Différences entre les versions de « Emañ »

De Arbres
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== Horizons comparatifs ==
== Horizons comparatifs ==

Version du 11 juin 2014 à 18:29

La forme verbale emañ est la troisième personne du singulier du verbe bezañ, 'être'. Cette forme alterne avec les formes zo, eo, ez eus, et vez du même verbe.

Prototypiquement, en standard, le verbe emañ est le verbe de situation spatiale et temporelle (progressif).


(1) Emaint diouig eno o-unanou.
sont deux.hyp y leur.un.hyp
'Elles sont deux pauvres filles là-bas toutes seules.' Trégorrois, Gros (1984:175)


Morphologie

un verbe défectif

Le verbe emañ est un verbe défectif, ce qui veut dire que ses paradigmes ne sont pas complets. C'est, le cas échéant, la forme eo de la copule qui le remplace.


temps

La forme emañ a un paradigme au présent (représenté par emañ) et au passé (représenté par edo). La forme futur de emañ n'apparaît dans aucun dialecte du breton. C'est alors toujours la forme futur de eo qui y supplée, comme en (2).


(2) Ne vin ket me mui amañ é kennig dour deoc'h.
ne serai pas moi plus ici à proposer eau à.vous
'Moi, je ne serai plus là à vous offrir de l'eau.' Vannetais, Ar Meliner (2009:107)


personne

Ce verbe est défectif en personne dans certains dialectes, comme en trégorrois, comme c'était le cas en moyen-breton (Hemon 2000:§139.4.fn1).


négation

Certains dialectes, comme le vannetais (Hewitt 1988a), n'ont pas la forme emañ avec la négation.


(3) Ema ar bara àr an daol. vs N-ê ket ar bara àr an daol.
est le pain sur le table ne est pas le pain sur le table
'Le pain (n') est (pas) sur la table.' Vannetais, Hewitt (1988a)


variation dialectale morphologique

La forme standard 3PL est emaint. En vallée du Scorff, on trouve la forme emaont.


(4) Emaont doc'h en em lipaat.
sont à se lécher
'Ils sont en train de se bécoter.' Le Scorff, Ar Borgn (2011:56)


En breton de St Ivy, qui par ailleurs a des pronoms forts indépendants postverbaux 3PL (et peut-être 3SG), le pronom 3SG haoñ peut être en (5), soit un pronom fort indépendant, soit un pronom écho.


(5) Ema haoñ riboter., 'C'est un pistard.'

Ema haoñ eun den mad., 'C'est un homme bon.'
Ema haoñ an hañi brasoñ., 'C'est le plus grand.'; Cornouaillais (St Ivy), cité par Hewitt (1988a)


Syntaxe

V1

Le verbe emañ est le seul verbe de la langue bretonne à pouvoir apparaître tensé en initiale de phrase dans tous les dialectes.

Le placement en initiale peut occasionellement déteindre sur les stratégies de dernier ressort paliant à la défectivité du paradigme de emañ. En (1), le verbe est au passé. La forme edo du passé n'apparaît pas dans Le Bayon (1878), mais on peut noter un ordre à verbe tensé en initiale de phrase qui rappelle emañ.


(1) É oen é choñjal get-n-eign me unañ.
R étais.1SG à4 penser avec.moi mon un
'Je songeais en moi-même.' Vannetais, Le Bayon (1878)


Lorsqu'il n'est pas à l'initiale, emañ peut être précédé par n'importe quel constituant sauf son sujet.


(2) Klañv 'ma, gwall-glañv, ziken.
malade est très1-malade même
'Il est malade, très malade, même.' Haut-cornouaillais (Riec), Bouzeg (1986:III)


pas de sujet antéposé

Lorsque le sujet de la phrase apparaît devant l'élément tensé, la forme emañ n'est plus licite, et c'est la forme zo qui apparaît.

D'autres syntagmes nominaux peuvent être antéposés: la forme emañ de la copule apparaît en effet dans les constructions du faux sujet (Rezac 2008:26).


Rezac note qu'en dialecte du Léon, si un groupe nominal antéposé au temps par mouvement déclenche automatiquement la forme zo lorsqu'il est sujet (63b), c'est la forme emañ qui apparaît si le groupe nominal antéposé (Per) est un objet local (63a) ou résultant d'une extraction longue distance (63c).


 Rezac (2008:26):
 
 Les DPs préverbaux autres que le sujet sont différenciés par la copule selon qu'ils lient une lacune ou un résomptif, et la clef de leur différence n'est pas dans la particule, qui les neutralise.
 
 (63)a. Per EMAÑ / *A ZO Mona o klask __ er c'hoad.
 Per is R is Mona PRG seek in.the wood
 'Mona is looking for Per in the woods.'    (Hendrick 1988: 105-6 note 2)
 
 (63)b. Per A ZO o klask Mona er c'hoad.
 Per R is PRG seek Mona in.the wood
 'Per is looking for Mona in the woods.'    (Hendrick 1988: 105-6 note 2)
 
 (63)c. Petra EMA en e zoñj [ober __]?
 what is in his thought do.INF
 'What is he thinking of doing?'            (Fave 1998:141 [Léon])


place du sujet postposé

Hewitt (1988) note que la forme emañ de situation a ceci de particulier que son sujet la suit directement.


 Hewitt (1988a):
 "La structure double D ne peut pas être considérée comme auxiliaire d'un point de vue syntaxique puisque le sujet vient ordinairement rompre le constituant putatif auxiliaire-auxilié. Il vaut mieux alors parler d'une structure double avec un verbe syntaxique plein, suivi de son sujet et un prédicat lexical indépendant:
 
 Emañ an dud o labourat / e-kreis ar park/ du-hont.


La forme emañ ne peut pas être séparée de son sujet postposé, ce qui est une propriété de tous les verbes tensés dans les autres langues celtiques. En breton cependant, les autres verbes que emañ peuvent voir différents éléments intervenir entre la forme emañ et son sujet postposé.


auxiliaire

En cornouaillais et en haut-cornouaillais, le verbe emañ se trouve aussi comme auxiliaire 'être'. Dans ces emplois en tant qu'auxiliaire, le verbe emañ peut être séparé de son sujet post-tensé par le participe.


(4) Ema deuet Yann d'ar gêr. vs. Deuet eo Yann d'ar gêr.
est venu Yann à le maison venu est Yann à le maison
'Yann est venu à la maison.'
Haut-cornouaillais (Lanvénégen), Evenou (1987:626-38), cité par Hewitt (1988a)


Sémantique

La forme emañ a des sémantiques diverses.


verbe de situation

Prototypiquement, la sélection de la forme emañ au détriment de la forme eo est causée par la présence d'une dimension sémantique de location dans le temps ou dans l'espace.

On a ainsi emañ dans une tournure progressive en (1), ou dans une tournure prospective comme en (2).


(1) Emaint o tont d’ar gêr.
sont à venir à'le foyer
'Ils sont en train de rentrer.'


(2) Emaint dindan donet d’ar gêr.
sont sous venir à'le foyer
'Ils sont sur le point de rentrer.' Vannetais, Herrieu (1994:283)


Selon Hewitt (1988), l'utilisation de la forme emañ a pour effet de borner le cadre spacio-temporel.


 Hewitt (1988a):
 Quand on veut limiter le cadre spacio-temporel, un prédicat attributif peut devenir situatif 
 avec un changement structurel concomitant,
 
 ewn ê, ewn emañ;
 klañv ê, klañv emañ;
 tèir blac'h int, tèir blac'h emaint."


La généralisation qui propose qu'à chaque fois qu'on a sémantiquement un prédicat situatif, c'est le verbe emañ qui est utilisé semble solide, avec une seule exception régulièrement massive: lorsque le sujet est antéposé, il déclenche la forme (R) zo de la copule.


à ne pas confondre

En (3), on pourrait être troublé par l'hypothèse que eo aurait remplacé emañ dans un sens situatif, en obtenant le sens: 'Les lunettes de Cupidon ne se trouvent pas sur mon nez.' Cependant, il s'agit uniquement ici d'une ellipse de a zo, et la copule eo y a bien un sens contrastif: 'C'est pas les lunettes de Cupidon qui se trouvent sur mon nez!'.


(3) Gwir eo nend eo ket lunedoù Cupidon àr ma fri...
vrai est ne est pas lunettes Cupidon (qui est) sur mon nez
'C'est vrai que je n'ai pas les lunettes de Cupidon sur le nez.' Vannetais, Herrieu (1994:225)
(Je suis plus lucide qu'un amoureux)


copule

La forme emañ n'est pas restreinte à la sémantique de situation: elle peut être utilisée comme copule simple.


(2) [ aɥɛdaɲ ima ]
Evidin ema.
pour.moi est Vannetais (Kistinid), Nicolas (2005:34)
'C'est pour moi.'


La forme emañ semble pouvoir être utilisée optionnellement de façon équivalente à la forme zo de la copule.


(2) ... da lennerion a zo ar brezhoneg o lavar pemdeziek, èl m'ema hon hani-ni.
à lecteurs R y.a le breton leur langue quotidienne comme que est notre celui-nous
'... aux lecteurs dont la langue quotidienne est le breton comme c'est le cas chez nous.'
Vannetais, ar Meliner (2009:11)


La forme emañ semble aussi pouvoir être utilisée optionnellement de façon équivalente à la forme eo de la copule. Contrairement à la forme eo cependant, emañ peut apparaître en initiale de phrase (V1).


(3) / pehed e / / ma ma:T /
Pec'hed eo. Ema mat.
péché est proi Est bien/bon proi
'C'est (un) péché.', 'C'est bien/bon.' Haute-Cornouaille (Lanvenegen), Evenou (1987:571)


(4) En amzer gos gueac'hal éguis ma eman ar guis da lavarèt...,

En amzer gozh gwechall e-giz m'emañ ar giz da lavaret
'Dans le vieux temps d'autrefois, comme on dit...', Léon [Lesneven], Burel (2012:34)


Cet usage ne semble pas récent car on le retrouve dans des proverbes.


(5) Etre veui ha neui ema.
entre noyer et nager est
litt. 'Il est entre noyer et nager.' > 'Il est entre la vie et la mort.'
proverbe, Le Berre & Le Dû (1999:80)


(6) E-barzh an evezh, emañ an devezh.
dans le soin est le jour.née
'Travail bien fait, bonne journée.' proverbe, Abalain (2001:33)


La forme emañ peut enfin aussi être utilisée comme copule existentielle, lorsqu'elle ne sélectionne qu'un seul argument.


(7) An den a zo hirio; warc'hoazh n'ema mui!
le humain R y.a aujourd'hui demain ne y.a plus
'L'homme existe aujourd'hui, demain il ne sera plus!'
BSA. (1877:165), cité dans Le Gléau (1973:41)


Variation dialectale

Ci-dessous, je résume la variation dialectale dans ses dimensions syntaxiques et sémantiques.

trégorrois

Ce verbe n'existe en Trégor qu'à la personne trois de l'indicatif présent (Gros 1970:26). Aux autres personnes, et aux autres temps, c'est le paradigme de eo qui le remplace.

cornouaillais

En Cornouaille, Gary German et Mona Bouzeg reportent pour St Ivy et Riec des formes emañ en usage de copule et d'auxiliaire, indépendamment de la présence de la négation.


(1) Ema ket riboter anaoñ. vs. N-e ket riboter anaoñ.
est pas pistard P.lui ne est pas pistard P.lui
'C'est pas un pistard.' Cornouaillais (St Ivy), cité par Hewitt (1988a)


L'usage de emañ avec un participe passé, en particulier, est remarquable. On le trouve aussi à Scaër.


(1) Re gozh emañ-hi degouezhet.
trop vieux est-elle arrivé
'elle est devenue trop vieille.'
Scaër, Cheveau & Kersulec (2012-évolutif:Scaër,'amzer')


(2) Ema debet koan. vs. Debet e koan.
est mangé souper mangé est souper
'Le dîner est fini.' Cornouaillais (St Ivy), cité par Hewitt (1988a)


(2) Pelec'h emaoc'h bet?
êtes allé
'Où êtes-vous allé?' Haut-cornouaillais (Riec), Bouzeg (1986:35)


(3) 'Ma ket degouezhet.
est pas arrivé
'Il n'est pas arrivé' Haut-cornouaillais (Riec), Bouzeg (1986:35)


Le sujet de emañ peut alors être séparé de son verbe par le participe passé.


(3) Ema aet an dud kuit. vs. Aet e an dud kuit.
est allé le gens parti Allé est le gens parti
'Les gens sont partis.'
Cornouaillais (St Ivy), cité par Hewitt (1988a)


Hewitt (1988a) note que dans plusieurs cas, tout du moins à St-Yvi, l'alternance avec emañ/eo n'est pas possible. Ce qui permet ou pas l'alternance n'est pas clair.

Aesoc'h e din.
Kouet e 'zailh ba'n puz.
Benn fin 'n dro e maro haoñ.


vannetais

Hewitt (1988a) note que l'ALBB montre que dans l'extrême vannetais, les formes emañ de la copule (mais pas de tournures périphrastiques) apparaissent:


(1) Brâs ê an ti vs. Neuse ema brâs an ti.
grand COP le maison alors est grand le maison
'La maison est grande (alors).' Vannetais, Hewitt (1988a)


En vannetais, les formes emañ de location sont incompatibles avec la négation (Hewitt 1988a).


(2) Ema ar bara àr an daol. vs N-ê ket ar bara àr an daol.
est le pain sur le table ne est pas le pain sur le table
'Le pain (n') est (pas) sur la table.'
Vannetais, Hewitt (1988a)

Horizons comparatifs

Selon Deshayes (2003:'ema'), ema correspond au cornique yma et au gallois y mae, avec une composition en une particule verbale (e, y) suivie du verbe ma(e), issu du celtique *mages-est.

La graphie bretonne en emañ apparaît plausiblement en contraction de ema-eñv, /est-lui/, 'il est'.

Diachronie

Selon Hemon (2000:§139.4.fn2), l'origine de ema n'est pas clairement établie. Hemon mentionne une explication de Morris Jones (1913) concernant y mae en moyen breton. Il ne l'explicite pas et dit n'être pas convaincu.

défectivité de personne

Selon Hemon (2000:§139.4.fn1), le verbe moyen-breton ema est défectif en personne: les personnes 3SG et 3PL se rencontrent aisément, mais les autres personnes n'apparaissent qu'au XVII° et surtout en Léon. Hemon signale ne pas avoir trouvé ces formes établies dans des textes avant 1680 (Dnal.).

Le paradigme de emañ aurait donc été construit diachroniquement par généralisation à partir de la personne 3.

Bibliographie

  • Fave, V. 1988. 'Ar verb beza', Brud Nevez 111 : 18-31. (& 166 :63-69).
  • Glandour, M. 1981. 'Furmioù ar verb bezañ', Al Liamm 207:254-68.
  • Hewitt, Steve, 1988b. 'Being in Breton: the auxiliary of beza/bout', Poitiers: Cerlico.
  • Hewitt, Steve, 1988a. 'Ur framm ewid diskriva syntax ar verb brezoneg / Un cadre pour la description de la syntaxe verbale du breton', La Bretagne Linguistique, 4:203-11.
  • Kervella, F. 1970. 'Ur gudenn gasaus : implij A ZO hag EZ EUS, A ZO hag EO, EO hag EUS', Hor Yezh 63 :53-60.
  • Merser (ar), A. 1993. 'EO-ZO', Brud Nevez 170 :57-59.
  • Plourin, J.Y. 1998. 'Allomorphes du verbe être au présent de l'indicatif en breton : conflits de topicalisation', La Bretagne Linguistique 11:xx.
  • Urien, J.-Y. 2005. 'Cohabitation et conflit syntaxique autour du verbe « être » en breton', La syntaxe au cœur de la grammaire, (éds. Frédéric Lambert & Henning Nølke), 323-330, PUR.
  • Urien, J.Y. 1989. 'Le syntagme existentiel en breton. Définition syntaxique et sémantique {X + zo / n’eus ket + X, « Il y a X / il n’y a pas X »}', La Bretagne Linguistique 5: 179-195.
  • Urien, J.Y. 1989. 'Le verbe bezañ et la relation médiate', Roazhon 2 : Klask 1 :101-128.