Le conditionnel présent

De Arbres

Le conditionnel présent est en breton l'un des deux paradigmes verbaux du conditionnel.

Le conditionnel présent est marqué morphologiquement par le morphème -f. Sémantiquement, des alternatives possibles sont ouvertes, et restent ouvertes. On parle de conditionnel réalis.


Morphologie

La morphologie du conditionnel réalis en breton moderne est caractérisée par le morphème -fe, ou -he.


(1) Derc'hel a rin d'am gêr nemet mervel a rafen.
tenir R1 ferai à1 mon2 mot sauf mourir R1 ferais
'Je tiendrai parole sauf si je meurs.'
An Here (1995:'nemet')


variation dialectale

diachronie -f vs. -h

Les formes du potentiel sont historiquement des formes en -h. Le Berre (2009:17) relève dans le Stabat Mater de Guéguen de 1622 des exemples de conditionnel est en –he : ma studyhe, na estonhe.

En dehors du vannetais, ces formes en -h ont ensuite convergé avec les formes de l'imparfait en -f.


 Falc'hun & Fleuriot (1978-79:7B) :
 "Depuis le XVIIᵉ, une nouvelle désinence en -fen, fes, fe… s'est répandue dans les autres dialectes [que le vannetais]. Elle vient de verbes usuels comme 'mourir', 'vivre', moyen breton marwhe 'il mourrait', bewhen 'je vivrais'. Le groupe -wh- a abouti a -vh-, puis à -f- et s'est répandu, d'où les formes dites régulières karfen, karfes, karfe.


 Le Gléau (1973:12,13) :
 "Vers 1710, les trois cinquièmes des formes potentielles des verbes réguliers s'entendent et s'écrivent comme des imparfaits. Par exemple, la caractéristique H s'est toujours amuïe en position intervocalique, sauf pour quelques formes de dont.
 
 […] Le besoin de clarté a imposé progressivement une caractéristique F. Ce passage de H à F existe dans des mots comme dihuniñ: 
 Josef a zifunas BSA. (1877:50) 
 […] Entre 1610 et 1830 la caractéristique FE s'impose en Haut-Léon dans les verbes réguliers. Bris semble encore ignorer FE, Milin ignore déjà HE.
 […] Endevout dans le dernier tiers du 19° siècle et bezan dans le premier tiers du 20° alignent leurs formes potentielles sur celles des verbes réguliers."


On trouve encore en breton moderne des formes en -he en vannetais et dans le bord vannetais. La carte 480 de l'ALBB le montre bien, avec la variation dialectale des traductions de Il irait (s'il voulait). Cette même carte montre aussi qu'en vannetais et dans le nord du pays Glazik, le conditionnel présent est susceptible d'être remplacé par une morphologie du futur.


(4) Pa vehec'h lakaet paravis din, ' vehe gwelet piv eo an hani brasañ.
quand1 seriez m.is vis-à-vis de.moi R4 serait v.u qui est le celui grand.le.plus
'Si on nous mettait en vis-à-vis (si on nous comparait), on verrait qui est le plus grand.'
Vannetais (Le Scorff), Ar Borgn (2011:26)


morphologie en -j

Le conditionnel réalis peut être localement associé à une morphologie en -j-.


(2) ma chomjec'h / ma vije labour amañ.
ma chomfec'h / ma vefe labour amañ. Équivalent standardisé
si4 restiez si4 serait travail ici
'si vous restiez...' / 's'il y avait du travail ici...'
Trégorrois (Perros-Guirec), Konan (2017:263)

Syntaxe

matrices et subordonnées

Le mode conditionnel peut apparaître en matrices comme en subordonnées.


(3) Nemet karout a rafen e virfes ez kerz un dra bennak e koun eus hon daremped ...
seulement aimer R1 ferais R4 garderais en.ta.possession un 1chose quelconque en souvenir de notre rencontre
'Seulement, j'aimerais que tu gardes quelque chose en souvenir de notre rencontre.'
Standard, Drezen (1990:43)


Une conditionnelle peut être introduite par le complémenteur ma, ou en vannetais, par le complémenteur pa, ou ha pa.


(3) Pa vehec'h lakaet paravis din, ' vehe gwelet piv eo an hani brasañ.
quand1 seriez m.is vis-à-vis de.moi R4 serait v.u qui est le celui grand.le.plus
'Si on nous mettait en vis-à-vis (si on nous comparait), on verrait qui est le plus grand.'
Vannetais (Le Scorff), Ar Borgn (2011:26)


Le conditionnel morphologique peut n'être marqué qu'une fois, ici dans l'enchâssée (dans la traduction française, c'est l'inverse).


(4) Lavaret ' ve great e vefe an tan ennan breman.
dit R4 est fait R4 serait le feu en.lui maintenant
'On dirait qu'ils sont en feu maintenant.' (pantalons)
Léonard, Perrot (1907:27)

Sémantique

négation et alternatives

Les verbes qui introduisent une complétive, lorsqu'ils sont au négatif, peuvent pointer une alternative possible au monde (Je doute que … Je ne crois pas que … ). Ils imposent alors un conditionnel dans l'enchâssée (Le Clerc 1986:203).


(4) N ket laret e teufe ar medisin arc'hoaz.
ne1 est pas d.it [CP R4 viendrait le médecin demain ]
'Il n'est pas dit que le médecin vienne demain.'
Trégorrois (Tréguier), Le Clerc (1986:203)


Si aucune alternative n'est ajoutée, le conditionnel n'est pas employé.


(5) Ne oar ket ec'h on klanv.
ne1 sais pas [CP R+C,4 suis malade ]
'Il ne sait pas que je suis malade.'
Trégorrois (Tréguier), Le Clerc (1986:203)


le potentiel sans le doute

Le conditionnel n'implique pas le doute du locuteur. Le locuteur peut dire ne pas croire à une éventualité. Tant que cette éventualité existe, par exemple du fait de l'interlocuteur, le conditionnel peut être utilisé. Le locuteur peut clairement prendre position contre une alternative qu'il reconnait cependant possible.


(1) Ne gredan két e yafe beteg disul.
ne1 crois pas R4 irait jusque dimanche
'Je ne crois pas qu'elle tienne jusqu'à dimanche.'
Léonard, Seite (1975:65)


(2) Ne gredan ket e kouskfe ma breur.
ne1 crois pas [CP R4 dormirait mon2 frère ]. Conditionnel réalis
'Je ne crois pas que mon frère dorme.'
Trégorrois (Tréguier), Le Clerc (1986:203)


Parfois, la morphologie du conditionnel marque la postériorité par rapport à un temps de la proposition ancré dans le passé. En (3), le temps où Matriona se lève est un temps du passé. Elle sait à ce moment précis à quoi sera (*serait) occupé le futur de sa journée.


(3) Gout ' ouie en ur sevel, da betra e vefe kinniget an devezh.
savoir R1 savait en lever à1 quoi R4 serait employ.é le journ.ée
'Elle savait bien, en se levant, à quoi serait employée la journée.'
Standard, Ar Barzhig (1976:29)

potentiel sans morphologie du conditionnel

apodose indicatif présent

Quand la valeur du conditionnel est introduite ailleurs dans la phrase, la morphologie du conditionnel peut être remplacée par celle de l'indicatif.


(2) Ma kouezfe eun den amañ a zo (/ez eus) fin dezañ.
si4 tomberait un personne ici est fin de.lui
'Si quelqu'un tombait ici, c'en serait fait de lui.'
Trégorrois, Gros (1966:25)


apodose indicatif passé

Selon Hewitt (2010b:303), le verbe de la matrice peut optionnellement apparaître à l'indicatif dans l'aire Nord-Est incluant le trégorrois.


(3) Ma viches lamped ase e veffes marw.
Ma viches lamped ase e oas marw
si4 serait saut.é R4 serait/étais mort
'Si tu sautais là, tu te tuerais.'
Hewitt (2010b:303)


Le même effet est notable avec penemet (panevet).


(4) Penemet ma'z oc'h-c'hwi kañveriez, me am boa graet deoc'h ur garlantez.
sinon que+C,4 êtes-vous deuill.eus.e moi R.1SG 1.avait fa.it à.vous un guirlande
'Sinon que vous êtes en deuil, je me serais moqué de vous.'
Breton pré-moderne, Luzel (1868:258)
cité dans Menard (1995:172)


Pour une hypothèse sémantique sur l'utilisation de la morphologie du passé pour créer des contrefactuels, se reporter à Ippolito (2002).

apodose indicatif futur

La carte 480 de l'ALBB montre la variation dialectale des traductions d'une apodose: Il irait (s'il voulait). En vannetais et dans le nord du pays Glazik, on relève une morphologie du futur (on ne sait pas si la protase du conditionnel était avant ou après, mais elle était par ailleurs réalisée).

morphologie du conditionnel sans potentiel

La morphologie du conditionnel peut obtenir une lecture d'habitude.


(1) /ˌnuzõ ke 'plɛ:h møfe ˌlakɛ ma ly'ni:du/
N'ouzon ket peleh 'mefe laket ma lunedou.
ne1 sais pas 1SG.aurait m.is mon2 lunette.s
'Je ne sais jamais où je mets mes lunettes.'
Cornouaillais (Plozévet), Goyat (2012:301)


La morphologie du conditionnel peut aussi obtenir un futur, sans que l'interprétation soit d'une incertitude de réalisation de prédicat.


(2) / bɛn a ˌhwa dãn ˌør ma ˌvifiɲ i la'bu:ra da 'va:d/
A-benn arhoaz d'an eur-mañ e vint o labourad da vad.
d'ici demain à le heure.ci R4 seront à4 travailler pour1 bon
'Demain à cette heure-ci, ils seront en plein travail.'
Cornouaillais (Plozévet), Goyat (2012:303)


(3) Lak an dilhad er-maez bepred ma vo gwelet petra refont: pe sec'hfont pe na refont...
mets le habits dehors toujours que4 sera v.u quoi R1 feront ou1 R4 sècheront ou1 ne.R1 feront
'Mets le linge dehors toujours, que l'on voit ce qu'il fera : s'il sèchera ou non… '
Trégorrois, Gros (2014:'pe')

Diachronie

Hewitt (2010b:301) considère que le paradigme du potentiel [‑ffe- (G‑ehe-)] dérive historiquement d'un subjonctif imparfait.

Le Brigant (1779:A4) signale l'usage de an diaoul, 'diable' (ayoul ne vifés, an diaoul ne vefes, 'diable que tu fusses').


À ne pas confondre

En trégorrois, les formes plurielles du paradigme du futur utilisent le paradigme en -f qui est par ailleurs caractéristique du conditionnel présent (Falc'hun & Fleuriot 1978-79:6B, Konan 2017:263).


Terminologie

Le Clerc (1986:203) parle pour les formes en -fe de subjonctif potentiel. Cette terminologie vient de l'analyse des phrases équivalentes en français.

Le Gléau (1973:12) utilise le terme de forme potentielle. Ce terme de forme potentielle s'oppose au paradigme de l'hypothétique du conditionnel passé irréalis.

KAG (2016) conditionnel potentiel par amzer c'hallus an doare divizout.


Bibliographie

  • Bottineau, Didier. 2012a. 'Les conditionnels potentiel et irréel en breton : De la morphologie temporelle à la valeur instructionnelle', Faits de langues 40, Peter Lang, 85-92. texte.