Mouvement A-barre
Dans les grammaires transformationnelles, une phrase est le résultat de différentes opérations, dont parfois des opérations de mouvement dans la structure syntaxique. Il existe différents types de mouvements, qui ont des propriétés distinctes. Un mouvement dit A-barre est une opération de mouvement syntaxique qui bouge une projection maximale dans une position A-barre.
Dans la phrase en (1), l'emplacement canonique de l'objet serait après son verbe (Ar vugale o deus gwelet ur vaouez deac'h.). Cet emplacement est symbolisé par un tiret dans la ligne de glose. La phrase interrogative qui porte sur l'objet force celui-ci à apparaître à un autre endroit, dans la périphérie gauche de la phrase. On dit que cet objet a opéré une remontée A-barre.
(1) | Pese | maouez | ar vugale | o deus | gwelet | deac'h ? | |||||||||||||||
quel.sorte | femme | le 1enfant.s | 3PL a | v.u | __ | hier | |||||||||||||||
'Quelle femme est-ce que les enfants ont vu hier ?' | |||||||||||||||||||||
Léonard (Plougerneau), M-L.B (10/2018) |
Des exemples de mouvements A-barre sont la relativisation d'un élément, ou son mouvement vers une position de focus dont le mouvement wh-.
Une position A-barre dans la structure syntaxique de la phrase peut être occupée par un élément qui n'est pas un argument du verbe (par exemple un adverbe). Cette propriété la distingue d'une position A.
Illustrations
Un exemple prototypique de mouvement dans une position A-barre est représenté par les questions qui montent un mot interrogatif à l'initiale de la phrase. C'est le cas aussi de tous les autres mouvements en zone de focus, ou dans les phénomènes de scrambling.
mouvement de focus
En breton, comme en basque ou en hongrois, un élément focalisé doit être signalé par un mouvement syntaxique de type A-barre. Le site d'accueil de ce mouvement est devant le verbe tensé. Le mouvement de focalisation le plus repérable est le mouvement des mots interrogatifs.
mouvement wh-
Le mouvement d'un mot interrogatif en initiale de phrase a des propriétés particulières. On appelle ce type de mouvement un mouvement wh-. C'est un type de mouvement A-barre.
Dans la phrase affirmative en (1), le sujet est dans sa position canonique, après le verbe tensé, dans le champ du milieu, à l'endroit où il apparaît sans mouvement A-barre.
(1) | Warc'hoazh | e | yelo | Per | da-vid | ar | journal. | ||||||||||||||
demain | R4 | ira | Pierre | a-pour | le | journal | |||||||||||||||
'Pierre ira chercher le journal demain.' | |||||||||||||||||||||
Trégorrois, adapté de Gros (1970:148) |
En (2), le mot interrogatif a opéré un mouvement syntaxique A-barre vers l'initiale de la phrase. La position où l'interrogatif apparaît n'est pas une position argumentale: on a vu en (1) qu'elle accueillait un adverbe.
(2) | Piou | a | yelo | _ | da-vid | ar | journal ? | ||||||||||||||
qui | R1 | ira | < qui > | a-pour | le | journal | |||||||||||||||
'Qui ira chercher le journal ?' | |||||||||||||||||||||
Trégorrois, Gros (1970:148) |
Propriétés en breton
un seul par phrase
Contrairement à d'autres langues comme le serbe ou le croate, on ne peut pas dans une même phrase bretonne opérer deux mouvements A-barre. Dans le cas de deux interrogatifs, par exemple, l'un reste in-situ.
(1) | Piou | zo | gant | piou ? | ||||||||||||||
qui | est | avec | qui | |||||||||||||||
'Qui est avec qui ?' | ||||||||||||||||||
Léonard, Kervella (2009:201) |
longue distance
Le mouvement A-barre a la propriété de pouvoir être opéré sur une longue distance, à travers plusieurs domaines propositionnels. On parle alors d'extraction à longue distance. C'est illustré ci-dessous pour la montée du sujet, de l'objet et de groupes prépositionnels.
mouvement longue distance du sujet
(2) | Pese | bugale | a lavar | ar plac'hig | o deus | gwelet | ar vaouez ? | ||||||||||||
quel.sorte | enfant.s | R dit | le fill.ette | 3PL a | __ | v.u | le 1femme | ||||||||||||
'Quels enfants est-ce que la fillette a dit qui ont vu la femme ?' | |||||||||||||||||||
Léonard (Plougerneau), M-L.B (10/2018) |
(3) | Ar | baotred | a | soñj | din | a | lenne | al | levrioù | a | zo | amañ. | ||||||
le | 1gars.s | R1 | pense | à.moi | R1 | lisait | __ | le | livre.s | R1 | est | ici | ||||||
'Les gars qui je pense ont lu les livres sont ici.' | ||||||||||||||||||
Trégorrois, Borsley & Stephens (1989:420) |
(4) | Petore | paotred | a | soñj | deoc'h | a | lenne | al levrioù ? | ||||||||||
quel | gars | R1 | pense | à.moi | R1 | lisait | __ | le livre.s | ||||||||||
'Quels gars pensez-vous qui ont lu les livres ?' | ||||||||||||||||||
Trégorrois, Borsley & Stephens (1989:420) |
(5) | Pese | bugale | en deus | lavaret | ar plac'hig | o deus | torret | ar c'hoarioù ? | |||||||||||
quel.sorte | enfant.s | R.3 a | d.it | le fill.ette | 3PL a | __ | cass.é | le jouet.s | |||||||||||
'Quels enfants est-ce que la fillette a dit qui ont cassé les jouets ?' | |||||||||||||||||||
Léonard (Plougerneau), M-L.B (10/2018) |
mouvement longue distance de l'objet
(6) | Petra | eman | en | e | zoñj | ober ? | |||||||||||
quoi | [ | est | en | son1 | pensée [ | faire | __ ]] | ||||||||||
'Qu'est-ce qu'il pense faire ?' | |||||||||||||||||
Léonard, Fave (1998:141) |
(7) | Ur bern | krampouezh | a | wele | ar | vamm-gozh | gant | plijadur | e | tebre | ar | vugale. | |||||||||
un tas | crêpes | R1 | voyait | le | 1mère-1vieil | avec | plaisir | R1 | mangeait | le | 1enfant.s | __ | |||||||||
'La grand-mère vit avec plaisir que les enfants mangeaient plein de crêpes.' | |||||||||||||||||||||
Trégorrois, Stephens (1982:44) |
En (8), l'objet traverse trois domaines propositionnels.
(8) | Petra | a | gred | dezho | en deus | lavaret | ar marc'hadour | e | werzo | Iffig ? | ||||||||||
quoi | R1 | croit | à.eux | 3SGM a | d.it | le march.and | R4 | vendra | Iffig | __ | ||||||||||
'Qu'est-ce qu'ils pensent que le marchand a dit que Iffig vendra ?' | ||||||||||||||||||||
Trégorrois, Stephens (1982:54) |
L'objet déplacé n'est pas forcément interrogatif. Il y aura cependant obligatoirement un effet d'emphase sur l'élément déplacé.
(9) | E | loened | a | gred | dezho | en deus | lavaret | ar marc'hadour | e | werzo | Iffig. | |||||||||
son1 | animal.x | R1 | croit | à.eux | 3SGM a | d.it | le march.and | R4 | vendra | Iffig | __ | |||||||||
'Ils pensent que le marchand a dit que Iffig vendra ses bêtes.' | ||||||||||||||||||||
Trégorrois, Stephens (1982:54) |
mouvement longue distance de groupe prépositionnel
(1) | D'ar | gouel | e | vichen | kontan | ma | teufe | Yann | . | ||||||||||
à le | fête | [ | R4 | serais | content | [ | si4 | venait | Yann | __ ]] | |||||||||
'Je serais content que Yann vienne à la fête.' | |||||||||||||||||||
Léonard, (Lesneven), A.M. 02/2016 |
(2) | Da | belec'h | eta | e | fell | d'it | ez | kasfen | ? | ||||||||
pour1 | où | donc | [ | R4 | plaît | à.toi | [ | te | envoie | ___ ]] | |||||||
'Où veux-tu donc que je t'envoie ?' | |||||||||||||||||
Léonard (Bodilis), Ar Floc'h (1922:347) |
En (3), le groupe prépositionnel ne vient pas d'une autre proposition, mais son lieu d'extraction est tout de même assez loin pour assurer un effet de focus obligatoire. Il porte la seule information nouvelle de la phrase.
(3) | Diouzh | priz | al | loened | bet | gwerzhet | pe | da | werzhañ | a | veze | kaoz | _ | alies | ivez. | ||
selon | prix | le | animau.x | été | vend.u | ou | à1 | vendre | R1 | était | parole | souvent | aussi | ||||
'On parlait souvent aussi du prix des animaux vendus ou à vendre.' | |||||||||||||||||
Cornouaillais (Ploéven), Gouérec (2018:8) |
mouvement de l'objet (& errata)
Dans la recherche en grammaire générative, il a été produit des données où l'extraction à longue distance donnait un résultat agrammatical (Anderson & Chung 1977:36c., cité dans Woolford 1991:521). La phrase qui illustre cette généralisation est une extraction de l'objet et est effectivement agrammaticale (* Da genteliou en deus lavaret an aotrou Kere e oa ret dit deskiñ mat, 'Monsieur Quéré a dit que tu devais apprendre tes leçons') mais c'est plus plausiblement car elle ne se prête pas facilement à une lecture de focus contrastif sur l'objet antéposé. L'extraction à longue distance ne pose autrement pas de problème en breton.
restriction sur les constituants déplaçables
Toute projection maximale n'est pas candidate au mouvement. En breton, certaines propositions complétives ne peuvent pas être focalisée par mouvement et être licite en initiale de phrase (Favereau 1997:§572). La raison en est inconnue, et il y a variation.
(1) | E neus | lennet | Alain | an dra-se, | tout | an dud | neus | keuz. | |||||||||
[ | R a | l.u | Alain | le 1chose-là ] | tout | le 1gens | a | regret | __ | ||||||||
'Tout le monde regrette que Alain ait lu ce truc.' | |||||||||||||||||
Léonard (Plougerneau), M-L. B. (05/2018) |
îles pour le mouvement
Tout domaine ne peut pas être traversé par un mouvement A-barre. Certains constituants sont des îles pour le mouvement, ce qui signifie que l'on ne peut pas extraire un élément de ces constituants.
En (2), le groupe da redek petra a été antéposé à l'intérieur de la complétive et pas plus haut. À l'intérieur de ce groupe prépositionnel adjoint, petra n'a pas bougé à l'initiale.
(2) | N'ouzoun | ket | da | redek | petra | int | eat. | |||||||||||
ne1 sais | pas | [ | à | courir | quoi | ] | sont | all.é | ___ | |||||||||
'Je ne sais pas ce qu'ils sont allés courir.' (sans doute pas le lapin !) | ||||||||||||||||||
Cornouaillais / Léon, Croq (1908:57) |
restriction sur le verbe de la matrice
Les verbes factifs sont connus pour les propriétés d'îles pour le mouvement de leur complément. Les extractions longues sont prototypiquement illustrées par des verbes déclaratifs non-factifs.
(3) | Pese | parti | ar journal | a | lavar | an amezog | e neus | soutenet | _ ? | |||||||||
quel | parti | le journal | R | dit | le voisin | 3SG a | souten.u | <quel parti> | ||||||||||
'Quel parti le journal a révélé que le voisin avait soutenu ?' | ||||||||||||||||||
Léonard (Plougerneau), M-L. B. (05/2018) |
les relations anaphoriques s'opèrent avant le mouvement A-barre
Le mouvement A-barre ne semble pas interprété pour les relations anaphoriques.
reconstruction
Les effets de reconstruction montrent que les éléments focalisés sont interprétés dans leur position de base pour les relations anaphoriques.
pas de liage des anaphores par un quantifieur en position A-barre
Selon la condition A du liage, un pronom réfléchi doit être liée dans son domaine local.
(1) | * | [ | Herself ]1 | portrayed | [ every girl ]. |
* | [ | Elle-même ]1 | représentait | [ chaque fille ]. |
Ce liage peut s'opérer par un quantifieur d'une position A (comme en 1).
(2) | [ | No girl ]2 | saw | the picture of herself2. |
[ | Aucune fille ]2 | n'a vu | la photo d'elle-même2. |
Ce liage ne peut pas s'opérer par un quantifieur d'une position A-barre (comme en 2).
(3) | * | [ | No girl ]3, | a picture of herself3 | portrayed | _ . |
* | [ | Aucune fille ]3, | une photo d'elle-même3 | représentait | _ . |
Horizons comparatifs
En français standard, le mouvement de focalisation n'est présent que dans les questions. Dans le français de Basse-Bretagne, le mouvement systématique de focalisation du breton a été importé, créant des ordres de mots différents d'en français standard:
(4) Un moyen de transport jusque Rio il faut [ que je trouf _ ] .
- 'Il faut que je trouve un moyen de transport jusqu'à Rio.'
- Cornouaillais (bigouden), Stéphan (1986:27)
(5) "Du raccommodache" je peux bien faire _
- Brest, Péron (2001:15)
Bibliographie
horizons comparatifs
- Cinque, Guglielmo 1990. Types of A-bar dependencies. Cambridge MA: MIT Press.
- Branigan, Philip. 1996. 'Verb-second and the A-bar Status of Subjects', Studia Linguistica 50: 50-79.