Verbe analytique

De Arbres

La structure auxiliée avec ober est attestée dans de multiples écrits, et dans tous les dialectes. L'exemple ci-dessous date de 1398. Dès le moyen breton, l'infinitif apparaît en initiale de phrase et précède "presque toujours" l'auxiliaire (Le Roux 1957:410).


(4) ferwet, ferwet, ferwet donet a rant.
fermez, fermez, fermez venir R font.3PL
'Fermez, fermez, fermez, ils viennent.'
vannetais 1398, noté dans Fleuriot (1997:26),(EC,t.11:146)


Dans le cadre d'une énumération, l'auxiliaire peut servir à porter les traits de mode, de temps et éventuellement d'accord du sujet pour différents verbes lexicaux.


(2) Grognal, gwic'hal, oc'hal, doc'hal ha soroc'hal a rae, ma tlee beza klevet betek Toulzac'h, moarvat.
grogner grogner grogner grogner & grogner R faisait C doit être entendu jusqu'à Toulzac'h, probablement
'Il grognait, il piaillait, il grognait à nouveau, il grognait encore et encore, à tel point qu'on devait probablement l'entendre jusqu'à Toulzac'h.'
Kerrien (2000:86)


effet de discours

La conjugaison analytique est caractérisée par une lecture neutre sur l'infinitif La tête verbale antéposée ne reçoit en effet pas de lecture focale. En (1), on est sûr.e.s d'avoir une antéposition de tête verbale, car le VP objet est postverbal. Le focus de la phrase porte sur le sujet 'nous', avec un pronom sujet écho et son adverbe focalisateur ivez, 'aussi'. Aucun effet d'emphase n'est notable sur le verbe lexical 'essayer'.


(1) Esae a raomp-ni ivez [VP objet distag Gouten tag ag ar gwellañ] .
Essayer R faisons.1PL-1PL aussi prononcer Gouten tag P det mieux
'Nous essayons, nous aussi, de prononcer Gouten tag de notre mieux.' vannetais, Herrieu (1994:288)

variation dialectale

A Groix, la conjugaison avec l'auxiliaire ober est plus restreinte qu'ailleurs.

 Ternes (1970:280)
 La troisième conjugaison a une valeur sémantique particulière: l'action est envisagée dans
 son développement ou sa durée (aspect duratif). L'emploi de cette conjugaison est 
 particulièrement commun pour désigner les phénomènes de la nature (y compris le temps qu'il 
 fait et le temps qui passe) et les sensations physiques.
 [...]
 Cet emploi de la troisième conjugaison ne coïncide pas avec l'usage dans d'autres dialectes 
 bretons dans lesquels c'est cette conjugaison-ci qui est neutre sémantiquement. 
 (P.ex. dialecte du Léon: gouzout a ran "je sais".) 
 Dans le breton Groisillon, l'emploi de la troisième conjugaison est strictement limité à 
 l'expression de l'aspect duratif.


Restrictions sur le verbe infinitif

Tous les verbes infinitifs ne peuvent pas se conjuguer avec l'auxiliaire ober.

En breton moderne, dans la plupart des dialectes, les verbes infinitifs peuvent s'auxilier avec le verbe ober, y compris lui-même (ober a ran X, /faire je fais X/ = 'je fais X'),

sauf les verbes bezañ, 'être' (*Bez(añ) a ran X) pour 'je suis X'
et kaout/kavout, 'avoir' (*ka(v)out a ran X) pour 'je possède X'.


Cependant, le verbe 'avoir', basé sur le verbe 'être', peut se conjuguer avec l'auxiliaire ober (litt. /faire être Y à quelqu'un/ = 'quelqu'un avoir Y'), sous sa forme analytique en vannetais.


(3) hur bout a ramb nous avons
hé dout e ré elle avait
hag en devout e rehè m'anemisèd? est-ce que mes ennemis auraient...?
hou poud a ra vous avez (impersonnel)
Le Roux (1957) citant la Revue Celtique VIII:43, IX:265, XI:473.


contexte syntaxique

Le contexte syntaxique où apparait cette conjugaison analytique est très particulier: il s'agit des environnements de dernier recours pour les ordres à verbe second.

Cela signifie que cette structure est restreinte aux phrases où l'espace préverbal serait autrement vide:

- phrases non impératives
- phrases simples ("matrices") car dans les enchâssées, l'espace préverbal est occupé par le complémenteur.
- phrases sans focus préverbal (en contraste avec l'auxiliaire ober en moyen breton)
- phrases sans négation


Le cas de la négation préverbale est épineux. Ma généralisation prédit qu'à chaque fois qu'un infintif est trouvé au dessus de la négation préverbale, alors cet infinitif doit recevoir une lecture de focalisation. Ceci devrait être étudié en vue des donnnées du moyen breton (cf. l'auxiliaire ober en moyen breton).

localité

Une tête verbale peut être antéposée au dessus d'un auxiliaire tensé ou d'un modal, si et seulement si son site d'extraction est immédiatement postverbal (Jouitteau 2005). Cela signifie que si un autre élément venait remplir l'espace préverbal, l'infinitif apparaitrait toujours comme directement postverbal.


(1) Lenni a c'heller øi pennadoù e kembraeg diwar-benn an darvoudoù bet c'hoarvezet e Breizh.
lire R peut.IMP articles en gallois P les évènements été passé en Bretagne
‘On peut lire des articles en gallois sur les évènements survenus en Bretagne.’ breton standard, Al Liamm 360, p.120.


(2) Ya, Dont a hell _ eus an donvor gwagennou braz [...]
oui venir R peut P DET profond.mer vagues grand
‘Oui, de grandes vagues peuvent venir du large [...]’ léonard (Kleder), Seite (1998:84)

à ne pas confondre

Tous les ordres de mots avec un infinitif apparaissant devant un auxiliaire 'ober' ne sont pas des cas de conjugaison analytique. Certains sont des cas d'antéposition de VP où l'auxiliaire sélectionne une proposition infinitive. Leurs différences syntaxiques sont synthétisées dans la fiche sur les ordres à infinitif préverbal