

Logiquement, on trouve ce même phénomène atteindre les semi-voyelles.


(2) [ hjize ndyd dǝ-dal ǝ Stê:r ]
ec'h yaje an dud da-dal ar stêr.
R4,+C allait le 1gens vers le rivière
'Les gens allaient à la rivière.'
Cornouaillais de l'Est (Lanvenegen), Evenou (1987:627)


Wmffre (2007:577) note qu'il existe un équivalent en gallois, qui opère aussi la provection sur les nasales, les liquides et les glides.


(3) standard Bothoa gallois
'sa raison' he rezon heh rezon
'son livre' he leor heh lever
'son neveu' he niz heh ni ei nhai
'sa mère' he mamm heh mamm ei mhamm
'sa poule' he yar heh yar
Wmffre (2007:577)

optionalité

En (4), Nicolas (2005:26) donne une prononciation en vannetais de Quistinic avec une mutation mixte dévoisée B>F, qui ne déclenche donc pas de consonne surnuméraire. Sa transcription orthographique donne l'alternative: ne pas dévoiser le résultat de la mutation mixte, produire une consonne voisée /v/ mais ajouter alors une consonne /h/ (voisée de /X/).


(4) [ betad ǝrǝt avǝzǝl mi frasǝt ]
Betaat a rit a-vuzul m'eh vrasait.
bête.devenir R faites à-mesure que R4 /+C grand.issez
'Vous devenez plus bête en grandissant.'
Vannetais (Kistinid), Nicolas (2005:26)

Analyses

provection

Humphreys (1985:167) considère que la provection est une opération qui transforme un morphème zéro /ø/ en /h/. Il postule ce morphème zéro devant les voyelles initiales (/ø'alvé/ alc'hwez 'clé' > /ó h'alvé/ hoc'h alc'hwez 'votre clé').

diachronie

Selon une définition diachronique, une consonne épenthétique est un phonème qui apparaît sans motivation étymologique. En synchronie, il suffit que le phonème soit uniquement motivé phonologiquement.

Bibliographie

  • Le Dû, Jean. 1986. 'A sandhi survey of the Breton language', H. Anderson (ed.), Sandhi Phenomena in the Languages of Europe, Mouton de Gruyter, Berlin.
  • Humphreys, H. L. 1985. Phonologie, morphosyntaxe et lexique du parler breton de Bothoa en Saint-Nicolas-du-Pélem (Côtes-du-Nord) (thèse de doctorat d'état), Brud Nevez, Brest.
spécifiquement p. 167-176.
  • Iosad, P 2010, 'Incomplete neutralization and unorthodox markedness in Breton laryngeal phonology', présentation à Celtic Linguistics Conference 6, Dublin, Ireland, 6/09/10. powerpoint.
  • Wmffre, Iwan. 2007. Breton Ortographies and Dialects: The Twentieth Century Ortography War in Brittany, Oxford: Peter Lang (2 vol.).
spécifiquement vol I. p. 575, 579.