Les huchements
Les huchements sont des interjections spécialisées sur l'adresse à un animal. Ils diffèrent la plupart du temps selon l'animal à qui on s'adresse.
Les huchements en breton sont régulièrement rapportés dans la littérature descriptive, mais parfois difficiles à localiser. Ernault (1879-1880:147) fournit par exemple une description détaillée d'une série de huchements à l'entrée lexicale Bara !.
La compilation de huchements ci-dessous est une compilation de Ernault (1879-1880) pour Landerneau, Langoat, Lanvollon, Lanrodec, Pléhédel, Trégier, St-Mayeux et le Goëlo, Kervella (1947:§114), Le Gall (1958) pour l'Hôpital-Camfrout, Favereau (1993) et Lozac'h (2014) pour St-Nigouden. Cornillet (2020) en rapporte aussi quelques uns.
Inventaire des huchements en breton
- Damañ !, adresse générique pour appeler les bêtes, Cornillet (2020)
adresse aux vaches
Le son émis par la vache est reproduit en breton par mou!, mais ce n'est pas le cri de l'appel.
- Mou! ['mu:] 'meuh ! (imitation du meuglement de la vache)', Cornillet (2020)
Ernault (1879-1880:148, 154) relève eur chegad 'un veau, fig. un niais' à Trévéréc, et le nom enfantin gècho, gècho bihan 'veaux' à Lanrodec.
Étrangement, le nom enfantin boeicho à Lanrodec, ou cho-cho à Trévéréc (Ernault 1879-1880) n'apparaît pas pour l'adresse d'approche, mais pour les adresses d'éloignement.
- Hav ! 'pour faire boire les vaches', Cornillet (2020)
- C'houst ! (en partant avec sa vache), Lothey/Standard, Riou (1941:45)
appeler
- pruik!
L'Hôpital-Camfrout, Le Gall (1958): "Preuik : interjection. — Se dit pour appeler les vaches : preuik d'ar gêr, preuik d'an dour, … On ajoute iñsk quand on s'adresse à un taureau que l'on veut encourager à saillir une vache : preuik iñsk ! — Termes à rapprocher de ceux cités dans Ernault [réf?]: pto(e)ik ! poteuik."
- wetiu!
- tu tu tu tuy à Lanrodec.
- do, do, do ! do (paour) ! à Lanrodec, do ! est aussi donné par Cornillet (2020)
- zo, zo, zo ! à Trévéréc
- pio-ho à St-Mayeux.
- cheut ! pour faire revenir une vache, Cornillet (2020)
éloigner
- Turch tu-me ! à Lanrodec (pour les veaux ou les moutons).
- Chega(d) du-më !, Goëlo
- Prr-chett ! à St-Mayeux
- Boït ! à Trévéréc, boï tu à Lanrodec, St-Mayeux, Boï tu-me ! à Trévéréc, Lanrodec.
- Ernault pointe pour référence 'La Chanson de fête des petits pâtres' dans le Barzaz Breiz.
- Cha ! ou Cho ! pour écarter les vaches, Cornillet (2020)
- Houis !, Hous !, Huj ! relevé par Deshayes (2003) en 1919. interjection pour faire reculer le bétail.
arrêter
- Cho! Cho-ho-ho! à Trévéréc, Lanrodec.
faire boire
- Hav !, Cornillet (2020)
adresse aux cochons
Dans l'usage de Boutier (1986) en cornouaille du Nord, sik, sik n'est pas utilisé pour éloigner les cochons mais pour les inciter à s'approcher.
- Hag e vamm lâret dezhañ 'hat, ar moc'h, […], pa 'h eer da gerc'hat anezhe a 'vez lâret « sik sik » pe « goch goch » dezhe. Hag ar re-se teu da heuilh 'hanout.
- Cornouaillais (Kerien), Boutier (1986)
appeler
- Doc'h !, Dac'h !
- Toch, toch, toch! près de Lanrodec, Tac'h bian, tac'h, tac'h, tac'h, tach à St-Mayeux et avec un diminutif Tochekh!, tochekh! à Trévéréc, Tac'hekh, tac'hekh à St-Mayeux
- Chièm, Chièm! à Trévéréc
- Khiou, Khiou! à Lanrodec
- Tiou !, pour appeler les cochons, Cornillet (2020)
- Chuen !, Cornillet (2020)
- Darc'h !, Cornillet (2020)
Pour comparaison, khiouekh, khiouekh! en Haute-Bretagne à Tressigneaux.
Vallée (1931) donne Kiou ! Kiou !
éloigner
- Si, si 'ta! 'pour éloigner'
- Si 'ta ! si 'ta ! pemoc'h fall ! (pour le déloger), Lothey/Standard, Riou (1941:43)
- Si 'ta ! d'ar c'hraou ! (mais en partant avec), Lothey/Standard, Riou (1941:45)
- sikh ! à Pontrieux, Lanrodec, Trévéréc, sikh tu-me à Lanrodec, Trévéréc, sikh tu-ze, sikh'u-me, sikh'u-mañ à Lanrodec et en Goëlo, sikh'u, sikh'u à St-Mayeux (forme qui empêche Ernault d'écrire boit-hu).
Troude soupçonne que sik en vannetais dérive d'un ancien substantif. Ernault (1879-1880) approuve et met en rapport cette interjection avec des équivalents en letton et en russe (Orig. indo-europ., I, 372 [?]).
adresse aux volailles
Les cris d'appel sont construits sur le français petit, ainsi que le nom enfantin ar bouti bihan 'les petits poulets (enf.)' à Lanrodec.
appeler
- pit, pit, pit!
- peti, peti! ou keti, keti! à St-Mayeux, pouti, pouti! à Trévéréc, bouti, bouti, bouti! à Lanrodec.
éloigner
- Chou du-man ! Chou 'ta ! à Trévéréc, Lanrodec, St-Mayeux à comparer avec, en Haute-Bretagne, Chou ci !
- Chou !, Cornillet (2020)
- Chou !, Dachou !'
(1) | Arsa ! | Chou ! | Kit | dezhi ! | ||||||||||||||
Allons ! | Ouste ! | allez | à.elle | |||||||||||||||
'Allons ! Ouste, filez !' | ||||||||||||||||||
Standard, Biguet (2017:51) |
(2) | Kit | kuit ! | Oust ! | Brou ! | ||||||||||||||
allez | parti | Ouste ! | Ouste ! | |||||||||||||||
'Ouste ! Du balai !' (à une mouette) | ||||||||||||||||||
Standard, Monfort (2006:20) |
adresse aux moutons
Le nom enfantin bèikh 'mouton' à Trévérec est construit sur l'onomatopée du son produit par le mouton.
appeler
L'appel est bara ('pain', par promesse de donner du pain), l'onomatopée du son produit par le mouton, ou encore les deux.
- meñ, meñ!, bê!
- bara ! bara ! bara ! à Lanrodec, Trévéréc, St-Mayeux, baraïk, baraïk (parfois diminutif en ekh) à Lanrodec
- bara bè
éloigner
Ernault (1879-1880) note que "pour chasser les moutons, on dit à St-Mayeux comme si on appelait un chien : khiê, khiê ! Ce mot, à Langoat kheñ, doit venir du français tiens ainsi que khië, khië! St-Mayeux, khiê, khiê! Lanrodec".
- cha bouch, cha bouch du-me ou tu-me ('ta) ! Trévéréc. Cf. cha tu-mañ, cha du-më, cha tu-me ('ta., laer)!, St-Mayeux, Lanrodec, Trévéréc, Goëlo.
- Chabous !, ou Chabout ! 'pour chasser les chèvres, moutons, etc.', Cornillet (2020)
hisser
- Tourch tak tak, maotik ! (ou maotekh), cri pour exciter les béliers à se battre (tourchal)
adresse aux canards
L'onomatopée est le cri d'adresse, avec kan, kan, kan à Trévéréc ou St-Mayeux. A Trévérec, l'onomatopée est gramaticalisée avec le diminutif kanekh, kanekh ! et surtout la substantivisation en kanikhenn 'canard', f. pl. kanikhen[n]o, kanikho.
adresse aux renards
- tiê Lan! 'faire fuir'
adresse aux chats
appeler
- bisig! 'petit chat', bisekh, pl. bisegho à Trévéréc, bichekh à Lanrodec, milbisekh, misekh 'minet'
- ma gaz! Troude et Le Dû (2012a:'ma'), altération hypocoristique de la mutation sur kazh.
- sous! bisous!
- bich-bich-bich à St-Mayeux, bss bss à Trévéréc, pich-pich-pich, pss pss à Lanrodec, bis, bis!.
- Bis ! Bis ! 'Minet ! Minet !', Cornillet (2020)
Pour comparaison, Ernault (1879-1880) relève aussi biche et pss pss!, cha(t) ci ! en Haute-Bretagne, et puss en anglais.
éloigner
- ichek! 'faire fuir'
- Chat ! [ʃat], Chegat !, Dachegat !, pour chasser les chats "pour d'az ched'… 'à la niche'" Cornillet (2020)
adresse aux chiens
Ernault (1879-1880) note que "pour chasser les moutons, on dit à St-Mayeux comme si on appelait un chien : Khiê, khiê ! Ce mot, à Langoat Kheñ !, doit venir du français Tiens ! ainsi que Khië, khië! St-Mayeux, Khiê, khiê! Lanrodec".
- Tiê! 'appel'
- Tê !, Tie ! "s'emploie redoublé pour appeler un animal, faire taire un chien", Cornillet (2020)
- Tie ! Tie ! Tie !, les Dalton appelant Rantanplan, Bzh5 (2007:18)
Pour chasser les chiens : Tè du-man, Tè du-me (poezon) ! à Lanrodec ou Trévéréc, Tè isi à Trévéréc ou St-Mayeux, d'où Tè tè, tè tè bihan, 'un chien (enf.)', Lr., Trévéréc.
- Pilh !, pour exciter les chiens, Cornillet (2020)
- Kis, kis ! exhortatif
(1) | Kis-kis ! | Klask, | Ranko ! | |||||||||||||||
Ksss ! | cherche | Ranko | ||||||||||||||||
'Ksss ! Cherche, Ranko !' | ||||||||||||||||||
Standard, Kervella (2002b:47) |
(2) | Kis kis ! | Klask | roud | an | Daltoned ! | |||||||||||||
Ksss ! | cherche | trace | le | Dalton.s | ||||||||||||||
'Ksss ! Cherche la trace des Daltons !' | ||||||||||||||||||
Standard, Skol an Emsav (1977:24) |
(3) | Kerz | d'ar | vuoc'h ! | ||||||||||||||
va | à1 le | 1vache | |||||||||||||||
'Cours après la vache !' (à un chien) | |||||||||||||||||
Trégorrois, Gros (1970:149) |
adresse aux loups
- Habo !, et son dérivé haboat 'huer en chassant le loup', Cornillet (2020)
adresse aux équidés
Dénominations enfantines: Ernault (1879-1880:162) donne moji 'cheval' "par plaisanterie, et enfantin", ha setu Moji 'rauk ! 'et voilà en route' à Trévérec, mond war gein Moji 'aller à dada', Lanrodec. Ernault (1879-1880:169) donne aussi le mot enfantin vo-vo 'dada' à Lanrodec et Trévérec.
Menard & Bihan (2016-:'sa.2') relève dans Feiz Ha Breiz 1874, 472/16a la phrase en em lakea da grial oc'h he azen: Sa, Loyson ! Dic'ha, sou, Loyson ! Dac'hall, tus, Loyson !.
appeler
Ernault (1879-1880:146): "pour faire venir les chevaux, chien, chien, chien ! pour appeler les poulains, et peut-être tieñ, kieñ, tiañ, kiañ, usités à Landerneau et aux environs pour dire n'est-ce pas ?"
- d'aman à Trévéréc, ce qui est une forme abrégée de Deuit amañ 'Venez ici'.
- hei ! à Lanrodec ou hei si sur le français ici à Trégier.
- do! Ernault (1879-1880:146) considère un emprunt au français donc.
faire fuir
- da du-ze! à St-Mayeux. Ernault (1879-1880:146) s'interroge sur le français dada.
calmer
- Chom 'ta ! Hop ! chom 'ta !… , Cornouaillais du Cap, Crocq (1924:210)
continuer tout droit
- Ei !, Hei !, Yao ! 'Hue, Continuer, Avance !'
(1) Pa vez lavaret "hei !" d'ar gazeg wenn, e vez lavaret d'an harnez penn-da-benn.
- 'Quand on dit "hue!" à la jument blanche c'est à tout l'attelage qu'on le dit.'
- Trégorrois, Gros (1974) - page à préciser
- Hasti !, Haik ti ! pour encourager un cheval à aller plus loin, Cornillet (2020)
- Hei ! (en partant avec), Lothey/Standard, Riou (1941:45)
reculer
- c'ho!, c'hri 's'arrêter', rirc'h 'reculer', ou comme aux humains, kul!
à gauche
- So ! 'à gauche'. Selon Deshayes (2003), Sou ! 'À gauche' qu'il relève en 1716 résulte d'une aphérèse du vieux breton asoiu, asoe, asou, gauche, apparenté au cornique asow et au gallois asw(y) de même sens.
Les autres huchements doivent être compris en prenant en compte le fait que le locuteur, le charretier, est placé à gauche du cheval qu'il mène.
- Hakh ! c'hak ! en Goëlo, cf. hac 'par ici', et à Ploezal Hak-berr ! 'Vite à gauche !'.
- Dê ! ded aman en Goëlo = Deu[z], deud aman, 'Viens, venez ici', Da ! à Langoat.
- différentes variations dérivées de tost 'près, approche !' :
- Ernault (1879-1880:146) donne tast ! en Goëlo tast, tost, à Lanvollon, tost à Pléhédel et en Trégier, et enfin à St-Mayeux Tos ! Tos ! ou Tus !.
- Tuiz ! 'À gauche', Cornillet (2020)
à droite
- Alla ! (Cornillet 2020). Ernault (1879-1880:146) donnait Allá ! 'A droite !' à Langoat, et rapprochait la forme du latin illàc 'par là'.
- Hal !
- Wichedrou, wiche, duru, vichederou en Goëlo, litt. 'tourne en biais', de viche[?] et de tro. Wichedrou-berr ! 'vite (litt. tourne court) à droite'.
- Witè ! 'A droite !' à La Roche-Derrien, Wite ! dans Cornillet (2020)
- Hàikhel ! 'A droite !', Saint-Mayeux, Ernault (1879-1880:156)
- Hael ! 'pour diriger les chevaux vers la droite', Cornillet (2020)
- Dic'ha !, donc littéralement 'pas à gauche', Ernault (1879-1880) & Cornillet (2020)
- à noter que Dia ! ['ɟa] est aussi traduit 'à gauche !' (Haut-cornouaillais (St-Nigoudenn), Lozac'h 2014:'dia')
(1) | Dia ! | ioik, | da vit | gwin… | ||||||||||||||
à.droite ! | cheval.DIM | pour | vin | |||||||||||||||
'À droite !, poulain, pour chercher du vin… ' | ||||||||||||||||||
Plounévez-Lochrist, Comptine XIXe, Sauvé (2001:258) |
Morphologie
onomatopées vs. huchements
La relation avec les onomatopées va dans les deux sens.
Les onomatopées évoquant un son produit par un animal sont une source de création de huchements d'appel: pour appeler un animal, on reproduit au mieux le cri de cet animal.
Les huchements sont aussi tous traitables comme des onomatopées.
variation dialectale
Il existe une grande variation dialectale dans les huchements. On peut même parler de variation idiolectale.
dérivation
Les verbes qui signifient /produire un son x/ sont dérivés à partir de la dimension onomatopéique du huchement.
grammaticalisation
(1) | Ha | yao | da | vro | Vec'hiko ! | ||||||||||||
et | hue ! | pour1 | pays | 1Mexique | |||||||||||||
'… et hue ! On retourne au Mexique !' | |||||||||||||||||
Standard, Ar Menn (2015:6) |
Le verbe fiñval 'bouger' pourrait venir d'une racine proto-indo-européenne de huchement. Matasović (2009) postule la racine proto-indo-européenne ? * ksweybh- 'faire un mouvement brusque' (IEW: 1041 (* swēy-), qu'il considère inhabituelle, et qu'il propose être de nature onomatopéique (cf. résumé en français sur la page de fiñval).
Syntaxe
pas de modification
Il n'est pas possible de modifier les huchements (par ex., on ne dit pas * mell yao pour 'avance plus', ou 'avance plus vite').
Sémantique
ordres
Le contenu sémantique de ces interjections est assez pauvre, centré sur des ordres simples. Les animaux montés ont un registre spatial plus étendu, ainsi que sans doute les chiens de berger ou les chiens de chasse. Les huchements qui ont pour morphologie une onomatopée demandent un mouvement de rapprochement spatial en reproduisant un cri typique de l'animal.
À ne pas confondre
Les mimologismes consistent à reconnaître un élément de langage dans un son du monde naturel, du bruit de voiture au chant d'un oiseau. Par exemple, Ernault (1903) compare le mimologisme trégorrois pour le roucoulement amoureux du pigeon N'eus ked a gour ? 'On ne vous fait pas la cour ?' et le mimologisme provencal quouro ? 'quand ?'. Il ne s'agit pas de huchement, puisqu'il ne s'agit pas de communication avec un animal.