Différences entre les versions de « Sujet prénégation »
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Les sujets | Les sujets recevant une lecture de focus apparaissent obligatoirement devant la négation. On trouve cependant aussi des sujets prénégation qui ne sont pas focalisés. | ||
Version du 27 février 2017 à 12:59
En breton standard, et dans la plupart des dialectes, le verbe montre un accord riche avec un sujet placé devant la négation, ce qui va, à première vue, contre l'effet de complémentarité du système d'accord breton.
(1) | ... | SUJET | ne | verbe.accord du sujet | ||
mes neuze | an dud | ne | c'hellent | ket kanañ ken | ||
mais alors | le gens | ne | pouvaient.3PL | pas chanter plus | ||
'Mais alors les gens ne pouvaient plus chanter.' | ||||||
Standard, Interview Brigitte Kloareg, par Ronan Hirrien |
Cette exception au système d'accord de la langue est largement documentée, et de longue date De Rostrenen (1738:178), Vallée (1926:39ff), Hardie (1948:162f), Kervella (1947:168), Le Roux (1957:Ch.II), Denez (1972:112), Hemon (1975a:273f, 1975b:63), Urien & Denez (1979/1980), Stump (1984, 1989), Schafer (1995), Schapansky (1996), Jouitteau (2005/2010), Jouitteau et Rezac (2006), Hewitt (2010b)...
Syntaxe
accord avec un sujet prénégation
Le sujet devant la négation, groupe nominal ou pronom, déclenche l'accord riche sur le verbe, ce qui est une exception dans le système d'accord.
(2) | [ Ɉi | nø laburaɲ tʃǝt | / | nø laburaɲ tʃǝt | anehɛ ] | ||||
gi | ne labourint ket | ne labourint ket | anezhe | ||||||
eux | ne travaillent pas | ne travaillent pas | P.eux | ||||||
‘Eux, ils ne travaillent pas.’ | Bas-vannetais, Nicolas (2005:33) |
Le paradigme ne change pas lorsque la négation est sémantiquement invisible comme en (3):
(3) | Ar chas-ze | ne reont | nemet | harzal pe yudal! | ||
le chiens-là | ne font | seulement | aboyer ou hurler | |||
'Ces chiens-là ne font qu'aboyer ou hurler.' | ||||||
Le Bozec (1933:48) |
analyse théorique
remise en cause du statut de sujet
Dans son abrégé grammatical du breton de Plougrescant, Le Dû (2012:104) propose de considérer que le sujet devant une négation n'est en fait pas le sujet de la phrase, mais une apposition. Le sujet réel de la phrase est alors le pronom déclenchant l'accord riche sur le verbe.
Cette hypothèse n'est possible que dans une définition de l'apposition qui ne requerrait pas l'adjacence des termes. En effet, les deux formes co-référentes au sujet de la phrase ne sont jamais juxtaposées dans une phrase négative.
'that-trace effect'
Jouitteau (2005:411) propose de dériver ces faits par l'hypothèse que la partie préverbale ne de la négation est un complémenteur, une tête C déclenchant une résomptivité obligatoire lorsqu'un sujet le dépasse ("That-trace effect").
Un sujet dépassant une tête de négation déclenche donc un double pronominal qui lui, déclenche l'accord riche en s'incorporant.
variation dialectale de l'accord
Il existe des variétés de breton dans lesquelles un sujet prénégation ne force pas l'accord. Les limites dialectales géographiques entre ces deux variétés ne sont pas actuellement systématiquement documentées, mais on trouve des exemples dans tous les dialectes de Bretagne sud.
Stump (1984:293, n.2) note qu'il en existe des traces dans la grammaire du cornouaillais Trépos. Dans un corpus oral de Douarnenez, Denez (1984), on trouve (2), un exemple irrégulier où l'accord se comporte comme en phrases positives.
(2) | Ha merc'hed Treboull | noe | ket tre | ar memes taol dorn | da lakaat o c'hoef. |
et femmes Tréboul | avait | pas tt.à.fait | le même coup main | pour mettre leur2 coiffe | |
'Et les filles de Tréboul n'avaient pas la même façon de mettre leur coiffe'. | |||||
Douarnenez, Melle Griffon, Denez (1984:73) |
Cet exemple est d'autant plus frappant qu'il s'agit du verbe kaout, 'avoir', qui est bloqué à l'accord riche en standard. Ce n'est pas le cas en Douarneniste, comme confirmé en (3) d'une source différente.
(3) | Nann, ar re-se | pa nie | diskarget o sardin (en hañv) | a yeent | gant o bag | da vouilhiñ (...) | |
non le ceux-ci | quand avait.3SG | déchargé leur2 sardine (en été) | R allaient | avec leur2 bateau | pour1 mouiller | ||
'Non ceux-là, quand ils avaient déchargé leurs sardines, en été, allaient au mouillage (...)' | |||||||
Douarnenez, G. Nouy, cité par Gwendal Denez dans pêcheurs de Douarnenez | |||||||
cité dans mémoire de la ville n°3 p.23. |
L'exemple ci-dessous est extrait d'un entretien avec Mona Bouzeg (Riec). Il montre que le sujet prénégation peut se comporter de façon irrégulière jusqu'en Haute-Cornouaille.
(4) | Ma zud-kozh | ne | ouie | poz galleg | ebet. |
mon2 parents-vieux | ne | savait | parole français | aucun | |
'Mes grand-parents ne parlaient pas un mot de français.' | |||||
Riec, Mona Bouzeg |
Finalement, on trouve aussi des exemples irréguliers en Vannetais, où Cheveau parle de "variation libre".
Cheveau (2007:214): "en Breton Lorientais nous avons observé de nombreux cas où même à la forme négative, le verbe ne s’accordait pas avec son sujet, surtout à la 3e pers. du pl. La forme accordée et non accordée semblent être en variation libre dans le cas des phrases négatives avec sujet antéposé. çɛ ʁɛ cǝ nitʁa, 'elles ne faisaient rien' (Qv2) tun dyd alɛ cǝ kaud oʁ velo wah, 'tout le monde ne pou[v]ait pas encore avoir un vélo (Qv1) çɛ go:ʒa cǝ tʁenhɛ, 'ils ne se parlent pas' (Gu2) tun dyd ʁɛ cǝt, 'tout le monde ne le faisait pas' (Gu2) ǝʁ viɟa:lǝ zɛ:bɛ cǝt, 'les enfants n’en mangeaient pas' (Cd2) o tyd wɛ cǝ peiz˜ɑ nɛhɛ ?, 'vos parents n’étaient pas des paysans ?' (Pm1)
Selon Ternes (1970:284), la négation a un impact sur l'accord à Groix uniquement avec les sujets pronominaux.
Ternes (1970:284): "Quand le sujet de la proposition est exprimé par un nom, le verbe négatif se met à la 3SG, que le sujet soit un nom au singulier ou au pluriel."
Ternes (1970:284) précise que "la détermination de la personne est obligatoire quand le sujet n'est pas exprimé par un nom". Cependant, il n'explique pas sur quelles données repose ce constat, or les pronoms de troisième personne provoquent tous à Groix la même morphologie verbale.
(4) | /jãwe:ručet / | /xawe:ručet / | ||||
il saura pas | elles saura pas | |||||
'Il ne saura pas', 'Elles/ils ne sauront pas.' | Groix, Ternes (1970:285) |
Plus au sud, à Guérande, l'ALBB relevait:
- carte 206, pour la traduction de 'Je ne peux pas (courir)'; Mé gèl kèt (standard Me c'hell ket).
- carte 235, pour la traduction de 'Je ne sais pas'; Me wèr kèit (standard Me oar ket).
- carte 242, pour la traduction de 'Je ne savais pas (cela)'; Me werè kèit (standard Me ouie ket).
diachronie
On trouve des exemples de non-accord d'un sujet prénégation dès le début du XX°. Le Gléau (1973:48) remarque ce fait d'accord anormal et note "Cette simplification semble pour le moment abusive".
(4) | Al loened gouez | ne reas | droug erbet | dezhañ. | |||||||
le animaux sauvage | ne fit | mal aucun | à.lui | ||||||||
'Les animaux sauvages ne lui firent aucun mal.' | HISA. (1900:72), cité dans Le Gléau (1973:48) |
Structure informationnelle
Les sujets recevant une lecture de focus apparaissent obligatoirement devant la négation. On trouve cependant aussi des sujets prénégation qui ne sont pas focalisés.
focus postverbal
Le sujet ne reçoit pas le focus de phrase lorsque celui-ci est marqué de manière postverbale, comme en (1) où il est sur ker sot an eil gant egile.
(1) | An dud | ne oant ket | ker sot | an eil gant egile. | |||
le1 gens | ne étaient pas | tant sot | le second avec autre | ||||
'Les gens n'étaient pas aussi sots les uns avec les autres.' | |||||||
Léon (Plougerneau), Elégoët (1982:11) |
On remarque le même type de focus postverbal avec une focalisation en nemet chez Seite.
Seite (1985:30): "A-wechou, pa veze kuzet mad an neiziou ha pa ne zeuem ket a-benn d'o havoud, or-beze an eston da weled eun deiz, eun torrad yér-bihan o tifoupa ha ne ouiem ket euz a beleh, gand ar yar goz ouz o heul. Med an dra-ze ne hoarveze nemed ral a wech."
information nouvelle sur toute la phrase
Ci-dessous, le sujet prénégation va zud introduit de l'information nouvelle, comme le fait tout le reste de la phrase, induisant un focus sur tout l'ensemble, sans emphase particulière sur le sujet.
Seite (1985:22) "Evel-se e tremene or buhez merket gand goueliou braz an Iliz : Nedeleg, Pask, ar Pantekost, Goueliou ar Zakramant, gouel an Oll-Zent... Va zud ne oant ket pinvidig."
Kennard (2013:96) relève chez un locuteur traditionnel, des jeunes adultes et des jeunes scolarisés dans un système immersif autour de Quimper un fort pourcentage de phrases négatives avec un sujet à l'initiale. Le matériel d'élicitation utilisé, à partir de cartes-mots et d'images à commenter, pourrait induire un plus grand nombre de sujets initiaux qu'en corpus spontané, mais le protocole écarte efficacement les sujets focalisés à l'initiale. Une influence du français dans ces tâches d'élicitation serait aussi possible, mais à relativiser car l'effet exclut nettement le verbe bezañ 'être', qui montre toujours des sujets postverbaux. On ne voit pas bien comment le français pourrait influencer massivement les verbes lexicaux sans impacter le verbe 'être'.
information donnée, ou partiellement donnée
Le sujet peut aussi être partiellement introduit dans le discours, par association partie/tout.
Seite (1985:23) "Pa glevem eun oto o tond, ni a skampe beteg ar hleuz, a gabale da bignad warnañ da weled ar harr-dre-dan o tond. Daou blas a veze ennañ peurvuia, digor d'ar pevar-avel. Ar rojou ne grevent morse, rag kaoutchou toud e oant."
Bibliographie
- Hardie, D. W.F. 1948. A Handbook of Modern Breton (Armorican), University of Wales Press, [Bangor / Caerdydd: Gwasg Prifysgol Cymru].
- Hemon, R. 1975a [1984]. A Historical Morphology and Syntax of Breton, Dublin Institute for Advanced Studies.
- compte rendu par Kenneth Jackson 1977. Zeitschrift für Celtische Philologie 36, 275-276.
- Hemon, R. 1975b. [1995] Breton Grammar. Traduit, adapté et revu par Michael Everson. Dublin: Everson Gunn Teoranta. e-book scribd.
- Jouitteau, M. 2005/2010. La syntaxe comparée du Breton, , éditions universitaires européennes, ISBN 978-613-1-52800-2. manuscrit en pdf ici ou ici
- Jouitteau, M. & Rezac, M. 2006. 'Deriving Complementarity Effects', R. Borsley, I. Roberts, L. Sadler & D. Willis (éds.), Lingua 116, special issue on Celtic Languages, 1915-1945., lingBuzz/000066 pdf.
- Kervella, F. 1995 [1947],Yezhadur bras ar brezhoneg, 1947 edition Skridoù Breizh, La Baule ; 1995 edition Al Liamm.
- Le Roux, P. 1957. Le Verbe breton (Morphologie, syntaxe), Rennes, Librairie Plihon / Paris, Librairie Champion.
- Urien, J.Y. & Denez, Per, 1977/78-1979/80. 'Essai d’analyse sémiologique du mot verbal et du syntagme verbal en breton contemporain', Studia Celtica, 12-13:259-90; 14-15:290-312.
- Vallée, F. 1926. La langue bretonne en 40 leçons [7° éd.], Librairie Prud'homme, Saint-Brieuc.
- Schafer, R. 1995, ‘Negation and Verb Second in Breton.’, Natural Language and Linguistic Theory 13, 135-172.
- Schapansky, N. 1996. Negation, Referentiality and Boundedness in Breton, a case study in markedness and asymmetry, ms thesis.
- Stump, G. T. 1989. 'Further remarks on Breton agreement: A reply to Borsley and Stephens', Natural Language and Linguistic Theory, 7:429-471.
- Stump, G. T. 1984. 'Agreement vs. incorporation in Breton', Natural Language and Linguistic Theory, 2:289-348.