Différences entre les versions de « Emañ »
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Rezac note qu'en dialecte du Léon, si un [[DP]] antéposé au temps par mouvement déclenche automatiquement la forme ''[[zo]]'' s'il est sujet (63b), c'est la forme ''emañ'' qui apparaît si le [[DP]] antéposé (''Per'') est un objet local (63a) ou résultant d'une extraction longue (63c). | Rezac note qu'en dialecte du Léon, si un [[DP|groupe nominal]] antéposé au [[temps]] par [[mouvement]] déclenche automatiquement la forme ''[[zo]]'' s'il est sujet (63b), c'est la forme ''emañ'' qui apparaît si le [[DP|groupe nominal]] antéposé (''Per'') est un objet local (63a) ou résultant d'une [[extraction longue distance]] (63c). | ||
Version du 17 décembre 2013 à 14:09
La forme verbale emañ est la troisième personne du singulier du verbe bezañ, 'être'.
Cette forme alterne avec les formes zo, eo, ez eus, et vez du même verbe.
Morphologie
un verbe défectif
Le verbe emañ est un verbe défectif, ce qui veut dire que ses paradigmes ne sont pas complets.
temps
La forme emañ a un paradigme au présent (représenté par emañ) et au passé (représenté par edo). En (1), on voit que la forme emañ n'apparait pas au temps futur.
(1) | Ne vin | ket me | mui amañ | é kennig dour deoc'h. | |||
ne serai | pas moi | plus ici | à proposer eau à.vous | ||||
'Moi, je ne serai plus là à vous offrir de l'eau.' | |||||||
Vannetais, Ar Meliner (2009:107) |
La forme futur de emañ n'apparaît dans aucun dialecte du breton. C'est alors toujours la forme futur de eo qui y supplée.
variation dialectale
trégorrois
Ce verbe n'existe en Trégor qu'à la personne trois de l'indicatif présent (Gros 1970:26). Aux autres personnes, et aux autres temps, c'est le paradigme de eo qui le remplace.
cornouaillais
En Cornouaille, Gary German et Mona Bouzeg reportent pour St Ivy et Riec des formes emañ en usage de copule et d'auxiliaire, indépendamment de la présence de la négation.
(1) | Ema ket riboter anaoñ. | vs. | N-e ket riboter anaoñ. | ||||
est pas pistard P.lui | ne est pas pistard P.lui | ||||||
'C'est pas un pistard.' | cornouaillais (St Ivy), cité par Hewitt (1988a) |
- Ema haoñ riboter., 'C'est un pistard.'
- Ema haoñ eun den mad., 'C'est un homme bon.'
- Ema haoñ an hañi brasoñ., C'est le plus grand.'; Cornouaillais (St Ivy), cité par Hewitt (1988a)
L'usage de emañ avec un participe passé, en particulier, est remarquable. On le trouve aussi à Scaër.
(1) | Re gozh | emañ-hi | degouezhet. | |||
trop vieux | est-elle arrivé | |||||
'elle est devenue trop vieille.' | ||||||
Scaër, Cheveau & Kersulec (2012-évolutif:Scaër,'amzer') |
(2) | Ema debet koan. | vs. | Debet e koan. | ||||
est mangé souper | mangé est souper | ||||||
'Le dîner est fini.' | cornouaillais (St Ivy), cité par Hewitt (1988a) |
(2) | Pelec'h emaoc'h bet? | |||||||
où êtes allé | ||||||||
'Où êtes-vous allé?' | Haut-cornouaillais (Riec), Bouzeg (1986:35) |
(3) | 'Ma ket | degouezhet. | ||||||
est pas | arrivé | |||||||
'Il n'est pas arrivé' | Haut-cornouaillais (Riec), Bouzeg (1986:35) |
Le sujet de emañ peut alors être séparé de son verbe par le participe passé.
(3) | Ema aet an dud kuit. | vs. | Aet e an dud kuit. | ||||
est allé le gens parti | Allé est le gens parti | ||||||
'Les gens sont partis.' | |||||||
Cornouaillais (St Ivy), cité par Hewitt (1988a) |
(4) | Ema deuet Yann d'ar gêr. | vs. | Deuet eo Yann d'ar gêr. | ||||
est venu Yann à le maison | venu est Yann à le maison | ||||||
'Yann est venu à la maison.' | |||||||
Haut-cornouaillais (Lanvénégen), Evenou (1987:626-38), cité par Hewitt (1988a) |
Hewitt (1988a) note que dans plusieurs cas, tout du moins à St-Yvi, l'alternance avec emañ n'est pas possible. Ce qui permet ou pas l'alternance n'est pas clair.
- Aesoc'h e din.
- Kouet e 'zailh ba'n puz.
- Benn fin 'n dro e maro haoñ.
vannetais
Hewitt (1988a) note que l'ALBB montre que dans l'extrême vannetais, les formes emañ de la copule (mais pas de tournures périphrastiques) apparaissent:
(1) | Brâs ê an ti | vs. | Neuse ema brâs an ti. | |||||
grand COP le maison | alors est grand le maison | |||||||
'La maison est grande (alors).' | vannetais, Hewitt (1988a) |
En vannetais toujours, les formes emañ de location sont incompatibles avec la négation (Hewitt 1988a). Lorsque la négation est présente, c'est la forme eo qui apparaît.
(2) | Ema ar bara àr an daol. | vs | N-ê ket ar bara àr an daol. | ||||
est le pain sur le table | ne est pas le pain sur le table | ||||||
'Le pain (n') est (pas) sur la table.' | |||||||
vannetais, Hewitt (1988a) |
La forme edo au passé n'apparaît pas non plus dans Le Bayon (1878) (mais on peut noter un ordre à verbe tensé en initiale de phrase qui rappelle emañ).
(1) | É oen | é choñjal | get-n-eign | me | unañ. | |
R étais.1SG | à4 penser | avec.moi | mon | un | ||
'Je songeais en moi-même.' | vannetais, Le Bayon (1878) |
vallée du Scorff
(2) | Emaont | doc'h | en em | lipaat. | ||
sont | à | se | lécher | |||
'Ils sont en train de se bécoter.' | Le Scorff, Ar Borgn (2011:56) |
Sémantique
La forme emañ a des sémantiques diverses.
verbe de situation
Prototypiquement, la sélection de la forme emañ au détriment de la forme eo est causée par la présence d'une dimension sémantique de location dans le temps ou dans l'espace.
On a ainsi emañ dans une tournure progressive en (1), ou dans une tournure prospective comme en (2).
(1) | Emaint | o | tont d’ar gêr. | |
sont | à | venir à'le foyer | ||
'Ils sont en train de rentrer.' |
(2) | Emaint | dindan | donet d’ar gêr. | ||||
sont | sous | venir à'le foyer | |||||
'Ils sont sur le point de rentrer.' | Vannetais, Herrieu (1994:283) |
Selon Hewitt (1988), l'utilisation de la forme emañ a pour effet de borner le cadre spacio-temporel.
Hewitt (1988a): Quand on veut limiter le cadre spacio-temporel, un prédicat attributif peut devenir situatif avec un changement structurel concomitant, ewn ê, ewn emañ; klañv ê, klañv emañ; tèir blac'h int, tèir blac'h emaint."
La généralisation qui propose qu'à chaque fois qu'on a sémantiquement un prédicat situatif, c'est le verbe emañ qui est utilisé semble solide, avec une seule exception régulièrement massive: lorsque le sujet est antéposé, il déclenche la forme (R) zo de la copule.
à ne pas confondre
En (3), on pourrait être troublé par l'hypothèse que eo aurait remplacé emañ dans un sens situatif, en obtenant le sens: 'Les lunettes de Cupidon ne se trouvent pas sur mon nez.' Cependant, il s'agit uniquement ici d'une ellipse de a zo, et la copule eo y a bien un sens contrastif: 'C'est pas les lunettes de Cupidon qui se trouvent sur mon nez!'.
(3) | Gwir eo | nend eo ket | lunedoù Cupidon | àr ma fri... | |||
vrai est | ne est pas | lunettes Cupidon | (qui est) | sur mon nez | |||
'C'est vrai que je n'ai pas les lunettes de Cupidon sur le nez.' | Vannetais, Herrieu (1994:225) | ||||||
(Je suis plus lucide qu'un amoureux) |
copule
La forme emañ n'est cependant pas restreinte à la sémantique de situation: elle peut être utilisée comme copule simple.
(2) | [ aɥɛdaɲ | ima ] | |||||
Evidin | ema. | ||||||
pour.moi | est | Vannetais (Kistinid), Nicolas (2005:34) | |||||
'C'est pour moi.' |
La forme emañ semble pouvoir être utilisée optionnellement de façon équivalente à la forme zo de la copule.
(2) | ... da lennerion | a zo ar brezhoneg | o | lavar pemdeziek, | èl m'ema | hon hani-ni. | |
à lecteurs | R y.a le breton | leur | langue quotidienne | comme que est | notre celui-nous | ||
'... aux lecteurs dont la langue quotidienne est le breton comme c'est le cas chez nous.' | |||||||
Vannetais, ar Meliner (2009:11) |
La forme emañ semble aussi pouvoir être utilisée optionnellement de façon équivalente à la forme eo de la copule.
(3) | / pehed e / | / ma ma:T / | |||||||||
Pec'hed eo. | Ema mat. | ||||||||||
péché est proi | Est bien/bon proi | ||||||||||
'C'est (un) péché.', 'C'est bien/bon' | Haute-Cornouaille (Lanvenegen), | Evenou (1987:571) |
(4) | Etre | veui | ha | neui ema. | |||||
entre | noyer | et | nager est | ||||||
litt. 'Il est entre noyer et nager.' > 'Il est entre la vie et la mort.' | |||||||||
Le Berre & Le Dû (1999:80) |
- En amzer gos gueac'hal éguis ma eman ar guis da lavarèt...,
- 'Dans le vieux temps d'autrefois, comme on dit...', Leon [Lesneven], Burel (2012:34)
La forme emañ peut enfin aussi être utilisée comme copule existentielle, lorsqu'elle ne sélectionne qu'un seul argument.
(2) | An den | a zo hirio; | warc'hoazh | n'ema | mui! | ||||
le humain | R y.a aujourd'hui | demain | ne y.a | plus | |||||
'L'homme existe aujourd'hui, demain il ne sera plus!' | |||||||||
BSA. (1877:165), cité dans Le Gléau (1973:41) |
Distribution
pas de sujet antéposé
Lorsque le sujet de la phrase apparaît devant l'élément tensé, la forme emañ n'est plus licite, et c'est la forme zo qui apparaît.
N'importe quel syntagme nominal antéposé ne produit pas cet effet.
La forme emañ de la copule apparaît en effet dans les constructions du faux sujet (Rezac 2008:26).
Rezac note qu'en dialecte du Léon, si un groupe nominal antéposé au temps par mouvement déclenche automatiquement la forme zo s'il est sujet (63b), c'est la forme emañ qui apparaît si le groupe nominal antéposé (Per) est un objet local (63a) ou résultant d'une extraction longue distance (63c).
Rezac (2008:26): Les DPs préverbaux autres que le sujet sont différenciés par la copule selon qu'ils lient une lacune ou un résomptif, et la clef de leur différence n'est pas dans la particule, qui les neutralize. (63)a. Per EMAÑ / *A ZO Mona o klask __ er c'hoad. Per is R is Mona PRG seek in.the wood 'Mona is looking for Per in the woods.' (Hendrick 1988: 105-6 note 2) (63)b. Per A ZO o klask Mona er c'hoad. Per R is PRG seek Mona in.the wood 'Per is looking for Mona in the woods.' (Hendrick 1988: 105-6 note 2) (63)c. Petra EMA en e zoñj [ober __]? what is in his thought do.INF 'What is he thinking of doing?' (Fave 1998:141 [Leon])
place du sujet postposé
Hewitt (1988) note que la forme emañ de situation a ceci de particulier que son sujet la suit directement (voir à ce propos l'article sur les ordres verbe-sujet).
Hewitt (1988a): "La structure double D ne peut pas être considérée comme auxiliaire d'un point de vue syntaxique puisque le sujet vient ordinairement rompre le constituant putatif auxiliaire- auxilié. Il vaut mieux alors parler d'une structure double avec un verbe syntaxique plein, suivi de son sujet et un prédicat lexical indépendant: Emañ an dud o labourat / e-kreis ar park/ du-hont.
Bibliographie
- Fave, V. 1988. 'Ar verb beza', Brud Nevez 111 : 18-31. (& 166 :63-69).
- Fave, V. 1963. 'Le verbe beza'. Annales de Bretagne 70bis, 484-496.
- Glandour, M. 1981. 'Furmioù ar verb bezañ', Al Liamm 207:254-68.
- Hewitt, Steve, 1988b. 'Being in Breton: the auxiliary of beza/bout', Poitiers: Cerlico.
- Hewitt, Steve, 1988a. 'Ur framm ewid diskriva syntax ar verb brezoneg / Un cadre pour la description de la syntaxe verbale du breton', La Bretagne Linguistique, 4:203-11.
- Kervella, F. 1970. 'Ur gudenn gasaus : implij A ZO hag EZ EUS, A ZO hag EO, EO hag EUS', Hor Yezh 63 :53-60.
- Merser (ar), A. 1993. 'EO-ZO', Brud Nevez 170 :57-59.
- Plourin, J.Y. 1998. 'Allomorphes du verbe être au présent de l'indicatif en breton : conflits de topicalisation', La Bretagne Linguistique 11:xx.
- Urien, J.-Y. 2005. 'Cohabitation et conflit syntaxique autour du verbe « être » en breton', La syntaxe au cœur de la grammaire, (éds. Frédéric Lambert & Henning Nølke), 323-330, PUR.
- Urien, J.Y. 1989. 'Le syntagme existentiel en breton. Définition syntaxique et sémantique {X + zo / n’eus ket + X, « Il y a X / il n’y a pas X »}', La Bretagne Linguistique 5: 179-195.
- Urien, J.Y. 1989. 'Le verbe bezañ et la relation médiate', Roazhon 2 : Klask 1 :101-128.