Verbe analytique

De Arbres

La conjugaison analytique utilise l'auxiliaire ober, 'faire', comme support morphologique du temps, de l'aspect et éventuellement des traits de l'accord sujet. Le contenu lexical du verbe apparaît alors sous une forme infinitive.

Cette structure est attestée dans de multiples écrits, et dans tous les dialectes.



Morphologie

L'auxiliaire ober sert de support morphologique aux morphèmes du temps, de l'aspect et éventuellement aux marqueurs de l'accord sujet.

Plusieurs verbes peuvent ainsi utiliser un même support.


(1) Bale, redek, nijal a rit-hu war-du an termen.
marcher, courir, voler R faites.2PL-2PL sur-côté le terme
'Vous marchez, courez, volez vers le terme.'
SMM. (1864:32), cité dans Le Gléau (1973:45)

Effet de discours

Les avis divergent sur l'effet de discours associé à la conjugaison analytique.

Pour Trépos (2001:§438), la conjugaison analytique est nettement associée à un effet d'emphase. Cette hypothèse est appuyée par le fait qu'il est possible de trouver ces structures à l'intérieur de clivées préverbales (voir Trépos 2001:§438).


A l'opposé, pour Hewitt (1988a) et Jouitteau (2011), la conjugaison analytique est caractérisée par une lecture neutre sur l'infinitif. La tête verbale antéposée ne reçoit en effet pas de lecture focale, ou de topique.

En (1), il est visible qu'il s'agit d'une antéposition de tête verbale, car l'objet du verbe (le VP distag 'Gouten tag' ag ar gwellañ, est postverbal). Le focus de la phrase porte sur le sujet 'nous', avec un pronom sujet écho et son adverbe focalisateur ivez, 'aussi'. L'hypothèse d'un effet d'emphase sur le verbe lexical 'essayer' implique qu'il y aurait double focalisation dans cette phrase.


(1) Esae a raomp-ni ivez [VP objet distag Gouten tag ag ar gwellañ] .
essayer R faisons.1PL-1PL aussi prononcer Gouten tag de le mieux
'Nous essayons, nous aussi, de prononcer Gouten tag de notre mieux.'
vannetais, Herrieu (1994:288)


Le Gléau (1973:45) relève ces structures en corpus, et note qu'elles apparaissent surtout pour l'introduction d'un nouveau paragraphe, ce qui concorde avec l'hypothèse qu'elles coïncident avec des phrases à structure informationnelle plate (sans focus ou entièrement focalisée).

L'hypothèse que la conjugaison analytique n'est pas associée à un effet de focus n'est tenable qu'en mettant à part les structures où la tête verbale apparaît dans une clivée (cf. Trépos (2001:§438).

Distribution

sujet

Selon Le Gléau (1973:44, 45), l'usage de la conjugaison analytique en ober est incompatible avec un syntagme nominal sujet. Il note en effet qu'en corpus, ces structures n'apparaissent qu'avec des sujets pronominaux incorporés. Selon lui, la présence d'un DP sujet postverbal implique forcément une lecture focale sur le verbe infinitif antéposé, et il s'agit alors d'un cas d'antéposition de VP.

phrases matrices

La conjugaison analytique en ober avec une tête infinitive est restreinte aux phrases matrices. Elle est toujours illicite dans les enchâssées (Stephens 1982:102).

bloqué par la négation

Cette construction est incompatible avec la négation (Stephens 1982:105).

(2) * Debriñ ne ra ket Yann krampouezh ed-du.
manger ne fait pas Yann galettes blé-noir
'Yann ne mange pas de galettes de sarrasin.'
Stephens (1982:105)


Ceci fournit un contraste intéressant avec la topicalisation de VP propre à la construction avec ober anaphorique:


(2) Debriñ krampouezh ed-du ne ra ket Yann.
manger galettes blé-noir ne fait pas Yann
'Yann ne mange pas de galettes de sarrasin.'
Stephens (1982:105)

pas d'extraction longue distance

L'extraction longue distance est illicite avec la conjugaison analytique, ce qui fournit encore un contraste avec la construction avec ober anaphorique.

pas de temps composés

La conjugaison analytique en ober ne supporte pas d'être elle-même mise à un temps composé, avec un auxiliaire perfectif ou passif.


 (Stephens 1982:106)
 
 "auxiliary ober does not possess all the grammatical properties of a verb, 
 in particular it does not take the perfective nor the passive auxiliary."


(4) * Prenañ az peus graet ur wetur nevez.
acheter R as.2SG fait un1 voiture neuf
'Tu as acheté une voiture neuve.'
Stephens (1982:103)


(5) * Prenañ a zo graet ur wetur nevez.
acheter R est fait un1 voiture neuf
'Tu as acheté une voiture neuve.'
Stephens (1982:103)

ordre V-AUX

Dans la conjugaison analytique, l'auxiliaire ober est toujours prononcé après le verbe infinitif (Jouitteau à venir). L'ordre [AUX ober - Verbe] n'est jamais constaté.

A ne pas confondre

Tous les ordres de mots avec un infinitif à l'initiale devant un auxiliaire ober, 'faire' ne sont pas des cas de conjugaison analytique.

Certains sont des cas d'antéposition de VP avec l'auxiliaire anaphorique ober. Leurs propriétés syntaxiques sont différentes.


Analyse théorique

Hewitt (1988a) et Jouitteau (2011) proposent que le contexte syntaxique où apparaît cette conjugaison analytique coïncide exactement avec les environnements de dernier recours pour les ordres à verbe second.

Cette généralisation obtient que cette structure est restreinte aux phrases où l'espace prétensé serait autrement vide et devrait être rempli:

- phrases non impératives (car les phrases impératives sont à verbe initial de toute façon)
- phrases simples ("matrices") car dans les enchâssées, l'espace préverbal est occupé par le complémenteur.
- phrases sans focus préverbal (en contraste avec l'auxiliaire ober en moyen breton)
- phrases avec emañ
- phrases sans négation


Le cas de la négation préverbale est épineux. La généralisation de Jouitteau (2011) prédit qu'à chaque fois qu'un infinitif est trouvé au-dessus de la négation préverbale, alors cet infinitif doit recevoir une lecture de focalisation. Ceci devrait être étudié en vue des données du moyen breton (cf. l'auxiliaire ober en moyen breton).

Jouitteau (2011) propose que dans les cas de conjugaison analytique, le verbe lexical est excorporé de la tête tensée. L'interface prononce ensuite un auxiliaire par défaut dédié au support des morphèmes de temps, d'aspect et éventuellement d'accord du sujet. Cette hypothèse permet d'expliquer que l'infinitif n'apparaît jamais après l'auxiliaire ober en conjugaison analytique, et que l'excorporation ne soit jamais possible d'un auxiliaire lui-même composé. Cette hypothèse permet enfin d'expliquer les cas de verbes qui se prennent eux-même comme auxiliaires, de type Gouzout a ouzon... (/savoir R je.sais' > 'Je sais.'). Il s'agirait alors du même procédé d'excorporation, mais avec prononciation de la copie la plus basse qui crée le redoublement.

Bibliographie

  • Borsley, R.D. M.L. Rivero & J. Stephens. 1996. ‘Long Head Movement in Breton’, The Syntax of the Celtic Languages: a comparative perspective, ed. Robert D. Borsley and Ian Roberts, 53-74. Cambridge University Press. Preview
  • Hewitt, Steve, 1988a. 'Ur framm ewid diskriva syntax ar verb brezoneg / Un cadre pour la description de la syntaxe verbale du breton', La Bretagne Linguistique, 4:203-11.
  • Jouitteau, M. 2012. 'Verb doubling in Breton and Gungbe; obligatory exponence at the sentence level’, The Morphosyntax of Reiteration in Creole and Non-Creole Languages, Aboh, Enoch O., Norval Smith and Anne Zribi-Hertz (éds.) [CLL 43]
  • Jouitteau, M. 2011. 'Post-syntactic Excorporation in Realizational Morphology: Breton Analytic Tenses', Andrew Carnie (éd.), Formal Approaches to Celtic Linguistics, Cambridge Scholars Publishing, 115-142. pdf sur lingBuzz/001169.
  • Jouitteau, M. 2005/2010. La syntaxe comparée du Breton, , éditions universitaires européennes, ISBN 978-613-1-52800-2. manuscrit en pdf ici ou ici.
  • Stephens, J. 1982. Word order in Breton, Ph.D. thesis, School of Oriental and African Studies, University of London.