Perak
Perak 'pourquoi' est un mot interrogatif de cause.
(1) | Ac'hanta ? | Perak | am | dihunit | e-kreiz | an noz ? | |||||||||||
Alors ? | pourquoi | me | réveillez | au-milieu | le nuit | ||||||||||||
'Alors ? Pourquoi me réveillez-vous au milieu de la nuit ?' | |||||||||||||||||
Standard, Ar Menn (2015:29) |
Phonologie
accentuation
En breton standard et généralement, l'interrogatif perak en isolation est accentué sur sa dernière syllabe (Hemon (1975c:§273). C'est le cas de tous les composés en pe- (Kervella 1995:§70).
(2) /pe'ra:ɡ/ , Plozévet, Goyat (2012:125)
(3) | [ pe'raɡ | ox | ˌʃomɛt | kɛjd 'al ] | |||||||||||||
Perag | oh | chomet | keid-all ? | ||||||||||||||
pourquoi | êtes | rest.é | si.long-autre | ||||||||||||||
'Pourquoi es-tu resté si longtemps ?' | |||||||||||||||||
Cornouaillais (Plozévet), Goyat (2012:196) |
Morphologie
composition
Perak est constitué du préfixe interrogatif pe- suivi de la conjonction rak, 'car'.
répartition dialectale
La carte 521 de l'ALBB documente la variation dialectale de la traduction de pourquoi ? en breton pré-moderne.
Daouphars (2004:32) note que perak n'est jamais employé à Gourin. Renée Ribeyre (c.p. 12/2017) considère qu'à Plogonnec, perak n'est jamais utilisé, au profit de abalamour da1 betra prononcé drambèr ou blambèr. Selon Favereau (1984:358), perak n'est pas connu en Poher, au profit de 'b'lam(our) petra.
À Groix, la forme de penaos de l'interrogatif de manière ('comment') se trouve aussi dans le sens de l'interrogatif de cause ('pourquoi').
(4) | / pənošt | ə | leiẃes / | |||||||||||||||
pourquoi | R4 | pleures | ||||||||||||||||
'Pourquoi pleures-tu ?' | ||||||||||||||||||
Vannetais (Groix), Ternes (1970:228) |
dérivation
nominalisation
Perak, précédé d'un article ou d'un autre déterminant, est nominalisé.
(5) | gouzoud | ar penaoz | hag | ar perag | |||||||||||||
savoir | le comment | et | le pourquoi | ||||||||||||||
'connaitre le comment et le pourquoi.' | |||||||||||||||||
Ar Merser (2009:343) |
Il prend alors une marque de pluriel -où prototypique des noms.
(6) | Ur gwir | voreb | ar peragoù | hag | ar penaozioù | anezhi. | |||||||||||
un vrai | 1tante | le pourquoi.s | et | le comments | P.elle | ||||||||||||
'C'était une vraie miss comment pourquoi.' | |||||||||||||||||
Menard & Kadored (2001:'penaos') |
verbalisation
L'interrogatif perak, une fois nominalisé en contexte, peut ensuite même être verbalisé. Dans Riou (1941), les deux phrases ci-dessous se suivent et les locuteurs se répondent.
(7) | Hennez | a | vez | atao | gant | e | beragou. | ||||||||||
celui-là | R1 | est | toujours | avec | son1 | pourquoi.s | |||||||||||
'Celui-là et ses pourquois !' | |||||||||||||||||
Standard, Riou (1941:23) |
(8) | Peoc'h | en traoñ | pe | me | ho | perago | bremaik. | ||||||||||
paix | en.le bas | ou | moi | vous3 | pourquoiterai | sous.peu | |||||||||||
'Taisez-vous en bas, ou je vais vous en donner, des pourquois !' | |||||||||||||||||
Standard, Riou (1941:23) |
Syntaxe
distribution
Peu d'éléments autres que le ne de la négation et les proclitiques objets n'interviennent entre perak et le verbe tensé qui le suit. On peut signaler l'adverbe dans perak c'hoazh..., de sens proche de perak an diaoul....
- Ha perak c'hoazh hen goufen-me ?
- 'Et pourquoi encore je le saurais, moi ?'
Dans les formes poétiques et chantées, où l'ordre des mots est plus souple, on peut trouver quelques exemples (ici chantés par le groupe Paotred Pagan, sur des paroles de Roger Richard à Plougerneau). On y voit intervenir un sujet lexical, et dans la seconde strophe un groupe prépositionnel suivi d'un objet.
- Peur lavaroc'h deomp va mamm,
- Perak an Iliz Kozh dinamm,
- A zo bet mouget start gwechall,
- Gant an traezh gwenn o nijal ?
- 'Nous direz-vous un jour, ma mère
- Pourquoi l'innocente Vieille Eglise
- Fut autrefois ensevelie
- Sous les volées de sables blancs ?' [...]
- Peur lavaroc'h deomp va zad,
- Perak war an daoulagad,
- Traezh ar boan en deus laket,
- Skant tev da zallañ ar bed ?
- 'Nous direz-vous un jour, mon père
- Pourquoi sur nos yeux
- les grains du chagrin ont déposé
- des écailles opaques qui nous aveuglent ?' Gwerz an iliz kozh
négation 'pourquoi pas ?'
La forme Perak pas ? est souvent relevée comme étrangère à des dialectes traditionnels et suspectée d'être une invention récente sous influence française (cf. pourquoi pas). Kerrain (2001) préconise, à côté de perak pas ou perak nann qu'il ne rejette pas ouvertement comme faux, l'usage de petra 'virfe ('qu'est-ce qui empêcherait ?'), ou encore de perak suivi d'un verbe au conditionnel.
(1) | Perak | ne | vefe | ket | ur vaouez ? | |||||||||||||
pourquoi | ne1 | serait | pas | un 1femme | ||||||||||||||
'Pourquoi pas une femme ?' | ||||||||||||||||||
Standard, Kerrain (2001) |
La forme perak pas est répandue en breton standard moderne, et a été en tout cas documentée chez des natifs à Guémené-sur-Scorff ([pérek pas], perek pas, McKenna 1978:172).
(2) | gant | unan | eus | hon | div yezh, | ha | perak | pas | gant | an div. | |||||||
avec | un | de | notre | deux langue | et | pourquoi | pas | avec | le deux | ||||||||
'avec l'une de nos deux langues, et pourquoi pas avec les deux ?' | |||||||||||||||||
Standard, site Région Bretagne [03/2017] |
Horizons comparatifs
L'interrogatif de cause est assez haut dans la structure dans les langues romanes (perché, porque, pourquoi...).
- Pourquoi, Elise, jamais les gens qui s'aiment n'ont-ils mal aux dents ?
C'est aussi le cas en cimbre, une langue germanique parlée dans le Nord de l'Italie. Le verbe en cimbre remonte haut dans la structure uniquement avec un complémenteur lui-même haut dans la structure comme en (1). Dans ces cas, le verbe apparaît au-dessus de la négation.
(1) | I | pin | gerift | pa | zaiten | umbrómm | i | hån | nèt | vorlórt | di | korìara. | |||||
je | suis | arrivé | en | temps | car | je | ai | pas | raté | le | bus | ||||||
'Je suis arrivé à temps car je n'ai pas raté le bus.' | |||||||||||||||||
Cimbre, Bidese, Padovan & Tomaselli (2014:496) |
En breton, il ne semble pas que l'interrogatif de cause soit aussi haut que dans les langues romanes. Il est plus haut que le ne de la négation, mais la documentation d'éléments intervenant entre perak et le verbe tensé est autrement pauvre.
Bibliographie
- Bidese, Ermenegildo Andrea Padovan & Alessandra Tomaselli. 2014. 'The syntax of subordination in Cimbrian and the rationale behind language contact', Language Typology and Universals 67:4, 489–510.