Syllabe

De Arbres
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La syllabe est constituée d'une attaque, d'un noyau vocalique et d'une coda. Par exemple le nom pal 'but' est réalisé par une syllabe qui est constituée d'une consonne d'attaque /p/, d'une voyelle /a/ et d'une consonne liquide /l/ en coda.

L'attaque peut être constituée d'une consonne ou d'une suite de consonnes, le noyau est toujours constitué d'une ou de voyelles, et la coda est constituée de l'ensemble des consonnes finales de la syllabe.

Pour un exposé théorique plus approfondi, et un bref historique des approches de la syllabe, se reporter à Ridouane & al. (2011).


Définitions

évidence facile pour la structure

Les francophones qui ne parlent pas breton ont tendance à changer les finales de mots bretons comprenant une voyelle nasale suivie d'une consonne /n/, comme dans les noms Diwan ou amann 'beurre'. On ne compte plus le nombre de */kuŋamanœ/[!] vendus en été. Pourtant, les francophones savent très bien prononcer cette suite de sons /ãn/ dans en été, en avance, en effet ou panarabique.

Ce mystère s'explique facilement si on considère que les sons sont ordonnés dans une structure, la structure de la syllabe. Savoir produire des sons les uns après les autres ne suffit pas, ces sons ont une place dans une structure. L'association de sons et de places pour ces sons dans une structure est une caractéristiques des langues humaines, et les paramètres de ces associations sont caractéristiques de chaque langue. Aucune syllabe du français ne finit en /ãn/, ni d'ailleurs avec /n/ après une voyelle nasale. En français, la suite de sons /ãn/ est correcte si on syllabifie : /ã-ne-te/, /ã-na-vãs/, /ã-ne-fɛ/, ou /pã-na-ra-bik/. La difficulté pour un apprenant francophone du breton tient donc à paramétriser le /n/ en coda après une voyelle nasale en noyau, ce que le nom kouign-amann le force à faire, puisque la fin du mot l'empêche d'envoyer le /n/ de /ãn/ en attaque de la prochaine syllabe. Pouvoir placer le /n/ en coda après une voyelle nasale fait la différence entre le kan ar mor 'le chant de la mer' et un canard mort.


structure en constituants

Il existe maintenant un consensus scientifique autour de la structure en constituants de la syllabe dans les langues humaines. Elle se compose de l'attaque et de la rime, cette dernière étant constituée du noyau et de la coda (cf. Ridouane & al. 2011).


Le tableau ci-dessous donne quelques exemples en breton de cette structure de la syllabe avec des mots monosyllabiques.


syllabe = [syllabe attaque [rime [ noyau ] [ coda ] ] ]
'baiser' pok [ p ɔ k ]
'mauve' mouk [ m u k ]
'fier' fier [ f i: r ]
'méchant' drouk [ dr u k ]
'paille' plouz [ pl u s ]
'voix' mouezh [ mw e s ]
'poids' pouez [ pw e s ]


Toutes les langues humaines ont des syllabes. Toutes les langues humaines requièrent pour leur syllabe un noyau (qui peut être constitué d'une consonne liquide comme en tchèque). Toutes les langues humaines ont des syllabes avec une attaque. Certaines langues n'ont pas de coda.


types de syllabes et quantité

On peut typifier les syllabes en regardant leur quantité de consonnes (notées C) et de voyelles (notées V). On a par exemple avec CCCV un type d'attaque longue, ou avec CVCCC un type de coda longue.

La syllabe en breton

attaque

L'attaque n'est pas indispensable à la constitution d'une syllabe bretonne. Dans If 'Yves', ou dans la première syllabe de ufern 'cheville', il n'y en a pas.

L'attaque peut comporter plusieurs consonnes, comme dans striv 'essai', qui est CCCVC. Attention, certaines consonnes sont parfois orthographiées avec des voyelles graphiques, comme dans le cas des graphies -ou-, -o- ou -u- qui sont prononcées /w/ ou /ɥ/, comme dans [bwɛt] boued 'nourriture', skuizh 'fatiguée' ou foetañ 'fouetter' [fweta].

En breton, il existe trois positions d'attaque, dont seule la centrale représente toutes les consonnes. La première est typique du /s-/ ou du /ʃ/, la dernière est typique des liquides /l, r/ et des glides, qui sont au contact des voyelles du noyau.


(1) Inventaire (non exhaustif) des attaques
bw- boued 'nourriture'
fw- foenn 'foin'
Xw- c'hwek 'délicieux'
kw- kwec'h 'haut' (trégorrois)
kr- krank 'crabe'
tr- trec'h 'victoire'
pl- plouz 'paille'
mj- miaoual 'miauler'
str- strafuilh 'effroi'
skw- skuizh 'fatigué'
skɥ- skuizh 'fatigué'


noyau

Le noyau est indispensable à la syllabe. Il comporte la ou les voyelles de la syllabe. En breton, les consonnes liquides /l, r/ ou les glides /j, w, ɥ/ ne peuvent pas constituer le noyau, qui nécessite strictement une voyelle.

Le noyau vocalique peut être seul, comme dans un u 'un œuf'.

Il existe une opposition de quantité, restreinte, entre voyelles longues et courtes. Gros (1970b:'mat, mad') signale une opposition sémantique selon la longueur de la voyelle sur mat 'bon'. Plourin (2000:12) confirme et ajoute de telles oppositions sur les adjectifs lous 'sale' et bras 'grand'. La voyelle longue est attachée au sens littéral, et la voyelle courte à une sorte d'intensifieur, ou de mot expressif.


diphtongue

Dans les dialectes KLT, l'accentuation tombe généralement sur la pénultième. L'accentuation de aotre 'permission', ['aotre] (Hemon 1975c:§269) montre que les deux voyelles sont calculées en diphtongue car c'est la première des deux qui reçoit l'accentuation. Si chaque voyelle avait constitué le noyau de sa propre syllabe, une accentuation sur la pénultième aurait accentué le [o].

En contraste, les noms dérivés ne diphtonguent pas. Hemon (1975c:§272) illustre avec bilienn 'galet', [bi'lien] dérivé de bili 'galets' avec le singulatif -enn, et avec baleadenn 'promenade', [bale'a:den] dérivé de bale 'marcher' avec la finale complexe -adenn.

coda

La coda n'est pas indispensable à la syllabe. Dans ur vi 'un œuf', il n'y en a pas.

En breton, la consonne finale d'un mot isolé est non-voisée. Si elle est suivie en contexte d'une initiale d'autre mot voisée, alors par sandhi elle se voise. Si une coda non-voisée existe, alors sa version voisée existe aussi en coda.

La coda peut comporter plusieurs consonnes à la suite, comme dans chistr 'cidre', qui est CVCCC.


(2) Inventaire (non exhaustif) des codas
-t gwerennad 'contenu d'un verre'
minioniaj 'amitié'
-n tan 'feu' pont 'pont' butun 'tabac'
-m patrom 'portrait'
-kr fallakr 'méchant'
-pl posupl 'possible'
-rn migorn 'cartilage' barn 'jugement'
-rl sparl 'pène de serrure'
-rs korz 'tiges'
-lɥ strafuilh 'effroi'
-lj beilh 'veille, garde'
-lχ dalc'h 'garde'
-st rost 'rôti'
-sk pesk 'poisson' Pask 'Pâques' lusk 'mouvement'
-str gestr 'geste' istr 'huîtres'
-mpl simpl 'simple'

Emprunts

Les phénomènes de contact importants avec le français mettent à l'épreuve la structure de la syllabe, car les systèmes syllabiques du français et du breton sont divergents.

Le français cachet /kaʃɛ/ qui dérive en cacheter /kaʃəte/ propose donc à l'emprunt un suffixe en /-ɛ, -ət/. Le système breton refuse la voyelle /ɛ/ sans coda de cachet /kaʃɛ/, et va chercher la coda de secours /-t/, pour obtenir le nom breton kached /kaʃɛt/ 'cachet'.

Toute modification des emprunts lors de l'adoption en breton n'est pas due à une divergence de la structure syllabique. Le suffixe -ible du français est ainsi traduit par le suffixe -ubl, -upl alors que la syllabe bretonne tolère des finales en /-ibl/ (ar Bibl 'la Bible', a-ribl ar mor 'le long de la mer').


L'influence du breton se fait sentir par exemple par évitement de coda en /rt/ dans l'effacement du /-t/ final du nom yaourt, donnant le français de Basse-Bretagne yaour.

Bibliographie

  • Ridouane, Rachid, Yohann Meynadier & Cécile Fougeron. 2011. 'La syllabe: objet théorique et réalité physique', L.-J. Boë & J.-L. Schwartz (éds.), La Parole: pluridisciplinarité et relations entre la substance et la forme, Faits de langues 37, Brill, 225-246. texte.