Hag-eñ
Hag-eñ apparaît dans certains dialectes dans les interrogatives polaires (les questions auxquelles on peut répondre par oui ou par non) où il est traduisible par 'si'.
En standard, l'interrogatif hag-eñ 'est-ce que' est utilisé en matrice interrogative. Ce processus de désenchâssement est commun à pravers les langues, mais est réprouvé pour hag-eñ dans les dialectes bretons traditionnels. En trégorrois, hag-eñ dans une proposition indépendante a un sens d'oppositive de type 'alors que'.
(1) | Hag eñ | e | vo | serret | skolaj | Kerichen, | e | Brest ? | ||||||||||
est.ce.que | R4 | sera | ferm.é | collège | Kerichen | en | Brest | |||||||||||
'Est-ce que le collège Kerichen sera fermé à Brest ?' | ||||||||||||||||||
Standard, France Bleu [21/09/2015] |
Morphologie
variation dialectale
En breton central, Wmffre (1998:56) donne / ag'ɛ~w / .
(3) | / ˌnuzõ | ke | 'hjã | ' | tjọ / | ||||||||||||||
N'ouzon | ket | hag-eñ | e | teuio. | |||||||||||||||
ne1 sais | pas | si | R4 | viendra | |||||||||||||||
'Je ne sais pas s'il viendra.' | |||||||||||||||||||
Cornouaillais (Plozévet), Goyat (2012:235) |
répartition dialectale
À Plougerneau (M-L. B. 02/2016) et à Lesneven (A.M. 02/2016), la forme hag eñ est inconnue, soit rejetée comme agrammaticale, soit même interprétée comme le complémenteur ha(g) suivi d'un pronom fort masculin singulier.
En cornouaillais de l'Est à Scaër/Bannalec, la forme hag eñ est aussi considérée comme exogène, voire agrammaticale (H. Gaudart 04/2016b).
Solliec (2015) reporte à Loqueffret la forme concurrente di geo: / da vel diˈgeɔ / , 'pour voir si'.
restriction aux enchâssées en trégorrois
En trégorrois, la forme ha(g) (eñ) semble restreinte aux enchâssées, ou au moins y est plus facilement mobilisable. Selon Le Clerc (1986:205), hag-eñ est utilisé "si la proposition est introduite en français par la conjonction interrogative si", c'est-à-dire en enchâssée dans une complétive interrogative indirecte. Selon Le Dû (2012:98) aussi, hag eñ s'emploie surtout en trégorrois en enchâssées.
(4) | N'êllɑ̃-ke | laad | ag ẽ | mó | fin. | ||||||||||||||
N'hellan ket | lavarout | hag eñ | em bo | fin. | Graphie standard | ||||||||||||||
ne1 peux pas | dire | si | R.1SG 1.aurait | fini | |||||||||||||||
'Je ne puis pas te dire si j'aurai fini.' | |||||||||||||||||||
Trégorrois (Plougrescant), Le Dû (2012:99) |
- Eur wech an amzer, Bilzig a deue da welet hag-en a oa dihun ar bôtrez.
- 'De temps en temps, Bilzig venait voir si la petite fille était réveillée.'
- Bas-Trégorrois, Al Lay (1925:20)
hag-eñ vs. mar(d)
La particule ma peut apparaître en concurrence avec hag-eñ, et pourrait gagner du terrain dialectal.
(5) | N'ouzon | ket | { ma / hag-eñ } | e | teuio. | ||||||||||||
ne1 sais | pas | si/si-3SGM | R4 | viendra | |||||||||||||
'Je ne sais pas s'il viendra.' | |||||||||||||||||
Standard, Merser (2011:57) |
Selon Merser (2011:57), le 'si' interrogatif se rend de plus en plus par le complémenteur ma en Haute-Cornouaille. Merser note que cet usage est "rejeté par les puristes". Bihan & Press (2003:187) notent une tendance, venant du Centre Bretagne mais irradiant dans le standard et le parler des jeunes, au remplacement de hag-eñ par ma(r).
(6) | N'ouzon | ket | { mard | / | hag-eñ } | eo | aet | ma | gwreg | d'ar | gêr. | ||||||
ne1 sais | ket | si | si-3SG | est | all.é | mon2 | femme | à le | 1foyer | ||||||||
'Je ne sais pas si ma femme est rentrée.' | |||||||||||||||||
Standard Bihan & Press (2003:187) |
On trouve en tout cas des occurrences de mar chez des locuteurs traditionnels du Léon et du cornouaillais de l'Est en 2016, qui n'ont par ailleurs pas hag-eñ, et en vannetais.
(7) | N'ouzon | ket | ma | 'n deus | lennet | an | urioù. | ||||||||||
ne1 sais | ket | si | 3SG 3.a | l.u | le | livre | |||||||||||
'Je ne sais pas si il a lu le livre.' | |||||||||||||||||
Léonard (Plougerneau, Lesneven) M-L. B. (02/2016), A.M. (02/2016) |
(8) | N'uion | ket | { ma / * hag(-eñ) } | neus | lennet | al levr. | |||||||||||
ne1 sais | ket | si | a | l.u | le livre | ||||||||||||
'Je ne sais pas si il a lu le livre.' | |||||||||||||||||
Cornouaillais (Scaër/Bannalec), H. Gaudart (04/2016b) |
(9) | Hañni | en des | gouiet | a-oudé | ma | ou doé | kavet | mad | en | tri | deloh. | ||||||
N | R.3SGM a | s.u | depuis | si | 3PL avait | trouv.é | bon | le | trois | truite | |||||||
'Personne depuis n'a su s'ils avaient aimé les 3 truites.' | |||||||||||||||||
Vannetais, Guilloux (1992:94) | |||||||||||||||||
cité dans Schapansky (1996:184) |
conjonction trégorroise 'alors que'
Dans le trégorrois de Jules Gros, hag-eñ peut mettre deux propositions en relation d'opposition logique.
(1) | Gweled | a-walh | a | rez | pegen | gleb | eo | an ti-mañ | hag-eñ | pegen | kraz | an amzer. | ||||||
voir | assez | R1 | fais | combien | mouillé | est | le maison-ci | alors.que | combien | sec | le temps | |||||||
'Tu vois bien combien cette maison-ci est humide alors que le temps est si sec.' | ||||||||||||||||||
Trégorrois (Trédrez), Gros (1966:117) |
(2) | Hag-eñ | az-teus | mil | binijenn | o | sevel | er | viñs. | |||||||||
alors.que | R.2SG 2SG.a | mille1 | pénitance | à4 | monter | en.le | 1escalier | ||||||||||
'alors que tu as mille peines à monter l'escalier.' | |||||||||||||||||
Trégorrois (Trédrez), Gros (1966:112) |
Syntaxe
matrices comme enchâssées
On trouve hag eñ en préface des question oui/non directes ou rapportées, en matrices comme en enchâssées.
ha(g) vs. hag-eñ
Selon Bihan & Press (2003:187) et Merser (2011:56), la forme hag eñ apparaît lorsque le verbe de la subordonnée le suit directement, en contraste avec ha(g) qui apparaîtra lorsqu'un autre constituant occupe la place préverbale (ordres V2 en enchâssées). Le Clerc (1986:205) semble aussi impliquer que lorsqu'il y a un mouvement de focus dans l'enchâssée, la forme est alors hag et non hag-eñ. C'est enfin aussi la distribution rapportée par Rivero (1999:81-82) - un exemple avec un sujet non-masculin singulier serait cependant plus convaincant, à cause des risques de confusion avec un sujet). Il semble donc y avoir une unanimité sur le sujet, au mois pour ce qui concerne le trégorrois.
(3) | N'ouzon | ket | ha | lennet | en deus | al levr. | |||||||||||
N'ouzon | ket | hag- | eñ | en deus | lennet | al levr. | |||||||||||
ne1 sais | pas | si | 3SGM a | l.u | le livre | ||||||||||||
'Je ne sais pas s'il a lu le livre.' | |||||||||||||||||
Trégorrois (données Stephens), Rivero (1999:81-82) |
(4) | N'ouzon ket | ha | brav | e vo | an amzer | a-benn | arc'hoazh. | ||||||||||
N'ouzon ket | hag- | eñ | e vo | brav | an amzer | a-benn | arc'hoazh. | ||||||||||
ne1 sais pas | si | R sera | beau | le temps | P | demain | |||||||||||
'Je ne sais pas si il fera beau demain.' | |||||||||||||||||
Bihan & Press (2003:187) |
(5) | It | da | welet | { hag | ho preur | a zo | deuet. | / | hag-eñ | eo deuet | ho preur }. | ||||||
allez | pour1 | voir | si | votre3 frère | R est | ven.u | si-3SGM | est ven.u | votre3 frère | ||||||||
'Allez voir si votre frère est venu.' | |||||||||||||||||
Standard, Merser (2011:56) |
Il semblerait que le morphème eñ puisse servir d'explétif dans les ordres à temps second. Sa distribution est cependant plus large, car on le trouve aussi optionellement devant la négation ne (Merser 2011:56).
(6) | Goulennet | em boa | diganti | hag(-eñ) | ne | felle | ket | dezhi | dont. | ||||||||
demand.é | R.1SG 1.avait | à.elle | si | ne1 | plaisait | pas | à.elle | venir | |||||||||
'Je lui avais demandé si elle voulait venir.' | |||||||||||||||||
Standard Bihan & Press (2003:187) |
Si ha(g) permet d'intercaler beaucoup d'éléments entre lui et le verbe tensé, ce n'est pas le cas de hag-eñ qui doit être immédiatement suivi par le verbe tensé.
daoust hag-eñ
Hag-eñ peut être précédé de daoust.
(7) | Daoust hag-eñ | ne | vije | ket | aze | evel | un dasson | eus | karantez | kollet | Anjela ? | ||||||
est.ce.que | ne1 | serait | pas | ici | comme | un re.son | de | amour | perd.u | Anjela | |||||||
'Est-ce que ce ne serait pas là un écho de l'amour perdu d'Angela ?' | |||||||||||||||||
Standard, Koadig Anjela Duval hiziv |
-eñ explétif?
Selon Lambert (1998:318), eñ dans hag-eñ est un pronom explétif 3SGM co-référant avec la proposition, d'une façon similaire au français est-ce que.
Cette hypothèse n'explique pas pourquoi la présence de -eñ oblige le verbe tensé à suivre directement, en contraste avec les ordres de mots avec ha(g).
Bibliographie
- Lambert, Pierre-Yves. 1998. 'L'actance dans les langues celtiques', Feuillet, Jack, Actance et valence dans les langues d'Europe, 295-346.
- Solliec, Tanguy. 2015. 'Structure de l'énoncé complexe en breton, le cas de la subordination', Denis Costaouec & Tanguy Solliec (éds.), Actualité de la recherche sur le breton et les langues celtiques, jeunes chercheurs, Emgleo Breiz, 71-98.