Bleud
Le nom bleud dénote la 'farine'.
Morphologie
variation dialectale
(2) | / ar | 'blø:d | a | 'bre:nar / | ||||||||||||||
ar | bleud | a | brener | |||||||||||||||
le | farine | R1 | achète.on | |||||||||||||||
'la farine que l'on achète' | ||||||||||||||||||
Cornouaillais (Douarnenez), Denis (1972:148) |
Delanoy (2010) donne le haut vannetais bled f., 'farine', correspondant au KLT bleud.
Diachronie et horizons comparatifs
La reconstruction de la racine indo-européenne menant au sens 'farine' pose problème dans les langues celtiques. L'accentuation des cognats présumés en balto-slavique montre que la racine finissait avec une consonne laryngée comme le proto-indo-européen * menH 'miette' (IEW:726). Les cognats sont le lituanien (baltique oriental) mìnti 'piétiner, broyer (le lin)', le russe (slave oriental) mjat 'pétrir, malaxer', ou le slovène (slave méridional) mánem 'Je hache (1SG présent)'. La consonne laryngée finale du proto-indo-européen n'est pas retrouvée en celtique (spécifiquement, la racine * mnHtro aurait dû donner le proto-celtique ** mnātro-, Matasović 2009, qui cite LEIA M-36, GPC III: 2377, Delamarre 2001:216, et Sims-Williams 2006:90f).
A partir du proto-indo-européen * menH 'miette' (IEW:726), Matasović (2009) propose deux racines proto-celtiques : * mantro- 'piétiner, broyer, moudre' et * menā 'farine' menant au vieil irlandais men [ā f]. Matasović (2009) note que le gallois mathru 'piétiner' souvent dérivé de la même racine pourrait être un verbe dérivé du nominatif d'un nom * mantro- (cf. gallois mathr [m], 'piétinement, bourbier'). Il mentionne en lien les toponymes gaulois Petro-mantalon (* man-tlo- < * mn-tlo-), et Mantua (Mantova en Italie du Nord). Matasović (2009) ajoute le gaulois * manto-, * mantalo- interprété comme 'route (terrassée par piétinement)'. Aucun candidat lexical ne continue cette racine en breton.
La dérivation de bleud en breton moderne a une source proto-indo-européenne différente, qui a aussi donné le verbe malañ 'moudre'. Cette seconde racine proto-indo-européenne est le verbe * melh2- 'moudre' (IEW:716), qui obtient le cognat latin molo, lituanien málti, et arménien malem. Ce verbe a une descendance productive en celtique à partir du proto-celtique * mal-o-, * mel-o- 'moudre', qui obtient le radical de plusieurs conjugaisons de ce verbe en vieil irlandais. Dans la branche brittonique, * mal-o-, * mel-o- obtient le gallois malu, le vieux breton maletic glosant le participe passé latin contritum, le moyen breton malaff et le breton moderne malañ 'moudre' (KPV 470ff., GPC III: 2326f., Fleuriot 1964b:250, LIV 432f., Lewis & Pedersen 1937:381, LEIA M-32, Schrijver 1995: 81f., Hamp 1973:152).
Selon Matasović (2009) (version corrigée 2011), qui cite LEIA M-56, GPC I:284, Lewis & Pedersen (1937:54), Fleuriot (1964b:86), Deshayes (2003:115), De Bernardo Stempel (1999:293), Hamp (1973:151f), McCone (1996:52), Schrijver (1995:179), Irslinger (2002:209f), le développement celtique qui obtient bleud 'farine' est passé de 'moulu', le participe passé du verbe * melh2- 'moudre', à un adjectif * mlh2to- 'mou, meuble' ou un adjectif dérivé * mlh2ti- (plus probablement l'adjectif dérivé * mlh2ti- car la loi de Dybo pour déplacer l'accent ne s'est pas appliquée et on obtiendrait * mlato- de * mlh2tó-). Matasović (2009) propose donc que la racine adjectivale proto-celtique * mlāto/i- 'mou, meuble' mène au vieil irlandais mláith [i], au moyen gallois blawd [m], 'farine', au moyen cornique bles et au cornique blot 'farine', au vieux breton blot et au moyen breton bleud 'farine'. Il note aussi qu'alternativement, la forme brittonique pourrait aussi descendre du proto-celtique * blātu- 'fleur' avec le même développement sémantique que l'anglais flour venant du français fleur (de farine).
Selon Delanoy (2010), le nom français blé "peut être d'origine celtique", mais il ne livre pas son raisonnement. Le haut vannetais moderne et pré-moderne bled (KLT bleud) n'est en tout cas pas une source potentielle pour un emprunt latin, car la voyelle du vieux breton blot est -o-.
CNTRL atteste de la forme d'ancien français blet dès le XII°, et rejette deux étymons celtiques pour les formes romanes de 'blé'. "L'étymon celtique * mlato 'farine', à rattacher à molitum, participe passé du latin molere 'moudre' (Jud 1929) fait difficulté du point de vue sémantique, l'évolution de sens normalement attendue étant 'céréale' > 'farine' et non l'inverse". L'étymon celtique * blavos - comme le latin flavus - n'ont pas la consonne -t- ou -d- qui peut obtenir les plus anciennes formes romanes comme bladum (contra Ulrich 1905:227, 1879:260, note 1).
Bibliographie
- Ulrich J. 1905. 'blef, blé', Zeitschrift für romanische Philologie 29, p. 227.
- Ulrich J. 1879. 'xxx', Zeitschrift für romanische Philologie 3, p. 260, note 1.
- Jud, Jakob. 1929. 'xxx', Zeitschrift für romanische Philologie 49, 405-411.