Différences entre les versions de « Minimiseur »

De Arbres
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|(1)|| Bilzig || '''gir''' ||'''ne''' || rannas.
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Version du 13 mars 2022 à 10:03

Les minimiseurs sont des éléments qui ont en commun d'emprunter sémantiquement à l'unité de mesure la plus petite d'une échelle de grandeur donnée. En (1), l'unité minimale est la miette, unité la plus petite possible de nourriture. Son usage est à mettre en relation avec le français classique 'mie'.


(1) N'em-eus ket debret eun elvenn abaoe deh.
ne R4.1SG-a pas mangé une miette depuis hier
'Je n'ai pas mangé une miette depuis hier.'
Trégorrois, Gros (1970b:§'elvenn')


A travers les langues, les minimiseurs grammaticalisent efficacement sous la négation (cf. le français pas un chat, un mot, âme qui vive...), mais à différents degrés.


Inventaire

Les minimiseurs en breton sont:

 les noms :
 den 'personne', gour 'homme', kristen 'chrétien', hini 'celui', tra 'chose', banne, berad 'contenu d'un verre', liv 'couleur', fulenn 'étincelle', takenn 'goutte', tamm 'morceau', griñsenn 'brin', kammed 'pas', seurt 'sorte', ket ...
 
 le préfixe dam-
 
 l'adjectif antéposé au nom dister 'insignifiant, négligeable' ou le préfixe dister- de même sens
 
 des onomatopées comme grik, bu, ba...

Morphologie

productivité de la morphologie expressive

Les minimiseurs favorisent les morphologies expressives, comme les onomatopées courtes, mais aussi des noms de sens opaque, dont la variation dialectale est révélatrice.

  • poulifrenn, ur voulifrenn, ur vulufenn, et à Douarnenez gwilifrenn, ur vilifrenn,
Menard & Bihan (2016-:'poulifrenn').


L'exemple en (1a,b) montre la productivité des onomatopées pour la grammaticalisation en minimiseur. L'exemple en (1a) est tiré d'une traduction de Frère Jacques par Roparzh Hemon, et établit ki ri ko et bim baon bao comme onomatopées. Divi Kervella adapte aisément ces onomatopées en minimiseur en (1b), pour sa traduction du chat de Geluck.


(1a) Klev ar c'hloc'h o vrallañ : ki ri ko bim baon bao !
entends le 5cloch à4 branler ding ding dong ding ding dong
'Sonnez les mâtines, ding ding dong, ding ding, dong!'
traduction de Frère Jacques par R. Hemon


(1b) Ne glev na ki ri ko na bim baoñ bao.
ne1 entend ni ding ding dong ni ding ding dong
'Il n'entend pas le moindre ding ding dong.'
Standard, Kervella (2006:26)


(2) gouzout na bu na ba
savoir ni bu ni ba
'piger que dalle'
Trégorrois, Konan (2017:105)

noms nus

On ne trouve pas de minimiseurs avec des pluriels dérivés, mais ils ne sont pas restreints au singulier car on trouve sporadiquement des noms collectifs, pluriels non-dérivés.

Le nom blev 'cheveux, chevelure' est un nom collectif, donc pluriel. Son singulier dérivé blevenn est agrammatical en minimiseur.


(3) A : Argant zo genout? B : Bléw!
argent est avec.toi cheveux
'A: tu as de l'argent sur toi? B: pas un sou!'
Cornouaillais (Riec), Bouzec & al. (2017:101)

Syntaxe

portée

Le nom nu peut se trouver juste au-dessus de la négation.


(1) Bilzig gir ne rannas.
Bilzig mot ne pipa
'Bilzig ne pipa mot.'
Bas-Trégor, Al Lay (1925:33)


Chemin de grammaticalisation

avec un déterminant

Certains minimiseurs ne sont que faiblement grammaticalisés. Certains ont un déterminant, comme dans le français Ya pas un chat.


(2) E neb lec'h ne weled ket eur heotenn.
dans aucun lieu ne1 voit.on pas un 1herbe.SG
'On ne voyait pas un brin d'herbe.'
Léon (Plouzane), Briant-Cadiou (1998:209)


(3) Ar re-se ne reont ket ur fulenn.
le ceux-ci ne1 font pas un étincelle
'Ils n'en foutent pas une ramée.'
Trégorrois, Konan (2017:'fulenn')


(4) Me n'am-eus ket bet ur spilhenn euz ti ma zad ha ma mamm.
moi ne R1-a pas eu un épingle de maison mon2 père et mon2 mère
'Je n'ai rien eu en héritage.'
Trégorrois (Trédrez), Gros (1966:112)


avec ebet 'aucun'

D'autres minimiseurs apparaissent avec ebet 'aucun'.

Avec ebet, un minimiseur a deux propriétés importantes pour son chemin de grammaticalisation. Le déterminant disparaît. Le groupe nominal en ebet confère une autonomie dans l'interprétation négative (les groupe nominaux en bet peuvent par exemple répondre seul à une question, sans la présence de la négation de proposition: Piv a deuio? Mennozh ebet 'Qui viendra? Aucune idée').


(5) 'vê ket gwel' lost ébet mui.
(ne1) est pas vu queue aucun plus
'On n'en voit plus l'ombre (d'une sardine).'
Cornouaillais de l'Est, Bouzec & al. (2017:283)


(6) N'em eus gwelet liou ebet anezan abaoue ma'z eo eat ac'halen...
ne1'R.1SG a vu couleur aucun P.lui depuis que4,+C est allé de.ici
'Je ne l'ai pas vu depuis qu'il est parti d'ici...'
Cornouaillais / Léon, Croq (1908:10)


(7) N'eus seblant lusk ebet gantañ da vonet...
ne1 est air mouvement aucun avec.lui de1 aller
'Il n'y a pas le moindre signe qu'il bougera...'
Trégorrois, Konan (2017:'ave')


(8) N'eus kristen ebet o vale.
ne'y.a chrétien aucun à4 marcher
'Il n'y a pas âme qui vive.'
Gourmelon (2014:104)


seconde partie de la négation

Certains minimiseurs, en usage de nom nu, sans ebet, grammaticalisent en seconde partie de la négation (kammed, littéralement 'pas'). On peut aussi citer avec Favereau (1997:284):


(1) Ne welan banne (/ne1 vois verre/, 'Je ne vois rien/goutte.'),

(2) Ne glevan takenn (/ne1 entends goutte/, 'Je n'entends absolument rien.')

(3) hep kousket tamm (/sans dormir morceau/, 'en passant une nuit blanche')


(4) Amañ n'eus ger a damm.
ici ne1'y.a mot de1 morceau
'Ici il n'est pas question de manger.'
Trégorrois, Gros (1989:'gér')


(5) Te n'ez ket kammed d'an aot?
toi ne1 vas pas jamais à1 le grève
'Tu ne vas jamais à la grève?'
Trégorrois, Gros (1970b:§'kammed')


(6) ... ha kammed den ne glevas komz anezhe.
et jamais homme ne1 entendit parler P.eux
'Et jamais nul n'entendit parler d'eux.'
Trégorrois (Kaouenneg), ar Barzhig (1976:34)


Les minimiseurs qui ne peuvent pas servir de seconde partie de négation sont aussi ceux qui résistent à l'usage de nom nu (un elvenn, 'une miette', un ivinad, 'quantité enlevable avec l'ongle').


(7) Ne lakaan ket eun ivinad amann gand ma boued.
ne1 mets pas un ongl.ée beurre avec mon2 nourriture
'Je n'ajoute pas une miette de beurre à mes aliments.'
Trégorrois, Gros (1989:'kap')


C'est aussi le cas en français (Rooryck 2008).


(8) Jean n’a pas bu une goutte vs. * Jean n’a bu une goutte
* Jean n’a pas rien bu vs. Jean n’a rien bu
'Jean est abstinent.'
Français, Rooryck (2008)

opaques en synchronie

Certains minimiseurs complètement grammaticalisés en adverbes négatifs sont devenus opaques en synchronie.

L'adverbe négatif morse est la grammaticalisation d'un minimiseur, par un emprunt au gallo morcé 'morceau' (Ernault 1892b:353).

Selon Willis (2013:254), l'étymologie de ket par le moyen breton quet, serait à chercher dans un minimiseur pour 'habits' dont on trouve une trace dans un composé vieux breton guelcet 'habit de fête' (< guel 'fête' + cet 'habit').


Sémantique

item de polarité négative emphatique

En contexte négatif, un minimiseur contient un même implicite (Schmerling 1971), qui obtient un effet maximisant (> 'pas (même) la plus petite unité' > 'pas du tout'). Cet effet sémantique déborde les contextes de la négation propositionnelle, et ressemble plutôt aux contextes plus larges autorisant les items de polarité négative.

En (1), le nom nu den 'humain, personne' a le sens de 'la moindre personne, pas même une seule personne'.


(1) Hennez n'eo ket goest da zic'hrasio deñ.
celui.ci ne est pas capable de1 désobliger personne
'Il ne ferait pas de mal à une mouche.'
Cornouaillais de l'est intérieur, Martin (1929:179)


En (2), un préfixe minimiseur porte la lecture implicite même dans une conditionnelle.


(2) Ma he-devoa klevet eun damhér bennag…
si 3SGF-avait entendu un demi1.mot quelconque
'Si elle avait entendu un demi-mot (la moindre parole).'
Trégorrois, Gros (1984:372)


En (3), un minimiseur porte la lecture implicite même sous la portée d'une négation.


(3) Mat, Per, n'o doa ket frigaset un unan zoken.
bien Per ne'3PL avait pas écrasé un un même
'Bien, Per, ils n'en avaient pas écrasé la moindre (pas même une motte). '
Léon, Abeozen (1986:59)


(4) Ne deu ket eun unan d'am goulenn !
ne1 vient pas un un pour me demander
'Pas la moindre personne ne me demande (je n'ai pas le moindre prétendant).'
Léon (Bodilis), Ar Floc'h (1922:347)


modification du minimiseur

Minimiser le minimiseur revient à créer un effet d'insistance sur la négation (an disterañ... 'la moindre...'). L'adjectif superlatif ne peut alors pas être placé après le nom (*an dra disterañ).


Horizons comparatifs

En français, certains minimiseurs sont des items de polarité négative: le moindre X, ou les VPs fermer l'oeil, lever le petit doigt ou faire du mal à une mouche, avec des indéfinis ou des définis faibles. Certains autres ont grammaticalisé en seconde partie de négation: pas, mie, goutte, point.

En anglais, on peut citer les équivalents sleep a wink, lift a finger, ou hurt a fly. La distribution des minimiseurs en anglais mimique celle des items de polarité négative. Chierchia (2013:58) donne des exemples où ils sont autorisés par la négation, l'antécédent d'une conditionnelle ou un prédicat adversatif (refuse, mais pas accept). Chierchia (2013:59) note aussi que certains des minimiseurs semblent plus restreints dans leur distribution, sans que la raison en soit apparente.

L'anglais n'a pas de négation bipartite, et la négation not dérive du mot négatif nothing, 'rien'.


A ne pas confondre

Les minimiseurs sont à distinguer des diminutifs, suffixaux, kazhig 'petit chat', ou adjectivaux, un arguzenn skañv 'un argument léger'. Dans la littérature anglophone, ils sont cependant parfois appelés aussi minimizeurs.

Les minimiseurs doivent aussi être distingués des atténuateurs.


Terminologie

Le terme anglais de minimizer, ou minimiseur en français, remonte à Bolinger (1972).

En breton, minimiser se traduit par disteraat, ce qui donne pour minimiseur disteraenn, nf.


Bibliographie

  • Bolinger, Dwight. 1972. Degree words. The Hague: Mouton.
  • Chierchia, Gennaro. 2013. Logic in Grammar: Polarity, Free Choice, and Intervention, Oxford Studies in Semantics and Pragmatics, Oxford University Press.
  • Fauconnier, 1975. xxx
  • Rooryck, J. 2008. On the scalar nature of syntactic negation in French. (ms.)
  • Schmerling, Susan. 1971. 'A note on negative polarity', Papers in linguistics 4, 200-206.
  • Willis, David. 2013. 'Negation in the history of the Brythonic Celtic languages', David Willis, Christopher Lucas & Anne Breitbarth (éds.), The History of Negation in the Languages of Europe and the Mediterranean, 239-298.