Différences entre les versions de « Verbe analytique »

De Arbres
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La structure auxiliée avec ''ober'' est attestée dans de multiples écrits, et dans tous les dialectes. L'exemple ci-dessous date de 1398. Dès le moyen breton, l'infinitif apparaît en initiale de phrase et précède "presque toujours" l'auxiliaire (Le Roux 1957:410).  
La structure auxiliée avec ''ober'' est attestée dans de multiples écrits, et dans tous les dialectes.  




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|(4) || ferwet, ferwet, ferwet || '''donet''' || '''a rant'''.
 
== Effet de discours ==
 
La conjugaison analytique est caractérisée par une '''lecture neutre''' sur l'infinitif.
La tête verbale antéposée ne reçoit en effet pas de lecture focale, ou de topique.
 
En (1), il est visible qu'il s'agit d'une antéposition de tête verbale, car l'objet du verbe (le [[VP]] ''distag 'Gouten tag' ag ar gwellañ'', est postverbal).
Le focus de la phrase porte sur le sujet 'nous', avec un [[Les pronoms echo|pronom sujet écho]] et son adverbe focalisateur ''ivez'', 'aussi'.
Aucun effet d'emphase n'est notable sur le verbe lexical 'essayer'.
 
 
{| class="prettytable"
| (1) || '''Esae''' a raomp-ni ivez ||'''[<sub>[[VP]] objet</sub>''' || distag ''Gouten tag'' ag ar gwellañ''']''' .
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| ||fermez, fermez, fermez || venir || [[R]] font.3PL
||| essayer [[R]] faisons.1PL-1PL aussi || || prononcer ''Gouten tag'' P [[DET]] mieux
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| ||'Fermez, fermez, fermez, ils viennent.'
| ||colspan="4" |'Nous essayons, nous aussi, de prononcer ''Gouten tag'' de notre mieux.' ||||||||||||''vannetais'', [[Herrieu (1994)|Herrieu (1994]]:288)
|-
| |||| ''vannetais'' 1398, || noté dans Fleuriot (1997:26),(EC,t.11:146)
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Dans le cadre d'une énumération, l'auxiliaire peut servir à porter les traits de mode, de temps et éventuellement d'accord du sujet pour différents verbes lexicaux.
== Distribution ==
 
=== phrases matrices ===
 
 
La conjugaison analytique en ''ober'' avec une tête infinitive est restreinte aux phrases matrices.
Elle est toujours illicite dans les enchâssées ([[Stephens (1982)|Stephens 1982]]:102).
 
 
=== bloqué par la négation ==
 
Cette construction est incompatible avec la négation ([[Stephens (1982)|Stephens 1982]]:105).


{| class="wikitable"
{| class="wikitable"
|(2)|| '''Grognal''', '''gwic'hal''', '''oc'hal''',  '''doc'hal'''  ha '''soroc'hal''' || a rae, ||ma tlee beza klevet betek Toulzac'h, moarvat.
|(2) *|| Debriñ || '''ne ra ket ''' ||Yann|| krampouezh ed-du.
|-
|-
| || grogner  grogner  grogner  grogner  & grogner || [[R]] faisait || C doit être entendu jusqu'à Toulzac'h, probablement
| ||manger || NEG fait NEG || Yann|| galette blé-noir
|-
|-
|||colspan="4" | 'Il grognait, il piaillait, il grognait à nouveau, il grognait encore et encore, à tel point qu'on devait probablement l'entendre jusqu'à Toulzac'h.'
| || colspan="4" | 'Yann ne mange pas de galettes de sarrasin.'
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| |||||||| [[Kerrien (2000)|Kerrien (2000]]:86)
| || ||||colspan="4" | [[Stephens (1982)|Stephens (1982]]:105)
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== effet de discours ==
Ceci fournit un contraste intéressant avec la topicalisation de [[VP]] propre à la construction avec ''ober'' anaphorique:


La conjugaison analytique est caractérisée par une '''lecture neutre''' sur l'infinitif
La tête verbale antéposée ne reçoit en effet pas de lecture focale. En (1), on est sûr.e.s d'avoir une antéposition de tête verbale, car le VP objet est postverbal. Le focus de la phrase porte sur le sujet 'nous', avec un [[Les pronoms echo|pronom sujet écho]] et son adverbe focalisateur ''ivez'', 'aussi'. Aucun effet d'emphase n'est notable sur le verbe lexical 'essayer'.


 
{| class="wikitable"
{| class="prettytable"
|(2) || Debriñ || krampouezh ed-du|| '''ne ra ket ''' ||Yann.
| (1) || '''Esae''' a raomp-ni ivez ||'''[<sub>[[VP]] objet</sub>''' || distag ''Gouten tag'' ag ar gwellañ''']''' .
|-
| ||manger || galette blé-noir || NEG fait NEG || Yann
|-
| || colspan="4" | 'Yann ne mange pas de galettes de sarrasin.'
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||| Essayer R faisons.1PL-1PL aussi || || prononcer ''Gouten tag'' P det mieux
| || ||||colspan="4" | [[Stephens (1982)|Stephens (1982]]:105)
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| ||colspan="4" |'Nous essayons, nous aussi, de prononcer ''Gouten tag'' de notre mieux.' ||||||||||||''vannetais'', [[Herrieu (1994)|Herrieu (1994]]:288)
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=== [[variation dialectale]] ===
=== pas d'extraction longue distance ===


A Groix, la conjugaison avec l'auxiliaire ''ober'' est plus restreinte qu'ailleurs.
L'extraction longue distance est illicite avec la conjugaison analytique, ce sui fournit encore un contraste avec la construction avec ''ober'' anaphorique.
  [[Ternes (1970)|Ternes (1970:280)]]
  La troisième conjugaison a une valeur sémantique particulière: l'action est envisagée dans
  son développement ou sa durée (aspect duratif). L'emploi de cette conjugaison est  
  particulièrement commun pour désigner les phénomènes de la nature (y compris le temps qu'il
  fait et le temps qui passe) et les sensations physiques.
  [...]
  Cet emploi de la troisième conjugaison ne coïncide pas avec l'usage dans d'autres dialectes
  bretons dans lesquels c'est cette conjugaison-ci qui est neutre sémantiquement.
  (P.ex. dialecte du Léon: ''gouzout a ran'' "je sais".)
  Dans le breton Groisillon, l'emploi de la troisième conjugaison est strictement limité à
  l'expression de l'aspect duratif.




== Restrictions sur le verbe infinitif ==
=== pas de temps composés ===


Tous les verbes infinitifs ne peuvent pas se conjuguer avec l'auxiliaire '''ober'''.


En breton moderne, dans la plupart des dialectes, les verbes infinitifs peuvent s'auxilier avec le verbe ''ober'',  y compris lui-même (''ober a ran X'', /faire je fais X/ = 'je fais X'),
L'auxiliation en ''ober'' ne supporte pas d'être elle-même mise à un temps composé, avec un auxiliaire perfectif ou passif ([[Stephens (1982)|Stephens 1982]]:103).
: sauf les verbes ''bezañ'', 'être' (*''Bez(añ) a ran X'') pour 'je suis X'
: et ''kaout/kavout'', 'avoir' (*''ka(v)out a ran X'') pour 'je possède X'.




Cependant, le verbe 'avoir', basé sur le verbe 'être', peut se conjuguer avec l'auxiliaire ''ober'' (litt. /faire être Y à quelqu'un/ = 'quelqu'un avoir Y'), sous sa forme analytique en vannetais.
{| class="wikitable"
|(4) *|| Prenañ || '''az peus''' ||graet|| ur wetur||nevez.
|-
| ||acheter || [[R]] as.2SG || fait|| [[DET]]<sup>[[1]]</sup> voiture || neuf
|-
| || colspan="4" | 'Tu as acheté une voiture.'
|-
| || ||||colspan="4" | [[Stephens (1982)|Stephens (1982]]:103)
|}




{| class="wikitable"
{| class="wikitable"
|(3)|| '''''hur bout''' a ramb'' || nous avons
|(5) *|| Prenañ || '''a zo''' ||graet|| ur wetur||nevez.
|-
| ||'''''hé dout''' e ré'' || elle avait
|-
|-
| ||''hag '''en devout''' e rehè m'anemisèd?'' || est-ce que mes ennemis auraient...?
| ||acheter || [[R]] est || fait|| [[DET]]<sup>[[1]]</sup> voiture || neuf
|-
|-
| ||'''''hou poud''' a ra'' || vous avez (impersonnel)
| || colspan="4" | 'Tu as acheté une voiture.'
|-
|-
| |||||| [[Le Roux (1957)]] citant la [[Revue Celtique, Table des matières |''Revue Celtique'']] VIII:43, IX:265, XI:473.
| || ||||colspan="4" | [[Stephens (1982)|Stephens (1982]]:103)
|}
|}




== contexte syntaxique ==
== Contexte syntaxique ==


Le contexte syntaxique où apparait cette conjugaison analytique est très particulier: il s'agit des '''environnements de dernier recours pour les ordres à verbe second'''.
Le contexte syntaxique où apparait cette conjugaison analytique est très particulier: il s'agit des '''environnements de dernier recours pour les ordres à verbe second'''.

Version du 12 octobre 2010 à 16:17

La structure auxiliée avec ober est attestée dans de multiples écrits, et dans tous les dialectes.



Effet de discours

La conjugaison analytique est caractérisée par une lecture neutre sur l'infinitif. La tête verbale antéposée ne reçoit en effet pas de lecture focale, ou de topique.

En (1), il est visible qu'il s'agit d'une antéposition de tête verbale, car l'objet du verbe (le VP distag 'Gouten tag' ag ar gwellañ, est postverbal). Le focus de la phrase porte sur le sujet 'nous', avec un pronom sujet écho et son adverbe focalisateur ivez, 'aussi'. Aucun effet d'emphase n'est notable sur le verbe lexical 'essayer'.


(1) Esae a raomp-ni ivez [VP objet distag Gouten tag ag ar gwellañ] .
essayer R faisons.1PL-1PL aussi prononcer Gouten tag P DET mieux
'Nous essayons, nous aussi, de prononcer Gouten tag de notre mieux.' vannetais, Herrieu (1994:288)


Distribution

phrases matrices

La conjugaison analytique en ober avec une tête infinitive est restreinte aux phrases matrices. Elle est toujours illicite dans les enchâssées (Stephens 1982:102).


= bloqué par la négation

Cette construction est incompatible avec la négation (Stephens 1982:105).

(2) * Debriñ ne ra ket Yann krampouezh ed-du.
manger NEG fait NEG Yann galette blé-noir
'Yann ne mange pas de galettes de sarrasin.'
Stephens (1982:105)


Ceci fournit un contraste intéressant avec la topicalisation de VP propre à la construction avec ober anaphorique:


(2) Debriñ krampouezh ed-du ne ra ket Yann.
manger galette blé-noir NEG fait NEG Yann
'Yann ne mange pas de galettes de sarrasin.'
Stephens (1982:105)


pas d'extraction longue distance

L'extraction longue distance est illicite avec la conjugaison analytique, ce sui fournit encore un contraste avec la construction avec ober anaphorique.


pas de temps composés

L'auxiliation en ober ne supporte pas d'être elle-même mise à un temps composé, avec un auxiliaire perfectif ou passif (Stephens 1982:103).


(4) * Prenañ az peus graet ur wetur nevez.
acheter R as.2SG fait DET1 voiture neuf
'Tu as acheté une voiture.'
Stephens (1982:103)


(5) * Prenañ a zo graet ur wetur nevez.
acheter R est fait DET1 voiture neuf
'Tu as acheté une voiture.'
Stephens (1982:103)


Contexte syntaxique

Le contexte syntaxique où apparait cette conjugaison analytique est très particulier: il s'agit des environnements de dernier recours pour les ordres à verbe second.

Cela signifie que cette structure est restreinte aux phrases où l'espace préverbal serait autrement vide:

- phrases non impératives
- phrases simples ("matrices") car dans les enchâssées, l'espace préverbal est occupé par le complémenteur.
- phrases sans focus préverbal (en contraste avec l'auxiliaire ober en moyen breton)
- phrases sans négation


Le cas de la négation préverbale est épineux. Ma généralisation prédit qu'à chaque fois qu'un infintif est trouvé au dessus de la négation préverbale, alors cet infinitif doit recevoir une lecture de focalisation. Ceci devrait être étudié en vue des données du moyen breton (cf. l'auxiliaire ober en moyen breton).


localité

Une tête verbale peut être antéposée au dessus d'un auxiliaire tensé ou d'un modal, si et seulement si son site d'extraction est immédiatement postverbal (Jouitteau 2005). Cela signifie que si un autre élément venait remplir l'espace préverbal, l'infinitif apparaitrait toujours comme directement postverbal.


(1) Lenni a c'heller øi pennadoù e kembraeg diwar-benn an darvoudoù bet c'hoarvezet e Breizh.
lire R peut.IMP articles en gallois P les évènements été passé en Bretagne
‘On peut lire des articles en gallois sur les évènements survenus en Bretagne.’ breton standard, Al Liamm 360, p.120.


(2) Ya, Dont a hell _ eus an donvor gwagennou braz [...]
oui venir R peut P DET profond.mer vagues grand
‘Oui, de grandes vagues peuvent venir du large [...]’ léonard (Kleder), Seite (1998:84)


à ne pas confondre

Tous les ordres de mots avec un infinitif apparaissant devant un auxiliaire 'ober' ne sont pas des cas de conjugaison analytique. Certains sont des cas d'antéposition de VP où l'auxiliaire sélectionne une proposition infinitive. Leurs différences syntaxiques sont synthétisées dans la fiche sur les ordres à infinitif préverbal