Différences entre les versions de « Incorporation »

De Arbres
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||| colspan="15" | 'Il n'y a pas un pet de colle pour que ce soit un cône.'
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Version du 28 août 2023 à 08:58

Un élément linguistique peut être morphologiquement incorporé dans un autre.

Les pronoms incorporés sont des pronoms faibles, c'est-à-dire des morphèmes apparaissant uniquement dans des composés morphologiques plus larges. Par exemple, un pronom sujet qui n'est pas focalisé s'incorpore aux morphèmes de l'accord verbal. Il apparaît donc comme "fondu" dans la morphologie de l'accord. De même, le pronom objet d'une préposition s'incorpore. Il donne alors l'impression que les prépositions sont fléchies, comme le serait un verbe.


(1) Evidon e kanan.
pour.moi R4 chante
'Selon moi, je chante.'


On distingue les pronoms incorporés des pronoms forts indépendants que l'on peut trouver en isolation et qui peuvent porter l'accent de focus.


(2) Me a gan.
moi R1 chante
'Je chante.'
Standard, titre de concours de chant


Contrairement aux pronoms objet proclitiques qui apparaissent à gauche du complexe morphologique, les pronoms incorporés apparaissent toujours à sa droite. L'opération inverse de l'incorporation est l'excorporation.

Morphologie

accentuation

Les pronoms faibles incorporés peuvent être accentués en breton, mais pas avec tous les accents. Ils peuvent recevoir l'accent de mot, mais pas l'accent de focalisation.


accent de mot

Les pronoms faibles incorporés peuvent porter l'accent de mot. Ceci est assez facile à observer dans les paradigmes prépositionnels. Par exemple, la carte 208 de l'ALBB, traduction de 'avec moi', donne quasiment sur tout le territoire parlant une accentuation sur le pronom incorporé (ganIN, ou avec le pronom écho; ganIN-me).

Les paradigmes verbaux montrent moins facilement des accentuations sur le pronom incorporé: en KLT, l'accentuation tombe généralement sur l'avant-dernière syllabe et les désinences verbales, en finales, ne sont donc généralement pas accentuées. On peut cependant forcer des contextes où l'accentuation de mot va tomber sur le morphème d'accord. Par exemple, en dialecte de Tréguier, la négation postverbale ket compte pour l'accentuation comme faisant partie intégrante du verbe. Dans ce système où l'avant-dernière syllabe est accentuée, c'est la désinence verbale qui porte l'accentuation Le Dû (2012:73).

On voit aussi les pronoms faibles porter l'accent dans le cas de verbes monosyllabiques.

Sur le plan théorique, il est important de voir que les pronoms faibles peuvent être accentués, car on voit alors que la règle qui les oblige à s'incorporer dans un complexe morphologique plus large n'est pas motivée par des raisons accentuelles. Ce n'est pas parce que les pronoms faibles ne pourraient pas morpho-phonologiquement porter l'accent qu'ils sont incorporés.


pas d'accent de focus

Les pronoms faibles, même s'ils peuvent porter l'accent de mot, ne peuvent pas porter l'accent de focus, qui doit être porté par des pronoms forts indépendants (me, te, eñ… ), des pronoms post-verbaux de désambiguïsation genrée (… a lare-eñ… ), ou des pronoms écho (ganin-me).

L'exemple cornouaillais en (3) est une exception. Dans ce dialecte, la première personne du singulier a formé un morphème porte-manteau incorporé, composé du pronom et de son pronom écho (la forme simple, non focalisée est baniñ).


(3) Meñ, neus, sar kleo anhañ, ' zo tost dhiñ mont droug banim.
moi alors en entendre P.lui R1 est près à.moi aller méchanceté dans.moi-moi
'Alors moi, à l'entendre, je manque de me mettre en colère ...'
Cornouaillais (Scaër/Bannalec), H. Gaudart (09/2022b)


Syntaxe

implications pour le système d'accord

Puisque les pronoms faibles sujets s'incorporent obligatoirement au complexe verbal en breton, l'incorporation est une dimension clef du système d'accord en breton.

La non-incorporation d'un pronom faible n'est jamais possible en breton, où tout pronom qui déclenche un accord verbal sur le verbe est un pronom incorporé. En breton, lorsque le sujet pronominal est exprimé par un pronom non-incorporé, l'accord verbal est gelé à la personne 3SG.


horizons comparatifs

En gallois, les pronoms sujets postverbaux peuvent ne pas s'incorporer. On voit alors le verbe s'accorder avec son pronom sujet, ce qui n'est pas possible dans la plupart des dialectes en breton.


(4) Gwelodd { e / hi } ddraig. vs. Gwelon nhw ddraig.
voir.PASSE.3SG il/elle dragon voir.PASSE.3PL ils/elles dragon
'Il/Elle a vu un dragon.', 'Ils/Elles ont vu un dragon.'
Gallois, Borsley (2009:227)

variation dialectale

création de pronoms dépendants en breton central

En breton central, le paradigme de la préposition eus 'de' avec ses pronoms objets incorporés a été réanalysé comme un paradigme pronominal incorporable. Ces nouveaux pronoms sont des pronoms faibles, et commencent à apparaître à leur tour comme incorporés à d'autres prépositions.

Comparez ces objets postverbaux (Wmffre 1998:26) aux pronoms incorporés à la préposition war 'sur' (Wmffre 1998:30).


préposition a, Breton central, Wmffre (1998:30), [fig.12]
(5) nombre, personne forme équivalent standard traduction
1SG hɑ͂w ac'hanon 'moi, de moi'
2SG hɑ͂n ac'hanout 'toi, de toi'
3SGM nɑ͂w anezhañ 'lui, de lui'
3SGF nɛj anezhi 'elle, de elle'
1PL hɑ͂m ac'hanomp 'nous, de nous'
2PL hɑ͂ħ ac'hanoc'h 'vous, de vous'
3PL nœ͂ anezho 'eus, de eux, elles, de elles'


préposition war, Breton central, Wmffre (1998:30), [fig.16]
(6) nombre, personne forme équivalent standard traduction
1SG waɣ hɑ͂w war ac'hanon warnon 'sur moi'
2SG waɣ hɑ͂n war ac'hanout warnout 'sur toi'
3SGM waɣ nɑ͂w warnezhañ warnañ 'sur lui'
3SGF waɣ nɛj warnezhi warni 'sur elle'
1PL waɣ hɑ͂m war ac'hanomp warnomp 'sur nous'
2PL waɣ hɑ͂ħ war ac'hanoc'h warnoc'h 'sur vous'
3PL waɣ nœ͂ warnezho warno 'sur eux, sur elles'


Ce nouveau paradigme de pronoms incorporables ne supplante cependant pas les autres paradigmes de pronoms incorporés, et les prépositions de 'à', gɑ͂n 'avec' ne peuvent pas recevoir les pronoms incorporés ci-dessus. Wmffre (1998) analyse ces pronoms comme des pronoms "dépendants". Ils n'apparaissent qu'en position postverbale comme objet (7) ou comme résomptif du sujet (8).


(7) [ me vɛlo hɑ͂nəs ] [ hiɲ vɛlo nɛj ] [ gɥɛləd møs nɑ͂w ]
Me welo ac'hanez. Int welo anezhi. Gwelet meus anezhañ. Graphie standard
moi R1/sup> verra P.toi eux R1/sup> verra P.elle v.u 1SG.a P.lui
'Je te verrai.', 'Ils la verront.', 'Je l'ai vu.'
Breton central, Wmffre (1998:26)


(8) [ hε͂mə n e ke bɣa:z nɑ͂w ]
Hemañ n'eo ket bras anezhañ. Graphie standard
celui-ci ne1 est pas grand P.lui
'Il n'est pas grand.'
Breton central, Wmffre (1998:26)

domaine d'incorporation

En (9), le pronom féminin s'incorpore sur la préposition evit 'pour', sans être l'argument objet de cette préposition. Le pronom féminin est en fait le sujet de la petite proposition prédicative équative / 3SGF bout ur gernenn /. Pour ce pronom, cela implique une trajectoire d'incorporation en dehors de son domaine propositionnel.


(9) N'eus bruzunach peg ebet eviti bout ur gernenn !
ne1 est miett.age colle aucun pour.elle être un 1corn.ette
'Il n'y a pas un pet de colle pour que ce soit un cône.'
Cornouaillais (Scaër/Bannalec), Gaudart (2022:23)


Alternative théorique

Weisser (2019) propose que dans le cas du sujet pronominal postverbal, l'opération n'est pas d'incorporation, mais d'effacement directement dans la structure syntaxique. Les traits interprétables sont ensuite récupérés par le verbe.


Terminologie

Le Gléau (1973:17) appelle ces pronoms les 'pronoms composés atones'.

En breton on utilise pour pronom incorporé le terme raganv touezet, ou raganv lakaet e-barzh.


Bibliographie

littérature descriptive

  • Gourmelon, Yvon. 2012. 'Displegañ an araogennoù pe chom hep ober ?', Notennoù yezhadur, Al Liamm (éd.), 59-62.
  • Wmffre, I. 1998. Central Breton, [= Languages of the World Materials 152] Unterschleißheim: Lincom Europa.


analyse pour le breton

  • Weisser, Philipp. 2019. 'A Remove-based theory of the Complementarity Effect in Breton', Andrew Murphy (éd.), Structure Removal, Linguistische Arbeits Berichte 94, Universität Leipzig, 1–28.


horizons comparatifs

  • Borsley, R.D. 2009. 'On the superficiality of Welsh agreement', Natural Language and Linguistic Theory 27, 225–265.