Kaezh

De Arbres
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L'adjectif kaezh 'cher, chère, pauvre petit' est évaluatif ou hypocoristique. C'est un des rares adjectifs qui peut se placer devant le nom qu'il modifie.


(1) Matriona gaezh a yae war goshaat ivez hec'h unanik.
Matriona 1chère R allait sur1 vieill.issant aussi son+C un.DIM
'Matriona vieillissait aussi seule.'
Standard, ar Barzhig (1976:50)


Morphologie

mutation

L'adjectif prénominal kaezh peut muter. Il n'est pas lui-même un obstacle à la mutation du nom après un article.


(2) er gaih varteloded
le cher1 matelots
'Les pauvres chers matelots.'
Vannetais, Le Bayon (1878:9,fn1)


nombre

Kaezh est le seul adjectif du breton moderne qui connaisse encore une alternance morphologique liée au nombre: kaezh vs. keizh (Kervella 1995:§512, Nurmio 2017b).


(2) tud keizh
gens cher/pauvre
'pauvres gens' (+ affectif)
Standard, Kervella (1995:§512)


-kaezh

Kaezh apparaît aussi en suffixe hypocoristique dans l'adjectif paour-kaezh.


(3) ar paour-kêz den-se, ar paour kêz koz, ar paour kêz kêz.
le pauvre-cher personne- le pauvre-cher vieux le pauvre cher cher
'ce pauvre malheureux', 'le pauvre vieux', 'le pauvre homme'
Trégorrois, Gros (1989:'Kêz')

nominalisation

(4) ar paour kêz kêz.
le pauvre cher cher
'le pauvre homme'
Trégorrois, Gros (1989:'Kêz')


(5) Feiz ! N'eo ket bet hir he buhez ive, ' gêz !
foi ! ne1 est pas été long son2 vie aussi 1cher
'Ma foi, sa vie n'a pas été longue, la pauvre !'
Trégorrois, Gros (1989:'Kêz')


Syntaxe

adjectif prénominal

Le placement prénominal de l'adjectif kaezh est possible dans tous les dialectes, mais pas obligatoire (1). La lecture évaluative est présente lorsque l'adjectif est devant le nom.


(1) bugalé gaih / kaih voès er gaih vam
enfant.s 1cher cher 1femme le 1cher 1mère
'chers enfants' / 'pauvre femme, la pauvre mère'
Vannetais, Le Bayon 1878:11)


Diachronie

proto-indoeuropéen 'captif'

Loth (1890c:5) propose pour Mœnicaptus, nom d'un roi gaulois tué en 214 avant Jésus-Christ, dans une bataille contre les Romains (Tite-Live, XXIV, 42), la traduction 'esclave du dieu Mœnos'. Le second terme captus serait devenu dans les Iles-Britanniques *cactos, d'où l'irlandais cacht 'esclave', le gallois caeth (moyen breton caez, breton contemporain de Loth kez, et léonard keaz, vannetais kèh). Loth renvoie à D'Arbois de Jubainville (1881:83-).

Matasovic (2009) propose une racine protoindo-européenne en *kHp-to-, 'captif', et une racine proto-celtique en *kaxto 'prisonnier, esclave', ayant donné le moyen irlandais cacht [ā f] 'servante', cacht [o m] esclave, le moyen gallois caeth [m&f] 'lien, captif, captivité', le moyen breton quaez, le vieux cornique cait.

La dérivation est compliquée par de multiples emprunts, par exemple le latin captāre donnant le vieil irlandais cachtaid 'attraper', ou dans le sens d'emprunt inverse, la forme latine captīuus donnant au contact du gaulois *kaxtos la forme de latin vulgaire *cactīuus, qui a donné ensuite le français chétif.

Voir aussi Favereau (2016-) pour des exemples en moyen gallois et moyen breton signifiant 'captif'.


singularité de l'alternance de nombre fin XVI°, début XVII°

En vieux breton, les adjectifs avaient un pluriel morphologique en -ion (Trépos 2001:§227) mais cette marque plurielle sur les adjectifs avait déjà disparu au stade du moyen breton. Hemon (1956:xlii) signalait déjà la singularité de l'adjectif queh dans les Noueloù Gwened fin XVI°, début XVII° (l. 1964 e vamm queh 'sa pauvre mère', vs. l. 1516 en Inossanted caih 'les pauvres Innocents').