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De Arbres
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Version du 29 avril 2024 à 02:59

Une proposition ou une phrase au mode interrogatif est prototypiquement utilisée pour poser une question.

Le mode interrogatif est repérable en breton par l'utilisation de mots interrogatifs en début de phrase ou de proposition. Il peut aussi n'être signalé que par la prosodie ascendante d'une phrase, comme en français, dans le cas des questions oui/non (Kafe 'po?, 'Tu auras du café ?' à contraster avec une intonation non montante du mode déclaratif, Kafe 'po, 'Tu auras du café.').


Questions créées par mouvement

Pour interroger un élément dans une phrase, on le déplace en initiale de phrase. Il y est réalisé par le mot interrogatif correspondant (Petra peus gwelet? Qu'as-tu vu ?').

Lorsqu'un mot interrogatif apparaît en initiale de phrase, le verbe fléchi le suit immédiatement.


site d'extraction

On peut localiser le site d'extraction du syntagme interrogatif dans le reste de la phrase. Pour cela, il suffit de remplacer l'élément à l'initiale par un explétif, un adverbe ou autre élément, et de regarder où apparaît l'élément interrogé. En (1), le site d'extraction est celui du sujet de lavarout 'dire' (Daoust-hag e lavaro Lena biken niver an dud dilabour… , ou Daoust-hag e lavaro biken Lena niver an dud dilabour… ).


(1) Piv a lavaro _ biken _ niver an dud dilabour en ur vro (...)
qui R1 dira jamais sujet nombre le 1gens sans.travail en.un 1pays
'Qui dira jamais le nombre de gens au chômage dans un pays (...)?'
Standard, Kervella (1933:78)


En (2), le site d'extraction est celui de l'attribut de bezañ 'être'.


(2) Petra e teu da veza _ ar wezenn goude ?
quoi R4 vient à1 être (objet) le 1arbres.SG après
'Que devient l'arbre par la suite ?'
Léon, Cléder, Seite (1998:44)

site d'accueil

Le site d'accueil d'un interrogatif est l'endroit où il apparaît dans les questions. En breton, c'est massivement à l'initiale de phrase. Dans la plupart des dialectes, cet élément devient le seul élément à l'initiale - tous les autres éléments apparaîssent alors après le verbe tensé.


V3 à Plougerneau

À Plougerneau, on relève des ordres de mots V3 où le sujet reste à l'initiale malgré l'antéposition d'un interrogatif. Ce dialecte se distingue par ailleurs par une utilisation massive d'ordre SVO.


(3) Penaos ar vugale o deus gwelet ar vaouez ?
comment le 1enfant.s 3PL a v.u le 1femme
'Comment est-ce que les enfants ont vu la femme ?'
Léonard (Plougerneau), M-L.B (10/2018)


(4) Pese maouez ar vugale o deus ket gwelet deac'h ?
quel.sorte femme le 1enfant.s 3PL a pas v.u hier
'Quelle femme est-ce que les enfants n'ont pas vu hier ?'
Léonard (Plougerneau), M-L.B (10/2018)

pas de mouvement wh multiple

Lorsqu'une question contient plusieurs éléments interrogatifs, seul le plus haut d'entre eux est éligible au mouvement, mais celui-ci n'a pas l'option de rester in-situ.


(5a) Pese bugale o deus gwelet pese maouez ?
quel enfant.s 3PL a v.u quel femme
'Quels enfants ont vu quelle femme ?'
Léonard (Plougerneau), M-L.B (10/2018)


(5b) * Pese bugale pese maouez o deus gwelet ?

(5c) * Gwelet o deus pese bugale pese maouez ?

timide émergence de stratégies in-situ

Les stratégies in-situ, c'est à dire où un élément interrogatif ne subit pas de mouvement en périphérie gauche, sont agrammaticales en breton standard. En (2), l'interrogatif piv 'qui' apparaît dans la phrase à l'endroit où un syntagme non-interrogatif apparaîtrait en (1). Le résultat est agrammatical.


(1) Piv a lenn al levr-se ?
qui R1 lit le livre-
'Qui lit ce livre ?'
Standard, Hendrick (1990:154)


(2) * Lenn a ra piv al levr-se ?
lire R1 fait qui le livre-
'Qui lit ce livre ?'
Standard, Hendrick (1990:154)


Favereau (1997:§530) signale cependant la timide émergence de structures in-situ en breton de la fin du XXe. Il illustre, mais sans contexte discursif.


(3) Ar pôtr-se zo ' chom pelec'h ?
le gars- est à4 rester
'Ce gars habite où ?'
Hewitt 1988 (a ou b)
cité dans Favereau (1997:§530)


(4) Te ' oar pelec'h ?
toi R sais
'Tu sais où ?'
Favereau (1997:§530)


À Plogonnec en Cornouaille, on relève un exemple en contexte de question écho dans Kergoat (1976:98). Le contexte des questions écho, qui font suite et répètent partiellement une phrase juste avant, facilite l'absence de mouvement de l'élément interrogatif. Notons cependant qu'une négation peut troubler la répétion, et quelle n'a pas à être strcitement identique à la phrase précédente.


(5) Mag e teue ar c'harr e teue ar charreter.
si+C R4 venait le 5charette R4 venait le charett.ier
'Si la charette venait, le charretier aussi.'
Cornouaillais (Plogonnec), Kergoat (1976:98)


(6) Ha ma ne teue ket ar c'harr e teue piv ?
et si ne1 venait pas le 5charette R4 venait qui
'Si la charette ne venait pas, qui venait ?'
Cornouaillais (Plogonnec), Kergoat (1976:98)


horizons comparatifs

Le français parlé standard a la possibilité de créer des questions sans mouvement de l'élément interrogé.

  • Tu as vu quoi ce week-end?
  • Vous venez d'où?

Certaines variétés de français permettent même de créer des interrogatives indirectes in-situ.

  • Je sais pas c'est qui
'Je ne sais pas qui c'est'
Français de l'île de la Réunion, Ledegen (2005)
  • Il y en a qui savent pas c'est quoi
'Il y en a qui ne savent pas ce que c'est'
Français de Montréal, Lefebvre & Maisonneuve (1982:190).

variation dialectale dans les interrogatifs

Certains interrogatifs ont des formes dialectales très diverses et servent donc commodément de marqueurs de dialecte (cf. l'inventaire des mots interrogatifs).

Questions oui / non

On appelle questions oui/non, les questions auxquelles on peut répondre par 'oui' ou par 'non' (par exemple, la question 'C'est vrai ?', ou 'Iras-tu loin cette fois ?'). Comme ces questions portent l'interrogation sur toute la phrase, on les appelle aussi les 'questions totales'.

En breton, les questions oui / non sont formées en imposant uniquement sur la phrase une intonation montante (1) ou bien en plaçant devant le verbe fléchi une particule hag, hag-eñ, daoust hag-eñ (2).


(1) Ar vro a zo kaer ive ?
le 1pays R est beau aussi
'L'intérieur est beau aussi ?'
Léonard (Cléder), Seite (1998:58)


(2) Ha klevet hoc'h eus a-wechoù displegañ an taolennoù e misionoù hor bro ?
est-ce-que entend.u 2PL a parfois expliquer le tableau.x en mission.s notre pays
'Avez-vous parfois entendu expliquer les tableaux dans les missions de notre pays ?'
Standard, Kervella (1933:39)


Pour plus de détails, se reporter à l'article sur les questions oui/non.

Interrogatifs multiples

*pe- pe-

Les langues varient selon leur possibilité de monter plusieurs interrogatifs en initiale de phrase. En breton, un seul élément de morphologie interrogative pe- peut monter occuper la zone prétensée dans les interrogatives. Lorsque la phrase contient deux mots interrogatifs de morphologie pe-, l'un des deux reste in-situ (on ne peut pas dire * Piv petra a lavar?).


Hendrick (1990:154) note que lorsque le sujet et l'objet sont tous deux des interrogatifs, seul le sujet est licite à l'initiale, comme c'est le cas en anglais.


(1) Piv a lavar petra? / * Petra a lavar piv?
qui R1 d.it quoi quoi R1 d.it qui
'Qui dit quoi ?'
Standard, Hendrick (1990:154)


En français de Basse-Bretagne en (2), pourquoi est à l'initiale de la question rapportée et quoi est resté in-situ (* ...pourquoi qu'est-ce qu'on leur demande.).

(2) Il faut que les gens comprennent pourquoi on leur demande quoi.

Français de Basse-bretagne (Lorient), [10/2014]


interrogatives renforcées en daoust pe-

Favereau (1997:§531) relève des structures "interrogatives renforcées". La particule daoust, littéralement da c'houzout, 'à savoir', y précède directement un mot interrogatif de morphologie en pe-.

Cette structure est grammaticale en français ((Reste) à savoir qui de nous deux prendra le train), mais elle ne produit pas de renforcement particulier de la question, qui est plutôt affaiblie par son enchâssement et sonne comme une question rhétorique. L'effet de "renforcement" en breton est rarement traduit (Daoust perak?, 'Mais pourquoi ?', Favereau 1997:§531, Daoust pelec'h emañ?, 'Où est-il donc ?', Kerrain 2015:§28).


daoust piv, petra

(1) Daoust piv a c'hounezo ?
à.savoir qui R1 gagnera
'Qui gagnera ?'
Trégorrois (Bégard), Yekel (2016:'gounit')


(2) Daoust piv 'neus laret dit ?
à.savoir qui a d.it à.toi
'Qui est-ce qui te l'a dit ?'
Favereau (1997:§531)


  • Daoust piv foeltr eo honnezh?, titre d'histoire, Laudren 1991
'Qui diable est-elle ?'
  • Daoust piv zo a-du evit ma 'c'h afemp …
'Qui est d'accord pour que nous allions… '
TES (1990:150), tiré de Gerven (1989)
  • Daoust piv a fell dezhañ ober un droiadig war an enezenn ?
'Is there anyone [who] wants to have a walk on the island ?'
Press (2010)


(3) Daoust petra eo an dra-se ?
à.savoir quoi est le 1chose-
'Qu'est-ce que c'est ?'
Favereau (1997:§531)


Gros donne une traduction plus proche de l'étymologie de daoust, da c'houzout (eo), ce qui donne une phrase ambiguë entre la question directe et indirecte.


(4) Daoust petra a raio an amzer ?
à.savoir quoi R1 fera le temps
'Je me demande ce que va faire le temps ?'
Trégorrois, Gros (1970b:'ober, B1')


daoust penaos, perak

(5) Daoust penaos 'vo an dro ?
à.savoir comment sera le 1tour
'Comment est-ce que cela tournera ?'
Favereau (1997:§531)


(6) Daoust perak ?
à.savoir pourquoi
'Mais pourquoi ?'
Favereau (1997:§531)

daoust pet X

(1) Daoust pet poent a vank dezhañ c'hoazh ?
à.savoir combien point R1 manque à.lui encore
'Combien de points lui manquent-ils donc ?'
Trégorrois (Bégard), locuteur né en 1931
Yekel (2016:'daoust')

discours rapporté ?

La tournure daoust piv est parfois littéralement traduite comme un discours rapporté.


(2) Daoust piou eo al lañchore a zo o vond du-mañ d'an traoñ?
à.savoir qui est le endormi R est à4 aller côté.ci à le bas
'Je me demande qui est cette mollasse (cet endormi) qui descend par ici ?'
Trégorrois, Gros (1984:483)


En discours rapporté, il serait difficile de faire la différence avec da c'houzout petra eo ('(Reste) à savoir ce que c'est').

  • "Daoust petra eo", eme hemañ; "ret eo din mont da c'houzout".
Troude & Milin (1950)


Q pe- : daoust ha pe-

Avec la structure daoust ha pe-, on a une particule est-ce-que interrogative des questions oui/non, suivie d'un mot interrogatif en pe-. Cette structure est lourdement agrammaticale en français (* 'à savoir si qui… ').


daoust ha piv, petra

(3) Daoust ha piv a zeufe da zigeriñ ha d'o degemer laouen… ?
est-ce-que qui R1 viendrai pour1 ouvrir et pour les2 acceuillir content
'Qui viendra ouvrir et les accueillir de bon cœur ?'
Standard, Brisson (2011:'mont pelloc'h')


  • Daoust ha piv a zo daet 'ta ?
'Qui donc est venu ?'
Entretien D. Carré, [04.2009] (support CAPES 2015)


(4) Daoust ha petra eo se dija ?
est-ce-que est ça déjà
'Qu'est-ce que c'est ça déjà ?'
Trégorrois (Bégard), locuteur né en 1931
Yekel (2016:'daoust')


Daoust ha(g e) pelec'h

(5) Daoust hag e pelec'h emañ ?
est-ce-que en est
'Où est-il ?'
Cornouaillais (Pleyben), Ar Floc'h (1950:71)


(6) Daoust ha pelec'h oa honnezh ?
est-ce-que était celle-là
'Où donc était celle-là ?'
Trégorrois (Bégard), locuteur né en 1931
Yekel (2016:'daoust')


  • Daoust ha peleh emañ ?
'Où est-elle donc ?' (la liberté)
Charles Rolland (1902), Da baotred stard Breiz !
  • Daoust ha pelec'h emañ?
'Où est-il donc ?' (le loup)
Goulc'han Kervella, Ar bleiz zo deuet en-dro !

daoust ha pegeit

(7) Daoust ha pegeit amzer oa chomet ?
est-ce-que combien temps était rest.é
'Elle/il était resté.e combien de temps ?'
Anne-Marie C. (Clohars), c.p. [2009]


horizons comparatifs

wh- Q

Haegeman (1996) cite un dialecte de néerlandais où une particule Q et un mot interrogatif apparaissent tous deux dans la même phrase. Rizzi (2013) analyse of comme une particule Q qui a attiré le mot interrogatif dans son spécifieur. L'ordre des mots est ici inverse de celui du breton, qui montre aussi ces exemples en matrice.


(1) Ik weet niet wie of Jan gezien heeft.
je sais pas qui si Jan vu a
'Je ne sais pas qui a vu Jan.'
Variété de néerlandais, Haegeman (1996)


Le tlingit, langue na-dene parlée au Sud-Est de l'Alaska et à l'Ouest du Canada, montre comme le breton des exemples en matrice, mais l'ordre des mots reste inverse. Le français montre le même phénomène (Qu'est-ce que ton père a mangé?)


(2) Daa sá i éesh aawaxáa ?
quoi Q ton father il.mangea.le
'Qu'est-ce que ton père a mangé ?'
Tlingit, Cable (2010:39)


La structure du breton rappelle aussi celle en roumain en (3). Cependant, il est à noter que le roumain, indépendamment, comme le tlingit, autorise les questions multiples (4), ce qui n'est pas possible en breton.


(3) Oare când pleaca la munte  ?
? quand part à montagne
'Quand est-ce qu'il/elle part à la montagne ?'
Roumain, Anamaria Falaus (c.p. 01/2009)


(4) Oare cine ce aduce la cina ?
? qui quoi apporte le dîner
'Qui apporte quoi au dîner ?'
Roumain, Anamaria Falaus (c.p. 01/2009)

À ne pas confondre

En breton comme en français, une phrase ou une proposition au mode interrogatif, structurée formellement comme une question, peut très bien ne pas réaliser de question dans le discours. Il s'agit alors d'une question rhétorique.

Un cas particulier est celui des interrogatifs enchâssés, introduits par des verbes déclaratifs non-interrogatifs. Ils ne forment pas de question.


(1) Ouion ket pegis e passa an amzer , med hirig ha berrig, n'avañsa ket an traou.
ne1 sais pas comment R4 passe le temps mais long..petit et court.DIM ne avance pas le choses
'Je ne vois pas comment le temps passe, mais je ne fais que bricoler, le travail n'avance pas.'
Cornouaillais, Plourin (2000:34)

Terminologie

Le mode interrogatif est un terme qui s'oppose à impératif, exclamatif, optatif ou déclaratif.


Bibliographie

horizons comparatifs

  • Cable, Seth. 2010. The Grammar of Q: Q-Particles, Wh-Movement and Pied-Piping, Oxford University Press.
  • Cable, Seth. 2008. 'Q-Particles and the Nature of Wh-Fronting', Matthewson, Lisa (éd.), Quantification: Universals and Variation, North Holland Linguistics Series. Emerald.
  • Hagstrom, P. 1998. Decomposing questions, MIT dissertation.
  • Haegeman, Liliane. 1996. An Introduction to Government-Binding Theory. Oxford: Blackwell.
  • Lefebvre, C. & Maisonneuve, H., 1982. 'La compétence des adolescents du Centre-Sud:les structures complexes', Lefebvre, C. (éd.), La syntaxe comparée du français standard et populaire: approches formelle et fonctionnelle, Tome 1, Québec, Office de la langue française, 171-206.
  • Ledegen, G., 2007. 'L'interrogative indirecte in situ à la Réunion: elle connaît elle veut quoi', Le français parlé du 21 ième siècle: normes et variations géographiques et sociales, Actes du Colloque à l'Université d'Oxford (23 et 24 juin 2005), Paris, L'Harmattan, 177-200. texte.
  • Rizzi, Luigi. 2013. 'Syntactic Cartography and the Syntacticisation of Scope-discourse Semantics', Anne Reboul (éd.), Mind, Values and Metaphysics – Philosophical Papers Dedicated to Kevin Mulligan, Dordrecht: Springer.