Différences entre les versions de « Di-, dis- »

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Version du 26 septembre 2023 à 14:52

Le préfixe di-, ou dis- est un privatif, similaire aux préfixes privatifs dé- ou a- du français. Sur les noms, ce préfixe applique un degré zéro comme dans dichañs 'malchance, manque de chance' (Ar Borgn 2011:80). Pour un prédicat, ce préfixe obtient un prédicat de sens inverse.


(1) Penaos 'ta e c'halle pradañ ha dibradañ ?
comment donc R4 pouvait atterrir et 1.atterrir
'Mais comment pouvait-il décoller et atterrir ?'
Standard, Kervella (2002b:60)


Trépos (2001:§121) donne digoll 'dédommagement', difiziañs 'défiance', digarantez 'aversion', dinerz 'faiblesse'

Press (2010:452) donne didruez 'sans pitié', disheñvel 'dissimilaire'.

Cornillet (2020) donne dizoue 'athée', dibenn 'san tête', digoadañ 'déboiser'.


Morphologie

allomorphes

Gros (1984:374) note une prononciation en /diz-/ devant une voyelle, et une prononciation en /di-/ devant /X, d, g, ʒ, n, r, s/. Devant les autres sons, il observe une alternance di-/dis- qui semble aléatoire, avec parfois les deux possibilités représentant deux sens différents (voir sémantique du préfixe).


mutations

sous la forme di-

Sous la forme di-, le morphème déclenche la lénition sur sa racine.


(2) Didud ha morgousket e oa ar gompezenn.
pfx1-gens et en1.dorm.i R était le 1plaine
'La plaine était endormie et déserte.'
Standard, Drezen (1990:36)


(3) Gwas pe diwas, an dra-s' so memes mod !
homme ou pfx1-homme le 1chose- est même mode
'Costaud ou pas costaud c'est la même chose !'
Breton central (Poher), Favereau 1997:§193)


sous la forme dis-

Sous la forme dis-, il y a manifestement variation dans la mutation déclenchée par le préfixe.

obstacle à la mutation

La finale -s peut faire barrière à la mutation. On trouve, sans mutation sur l'hôte du préfixe:

K: diskan 'refrain' sur kan 'chant', diskrediñ 'mettre en doute' sur krediñ 'croire'
T: distanet 'relax, rafraichi' sur tan 'feu'
P: displijadur 'mécontentement' sur plijadur 'plaisir', dispar 'sans pareil' sur par 'pareil'
G: disglavier 'parapluie' sur glav 'pluie'
D: _
B: _
M: dismegañs 'médisance' (anciennement sur megañs 'pudeur')
Gw: disgwel 'invisible' sur le nom déverbal de gwelout 'voir', disgwallañ 'protéger du mal' (Favereau 1993) sur gwallañ 'faire du tort', disgwarañ, disgweañ 'dégauchir, détordre, redresser, enlever le voile d'une roue' sur gwarañ et gweañ


Dans le cas de disdalc'hus 'dérogatoire' (Preder), il n'y a pas de mutation sur dalc'hus 'constant, résistant' mais il n'est pas assuré qu'il s'agisse bien du préfixe privatif.


lénition

Selon Gros (1984:374), dis- ne provoque de lénition qu'en breton trégorrois. Selon Kervella (1947:§880), sous la forme dis-, seules les consonnes /b, m, gw/ seraient mutées (avec des exceptions).

B: disvergl 'inoxydable' sur mergl 'rouille' et disvlevadur 'épilation' (TermOfis) sur blev 'cheveu, poil', disvanegañ 'déganter' (Menard & Bihan 2016-).
M: disvankañ 'corriger', disvemprañ 'démembrer'
Gw: diswriat 'découdre'


Selon Chalm (2008:w-217) la consonne /g/ serait aussi affectée.


sandhi provectif

Selon Helias (1986:14) dis- provoque une mutation durcissante (en fait, un sandhi comme s'il s'agissait de deux mots séparés). Il donne disklao, 'à l'abri de la pluie' (G>K donc sur le nom glav 'pluie'). On trouve des exemples aussi en Léon disklavenn 'préau' (Seite & Stéphan 1957:15).

accentuation

L'accentuation en KLT tombe sur l'avant-dernière syllabe et montre avec les bisyllabiques que le préfixe di- peut prendre l'accentuation de mot (DIdud, Kervella 1947:§887, Gros 1984:374).


exocentricité, endocentricité

Le morphème di-, dis- est endocentrique sur les verbes, mais il est exocentrique sur les noms qu'il transforme en adjectifs.

  • D'un nom, il obtient un adjectif (roched 'chemise' > diroched 'sans chemise') ou un adverbe (tro 'tour' > didro 'sans détour, franchement')
  • D'un verbe, il obtient un adjectif.


(4) Kollet ar vaouez kozh / en ur ragach digompren - estrenez en he bro
perd.u le 1femme vieux en un sabir 1.comprendre étranger.e en son2 pays
'vieille femme égarée en un sabir incompréhensible - étrangère en son pays.'
Haïku, H. Gaudart [c.p. 28/11/2020]


La propriété exocentrique de di, dis- prédit l'observation de Kervella (1947:§880) qui note que les adjectifs préfixés en di- ont souvent un adjectif contraire qui, lui, apparaît avec un suffixe adjectival. Le préfixe di- a déjà recatégorisé le nom racine en adjectif et ne nécessite aucun suffixe adjectival.


(5) c'hoarzhus > dic'hoarzh plegus > dibleg
speredek > dispered roudennek > diroudenn
torret > didorr trugarezus > didrugar
Standard, Kervella (1947:§880)


L'exocentricité du morphème di-, dis- est étonnante car les préfixes sont rarement exocentriques. Pour une comparaison avec le français, on peut penser à la préposition sans, qui n'est pas un préfixe, mais obtient bien une modification qui n'a pas d'équivalent au positif (un homme sans cravate, un homme cravaté).


interaction avec d'autres suffixes adjectivaux

Des suffixes adjectivaux comme -us peuvent résister à la préfixation en di-. Vallée (1980:XXIII, 'invisible') donne, en contraste avec diwel, disgwel 'qu'on ne voit pas', les dérivations diwelus, diweladus 'invisible, que l'on ne peut absolument pas voir, invisible par nature' qui dénotent une propriété plus permanente.

Vallée (1980:'invisible') donne aussi, avec le préfixe he-, la double préfixation en dihewel 'invisible à l'œil nu, qu'on ne voit pas facilement'.

variation dialectale

La carte 303 de l'ALBB documente la variation dialectale de la traduction de habiller/déshabiller et montre une répartition large du préfixe di-, dis-.

productivité

Le préfixe di-, productif, est très vivant dans la langue et peut aisément créer de nouveaux items à volonté. En (4), di- est préfixé sur un verbe à base nominale.


(6) Hañ ! Te eo Kristof ? Gortoz, me a ya da zigristofi ahanout !
Ah ! toi est Christophe attends moi R va pour1 1-Christoph.er P.toi
'Ah ! C'est toi, Christophe ? Attends, je vais t'en fiche, du Christophe.'
Trégorrois, Gros (1984:28)


Gros (1984:369) considère ce suffixe comme productif en breton trégorrois. Certaines racines ne sont plus vivantes que préfixées, comme digarez 'excuse, prétexte', sur le moyen breton karez 'blâme, reproche' (Trépos 2001:§121).

Sémantique

di-/dis-, deux morphèmes différents ?

Kervella (1947:§880) semble hésiter parfois à classer dis et di comme allomorphes. Il cite en particulier des paires minimales avec un sens légèrement différent, et parfois une catégorie différente.


(1) glav 'pluie' dic'hlav 'sans pluie' disglav 'lieu où ne tombe pas la pluie'
gwel 'vue' diwel 'invisible' disgwel 'cachette'
par 'semblable' dibar 'qui a perdu son pareil' dispar 'sans pareil'
kred 'croyance' digred 'incrédule' diskred 'qui n'a pas à être cru'
Standard, Kervella (1947:§880)


Gros (1984:374) distribue l'alternance di-/dis- selon des règles phonologiques associées à l'initiale de la racine, mais note que dans les zones d'optionalité laissées ouvertes par ces règles, on a parfois di- et dis- représentant deux sens différents, où dis- semble à Gros « plus énergique » :

  • dilavar 'muet' et dislavar 'dédit, rétraction'

Selon Deshayes (2003:36), le préfixe dis- a un sens "plus fort" que di-.

degré zéro sur un nom

Le préfixe di- impose la lecture 'degré zéro' des noms.


(1) Dont d'ar gêr divragoù ha divotoù
aller à1 le 1foyer pfx1-pantalons et pfx1-chaussure.s
'Rentrer chez soi sans pantalon et sans chaussures.'
Favereau (1993)


(2) En disklavenn, meur a hini a zo o c'hoari patati.
en.le dé.pluie.eur plus de1 un R1 est à4 jouer "patati"
'Sous le préau, quelques uns jouent à saute-mouton.'
Léonard, Seite & Stéphan (1957:15)


Le nom préfixé peut être pluriel comme singulier.


(3) N'out ket diloer ?
ne1 es pas pfx.bas
'Tu n'es pas sans bas ?'
Trégorrois, Gros (1970b:§'loer')


Le préfixe di- est productif sur les noms.

  • an tachennoù rous dizour ha dic'heot
Standard, Drezen (1990:50)
  • didrouz, difazi, diboell, didud
Standard, An Here (1995)


Ces noms sont ensuite disponibles pour une dérivation. Le verbe dic'houzougañ 'décapiter' n'est pas 'faire le contraire de donner un cou' mais 'faire advenir l'absence de cou'.


(4) Ar re-ze a vije dleet dihouzougañ anezo.
le ceux- R serait 1.cou.er P.eux
'Ceux-là, on devrait les capiter.'
Trégorrois, Gros (1984:29)


contraires

Le préfixe di- peut donc s'utiliser pour exprimer des contraires ('avec X' ou 'sans X').

Pa vêr klañv, gwas pe diwas, an dra-se 'zo heñvel ! (Poullaouenn, Favereau 1993)
glav pe dic'hlaw (Are, Favereau 1993)


degré zéro sur un prédicat

Le préfixe di- est aussi productif avec les prédicats, adjectivaux ou verbaux. Dans ces cas, on obtient sémantiquement un prédicat de sens contraire (degré zéro appliqué à la base).


adjectifs

(4) Ne vez ket alies divew anezhañ.
ne1 est pas souvent pfx1-saoûl P.lui
'Il est ivre la plupart du temps.'
Cornouaillais (Riec), Bouzeg (1986:I)


(5) Ne zeu ket sonjoù divodest da virout ouzhit da gousket, a-wechoù ?

Standard, Drezen (1990:53)

verbes

Lorsqu'il apparaît sur les verbes, le préfixe di- correspond en gloses au préfixe dé- du français. On n'obtient pas une absence d'action, mais une action de sens contraire.


(6) A - C'hoarzhin a ra ! B - Dic'hoarzhin a ray!
rire R fait -rire R fera
'A : - Il rit ! … B : - Ça lui passera !!'
Favereau (1993)


(7) Eman o tilasa e votou-lêr, o tiglochedi e vantel, hag o tinozelenna e chupenn...
est à4 dé.lac.er son1 soulier.s-cuir à4 dé.agrafer son1 manteau et à4 dé.boutonner son1 veste
'Il délace ses souliers, dégrafe son manteau et déboutonne sa veste … '
Standard, Le Bozec (1933:66)


(8) Ne zislavaran ket.
ne1 dé.dire pas
'Je le maintiens.'
Trégorrois, Gros (1984:162)

degré zéro dans les structures reduplicatives

La reduplication a-perfective X di-X est une opération morphologique de reduplication productive en breton.

Elle a l'effet sémantique de supprimer la borne de fin d'un prédicat verbal (reduplication a-perfective de type nijal-dinijal, 'voleter').


  • Kaer en deus treiñ ha distreiñ, ne zeu ket ar c'housked dezhañ.
Standard, Drezen (1990:45)


Pour un état, c'est le seuil qualitatif qui est supprimé avec un effet d'intensification.


(9) Goude e vezont bloñset ha dibloñset tout evel-just.
après R sont tapé et dé.tapé tout bien.sur
'Après, ils sont meurtris bien sûr.'
Léonard, Mellouet & Pennec (2004:152).


Cet effet est similaire au français dé- dans 'tremper > détremper'.


retournement sémantique en intensifieur

L'effet sémantique de ces reduplications donne un effet de persévérance dans l'action ou d'intensité de l'état, tout en supprimant la borne de fin ou le seuil qualitatif définitif de l'état. Ces interprétations ont donné lieu à un autre type d'interprétation du suffixe di- ou dis, en se généralisant hors des structures de reduplication.

Tel que donné à L'Hôpital-Camfrout par Le Gall (1957), gori signifie 'chauffer un four', et dihori l'action de donner un tour de chauffe à un four neuf.


(1) Ne ouie den koulz hag eñ dihori eur forn nevez.
Ne1 savait personne tant que lui 1.chauffer un four neuf
'Personne ne savait faire une première chauffe de four neuf comme lui.'
Cornouaillais (L'Hôpital-Camfrout), Le Gall (1957:'dihori')


Kervella (1947:§880) donne, avec le même renversement sémantique en intensifieur:

gwalc'hiñ > diswalc'hiñ 'se laver avec beaucoup d'eau'
trempañ > distrempañ 'bien tremper, avec beaucoup d'eau'
tammañ, rannañ > distammañ, disrannañ 'mettre en pièces'
treiñ > distreiñ 'mettre du côté opposé'
skrivañ, kanañ > diskrivañ, diskanañ 'répondre à une lettre ou un chant, écrire ou chanter sans cesse'

Diachronie

En vieux brittonique, Evans & Fleuriot (1985) signalent un préfixe di- "privatif" et un préfixe dis- "séparatif". Il s'agit de deux allomorphes du même préfixe dans différents contextes phonologiques.


Horizons comparatifs

Selon Deshayes (2003:36), le préfixe di- correspond au cornique dy-, ainsi qu'au gallois et à l'irlandais di-.

À ne pas confondre

Le morphème di-, dis- ne doit pas être confondu avec le morphème de-, di-, dis-, qui est sémantiquement distinct et jamais privatif. Il peut paraître surprenant qu'un préfixe réalisé comme di- ou dis- puisse avoir deux sens contraires, mais ce n'est pas exceptionnel dans les langues humaines (cf. anglais flammable = inflammable, incapable = not capable, invaluable = very valuable).


Un autre morphème di-/(deiz-) apparaît devant les jours de la semaine comme dilun, dimeurzh...

Enfin, il existe un morphème div- du duel, comme dans divarr 'houe à deux dents'.

Terminologie

Le Bayon (1878:15) nomme le préfixe a-perfectif la particule fréquentative.


Bibliographie