Français de Basse-Bretagne

De Arbres

Le français de Basse-Bretagne est une langue romane marquée par une influence du breton, des bretonnismes, que les locuteurs connaissent eux-mêmes le breton ou pas.

L'accent martelé à la bretonne, le volume sonore, le voisement, dévoisement des consonnes (RenD viD le linCH! 'Rentre vite le linge !', le darGweP 'le dark-web') sont évidemment des traits remarquables du français de Basse-Bretagne, et on repère aussi très vite dans le français de Basse-Bretagne des mots directement empruntés au lexique breton (ribin, rozell, kabig, etc.), et dont le sens n'est expliquable que par un emprunt au breton (Viens mon mignon !, 'mon ami, camarade'). Cependant, l'influence linguistique du breton sur cette variété de français ne s'arrête pas là, elle est aussi décelable dans la structure même de la langue, dans sa syntaxe.

Les habitants francophones de Basse-Bretagne sont généralement bilingues au moins en français standard et en français de Basse-Bretagne. En (1), Gros (1984:176) traduit un exemple breton et précise automatiquement la traduction dans les deux variétés, le franco-breton reprenant plus littéralement la structure bretonne.


(1) Me am-eus c'hoant da lavared penaoz ema ar wirionez gant ar skolaer ! Breton trégorrois
moi R.1SG a envie de1 dire que est le 1vérité avec le écol.eur
'Moi, j'ai envie de dire que la vérité est avec l'instituteur.' Français du Trégor
'Moi, je prétends que l'instituteur a raison.' Français standard


Cet article illustre, point grammatical par point grammatical, comment la structure du breton se donne à voir dans les différentes variétés de français de Basse-Bretagne. Des liens actifs permettent, en parallèle, de lier les exemples en français à l'étude détaillée du phénomène similaire en breton.

Différentes sources ont été utilisées. Parmi les plus connues, on peut citer le 'franco-breton' de Douarnenez, délicieusement illustré par les œuvres de René Pichavant ou encore Kerivel (1978, 1980). Pierre Gallen a aussi fourni une importante description du français de Belle-Ile-en-Mer. Les chroniques de Pierre Péron fournissent également un joli corpus de parler brestois. Différents bretonnismes sont recensés avec humour dans l'ouvrage de Lossec (2010), et dans différents articles universitaires. À noter qu'aucune des ressources précitées ne provient de l'étude systématique de corpus spontanés. Il s'agit plus précisément de compilations de structures remarquées par les auteurs, où d'écritures 'à la manière de'. Certaines bribes de corpus spontanés sont utilisées ici, comme la matière des interviews des sardinières Douarnenistes dans Martin (1994), ou un corpus d'une heure d'interview filmée de H. Postec (Jouitteau 2011).


Un français d'école ?

Le français de Basse-Bretagne est le résultat historique de la co-présence de principalement deux langues: le breton (sous ses différentes formes dialectales) et le français standardisé tel qu'appris dans les écoles en Basse-Bretagne. Le français est souvent la seule langue écrite par des brittophones, mais l'accès réel à cette langue écrite est à mesurer selon l'époque.

 Ar Floc'h (1985:157):
 "War ar maez, e Goueled Leon, e kavan kalz tud hag a oar lenn mat ar galleg, met ne intentont ket petra 'lennont, ha dre-se, al levrioù gallek uhel a zo diaes da skignañ war-dro eno."
 
 "[en 1911], en Bas-Léon, dans la campagne, je trouve plein de gens qui savent bien lire le français, mais ils ne comprennent pas ce qu'ils lisent et les livres français de haut niveau de langue [comme le Manuel Vétérinaire] y sont donc difficiles à écouler."   

L'école de la République Française employait des instituteurs et institutrices qui venaient d'autres régions de l'État français. Cela a pu enrichir localement l'apport français de tournures non-standard, mais sans que cela ait un impact significatif car chacun et chacune venait de langues natives différentes, laissant le seul français standard en commun. Le français de Basse-Bretagne semble relativement exempt de l'influence des parlers romans familiers qui ont une histoire propre de dérivation du latin qui n'a pas transité par l'école (français de Haute-Bretagne influencé par le gallo, variétés de français influencées par le normand, le poitevin, mais aussi les argots locaux, etc.). Ainsi, par exemple, le datif éthique est très peu employé en Basse-Bretagne de nos jours, et jamais avec plusieurs datifs éthiques de suite comme à Nantes (Je m'en vais te me nous lui remonter les bretelles que ça va pas êt' long !, cf. Jouitteau & Rezac 2008b). La connaissance de structures d'autres variétés de français qui ne transitent pas par l'école va évidemment s'élargissant suivant l'époque et le degré de contact du locuteur avec d'autres parlers français (mobilité professionnelle, service militaire, mariage, accès aux médias, migrations, etc.).

Dans les périodes de transition linguistique, les parents qui poussaient leurs enfants à parler français pouvaient eux-mêmes pratiquer une langue apprise imparfaitement, et de façon tardive. Les résultats déviaient parfois de façon remarquable du français standard. Le Roux (1957:13) écrit ainsi "il n'est pas rare aujourd'hui d'entendre des parents qui savent à peine le français apprendre à leurs enfants un jargon extraordinaire".


Le français de Basse-Bretagne est marqué entre autres par des structures similaires à celles du breton, mais aussi similaires à des variantes non-standard documentées dans d'autres parlers romans. Il est malaisé de déterminer si ces variantes qui émergent ci et là des français populaires tiennent à une inter-influence ou tout simplement au fait qu'une structure de langue est susceptible d'évoluer similairement dans des contextes séparés.

Structures syntaxiques similaires au breton

Certaines données sont sans équivoque importées directement du breton. Le trégorrois Jules Gros fournit par exemple en (1) une traduction de sa phrase bretonne dans un français non-standard, voire créatif, calqué directement sur la structure de la première.


(1) N'eus forz da di biou ez in, e vin degemeret mad.
ne1 est cas à1 maison 1qui R4 irai R serai accueill.i bien
'N'importe chez qui j'irai, je serai bien reçu.'
Trégorrois, Gros (1989:'forz')


ordre des mots

éléments focalisés à l'initiale de phrase

Le français de Basse-Bretagne est marqué, comme le breton, par des stratégies de focalisation par mouvement à l'initiale. Contrairement au français standard, mais comme en breton, les éléments focalisés doivent être prononcés en début de phrase:


(1) Tout le voyage ar galioù c'était _ ! Mes doigts sont encore bao !

'Tout le voyage c'était la GALÈRE! Mes doigts sont encore gourds !' (le pêcheur rentrant de mer)
Pichavant (1996:105)


(2) Baouté, je suis _ ! Je boirai plus bikenn !.

'Je suis ENFLE(E) (mais alors..! à un point !)! Je ne boirai plus jamais.'
Pichavant (1996:36)

(3) Larguée qu'ils m'ont _ , ces deux miséraps !

Cornouaillais (bigouden), Stéphan (1986:20)


(4) C'est une gao(u)or finie. Toujours il faut _ qu'elle lambe partout comme son frère !

'C'est une chèvre (un garçon manqué). Il faut TOUJOURS (sans cesse) qu'elle saute partout comme son frère !'
Pichavant (1996:105)


(5) Deux heures il faut _ pour gorner quand y a pas trop de dalrr'.

'Il faut DEUX HEURES pour relever les palangres, quand il n'y a pas trop d'hameçons accrochés à la roche'
Pichavant (1996:109)


(5) Une peignée que tu as reçue _? Une tosse ?

Brest, Péron (2001:38)

(6) C'est palpitant, voui, la "p'tite mort dans le dos" que ton histoire me donne _.

Brest, Péron (2001:127)


(7) Je me rappelle bien d'elle mainant. mais celle-là n'était pas de not' monde. [VP Fréquenter des officiers et leurs dames ] qu'elle faisait _VP_ .

Brest, Péron (2001:11)


Il existe peut-être même des conjugaisons analytiques (antéposition de tête verbale), comme le suggèrent les phrases suivantes:

(8) [V Glissé(e !) ] que j'ai fait sur les marches.

Brest, Péron (2001:63)

(9) [V Riské ] j'ai fait !,

'J'ai glissé, dérapé !'
Cornouaillais (bigouden), Stéphan (1986:21)


clivées

En breton, un élément focalisé à l'initiale est souvent ambigu avec une clivée ( X eo… , 'C'est X que … '), puisque la copule eo reste souvent non prononcée.

Buleon (1927:317-318) donne des exemples de focalisations à l'initiale qui sont selon lui le fait des "expressions enfantines et triviales" qu'il a relevées dans des cahiers d'écoliers. Il cite des clivées, dont deux en interrogatives. Ces exemples montrent aussi des bretonnismes lexicaux.


(1) Quel nom qu'il a ?

'Comment s'appelle-t-il ?' ( Pé hanv en dès éan)

(2) C'est Maturin qu'on fait de lui.

'Il s'appelle Maturin' (Matelin e vé groeit a nehon)

(3) Comment qu'on fait avec lui ?

'Comment faut-il se comporter avec lui', ou encore 'Comment faut-il s'en servir ?' (Pénaus é hrér geton)


topiques

Au tout début de phrase, on peut trouver en français de Basse-Bretagne des topiques définis repris plus loin par une anaphore, comme parfois en français standard oral (Le titre, il retient mon attention). En franco-breton cependant, ces topiques sont parfois des indéfinis.


(1) mais un ott évènement sportif, il retient nott attention, en ce week-end chargé.

Stéphan (1986:4)

(2) Ma… ça c'est triste aussi que des incidents draules, ils aient contraint à l'abandon le grand favori., ::: Stéphan (1986:4)

(3) Gant homañ, personne il pourra me reconnaîtt !..

Stéphan (1986:34)


ordre respectif des arguments

Un complément de manière comme du crâne se trouverait après l'objet en français standard.

(4) La vitesse m'avait fait tosser du crâne le fond.

Saint-Pol-Roux, poèmes roscanveliens, XIXe (Burel 2011)


auxiliaires

'faire'

L'antéposition de syntagme verbal déteint évidemment aussi sur le franco-breton, avec l'usage d'un auxiliaire anaphorique 'faire': Noter l'apparition du complémenteur que, qui peut, soit réaliser l'équivalent d'un rannig, soit révéler une clivée avec une copule phonologiquement nulle (type eo).


(1) Causer il fait _VP_, mais travailler, il fait pas _VP_  !

Lossec (2010:90)


(2) Vous travaillez dans le civil ? Ben frapper à une autre porte qu'il faudra faire _VP_ .

Brest, Péron (2001:33)


(3) Pigner tout le temps qu'il faisait _VP_ .

Brest, Péron (2001:37)


(4) Ruser tout son pantalon qu'il a fait _VP_ .

Brest, Péron (2001:46)


(5) Attrapé leur accent que tu as fait _VP_, voui .

Brest, Péron (2001:57)


(6) Faire la tambouille que tu devrais faire _VP_, voui, et vous, plucher les patates .

Brest, Péron (2001:63)


(7) Larguer son amarre qu'il a fait _VP_ ! Ben ! On est jolis.

Brest, Péron (2001:89)


(8) Tiens, la voila qui vient, en courant. "Esprès" bouder que je vais faire _VP_ .

Brest, Péron 2001:118)


'être' et 'avoir'

Les équivalents bretons des verbes 'être' et 'avoir' viennent de la même racine (bezañ/eus). La sélection de l'un ou l'autre auxiliaire est en breton sensiblement différente de celle du français, d'où de nombreux bretonnismes:


Sa voiture a la couleur blanche,
J'ai tombé dans l'escalier,
Il a été à Brest ce matin,
Elle était à préparer son dîner.
Il était à parler breton tout le temps., (Lossec 2010:76)
Je parie que Jojo il a passé par là., (Brest, Péron 2001:22)
Elle croyait qu'au lieu de mendier j'avais resté jouer
Déguignet (2001:69)
cité dans Grandterrier.net.
Il a tombé de la neige un peu dans ma rue.
Douarnenez, Charles Kerivel [FB, 10/02/2021]


pronoms

démonstratifs

Les pronoms démonstratifs sont formés avec un adverbe déictique spatial comme ici ou . Cela est possible même sur les noms propres.

Jean-Marie ici est rigolo
Trégorrois (Plougrescant), Le Dû (2012:46)


Les démonstratifs pronominaux sont utilisés à la place de pronoms sujets anaphoriques.

C'est pas trop tôt, depuis le temps que ceux-là sont mariés.
Brest, Péron (2001:73)
Oh ! Celle-là est restée commérer probab'!
Brest, Péron (2001:62)
Regarde Fine, celle-là qui a essayé son tailleur sur un poteau télégraphique.
Brest, Péron (2001:86)


les ceusses, ar re

Le pronom breton hini et son pluriel re, précédés d'un article, n'ont pas d'équivalent direct en français standard. Ce sont sans doute eux qui apparaissent en franco-breton sous la forme les ceusses que/qui, comme le suggère la présence de l'article défini.

… sans compter les ceusses accrochés sur les marchepieds.
Brest, Péron (2001:70)
Pour sûr, Marie, les ceusses de "Bouguen-Nord" de "Bouguen-Potern" ou les ceusses de "Polygone-Butte" auront moins de mal pour faire leur marché.
Brest, Péron (2001:26)


reprise anaphorique en une

La reprise en une mimique la reprise anaphorique en unan.

Parfois, l'objet n'apparaît pas comme en français standard, mais il n'est pas élidé pour autant : en (1), la reprise anaphorique s'effectue par une, qui n'est pas un déterminant mais un emprunt de unan, tête nominale anaphorique similaire à l'anglais one.

(1) J'ai même pas une carte d'identité avec moa !

Sah ! Peut-êtt cell-ci, elle a une ?
Cornouaillais (bigouden), Stéphan (1986:5)

(2) Celle qui n'en avait pas allait louer une ou bien elle la prêtait avec une amie.

Douarnenez, Martin (1994:79)

omission du pronom partitif

Si le franco-breton peut utiliser le pronom français partitif en, cela semble cependant optionnel.

(3) Combien avez-vous de livres ? - J'ai deux (livres/ j'en ai deux)

(4) De toutes les couleurs qui vous _ font ouar .

Brest, Péron (2001:62)

(5) Voui, mais i _ a plus beaucoup dans la bouteille.

Brest, Péron (2001:101)

(6) J'ai marre !

bretonne exilée à Toulon, Corbel (1981:7)


Cette tendance peut être soutenue par des possibilités plus générales d'ellipse de l'objet.


  • usage d'un pronom datif pour un objet direct.

(7) J'hésitais à lui changer d'école.

Brest, A. Guyomarc'h [03/2014], parlant de sa fille.

complémenteurs

Le complémenteur français 'que' (ou 'qui') apparaît dans de multiples endroits non-canoniques du français standard. Puisqu'il apparaît juste après un élément focalisé, on peut penser à un équivalent du rannig, cependant, il est à noter qu'un rannig, particule préverbale monosyllabique en breton, apparaît systématiquement devant tous les verbes tensés, qu'ils soient précédés ou non par un focus.

(1) Regarde Fine, celle-là qui a essayé son tailleur sur un poteau télégraphique.

Brest, Péron (2001:86)


(2) Je suis t'allée dans une salle où c'est qu'une jeune fille elle tapait sur un machin noir où c'est qu'il y avait plein de boules de loto tout blanc.

(Brest, Péron 2001:14)

(3) Les quoi que tu dis ?

Brest, Péron (2001:28)

(4) Jusqu'à quand que tu auras de la barbe.

Brest, Péron (2001:113)

(5) A jeun qu'il faut que tu sois _'.

Brest, Péron (2001:40)

(6) Dans une marche de la scalier du pont Gueydon que mon pied a croché et que mon soulier est tombé dans l'arsenal.

Brest, Péron (2001:63)

(7) Le sergent monlitron que je suis !

Cornouaillais (bigouden), Stéphan (1986:10)


'Adj que tu es !'

Une structure prédicative du breton permet de focaliser un prédicat adjectival en le faisant suivre du complémenteur ma ('que') et de la copule eo. Cette structure est commune en français de Basse-Bretagne.

(1) Jalouse un peu que je suis.

Brest, Péron (2001:80)

(2) Je parie que Jojo il a passé par là, qu'il est déguisé avec les hardes de son père. Crottou qu'il est.

Brest, Péron (2001:22)

(3) Non Jojo, c'est défendu, lichou que tu es.

Brest, Péron (2001:40)

(4) Voila un aut' bouton, Théodore, impatient que tu es.

Brest, Péron (2001:41)

(5) Toujours à "groumer" celles-là ! Jamais contentes que vous êtes !

Brest, Péron (2001:92)


Cette même structure existe avec les prédicats nominaux.

(6) Ne crie pas comme ça, paquet d'orties que tu es.

Brest, Péron (2001:22)


ellipses

ellipse de la copule

En breton, la copule (bezañ sous la forme eo) peut être élidée, c.a.d ne pas être prononcée au présent (brav _ an amzer).

En français de Basse Bretagne, il est possible de ne pas prononcer la copule et son sujet.

(c'est) pas courir qui fait pas. > 'Il court bien.'
(c'est) pas joli c'est pas > 'C'est très joli.' (Kervarec 1909:620)


ellipse de l'objet direct

L'objet direct d'un verbe peut ne pas être prononcé tant que le contexte fournit de quoi l'interpréter. L'antécédent peut être assez éloigné.

(1) C'est sur la moisson qu'on a jeté de l'engrais en premier. Il y avait la moisson. Le blé, c'était toujours le plus important. Donc les gens ont commencé à mettre _ sur le blé pour avoir du grain et de la paille.

Français du Léon, traduction d'un entretien en breton (Mellouet & Pennec 2004:92)

(2) Quand "la planche" est à ma porte, sur le "carré" je sais que c'est mon tour de laver.

Mais quand c'est pas _ , je monte sur mes grands chevaux: je suis à cheval sur les principes, moi.
Brest, Péron (2001:65)

(3) Alcibiade fut mis en accusation, quand il ne (le) pensait pas.

Quimper, (Kervarec 1909:619)

(4) Et si elles mentaient, on savait _ après, et l'enfant n'avait pas droit aux cloches pour son baptême.

Douarnenez, Martin (1994:79)

(5) Elles allaient voir _ à la sortie de l'église …

Douarnenez, Martin (1994:79)

(6) Tu charges ton fusil, tu t'envoies une dans la gueule, et py c'est tout, quoi.

'Molène, Pondaven. 2003. 20 ans à Molène, jamais Molènais, [37min:24].

L'ellipse de l'objet direct est assez fréquente en corpus oral (par exemple dans Postec 2012 à Quimperlé).

ellipse de l'objet des prépositions

Les prépositions qui peuvent avoir un objet vide sont utilisées en franco-breton pour reproduire les structures résomptives bretonnes.

Le rocher que j'étais assis dessus _ .
Le torchon que j'essuyais la vaisselle avec _., Lossec (2010:89)


temps

Il lui demanda son aide et de lui donner des conseils. (Kervarec 1909:619)
Toc. Je cours. Juste une auto qui s'arrête, prêt à me tosser.
L'agent qui siffle. Moi qui rouspète. Le chauffeur qui crie,
pour pas dire aut'chose. Tout le monde à regarder. 50 voitures
à faire un boucan terrib' avec leurs klaxons. Pendant ce temps
là, le jaune qui venait, le rouge, le vert, trente-six couleurs.
Brest, Péron (2001:62)
  • usage du temps morphologique futur pour le futur proche:
Du café, tu auras ?
Il ne dira pas. > 'Il ne veut pas le dire', Lossec (2010:92)
Qu'est-ce que tu feras ! > 'Que veux-tu ?', Lossec (2010:93)
Quand tu voudras. > 'Quand tu veux', Lossec (2010:93)


 Lossec (2010:93):
 "En français, pour exprimer le futur après un verbe au passé, on emploie le conditionnel présent tandis qu'en breton on emploie le conditionnel passé."
Je croyais qu'il parlerait. > 'Je croyais qu'il aurait parlé.', Lossec (2010:93)
Nous pensions que vous viendriez. > '… que vous seriez venu.', Lossec (2010:93)


Hier, j'avais écrit une lettre, Lossec (2010:94)
J'avais été malade toute la semaine dernière, Lossec (2010:94)


Le passé surcomposé en franco-breton est à mettre en relation avec la particule aspectuelle bet en breton.

Vous en avez déjà eu pris ?, pharmacien à Plogonnec, [09/2016]
Quand elle a eu fini de taper sur son machin, elle m'a regardée avec des yeux à faire tourner toutes les têtes de marins.,
(Brest, Péron 2001:14)
Je l'ai eu connu., Lossec (2010:94)
J'ai eu travaillé avec des chevaux autrefois., Lossec (2010:94)
J'ai eu connu un Fañch Lagadec à l'armée., Lossec (2010:94)


aspect

être à…

Le progressif, 'être en train de … ', est exprimé en breton par le verbe bezañ 'être' suivi de la particule aspectuelle o introduisant un syntagme verbal.

Cette structure est mimée en franco-breton par l'expression être à, équivalente au standard 'être en train de'.

Elle est à repasser chez les gens., Lossec (2010:92)
Elle était à préparer son dîner.
Il était à parler breton tout le temps., (Lossec 2010:76)
Une heure que je suis à regarder les carreaux "ouar" si Marie revient., (Brest, Péron 2001:118)


une fois le temps

Buleon (1927) rapporte n'avoir pas été compris par un camarade mayennais à Paris lorsqu'il dit une fois le temps, ce qui est une traduction mot-à-mot de ur wech an amzer 'de temps en temps'. Selon un camarade de leur classe avec Joseph Loth, cette expression est attestée "non seulement en pays bretonnant, mais aussi en pays gallo, dans toute la Bretagne jusqu'à la Mayenne; au delà elle est inconnue".


modes

En breton, le complément d'agent d'un passif peut être amené par la préposition gant, qui dénote aussi l'accompagnement. La préposition française d'accompagnement avec apparaît souvent en franco-breton dans les passifs.

J'ai été mordu avec le chien. < '..par le chien.' (Amzer 10)
La souris a été mangée avec le chat., Lossec (2010:91)


Comme en breton, le mode subjonctif peut être remplacé par un temps au mode indicatif. Cependant, le breton utilise un temps morphologique futur ou conditionnel, mais pas présent comme ci-dessous.

Je préfère que tu vas et que tu me donnes.
'Je préfère que tu y ailles (au distributeur) et que tu me donnes (l'argent)', Lorient [01/2017]

Kervarec (1910:620) signale pour Quimper l'absence de subjonctif après 'bien que, quoique' dans les propositions concessives, mais ce trait est aussi présent en français de Haute-Bretagne (Dottin & Langouet 1901).


prépositions

usage large de la préposition avec

L'usage large en français de avec vient directement de l'influence des structures en gant en breton.


  • préposition agentive:
En breton, le passif est très utilisé, auquel cas l'agent est optionnellement présent dans la phrase, amené par la préposition agentive gant. Cette même préposition est aussi utilisée en breton pour exprimer l'accompagnement (gant ar maer > 'avec le maire').
Cette préposition gant est traduite en français par 'avec'. Le français de Basse-Bretagne importe la préposition agentive bretonne et utilise 'avec' comme préposition agentive dans les passifs.

(1) Vous devriez être étouffé avec la honte !

> = 'Vous devriez avoir honte !'
Gallen (2006:7)


  • cause:

La préposition agentive déborde largement les structures passives et marque couramment la cause d'une action ou d'un état:

Elle est au lit avec le docteur depuis 15 jours et il lui a encore rien fait. (classique)
Il a reçu un coup de bâton avec lui (de lui). (Kervarec 1909:621)
J'ai eu des misères avec mes dents. > = 'Mes dents m'ont fait souffrir.' (Amzer 10)
Elle avait eu des misères avec ses dents du fait qu'elle avait eu des bonbons avec sa marraine., Lossec (2010:91)
Il a reçu son pedjemène avec moi. > = 'Je lui ai réglé son compte.' (Gallen 2006:13)
J'ai été chez l'oculiste avec mes yeux. > = 'Je suis allé consulter l'oculiste pour mes yeux.' (Gallen 2006:15)
J'ai été malade avec le remède énergique que vous m'avez administré (Klan on bet get en dram e hués reit t'ein influençant le français vannetais, Buleon 1927:318).


  • moyen
Il est allé avec le train. > = 'Il est parti par le train.' (Gallen 2006:7)


  • accompagnement (au sens très large)
Du café vous aurez ? Du pain, du beurre et un couteau pour manger avec_ ? (Amzer 10)
Je suis domestique avec le médecin > = 'Je suis domestique chez le médecin' (Mevel on get er menesinour influençant le français vannetais, Buleon 1927:318).

L'expression bretonne kas gant est littéralement traduite par envoyer avec, et degas gant par porter, emporter avec. Ces tournures sont très répandues en français de Basse-Bretagne et alimentent les emplois de avec.

Envoie du beurre avec toi, Porte du beurre avec toi, sur Kas amonen genis (Français du pays de Vannes, Buleon 1927:319)
- Ben, j'ai envoyé le journal avec moi. - Lis-moi vite alors., (Brest, Péron 2001:29)


  • provenance/source:
Il a acheté des bonbons avec lui (à lui). (Kervarec 1909:621)
Il a pris du chocolat avec lui. > = 'Il lui a volé du chocolat.' (Kervarec 1909:621)
Il a eu du goût avec lui. > = 'Il a tiré du plaisir de lui.' (Kervarec 1909:621)
Il a reçu une lettre avec lui (de lui)… (Kervarec 1909:621)


  • expérienceur
Il m'a demandé comment ça va avec moi
> = 'Il a demandé comment je me porte'
(Goulennet en dès penaus é ha genein influençant le français vannetais, Buleon 1927:318).


Certaines occurrences de avec n'ont pas d'import sémantique propre et viennent de traductions mot-à-mot d'expressions en langue bretonne, ou de grammaticalisations d'implications pragmatiques:

J'ai pensé en allant avec ma route. > = 'J'ai réfléchi en marchant.' (Gallen 2006:7)
Je prends mon temps avec moi. > = 'Je prends le temps de faire mon travail.' (Gallen 2006:7)
Il y a du nouveau avec elle. > = 'Elle attend un enfant.' (Gallen 2006:14)


création de prépositions complexes

  • dessus réinterprété en 'de' + 'sur'.
près du robinet, dessur la dalle, un bouchon d'écuelle
Brest, Péron (2001:31)
assise dessur une chaise que j'étais, mon dos bien appuyé de contre mon dossier.
Brest, Péron (2001:14)
  • de contre est parallèle à la préposition complexe bretonne a-enep
Théo rouspétait de contre Nana, et même qu'il lui faisait la morale.
Brest, Péron (2001:25)


sur

La préposition war, ou en breton vannetais ar, est très employée en breton. Elle apparaît souvent en français de Basse-Bretagne. Ainsi, lorsque Thibault (1914:190) traduit le breton de Cléguérec ar gorv er sehœn /sur1 corps le semaine/, il ne traduit pas par le français standard en semaine, mais pas le bretonnisme sur la semaine [opposé à : le dimanche].


br. war

Il a pris des plumes sur Korentine. > '...à Korentine' (Kervarec 1909:621)

br. bezañ war

Jampi a pourtant été sur une de Plouider pendant cinq ans ! (Lossec 2010:44)
> 'Il a pourtant eu des visées sur une fille de Plouider pendant cinq ans.'


ellipse de préposition de

La préposition de, comme son parallèle breton da, est une préposition-outil qui peut disparaître. Cela se passe précisément lorsque l'infinitive est un argument direct du verbe de la matrice, ici son sujet (Jouitteau 2012).

  • Tu ferais mieux _ mettre le couvert., (Brest, Péron 2001:119)

Parfois, la préposition de n'apparaît pas car une préposition bretonne équivalente ne requiert pas l'usage de da. Par exemple, Buleon (1927:319) signale en français du pays de Vannes comme "fréquemment entendue même en haut-lieu" l'expression la fois avant ou la fois après, sur le breton er hueh é raug, er hueh ar lerh.


faire autour, venir autour

L'expression faire autour de qq. vient du breton ober war-dro, litt. 'faire autour', 's'occuper de'. Buleon (1927) le signalait déjà en français du pays de Vannes comme une expression populaire et fréquente.


(1): Faire autour d'un malade

'S'occuper de lui'
(Gobér ar dro unan klan), Buleon (1927:318).

(2) Toute la nuit j'ai eu à faire autour de lui !

'J'ai pris soin de lui toute la nuit.'
Gallen (2006:16)

(3) Il ne vient pas autour de ses vaches.

'Il ne s'occupe pas de ses vaches'
Gallen (2006:30)


être après

L'expression être après qq. vient du breton bezañ war-lerc'h ub., litt. 'être à la suite de qq.'. Buleon (1927) signale comme expression populaire et fréquente l'expression être après qq..

(4) Il est toujours après moi > = trois significations distinctes

'Il me gronde sans cesse'
'Il me taquine'
'Il me sollicite'
(E ma perpet ar me lerh), Buleon (1927:318)


beaucoup des

(5) Oh ! Aujourd'hui y a pas beaucoup des avis de convois, deux seulement et une messe d'anniversaire.

Brest, Péron (2001:17)


partir s'en aller

Cette expression vient du breton mont kuit! litt. /aller kuit/.

Le français de Basse-Bretagne peut utiliser partir comme verbe lexical et s'en aller comme postposition complétant le sens du verbe.

Il est parti s'en aller. (Kervarec 1909:620)
Elle est partie s'en aller ensemble que son frère. (Kervarec 1909:621)


adverbes

donc

Le placement de donc en français de Basse-Bretagne est influencé par le placement de son équivalent breton eta qui se place, lui, en bord droit de constituant. En français standard, donc est un adverbe indépendant (Finis donc ton verre, Saig !).


(1) Sao war da vanne 'ta Saig !
montée sur1 ton2 verre donc Saig
'Finis ton verre donc, Saig !'
Léonard, Kervella (2009:215)


tout

L'adverbe de français local tout modifie les verbes et signifie 'complètement'. Cet usage parallèle l'adverbe breton -tout, qui à l'origine est un emprunt au français:

Jean, chez nous, a koagué tout sa voiture
'Notre Jean a entièrement cabossé sa voiture'
(Lossec (2010:44)


L'expression française 'tout le monde' déclenche l'accord au singulier. Son équivalent breton, tout an dud, littéralement 'tous les gens' déclenche un accord pluriel. En parler brestois reporté par Peron, on retrouve cet accord pluriel importé en français.

Tout le monde sont servis ?, (Brest, Péron 2001:70)
Comme ça, tout le monde seront contents., (Brest, Péron 2001:95)
en attendant que tout le mond' sont..., (Brest, Péron 2001:45)


On retrouve l'adverbe 'tout' dans l'expression figée au milieu de tout 'dun seul coup, brutalment, de manière imprévisible', traduction littérale du breton a-greiz-tout.


aussi vite

J'irai avec toi, aussi vite, (Lossec 2010:45)
> 'sans doute, tout aussi bien, pour un peu, il s'en faudrait de peu'


de retour

Inspiré du breton endro, l'adverbe de retour signifie 'à nouveau'

Hag en dro dar ! Un mirage, de retour !
Cornouaillais (bigouden), Stéphan (1986:10)
recommencer de retour
Kervarec (1910:620)
Il fait froid de retour.
Lossec (2010:85)
Le bonhomme s'arr'tait un moment et puis il démarrait de r'tour.
Brest, Péron (2001:74)


devenir, arriver, 'devenir'

Le verbe venir est usité là où le français standard mettrait devenir, sur le modèle du verbe breton de même sens dont.


(1) Les olives, elles viennent pas plus gros que ça !

'Les olives, elles ne deviennent pas plus grosses que ça !'
Quimperlé, H. Postec, janv. 2011.


On trouve aussi le verbe arriver, sur le breton erru.


(2) J'étais arrivé kakous !

'J'étais saoul !'
Ploumanac'h 1993, reporté dans Konan (2017:123)


envoyer, 'apporter'

Le verbe breton kas 'envoyer, apporter, porter, mener' est source de multiples bretonnismes. En français standard, le verbe envoyer implique que le locuteur ne peut pas suivre le mouvement dénoté. En français de Basse-Bretagne, le verbe envoyer peut impliquer l'accompagnement.

(3) Envoie la nouvelle à sa mère, sur Kas en doêré d'é vam

Français du pays de Vannes, Buleon (1927:319)

(4) Envoie les bestiaux à la prairie, Mène les bestiaux à la prairie

(sur le breton Kas er seud d'er prat)
Français du pays de Vannes, Buleon (1927:319)


rendu

(5) En brujunou que le marc'h trouz il est rendu !,

'La moto est EN MIETTES!'
Cornouaillais (bigouden), Stéphan (1986:13)


venir pour, 'venir de'

En concurrence à l'expression standard venir de, l'usage aspectuel de venir dans venir pour est ingressif.

  • Et là alors, je vois auprès de chez Plouhinec les chevaux qui viennent, avec les casques, la garde nationale ! Qui viennent alors pour sortir, pour renverser le monde quoi, pour les faire partir.
Douarnenez, Martin (1994:147)


rester, 'habiter'

Buleon (1927:319) signale en français du pays de Vannes comme "fréquemment entendue même en haut-lieu" l'expression Où restez-vous ?, 'Où demeurez-vous ?' sur le breton Imen é chômet hui ?.

autres expressions empruntées

  • aller ensemble que qq
Elle est partie s'en aller ensemble que son frère. (Kervarec 1909:621)
Laissez-moi aller ensemble que vous. (Gallen 2006:11)
  • Jamais encore, traduction littérale de l'exclamation bretonne biskoazh c'hoazh!
C'est pas Dieu possible quand même. Jamais encore … (Brest, Péron 2001:17)
  • par rapport à
Mais les patrons ne voulaient pas des syndicats, par rapport à donner trop aux femmes.
Douarnenez, Martin (1994:143)
  • Moi, je me rappelle, j'avais cinq ans, j'allais par la main avec mon père. […]
J'allais avec mon père par la main aux meetings.
Douarnenez, Martin (1994:169)

Règles de grammaire similaires au breton

doubles négations

Le système de calcul de la négation en breton, dite de concordance négative, est très marquante quand appliquée à des parlers français, car le sens de la phrase peut occasionnellement s'en trouver totalement inversé.

  • J'ai pas vu aucun chat = 'Aucun chat n'est tel que je l'ai vu'.
(et non pas : 'Ce n'est pas le cas que aucun chat n'est tel que je l'ai vu')

Il en existe de multiples exemples dans le français de Basse-Bretagne.

  • Car il n'y a pas au monde aucune société de bipèdes.,
Déguignet (2001:330)
cité dans Grandterrier.net.
  • Pas un d'eux n'a vu, ni connu absolument rien de cette affaire Dreyfus.
Déguignet (2001:775)
cité dans Grandterrier.net.


clivées

En breton, les structures clivées sont très usitées. On retrouve cette tendance marquante dans les parlers français de Basse-Bretagne. Ainsi des phrases finissant par que c'est ou que c'était après un élément focalisé.


  • L'occasion rêvée que c'est, au contraire !
Cornouaillais (bigouden), Stéphan (1986:44)
  • ''une chimise qui disent, pas en nylon bien sûr, non, un cahier que c'est, comme Jojo il a pour aller à l'école.
(Brest, Péron 2001:15)
  • Biffin que c'est, qui a boulotté le fard.
Brest, Péron (2001:86)


Comme les mots interrogatifs sont par définition toujours focalisés, on les retrouve très naturellement suivis de ces clivées en que c'est.

 Lossec (2010:38):
 "Les pronoms interrogatifs sont souvent suivis de la conjonction que comme dans le français populaire, mais cette tournure est utilisée très fréquemment chez nous et par toute catégorie de locuteurs. On n'hésite même pas à doubler la mise, comme ici: 
 Quand que c'est qu'il part ?
 Quand est-ce que c'est qu'il s'en va ?
 Où est-ce que c'est qu'il va ?
 quand ce n'est pas: Ousqu'il va !


En français de Basse-Bretagne, contrairement au français standard mais comme en breton, il est possible de cliver une phrase entière, imposant alors un focus sur son entier, ou un adjectif:


  • Vous êtes allée à votre voiture que c'est !
Brest, infirmière hôpital Morvan, [10/01/2014])
  • Aujourd'hui, il passe par Brest, que c'est, et moi, je veux encourager mon favori.
Brest, Péron (2001:84)
  • Joli que c'était, à ouar et à entend', qu'on aurait dit une vraie ritraite aux flambeaux.
Brest, Péron (2001:62)


Parfois, le sens de la clivée est clairement déontique (il faut.. il ne faut pas… ). Il s'agit sans doute d'une ellipse de modal (dav). En (1), la traduction en français standard serait Il ne faut pas rester à bavarder (Ici littéralement Ce n'est pas rester à bavarder que c'est qu'il faudrait faire).


(1) N'eo ket chom amañ eo da ouroulat.
ne1 est pas rester ici est pour1 bavarder
'Ce n'est pas rester à bavarder.'
Léonard, Kervella (2009:207)


mouvement casuel dans les causatives

Dans les structures causatives, le verbe 'faire' prend une infinitive comme objet. Dans cette infinitive, en français de Basse-Bretagne, le DP sujet peut être placé avant son verbe infinitif. Cette possibilité n'existe pas en français standard, et mime le mouvement du sujet des causatives en breton (ober d'eur scolaer donet).


  • faire un élève venir, faire le commerce aller..
St Michel, pour faire le diable s'irriter… (Kervarec 1909:620)


les relatives

J'ai eu été que je travaillais, J'ai eu été qu'on me demandait, Gourmelon (2014:66)
'Fut un temps où… '
Il prit son aîné par la main, qui avait le cœur bien gros.
  • l'interrogatif/relatif où ça que
Ces relatives sont caractérisées par l'apparition de que après un mot -wh, comme dans le bretonnisme usuel de salutation Comment que c'est ?
Où çà que tu vas par là ? > = 'Où vas-tu ?' (Gallen 2006:8)
J'ai un boulot où ça que c'est que je peux avoir des vacances. [Chr. Meillour, Quimperlé 09.2009]
C'est le jour où ça qu'on veut partir, [Chr. Meillour, Quimperlé 01.2006]

… et avec ellipse du mot -wh :

Le samedi, c'est pas le jour qu'on aime rester, [Jeune homme, Quimperlé, 06.2006].


Variation dialectale

La langue bretonne a des variations dialectales et influence différemment les parlers français de Basse-Bretagne.

Buleon (1927:318) signale qu'en vannetais, le "verbe cherrein dans Cher ha veg 'Ferme ta bouche' a été traduit en français local Ramasse ta bouche par des écoliers. Ce bretonnisme du pays vannetais n'est pas documenté ailleurs.

L'usage de la préposition gant 'avec', qui est plus répandue à Douarnenez qu'en Trégor, se reflète dans les dialectes français respectifs en contact. Ainsi, Tu vas attraper des choses avec toi est grammatical en 2017 à Douarnenez, mais agrammatical à Planiel (Kontañ kaoz (12/2017)).


La variation dialectale est syntaxique comme lexicologique:

 Rybková (2012:54):
 … "il n'y a pas de différences significatives [entre la Cornouaille et le Léon] dans l'utilisation et dans la connaissance des bretonnismes. Néanmoins, il y a quand même quelques mots qui sont utilisés plus fréquemment dans certaines régions seulement. Ainsi, nous pouvons observer plusieurs bretonnismes qui sont plus connus dans le pays de la Cornouaille : lonker, bern, badawé, bec'h, bramer, dislonker, grignouser, justik. En revanche, autour de Morlaix,  il y a des mots qui sont utilisés moins qu'ailleurs ou même pas du tout: chupenn, flaper, badawé, bec'h, alato !, gwasker, tarzer, attaque-poloud. Un mot typique pour les Léonards est attaque-poloud." 


La convergence de ces résultats suggère que le français standard est utilisé comme langue d'échange lorsque les locuteurs sont au contact de locuteurs d'autres localités. Localement, certains mots et certaines tournures sont empruntés au breton par des locuteurs bilingues, puis sont adoptées dans le français d'une localité particulière - ils restent les marqueurs de ces variétés particulières.


Ressources à exploiter

 Le Menn (1983:253):
 "G. Esnault avait rassemblé une très importante documentation sur ce français de Basse-Bretagne sous forme de fiches. Celles-ci se trouvent aux Archives du Finistère, dans le fonds Gaston Esnault (111 J), dont un répertoire rédigé par M. Alexis Le Bihan se trouve dans la salle de travail. Les matériaux rassemblés par G. Esnault mériteraient d'être édités."

Troude (1886:5-7) a relevé quelques emprunts lexicaux en français de Basse-Bretagne pré-moderne, comme faire son faro 'faire le beau, faire son fier' sur farv 'fier'.


Structures et expressions communes à d'autres parlers romans

Tout ce qui ressemble au breton n'en vient pas forcément. Des structures bretonnes peuvent aussi accidentellement ressembler à des structures indépendamment présentes dans des langues romanes.


Cet usage rappelle le fameux Si j'aurais su, j'aurais po v'nu de 'Petit Gibus' dans La guerre des boutons (film), et il est plausible que ce soit un trait récurrent des dialectes romans.

Si je fumerais, je serais malade. (Kervarec 1909:619)
Signalé à Quimper par Kervarec (1910:620), ce trait est aussi présent en français de Haute-Bretagne (Dottin & Langouet 1901).
  • L'expression donner la main semble calquée sur le breton reiñ dorn. Cependant…


Lossec (2010):
"L'expression "donner la main" est comprise un peu partout en France dans le sens d'aider. A la différence près, et encore sous réserve, qu'elle est rarement suivie d'un complément ailleurs."


  • L'expression comme de juste semble calquée sur le breton evel-just. Cependant, cette structure existe dans d'autres dialectes du français (Lossec 2010).


toujours

Lossec (2010:84) signale un usage non-standard de toujours, sous le sens de 'en tout cas', 'assurément'. Cet usage est cependant aussi connu à Nantes et en Vendée.

  • Il n'est pas venu par ici, toujours !
> 'en tout cas, assurément', (Lossec 2010:84)


Invisibilité

On se demande comment les caractéristiques de ce français pourraient passer inapercues, et pourtant:

 Pooley & Kasstan (2016:13):
 "Si les données perceptuelles sur le français de Bretagne sont relativement abondantes (e.g. Hoare 2004), les études de comportement sont rares. Le travail de Guézennec (2003) sur l'Île-de-Sein ne mentionne aucune variable qui manifeste l'influence du breton, ou qui ne soit pas courante dans d'autres régions."


Diachronie

Rousseaux & Lévy (1997:182, fn10) inspectent le multilinguisme dans les textes de loi dans l'État français. Ils considèrent que les "documents français sont dialectalement influencés par le breton au XIII° siècle, traits qui disparaissent dans le dernier quart du XIV° siècle (Marchello-Nizia 1979:27)".

Le premier dictionnaire de moyen français, le Catholicon de 1464, contient des bretonnismes. Le manuscrit original est de Jehan Lagadeuc dont la langue native est le breton trégorrois. Les éditions consécutives sont faites par d'autres brittophones cherchant à y améliorer le français. "La langue maternelle de ces clercs était le breton ; le français était pour eux une seconde langue, langue savante acquise auprès d'autres clercs, bretons ou français, inévitablement teintée de breton" (Trépos 1964:527). Le français du Catholicon n'est cependant pas exclusivement du français de Basse-Bretagne. Chauveau (1992:131) relève des formes de Haute-Bretagne et présente l'hypothèse que "le Catholicon a été écrit par quelqu'un qui pratiquait le français de Haute-Bretagne ou avec la collaboration d'un ou plusieurs Haut-Bretons".

Au début du XVI°, Jean Daniel compose en rimes internes en français le Noël breton qui parle françois. Ce texte texte satirique moquant le français gauche des apprenants est reproduit par Chardon (1874), repéré par La Villemarqué (1883:27-32) et étudié en détails dans Ernault (1895, 1914b) dans ses emprunts au breton, ses fautes de genre, de syntaxe, etc.

Ernault (1895, 1914b) a aussi étudié d'autres textes construits sur le même principe, du XII° ou XIV°, Noël en breton bretonnant qui aprent à parler le françois, ou Le privilège aux Bretons.


 Blanchard (1879:41), sur le français en contact avec le vannetais:
 "Mon douarin, qui est épert et qui va d'herr, a couru dré le jardrin, il a héjé les péres, a craigné dedans et les a trouvées faillies; , caté mon punjoué et une padelle, j'ai été punjer de l'eau au doué et j'ai rempli mon orseau."
 Phrase qu'il faudrait traduire pour l'intelligence de nos lecteurs: "Mon petit-fils, qui est alerte et qui va vite, a couru par le jardin, il a secoué des poires, a mordu dedans, et les a trouvées mauvaises; moi, avec un puisoir et une terrine, je suis allé puiser de l'eau au lavoir et j'ai rempli mon vase."


Terminologie

Press (1986:232) traduit brezhonekadurioù par 'bretonisms'.


Bibliographie

Cette bibliographie reprend, entre autres, les références rassemblées dans la bibliographie de Le Menn (1983).


sur le(s) français de Bretagne

  • Amzer 2007, 'Bretonnisme dans le français local', Le Passage de Vauban dans le Finistère, Amzer 10, 7.
  • Damalix & Le Roux. 1897. 'Listes d'expressions « vicieuses » notées à Quimper par Damalix, à Brasparts par Le Roux', Bulletin pédagogique des instituteurs du Finistère 11 & 13. (cité dans Esnault (1925:325).
  • Dottin, G. & J. Langouet. 1901. Glossaire du parler de Pléchâtel (canton de Bain, Ille et Vilaine), précédé d'une étude sur les parlers de la Haute-Bretagne, et suivi d'un relevé des usages et des traditions de Pléchâtel, réimpression Slatkine 1970.
  • Ernault, Émile. 1925. Manuel pour l'étude du français par les Bretons, Saint-Brieuc, Impr. moderne, 80 p. (p. 12-15).
  • Esnault, Gaston. 1925. L'imagination populaire. Métaphores occidentales. Essai sur les valeurs imaginatives concrètes du français parlé en Basse-Bretagne comparé avec les patois, parlers techniques et argots français, Paris, P.U.F.
  • Fichou, Michel. mémoire mentionné sans sa référence dans Lossec (2010).
  • Gallen, P. 2006. Anthologie des expressions de Belle-Île-en-Mer, cinquième édition.
  • German, Gary D. 2003. 'The French of Western Brittany in light of the Celtic Englishes', Tristram, Hildegard L. C. (éd.), The Celtic Englishes III, Heidelberg: Universitätsverlag C. Winter, 390–412.
  • Görlich, Ewald, 1886. Die Nordwestlichen Dialekte der langue d'oïl, Bretagne, Anjou, Maine, Touraine, Heilbronn.
  • Grandterrier.net [14/10/2013]. Recueil des bretonnismes de Jean-Marie Déguignet, page du site, espace Déguignet.
  • Guézennec, N. 2003. 'Variations phonétiques: entre identité et interactions sociales. Cas de l'île de Sein (Finistère-Sud)', Tribune Internationale des Langues Vivantes 33, 151–158.
review, par G. Dottin. 1909. Annales de Bretagne 25:4, 723.
  • Hoare, R. 2004. 'Language attitudes and perceptions of identity in Brittany', Teanga (Irish Yearbook of Applied Linguistics) 20, 163–92.
  • Houdemont, M. 2008. 'Étude des temps surcomposés à Couëron (Loire-Atlantique)', Jean-Pierre Angoujard et Francis Manzano (éds.), Cahiers de sociolinguistique, n° 12, PUR. texte.
  • Le Berre, Léon (= Abalor). 1913. Français de Quimpertin - Galleg Kemper. Comédie en 3 actes.
  • Le Dû, Jean 2002. Du café vous aurez ? : Petits mots du français de Basse-Bretagne, éditions Armeline.
  • Le Monze, Sylvie. 1998. 'Tutoiement, vouvoiement et autres formes d'adresse en français de Bretagne', La Bretagne Linguistique 11, CRBC.
  • Lossec, Herve 2009. 'Les bretonnismes ou l'influence du breton sur le français local', Le Lien, bulletin du Centre Généalogique du Finistère, n°112. 20-23.
  • Lossec, Herve. 2009. 'Les bretonnismes (III)' [grammaire et conjugaison], Ar Men 169: 16-19.
  • Lossec, Herve, 2008. 'Les bretonnismes (II)', Ar Men 166: 16-19.
  • Lossec, Herve, 2008. 'Les bretonnismes (I)', Ar Men 164: 14-17.
  • Marchello-Nizia, Christiane. 1979. Histoire de la langue française aux XIVe et XVe siècles, Collection Études. Série Langue française dirigée par Jean Batany, Paris, Bordas.
  • Nance, Claire. 2009. Breton influence on French in Lower Brittany. UBO.
  • Pichavant, R. 1996. Le Douarneniste comme on cause, étude des mots et des expressions populaires, quadri signe, éditions Alain Bargain, Quimper.
  • Raude, A.-J. 1989. 'La palatalisation des consonnes vélaires en breton et britto-roman', La Bretagne Linguistique 5, CRBC.
  • Ropars, Jean. 1986. 'Atlas linguistique des côtes françaises - littoral nord-ouest - analyse générale de l'enquête', La Bretagne Linguistique 2, CRBC.
  • Rousseaux, Xavier & René Lévy René (dir.). 1997. Le pénal dans tous ses États. Justice, États et sociétés en Europe (XIIe-XXe siècles), coll. Histoire.
  • Rybková, Hana. 2012. Le breton et son influence sur le français local. Situation linguistique dans le Finistère, mémoire de licence de l'université de Brno. texte.


corpus

  • Le Berre, Léon (pseudonyme Abalor) & Bernard, Daniel (pseudonyme Paôtr-ar-C'hap), 1913. Français de Quimpertin (Galleg Kemper). Comédie en 3 actes. — Dihunamb, En Oriant, E. Le Bayon, 1913, [iv]-156 p. (Préface d'Anatole Le Braz).
  • Burel, M. 2011. 'Breton et bretonnismes dans les poèmes roscanvélistes de Saint-Pol-Roux', Le Han, M. (éd.), Saint-Pol-Roux : Passeur entre deux mondes, Presses universitaires de Rennes.
  • Chardon, Henri. 1874. 'Les Noëls de Jean Daniel dit Maitre Mitou, organiste de Saint-Maurice et chapelain de Saint-Pierre d'Angers, 1520-1530', Le Mans, 37-39.
  • Haraucourt. 1902. 'données paimpolaises', La baratte, Journal du [6.10.1902]. Ce conte met littérairement en oeuvre du parler populaire français de Basse-Bretagne (cité dans Esnault (1925:325).
  • Marron, Marin. 1904. 'Jacques Lescop, maître chez soi', Paroisse bretonne de Paris, avril 1904 (cité dans Esnault (1925:325).
  • Martin, Anne-Denes 1994. Les ouvrières de la mer, Histoire des sardinières du littoral breton, Chemins de la mémoire, l'Harmattan.
  • Pencalet, Jean 1985. La sardine d'argent, Contes et récits du pays de Douarnenez, Illustré par Marie-Suzanne Lucas, Editions du Port-Rhu, MJC de Douarnenez.
  • Pencalet, Jean 1995. Si tante Soaz m'était contée..., Nouvelles histoires Douarnenistes, éditions Bargain, Quadrisigne Quimper.

descriptions linguistiques autres

  • Pooley, T. and Kasstan, J. R. 2016. 'Les variétés régionales non-méridionales de France: nivellement; dédialectalisation; supralocalisation', Sociolinguistica 30 (1): 175-198. texte.


langues en contact

-- voir aussi la bibliographie sur le gallo

  • Walter, Henriette & Philippe Blanchet. 2005. Dictionnaire du francais regional de Haute-Bretagne, Bonneton.