Différences entre les versions de « Verbe analytique »

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Les avis divergent sur l'effet de discours associé à la conjugaison analytique.
Les avis divergent sur l'effet de discours associé à la conjugaison analytique.


Il est important pour aborder cette question de faire la différence entre les constructions analytiques simples et les [[ordres à VP antéposé]], où le verbe infinitif apparaît en début de phrase avec par exemple son objet. Les ordres de mots où tout un bloc verbal est [[antéposé]] ont évidemment la [[structure informationnelle]] associée de [[topique]] ou de [[focus]].  
Il est important pour aborder cette question de faire la différence entre les constructions analytiques simples et les [[ordres à VP antéposé]], où le verbe infinitif apparaît en début de phrase avec par exemple son objet. Les ordres de mots où tout un bloc verbal est [[antéposé]] ont évidemment la [[structure informationnelle]] associée de [[topique]] ou de [[focus]]. Par exemple, [[Merser (1963)|Merser (1963]]:§392) considère que dans la phrase ''kana a ran'' 'je chante',  le verbe infinitif ''kanañ'' est mis en relief. Cependant, ce verbe est ici [[intransitif]], ce qui ne présume pas du résultat dans un emploi [[transitif]] (? ''Kanañ (eo) a ran ar ganaouenn'').  




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A l'opposé, [[Le Gléau (1973)|Le Gléau (1973]]:45) relève les conjugaisons en ''ober'' en corpus, et note qu'elles apparaissent surtout pour l'introduction d'un nouveau paragraphe. Cette observation concorde avec l'hypothèse qu'elles coïncident avec des phrases à [[structure informationnelle]] plate (c.a.d. sans focus du tout ou entièrement focalisée). Pour [[Hewitt (1988a)]] et [[Jouitteau (2011)]], la conjugaison analytique est caractérisée par une '''lecture neutre''' sur l'infinitif. La tête verbale antéposée ne reçoit pas de lecture focale, ou de topique. En (2), on voit effectivement que les [[clivées]] en ''eo'' sont agrammaticales.
A l'opposé, [[Le Gléau (1973)|Le Gléau (1973]]:45) relève les conjugaisons en ''ober'' en corpus, et note qu'elles apparaissent surtout pour l'introduction d'un nouveau paragraphe. Cette observation concorde avec l'hypothèse qu'elles coïncident avec des phrases à [[structure informationnelle]] plate (c.a.d. sans focus du tout ou avec un focus réparti sur toute la phrase). Pour [[Hewitt (1988a)]] et [[Jouitteau (2011)]], la conjugaison analytique est caractérisée par une '''lecture neutre''' sur l'infinitif. La tête verbale antéposée ne reçoit pas de lecture focale, ou de topique. En (2), on voit effectivement que les [[clivées]] en ''eo'' sont agrammaticales.




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En (3), il est visible qu'il s'agit d'une antéposition de tête verbale, car l'objet du verbe (le [[VP]] ''distag 'Gouten tag' ag ar gwellañ''), est resté à droite de l'auxiliaire tensé. Le focus de la phrase porte sur le sujet 'nous', avec un [[écho|pronom sujet écho]] et son adverbe focalisateur ''[[ivez]]'', 'aussi'. L'hypothèse d'un effet d'emphase sur le verbe [[lexical]] 'essayer' implique qu'il y aurait double focalisation dans cette phrase.
La donnée en (3) est intéressante: il est visible qu'il s'agit d'une antéposition de tête verbale, car l'objet du verbe (le [[VP]] ''distag 'Gouten tag' ag ar gwellañ''), est resté à droite de l'auxiliaire tensé. Le focus de la phrase porte sur le sujet 'nous', avec un [[écho|pronom sujet écho]] et son adverbe focalisateur ''[[ivez]]'', 'aussi'. L'hypothèse d'un effet d'emphase sur le verbe [[lexical]] 'essayer' implique qu'il y aurait double focalisation dans cette phrase.




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Il est plausible que les dialectes varient précisément dans leur abilité à faire porter une lecture de focus sur la tête verbale.
Il est plausible que les dialectes varient précisément dans leur abilité à faire porter une lecture de focus sur la tête verbale.


=== analyse ===
=== analyse ===

Version du 22 avril 2017 à 19:49

Un verbe analytique est un verbe qui est conjugué dans deux blocs morphologiques séparés. C'est le contraire d'un verbe synthétique, qui lui est conjugué à l'intérieur d'un même bloc morphologique autour du verbe lexical.

La conjugaison analytique bretonne utilise les deux auxiliaires bezañ, 'être' et kaout, 'avoir', mais aussi l'auxiliaire ober, 'faire', comme support morphologique du temps, de l'aspect et éventuellement des traits de l'accord sujet. Dans les conjugaisons analytiques, le contenu lexical du verbe apparaît alors séparément, sous une forme infinitive ou de participe.

Les structures analytiques sont attestée dans toutes les variétés de breton et, au delà, dans toutes les langues celtiques.


Morphologie

L'auxiliaire ober sert de support morphologique aux morphèmes du temps, de l'aspect et éventuellement aux marqueurs de l'accord sujet. Plusieurs verbes peuvent ainsi utiliser un même support.


(1) Bale, redek, nijal a rit-hu war-du an termen.
marcher, courir, voler R faites-vous sur-côté le terme
'Vous marchez, courez, volez vers le terme.'
SMM. (1864:32), cité dans Le Gléau (1973:45)

Effet de discours

Les avis divergent sur l'effet de discours associé à la conjugaison analytique.

Il est important pour aborder cette question de faire la différence entre les constructions analytiques simples et les ordres à VP antéposé, où le verbe infinitif apparaît en début de phrase avec par exemple son objet. Les ordres de mots où tout un bloc verbal est antéposé ont évidemment la structure informationnelle associée de topique ou de focus. Par exemple, Merser (1963:§392) considère que dans la phrase kana a ran 'je chante', le verbe infinitif kanañ est mis en relief. Cependant, ce verbe est ici intransitif, ce qui ne présume pas du résultat dans un emploi transitif (? Kanañ (eo) a ran ar ganaouenn).


variation des effets d'emphase

Pour Trépos (2001:§438), la conjugaison analytique est nettement associée à un effet d'emphase. Son hypothèse est appuyée par le fait qu'il est possible de trouver ces structures à l'intérieur de clivées en 'ni (voir Trépos 2001:§438, C'hoarzin 'ni ray, 'C'est rire qu'il fera.'). Press (1986:189) note les mêmes faits pour la clivée en 'ni, et prend soin de les tester avec un verbe transitif dont l'objet e vignonez est resté dans le champ du milieu pour être sur de manipuler une tête verbale et non un constituant plus grand.


(1) Gwelout 'ni ra Yann _ e vignonez.
voir focus fait Yann _ son1 amie
'Yann VOIT son amie.'
'Yann actually sees his girlfriend.' Standard, Press (1986:189)


A l'opposé, Le Gléau (1973:45) relève les conjugaisons en ober en corpus, et note qu'elles apparaissent surtout pour l'introduction d'un nouveau paragraphe. Cette observation concorde avec l'hypothèse qu'elles coïncident avec des phrases à structure informationnelle plate (c.a.d. sans focus du tout ou avec un focus réparti sur toute la phrase). Pour Hewitt (1988a) et Jouitteau (2011), la conjugaison analytique est caractérisée par une lecture neutre sur l'infinitif. La tête verbale antéposée ne reçoit pas de lecture focale, ou de topique. En (2), on voit effectivement que les clivées en eo sont agrammaticales.


(2) Gwelout (* eo) ra Yann _ e vignonez.
voir est fait Yann _ son1 amie
'Yann voit son amie.' Standard, Press (1986:189)


La donnée en (3) est intéressante: il est visible qu'il s'agit d'une antéposition de tête verbale, car l'objet du verbe (le VP distag 'Gouten tag' ag ar gwellañ), est resté à droite de l'auxiliaire tensé. Le focus de la phrase porte sur le sujet 'nous', avec un pronom sujet écho et son adverbe focalisateur ivez, 'aussi'. L'hypothèse d'un effet d'emphase sur le verbe lexical 'essayer' implique qu'il y aurait double focalisation dans cette phrase.


(3) Esae a raomp-ni ivez [VP objet distag Gouten tag ag ar gwellañ ].
essayer R faisons-nous aussi prononcer Gouten tag de le mieux
'Nous essayons, nous aussi, de prononcer Gouten tag de notre mieux.'
Vannetais, Herrieu (1994:288)


Il est plausible que les dialectes varient précisément dans leur abilité à faire porter une lecture de focus sur la tête verbale.


analyse

La conjugaison analytique est compatible avec une lecture de focus, comme illustré dans le dialecte de Trépos et dans celui testé par Press. Cependant, ce n'est pas le cas que tout focus ou toute clivée soient possibles ou que toute structure analytique soit focalisée.

L'agrammaticalité des clivées en eo même pour Press qui obtient la lecture focale avec 'ni plaide pour une analyse de mouvement de tête. Une tête ne peut pas monter en zone de focus par un mouvement A-bar, ce qui prédit l'agrammaticalité de la structure en eo. Les structures à lecture focales en 'ni, elles, disponibles dans certains dialectes, ont grammaticalisé en un simple marqueur de focus. Ce marqueur est généré dans la structure verbale et cliticise sur la tête verbale.

Distribution

sujet

Selon Le Gléau (1973:44, 45), l'usage de la conjugaison analytique en ober, 'faire' est incompatible avec un syntagme nominal sujet. Il note en effet qu'en corpus, ces structures n'apparaissent qu'avec des sujets pronominaux incorporés. Selon lui, la présence d'un sujet postverbal implique forcément une lecture focale sur le verbe infinitif antéposé, et il s'agit alors d'un cas d'antéposition de VP.

Cependant, on trouve à Duault de tels exemples (dans la mesure où an den n'est pas ici réinterprété comme un pronom).


(3) Met mont a ra an den skuizh. Duault, Avezard-Roger (2004a:145)
mais aller R fait le homme (on) fatigué
'Mais les gens se fatiguent.'

phrases matrices et enchâssées

Selon Stephens (1982:102), la conjugaison analytique en ober, 'faire' avec une tête infinitive est restreinte aux phrases matrices et est toujours illicite dans les enchâssées. On en trouve cependant des exemples parmi les ordres T2 en enchâssées.


(3) N'ouzon ket ha dont a raio.
ne'sais pas si venir R fera
'Je ne sais pas s'il viendra.' Merser (2011:56)

blocage par la négation

Contra Goyat (2012:285), cette construction est incompatible avec la négation (Stephens 1982:105).


(2) * Debriñ ne ra ket Yann krampouezh ed-du.
manger ne fait pas Yann galettes blé-noir
'Yann ne mange pas de galettes de sarrasin.' Stephens (1982:105)


Ceci fournit un contraste intéressant avec la focalisation de VP propre à la construction avec ober anaphorique:


(2) Debriñ krampouezh ed-du ne ra ket Yann.
manger galettes blé-noir ne fait pas Yann
'Yann ne mange pas de galettes de sarrasin.' Stephens (1982:105)


blocage par alies préverbal

L'adverbe alies, 'souvent', peut apparaître à l'initiale de phrase, mais ne peut pas précéder un temps analytique.


(12) (* Alies) Kompren a ran an traoù a lavarez. (Alies e komprenan...)
souvent comprendre R fais le choses R1 dis
'Je comprends (souvent) ce que tu dis.' Lesneven/Kerlouan, A. M. (04/2016)

absence d'extraction longue distance

L'extraction longue distance est illicite avec la conjugaison analytique, ce qui fournit encore un contraste avec la construction avec ober anaphorique.


absence de temps composés

La conjugaison analytique en ober, 'faire' ne supporte pas d'être elle-même mise à un temps composé. Stephens (1982:106) remarque que l'auxiliaire ober est incompatible avec un auxiliaire perfectif ou passif.


(4) * Prenañ az peus graet ur wetur nevez.
acheter R as fait un1 voiture neuf
'Tu as acheté une voiture neuve.' Stephens (1982:103)


(5) * Prenañ a zo graet ur wetur nevez.
acheter R est fait un1 voiture neuf
'Tu as acheté une voiture neuve.' Stephens (1982:103)

ordre V-AUX

Dans la conjugaison analytique, l'auxiliaire ober est toujours prononcé après le verbe infinitif (Jouitteau 2011, 2012, 2013). L'ordre [AUX ober - Verbe] n'est jamais constaté.

Diachronie

(4) [ monet pront ] a gresont y.
aller promptement R font-eux
'Eux vinrent rapidement.' Breton 1650, Nl. 28


(4) [ Da hem maruaillaff ] a grez en bras oar an edefiç hac an artifiç en templ man...
(te) se émerveiller R1 fais en grand sur le édifice et le artifice en.le temple ci
'Tu t'émerveilles grandement sur l'édifice et l'artifice de ce temple...' Breton 1576, Ca., Loth (1890c:290)

A ne pas confondre

Tous les ordres de mots avec un infinitif à l'initiale devant un auxiliaire ober, 'faire' ne sont pas des cas de conjugaison analytique.

Certains sont des cas d'antéposition de groupe verbal avec l'auxiliaire anaphorique ober. Leurs propriétés syntaxiques sont différentes.

Analyse théorique

Hewitt (1988a) et Jouitteau (2011) proposent que le contexte syntaxique où apparaît cette conjugaison analytique coïncide exactement avec les environnements de dernier recours pour les ordres à verbe second.

Cette généralisation prédit que cette structure est restreinte aux phrases où l'espace prétensé serait autrement vide, ce qui rendrait la phrase illicite:

- phrases non impératives (car les phrases impératives sont à verbe initial de toute façon)
- phrases simples ("matrices") car dans les enchâssées, l'espace préverbal est occupé par le complémenteur.
- phrases sans focus préverbal (en contraste avec l'auxiliaire ober en moyen breton)
- phrases sans le verbe emañ, puisqu'il est licite à l'initiale
- phrases sans négation


Jouitteau (2011) propose que dans les cas de conjugaison analytique, le verbe lexical est excorporé de la tête tensée. L'interface phonologique prononce ensuite un auxiliaire par défaut dédié au support des morphèmes de temps, d'aspect et éventuellement d'accord du sujet. Cette hypothèse permet d'expliquer que l'infinitif n'apparaît jamais après l'auxiliaire ober en conjugaison analytique, et que l'excorporation ne soit jamais possible hors d'un auxiliaire lui-même composé. Cette hypothèse permet enfin d'expliquer les cas de verbes qui se prennent eux-mêmes comme auxiliaires, de type Gouzout a ouzon... (/savoir R je.sais' > 'Je sais.'): Jouitteau (2011) propose qu'il s'agit alors du même procédé d'excorporation, mais avec prononciation de la copie la plus basse qui crée le redoublement.

Le cas de la négation préverbale est épineux. La généralisation de Jouitteau (2011) prédit qu'à chaque fois qu'un infinitif est trouvé au-dessus de la négation préverbale, alors cet infinitif doit recevoir une lecture de focalisation. Ceci devrait être étudié au vu des données du moyen breton (cf. l'auxiliaire ober en moyen breton).


Terminologie

Press (1986:228) traduit amzer-gevrennek par 'compound tense'.

Goyat (2012:285) parle indifféremment de conjugaison périphrastique pour les antépositions de têtes verbales et les focalisations/topicalisation de groupe verbal.


Bibliographie

  • Borsley, R.D. M.L. Rivero & J. Stephens. 1996. ‘Long Head Movement in Breton’, The Syntax of the Celtic Languages: a comparative perspective, ed. Robert D. Borsley and Ian Roberts, 53-74. Cambridge University Press. Preview
  • Hewitt, Steve, 1988a. 'Ur framm ewid diskriva syntax ar verb brezoneg / Un cadre pour la description de la syntaxe verbale du breton', La Bretagne Linguistique, 4:203-11.
  • Jouitteau, M. 2013, 'La conjugaison analytique de doublement du verbe en breton', Ali Tifrit (éd.), Phonologie, Morphologie, Syntaxe Mélanges offerts à Jean-Pierre Angoujard, PUR, 327-354. texte en ligne.
  • Jouitteau, M. 2012. 'Verb doubling in Breton and Gungbe; obligatory exponence at the sentence level’, The Morphosyntax of Reiteration in Creole and Non-Creole Languages, Aboh, Enoch O., Norval Smith and Anne Zribi-Hertz (éds.) [CLL 43]
  • Jouitteau, M. 2011. 'Post-syntactic Excorporation in Realizational Morphology: Breton Analytic Tenses', Andrew Carnie (éd.), Formal Approaches to Celtic Linguistics, Cambridge Scholars Publishing, 115-142. texte en ligne.
  • Jouitteau, M. 2007. ‘The Brythonic Reconciliation: From V1 to generalized V2’, Craenenbroek and Rooryck (éds.), The Linguistics Variation Yearbook, Netherlands, 163-200. texte en ligne.
  • Jouitteau, M. 2005/2010. La syntaxe comparée du Breton, , éditions universitaires européennes, ISBN 978-613-1-52800-2. manuscrit en pdf ici ou ici.
  • Stephens, J. 1982. Word order in Breton, Ph.D. thesis, School of Oriental and African Studies, University of London.