Ordres à focus préverbal

De Arbres

La position préverbale est associée aux lectures de topique et focus (Schapansky 1996:65). La focalisation en particulier est obligatoirement marquée par le mouvement (Jouitteau 2005:195).


Au contraire du français ou de l'anglais, un élément focalisé en breton ne peut pas rester dans sa position canonique et être uniquement signalé comme focalisé par une mélodie prosodique particulière. Une seule classe d'éléments fait exception à cette règle de focalisation par mouvement, c'est celle des pronoms écho. Porteurs d'emphase, ils apparaissent cependant dans le champ postverbal ou après un nom. En dehors de cette classe très particulière de pronoms, et des focalisations en infinitives comme décrit ci-dessous, aucune emphase ne peut être marquée hors du champ préverbal.


Types de focus

Schapansky (1996:100) distingue:

le focus interrogatif (exprimé par un constituant interrogatif)
le focus informatif (un constituant en réponse à une question)
le focus contrastif (qui exclut des alternatives)
le focus présentationnel (qui présente comme important un référent du discours jusqu'alors inactivé)
le focus emphatique (qui présente une information comme surprenante ou intéressante)
'all-comment' (structure où toute l'information est nouvelle, en réponse type à une question de type 'qu'est-ce qui s'est passé ?')


Domaine tensé

Dans le domaine tensé, toutes sortes d'éléments peuvent être focalisés par mouvement. L'élément focalisé antéposé peut être un groupe nominal sujet ou objet, un groupe nominal prédicatif, un syntagme prépositionnel, un syntagme aspectuel ou encore un groupe verbal.


(2) Ur hoér en doé en Eutru Touz _ é Santez Anna.
[DP un sœur ] R.3SGM avait le monsieur Touz à Saint.e Anne
'Monsieur Touz avait UNE SŒUR à Sainte Anne.'
Vannetais, Guilloux (1992:48)
cité dans Schapansky (1996:100)


(3) Ur gér truhek é Karnasen-man.
[PredP un 1village pitoy.ant ] est Karnasen.
'Ce Karnasen est un VILLAGE MISÉRABLE.'
Vannetais, Jaffré (1986:16)
cité dans Schapansky (1996:101)


(4) Koll ma mignon am eus kavet start _ .
[VP perdre mon2 ami ] R.1SG a trouv.é dur
'J'ai trouvé dur de perdre mon ami.'
Vannetais (Le Scorff), Ar Borgn (2011:37)


En (5), on peut repérer le site d'extraction du syntagme antéposé dans le reste de la phrase grâce à ober 'faire'. En effet, s'il n'y avait pas eu focalisation, ober ne serait pas licite, et le verbe infinitif apparaîtrait à sa place.


(5) C'hoarzhin a rank an nen ober _ evit disoñjal poanioù ar bed-mañ...
[VP rire ] R doit on faire <rire> pour .penser peine.s le monde.ci
'On doit RIRE pour oublier les peines de ce monde … '
Al Liamm (346:127)


La focalisation par mouvement peut être opérée sur une longue distance dans la phrase, ce qui est un diagnostic pour le mouvement A-barre. L'élément focalisé peut donc apparaître loin de son site d'extraction.


(6) Dav eo debriñ, a-dra-sur; maget e rank ar c'horf bezañ
obligé est manger à-chose-sur nourr.i R doit le 5corps être <nourri>
'Il faut manger, bien sûr, le corps doit être NOURRI.'
Standard, Drezen (1990:70)


On distingue ces constructions de mouvement de focalisation de celles dites 'du faux sujet', ou de topique, où le site postverbal associé est rempli par un pronom résomptif.


particule de focalisation

Ken est une particule de focalisation restrictive de type 'seulement' qui apparaît sous la négation. Elle admet que le DP sur lequel elle importe un focus contrastif reste in-situ après elle (n'eo ken X), mais le syntagme focalisé peut aussi monter en zone focus, même au-dessus de la négation (7).


(7) Eur mell gaou ne oa ken.
[DP un grand mensonge ] ne1 était seulement <un grand mensonge>
'Ce n'était qu'un gros mensonge.'
Léonard, (Cléder), Seite (1998:37)


dérivation

Les quantifieurs flottants peuvent nous aider à comprendre comment est dérivée une phrase avec un focus pré-tensé. En (8), le pronom fort indépendant 1PL ni est focalisé par la particule ivez, 'aussi'. On voit grâce au quantifieur flottant holl que la focalisation en ivez a déclenché un mouvement du pronom à partir d'un site qui est déjà devant le verbe tensé. En termes dérivationnels, le sujet a donc été antéposé avant le mouvement de focalisation.


(8) Ni ivez, holl, e kosaomp.
nous aussi tous R4 vieillissons
'Nous vieillissons tous aussi.'
Le Bozec (1933:42)

Focalisation en infinitives

Après 'nemet', la focalisation par mouvement est possible en proposition infinitives.


(8) N' eus nemet [VP mont gant red an istor ] d' ober _
ne1 y.a seulement aller avec cours le histoire à faire
'Suivre le cours de l'histoire est la seule chose à faire.'
Al Liamm (347:123)


Horizon comparatif

Les langues diffèrent dans leurs stratégies de focalisation. Le breton fait partie des langues qui ont un recours massif au mouvement préverbal pour signaler le focus ou le topique de la phrase.

D'autres langues ont un recours plus général au marquage prosodique. En français, les stratégies de focalisation sont par exemple radicalement différentes de celles du breton. En ce qui concerne le sujet focal, c'est même exactement l'inverse: la grammaire du français impose que le sujet, lorsqu'il est focalisé, évite surtout la zone préverbale (Lambrecht 1986, 1994:22). En (9)a., la phrase est mal-formée car le marquage focal prosodique est en zone préverbale. Pour éviter cette configuration, le locuteur multiplie les domaines propositionnels et place les marques focales prosodiques dans le domaine postverbal de chacun (notez qu'alors, le verbe 'avoir' ne signifie pas 'posséder', et que la relative n'est ni appositive, ni restrictive, révélant une structure de dernier recours).


(9) a. #?? MA VOITURE est en PANNE .
b. J'ai MA VOITURE qui est en PANNE
Français oral, Lambrecht (1994:22)


Parmi les langues qui font usage de la focalisation par mouvement préverbal, on peut citer évidemment le français de Basse-Bretagne, sous l'influence directe du breton. Il est intéressant de noter que la structure prosodique de cette variété de français est remarquable de par ses emprunts prosodiques très forts au breton, en contraste avec le français standard.


Bibliographie

  • Schapansky, Nathalie. 1996. Negation, Referentiality and Boundedness in Breton, a case study in markedness and asymmetry, ms thesis.


horizons comparatifs

  • Lambrecht, Knud. 1986. Topic, focus, and the grammar of spoken French, PhD. dissertation: University of California, Berkeley.
  • Lambrecht, Knud. 1994. Information structure and sentence form; Topic, focus and the mental representations of discourse referents, Cambridge Studies in linguistics 71. [réédition 1998]