Le futur

De Arbres

Canoniquement, le temps morphologique du futur ordonne le temps de la proposition après le temps de l'énonciation. Ce temps morphologique n'est pas adapté pour le futur proche.


(1) An hini ne sent ket ouzh ar stur, ouzh ar garreg a raio sur.
le celui ne1 obéit pas à le gouvernail à le 1rochers R fera sûrement
'Qui n'obéit pas à la barre obéira au rocher.'
Proverbe


Morphologie

Les particularités saillantes du futur morphologique en breton tiennent à sa diachronie commune avec le paradigme du subjonctif.

diachronie

La morphologie du temps futur en breton moderne dérive du suffixe subjonctif/désidératif * - ǎse/o- des langues brittoniques. Ce même paradigme a dérivé en paradigme du subjonctif présent en gallois et en cornouaillais (Zair 2012).

Le Clerc (1906:203) considère que le "subjonctif formel est identique au futur de l'indicatif". Falc'hun & Fleuriot (1978-79:6B) considèrent que ce paradigme "exprime une idée d'éventualité, de possibilité".


(2) Gra ma tisko e gentel.
fais que4 apprendra son1 leçon
'Fais en sorte qu'il apprenne sa leçon.'
Trégorrois (Tréguier), Le Clerc (1986:203)


(3) Pe vo war an tu-gin, pe vo war an tu-mat.
ou sera sur le côté-envers ou sera sur le côté-bon
'Qu'il soit à l'envers ou à l'endroit.'
Falc'hun & Fleuriot (1978-79:6B)


Hewitt (2010b) relève aussi en breton moderne la trace de l'ancien usage du paradigme du futur comme subjonctif présent de but.


(4) Goulenn a ra ma vo gwraed ul lesenn neweż.
demander R fait que4 sera fa.it un loi nouveau
'Il demande qu'une nouvelle loi soit faite.'
Hewitt (2010b:301)

variation dialectale et croisement avec le conditionnel

La très prescriptive Académie bretonne (1922:152) note une variation dialectale à la deuxième personne pluriel du futur: "les formes en -ot (Léon), en -oc'h (Corn.), ou en -fet (Trég.)". Elle préconise d'"éviter de les confondre dans des formes composites (* lennfot, * lennfoc'h), qui sont [selon elle] de véritables barbarismes".

Falc'hun & Fleuriot (1978-79:6B) mentionnent une forme karfoc'h, et considèrent que les formes plurielles du paradigme du futur sont remplacées, dans "certains dialectes" par le paradigme en -f qui est par ailleurs caractéristique du conditionnel. La forme -f- est utilisée par la trégorroise Janig Stephens en 1982. Cette forme en -f- est toujours présente au XXIe dans le trégorrois de Perros-Guirec (Konan 2017:263).


karout 'aimer', Falc'hun & Fleuriot (1978-79:6B)
(1) nombre, personne forme standard forme en -f- traduction
1SG karin 'aimerai'
2SG kari 'aimeras'
3SG karo 'aimera'
1PL karimp karfomp 'aimerons'
2PL karot, karoc'h karfoc'h 'aimerez'
3PL karint, karoint karfont 'aimeront'


(2) An tiez eman o zoenn warnezho ne vefont ket diskaret.
le maison.s est leur2 toit sur.eux ne1 seront pas détru.it
'Les maisons qui ont un toit ne seront pas détruites.'
Trégorrois, Stephens (1982:39)


(3) Pa vefet daou.
Pa viot daou. Équivalent standardisé
quand1 serez deux
'Quand vous serez deux.'
Trégorrois (Perros-Guirec), Konan (2017:263)


(4) Dre amañ n'efomp ket.
Dre amañ n'aimp ket. Équivalent standardisé
par ici ne1 irons pas
'Nous n'irons pas par ici.'
Trégorrois (Perros-Guirec), Konan (2017:263)


tournures modales

Un temps sémantiquement futur peut être réalisé avec un auxiliaire, arruout 'arriver' ou mont 'aller'.


(4) C'hwi 'arruo da serriñ un arum bennak.
tu arriveras à1 ramasser un rhume quelconque
'Tu finiras par attraper un rhume.'
Haut-vannetais (Jo Sergent), Louis (2015:127)


En contraste, le français utilise les verbes aller et finir (par).

Aspect

habituel

Le paradigme du futur peut être utilisé pour exprimer l'aspect habituel d'une action (Gros 1970:31, Falc'hun & Fleuriot 1978-79:6B).


 Gros (1970:31):
 "Le trégorrois parlé exprime encore l'idée d'habitude, quel que soit le verbe, en employant le futur au lieu du présent, et le conditionnel au lieu de l'imparfait.
 
 Hennez pa vo mezo na dostäo ket amañ.
 'Celui-la, quand il est saoul ne s'approche pas d'ici
 (et cela, de façon habituelle, chaque fois qu'il est saoul).'
 
 Diou lonkadenn a evje
 'Il buvait habituellement deux gorgées'..."


(1) Pa zavo-hi, a ranko sevel ive.
quand1 lèvera-elle lui R1 devra lever aussi
'Quand elle se lève il faut que lui se lève aussi.'
Trégorrois, Gros (1996:118)


(2) A-wechou e soñjo deoh e oar o farsal ganeoh hag e vo droug ouzoh.
parfois R pensera à.vous R4 est.on à4 rigoler avec.vous et R4 sera mal à.vous
'Quelquefois vous pensez qu'on plaisante avec vous alors qu'on est fâché contre vous.'
Trégorrois, Gros (1996:120)


Falc'hun & Fleuriot (1978-79:6B) considèrent aussi que ce paradigme "exprime une idée d'action habituelle, ou possible très souvent".


(3) Hennezh a evo bemdeiz.
celui-là R1 boira chaque.jour
'Celui-là peut boire chaque jour.'
Falc'hun & Fleuriot (1978-79:6B)

Mode

infinitif, bezañ da V

Kervella (1947:§186, 273) note que le temps sémantique futur peut être réalisé sur un verbe infinitif, avec l'auxiliaire bezañ 'être' et la préposition da (bezañ da ganañ).

Pour obtenir un futur antérieur, on ajoute la particule perfective bet (bezañ bet da ganañ).


optatif

C'est le paradigme du futur qui apparaît avec les particules optatives ra et da.


(1) Ra zeuio an hañv !
que1 viendra le été
'Que vienne l'été !'
Falc'hun & Fleuriot (1978-79:6B)


Le temps morphologique futur peut apparaître là où le français utiliserait un subjonctif.


(2) /ẃit -urbu ba:ra /
pour OBL.1PL.aura pain
'pour que nous ayons du pain.'
Vannetais (Groix), Ternes (1970:348)

Sémantique

perfectivité

En contraste avec le temps futur du gallois, le temps futur du breton n'est pas nécessairement imperfectif (Heinecke 2001:79).


(1) Pan erruo ar brini du, douget gant an avel gwalarn, tostaat a reio ar goanv.
quand+C,1 arrivera le corbeau.x noir porté avec le vent galerne proch.er R fera le hiver
'Quand arriveront les noirs corbeaux poussés par le noroît, l'hiver approchera.'
Standard, Le Bozec (1933:28,29)

interprétation future, morphologie du conditionnel présent

(2) Mont a rafen 'benn e sul da lakaat un oferenn evit ar werc'hez da ziwall n'eo mat war e hent gwezheet.
aller R1 ferais à dans dimanche de1 mettre un messe pour le1 Vierge de1 se.garder ne est bon sur son1 chemin sinueux
'Dimanche, j'irai faire dire une messe, pour que la Vierge protège son chemin sinueux.'
Cornouaillais, Jacq (2002b:79)


interprétation future, morphologie du présent

Comme dans de nombreuses langues, un temps sémantique futur peut être exprimé par un temps morphologique présent si il se trouve dans la phrase un adverbe temporel adéquat (Heinecke 2001:80).


(3) An den a zo hirio; warc'hoazh n'ema mui !
le humain R E aujourd'hui demain ne1 E plus
'L'homme existe aujourd'hui, demain il ne sera plus !'
Breton pré-moderne, BSA. (1877:165)
cité dans Le Gléau (1973:41)


(4) Labourat a ran warc'hoazh.
travailler R fais demain
'Demain je travaille.'
Standard, Heinecke (2001:80)

interprétation épistémique, morphologie du futur

Pour une lecture épistémique, là où le français aurait utilisé un subjonctif, un conditionnel ou un présent, on peut trouver une morphologie temporelle du futur.


(1) ...evit ma kavi eur gwaz eus da gendere, merc'hig ?
pour que4 trouveras un mari de ton1 con.degré fille.DIM
'Pour que tu trouves un mari de ton milieu social, ma fille ?'
Léonard (Bodilis), Ar Floc'h (1922:347)


(2) Ne blij ket din e vo laosket ar c'hi a fas da dor ar vagajen.
ne1 plait pas à.moi R sera laiss.é le 5chien devant porte le 1magasin
'J'aime pas quand on laisse son chien devant la porte du magasin.'
Léonard (Lesneven/Kerlouan), Y. M. (04/2016b)


(3)... ne c'houlennan ken tra nemet mac'h heuilhint an hend an deus great en o raok...
ne1 demande seulement chose sauf que4 suivront le chemin R.3SGM 3.a fait en leur avant
'... Je ne demande rien de mieux qu'ils suivent le chemin qu'il a tracé avant eux...'
Léonard, Perrot (1907:13)

Pragmatique

Interprétation présent, temps futur

Par déduction pragmatique, un temps morphologique futur peut aussi exprimer un temps sémantique présent:


(1) Ata ! Dont a ri ?
et.donc venir R1 feras
'Alors, tu viens ?'
Standard, Le Saëc (1990:6)


 Gros (1970:31):
 "La volonté se marque souvent par la simple affirmation du résultat auquel on veut arriver, en employant encore le futur […]
 
 Piou e-nevo bara ?, 'Qui aura du pain ?'
 (qui veut du pain ?)
 Ma am-mo ! Me n'am-mo ket !, 'J'en aurai (j'en veux); je n'en aurai pas'
 (je n'en veux pas)
 N'an ket ! n'in ket !, 'Je n'y vais pas', 'Je n'y irai pas' 
 (je ne veux pas y aller)
 Me a ouezo !, 'Je le saurai'
 (je veux le savoir)

Terminologie

Kervella (1947) utilise les termes amzer da zont, 'futur', amzer da zont kent, 'futur antérieur' ou amzer da zont tost, 'futur proche'. Chalm (2008) utilise aussi le terme dazoned.

En trégorrois (Perros-guirrec), Konan (2017:30) rapporte l'usage de amzer-da-ren 'futur'.


Bibliographie

  • Zair, N. 2012. 'Reconstructing the Brittonic future/present subjunctive', Journal of Celtic Linguistics 14: 87-110.
  • Jackson, Kenneth. 1976. 'Notes on the long-é future in Middle and Modern Irish', Celtica, 11:94–106.