Le temps

De Arbres
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Les informations temporelles sont le résultat du calcul de trois temps distincts fondamentaux (Reichenbach 1947):

  • le temps du prédicat, ou le temps de l'évènement
  • le temps de la proposition, ou le temps de référence
  • le temps de l'énonciation, ou le temps du discours


Par exemple, dans Demain j'aurai passé la frontière, le temps de l'énonciation, où le locuteur parle, se situe une journée avant le temps de la proposition, et l'action de passer la frontière, le temps du prédicat, a une borne de fin qui se situe entre les deux.

  • ---> je parle ---> je passe la frontière ---> lendemain de quand je parle


A travers les langues, les relations entre ces trois temps fondamentaux sont calculées à partir de différent matériel grammatical. En breton, les relations entre les trois temps sont calculées:

à partir du temps morphologique
à partir des informations portées par les adverbes temporels
à partir de l'information aspectuelle des prédicats ou des prépositions qui les sélectionnent


Morphologie temporelle

Les différentes morphologies temporelles se combinent suivant les règles de concordance des temps.

les paradigmes morphologiques

Les paradigmes verbaux aux différents modes portent chacun des informations aspectuelles, mais aussi des informations temporelles.


  • le passé
le passé proche
le passé composé
le passé surcomposé
l'imparfait
le plus-que-parfait
le passé simple
le passé antérieur
le conditionnel passé
le présent générique
le conditionnel présent
le futur proche
le futur antérieur


le calcul du temps sans morphologie verbale sur les verbes

Le temps peut aussi être interprété sans qu'il y ait de marquage morphologique spécifique de ce temps, c'est le cas du temps anaphorique dans les infinitives narratives.


le temps sur les noms

Le marquage du temps sur les noms est restreint (ma gwaz bet 'mon ex-mari').

Il y a une variation dialectale dans la disponibilité de ces structures. À Plougerneau, M-L. B. (05/2018), pour la traduction de 'mon futur mari', donne agrammatical * va gwaz da zont, * va gwaz da vezañ, et utilise va gwaz em beche, littéralement 'mon mari que j'aurai'.


adverbes marqués pour le temps

Certains adverbes sont marqués morphologiquement pour le temps (Hingant 1868:§116).

L'équivalent du français 'jamais' a trois formes spécifiques, chacune attachée à un temps particulier: biskoazh au passé, nepred au présent, biken au futur.

À noter qu'il existe aussi en concurrence des traductions de 'jamais' qui ne sont pas marquées pour un temps spécifique, comme james, morse ou gwech ebet.


Syntaxe

Dans la structure syntaxique, la projection temporelle est appelée TP pour l'anglais Tense Projection. Sa tête est T. D'autres notations utilisent IP pour Inflection Projection, dont la tête est I).

Les informations aspectuelles apparaissent typiquement plus bas dans la structure, juste au-dessus ou dans le groupe verbal.


Sémantique

On peut distinguer, pour chaque proposition, trois temps principaux. Il s'agit du:

  • temps du prédicat
  • temps de la proposition
  • temps de l'énonciation


Ces trois temps ne coïncident pas toujours. La proposition en (1) est au futur antérieur. Le temps de l'énonciation est le temps où le locuteur ou la locutrice prononce la phrase. La morphologie futur de la copule vo ordonne le temps de la proposition matrice comme postérieur au temps de l'énonciation. Le participe passé chomet ordonne le temps de son prédicat comme antérieur au temps de la proposition.


(1) Chomet e vo ma zad da evañ ur banne gant an amezeg.
rest.é R sera mon2 père pour1 boire un verre avec le voisin
'Mon père sera resté boire un verre avec le voisin.'
Standard, Heinecke (2001:82)


On peut représenter ce calcul sur une ligne temporelle comme en (2).


(2) représentation schématique: ----- T énonciation ----- T prédicat chom ----- T proposition


Il existe une lecture alternative de la phrase ci-dessus, qui est celle d'une hypothèse émise. Dans cette lecture, le temps morphologique futur de la proposition est compris comme présent hypothétique. Le calcul est le même que précédemment, sauf que le temps de l'énonciation et le temps de la proposition sont coïncidents.


(3) représentation schématique: ----- T prédicat chom ----- T proposition & énonciation


aspect

L'aspect d'un verbe ou d'une construction est ce qui régit la relation entre le temps de la proposition et les bornes de début et de fin du procès.

L'aspect est donc indépendant du temps de l'énonciation.

Horizons comparatifs

langues celtiques

Le breton a un système de morphologie temporelle plus riche que le gallois, qui par exemple n'a pas de temps composés. Le système gallois est lui plus riche en prépositions exprimant des nuances aspectuelles et temporelles (Heinecke 2001:79).


les langues, le temps et l'espace

Dans toutes les langues du monde, le matériel linguistique dénotant des notions spatiales est utilisé comme matériel produisant des notions temporelles. Le système tensé semble partout emprunter du système spatial. En breton comme en français ou en anglais, lorsque le temps est spatialisé, le futur apparaît devant le locuteur, et le passé derrière lui. Cette orientation particlière n'est pas du tout universelle, et les langues du monde montrent des systèmes très différents. En Aymara, une langue andine d'Amérique du Sud, la représentation spacio-temporelle place le futur derrière le locuteur et le passé en face de ses yeux (Núñez & Sweetser 2006). En chinois mandarin, spatialisé autrement comme le breton, s'ajoute aussi un une directionalité verticale avec le futur en dessous (Scott 1989), similaire au sens de lecture. En maya yucatèque, il ne semble pas y avoir de ligne temporelle métaphorique (Le Guen & Balam 2012). Un autre ensemble de langues, dont des langues aborigènes australiennes comme le Kuuk Thaayorre, arrange le temps d'Est en Ouest, un système où le corps du locuteur n'est pas un point de référence: où que se trouve le locuteur, le temps est représenté comme allant d'Est en Ouest, avec le soleil levant comme location du passé, et le soleil couchant comme location du futur (Boroditsky & Gaby 2010).


Terminologie

Le terme breton correspondant au temps est amzer (Press 1986:226).

En anglais, la notion cognitive du temps time est distinguée du matériel linguistique le dénotant tense.

Bibliographie

sur le breton

  • Bottineau, D. 2010. 'Les temps du verbe breton : temps, aspect, modalité, interlocution, cognition, Des faits empiriques aux orientations théoriques', Catherine Douay (dir.), Système et chronologie, Presses Universitaires de Rennes, 110-129.
  • Bottineau, D. 200X. 'Les temps du verbe breton: temps, aspect, modalité, interlocution, cognition - des faits empiriques aux orientations théoriques', xxx.
  • Demirdache, Hamida & Myriam Uribe-Etxebarria. 2007. 'The syntax of time arguments', Lingua 117:2, 330-366.
  • Fave, V. 1988. 'Mareoù an amzer', Brud Nevez 117 :55-56.
  • Kervella, Frañsez. 1971-2. 'An amzeriañ', Hor Yezh 67: 5-16.
  • Le Dû, Jean. 1990. 'The semantics of the simple tenses of the verb at Plougrescant', Ann T.E. Matonis & Daniel F. Melia (eds), Celtic Language, Celtic Culture, Ford and Baile, Van Nuys, California.
  • Léon, Katell, 2001. Le Temps et l'Aspect en Breton, mémoire de maitrise, Université de Nantes.
  • Poppe, Erich 1996. 'Convergence and Divergence: The Emergence of a Future in the British Languages', Transactions of the Philological Society 94:2, 119-160. Oxford: Blackwell pp. 119-160.
  • Trevidig, TG( ?). 1975. 'Diwar sterva hag arver an adverb-amzeriañ pelloc'h', Hor Yezh 105 :1-30. (Hor Yezh 113-114 :97-101).


horizons comparatifs et théoriques

  • Boroditsky, L., & Gaby, A. 2010. 'Remembrances of Times East: Absolute Spatial Representations of Time in an Australian Aboriginal Community', Psychological Science, 21 (11), 1635–1639.
  • Demirdache Hamida, Uribe-Etxebarria M. 2005. 'Aspect and Temporal Modification', Kempchinsky P., Slabakova R. (éds.), Aspectual Inquiries, Studies in Natural Language and Linguistic Theory 62. Springer, Dordrecht.
  • Le Guen, Olivier & Pool Balam L.I. 2012. 'No metaphorical timeline in gesture and cognition among Yucatec Mayas', Frontiers in cultural Psychology 3, 271.
  • Núñez, R., & Sweetser, E. 2006. 'With the future behind them: Convergent evidence from Aymara language and gesture in the crosslinguistic comparison of spatial construals of time', Cognitive Science: A Multidisciplinary Journal, 30 (3), 401–450.
  • Pianesi, Fabio. 2005. 'Temporal Reference', Martin Everaert And Henk Van Riemsdijk (éds.), The Blackwell companion to Syntax, Blackwell Publishing, vol V, chap.72.
  • Reichenbach, H. 1947. Elements of symbolic logic, Macmillan Co., New York.
  • Scott, A. 1989. 'The vertical dimension and time in Mandarin', Australian Journal of Linguistics, 9, 295–314.