Différences entre les versions de « Weisser (2019b) »

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L'auteur propose une analyse de l'alternance ''a''/''e'' des [[rannigs]] comme répondant à une règle d'allomorphie. Il est commun d'analyser les deux rannigs comme des formes alternatives d'un même élément, mais Weisser (2019b) ajoute qu'ils sont les formes différentes d'un même [[morphème]], et que la règle qui décide de leur alternance est une règle morphologique.  
L'auteur propose une analyse de l'alternance ''a''/''e'' des [[rannigs]] comme répondant à une règle d'allomorphie. Il est commun d'analyser les deux rannigs comme des formes alternatives d'un même élément, mais Weisser (2019b) ajoute qu'ils sont les formes différentes d'un même [[morphème]], et que la règle qui décide de leur alternance est une règle morphologique.  


La proposition fait une prédiction fausse qui est un problème important pour son analyse. L'article s'appuie aussi sur des généralisations fausses, mais qui n'impactent pas le coeur de l'analyse.
La proposition fait une prédiction fausse qui est un problème important pour son analyse. La proposition que l'élément devant le rannig est toujours dans un [[spécifieur]] n'est pas non plus tenable.  




=== prédictions incorrectes ===
=== prédit incorrectement une condition d'adjacence ===


* L'hypothèse est explicitement construite pour prédire une [[condition d'adjacence|adjacence]] obligatoire entre le rannig et l'élément qui déclenchent sa forme ''a'' ou ''e'' ("the relation between the rannig and the element in the prefield differs from regular agreement in that it is limited to a specific position, which is obligatorily adjacent").  
L'hypothèse est explicitement construite pour prédire une [[condition d'adjacence|adjacence]] obligatoire entre le rannig et l'élément qui déclenchent sa forme ''a'' ou ''e'' ("the relation between the rannig and the element in the prefield differs from regular agreement in that it is limited to a specific position, which is obligatorily adjacent").  


Dans le dialecte du Léon, qui est le seul dialecte avec le vannetais où l'alternance des rannigs soit réellement testable, cette condition d'adjacence est démentie par les faits. Des incises, mais aussi des adjoints, ou même parfois des groupes prépositionnels dérivés peuvent intervenir.
Dans le dialecte du Léon, qui est le seul dialecte avec le vannetais où l'alternance des rannigs soit réellement testable, cette condition d'adjacence est démentie par les faits. Des incises, mais aussi des adjoints, ou même parfois des groupes prépositionnels dérivés peuvent intervenir.
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* L'hypothèse de Weisser (2019b) est que l'élément initial monte dans le [[spécifieur]] du rannig, qui projette syntaxiquement ("''I would like to note that the element triggering the allomorphy is derived by movement, it necessarily occupies a specifier.''").  
=== le V2 linéaire résiste à la proposition d'un spécifieur ===
 
L'hypothèse de Weisser (2019b) est que l'élément initial monte dans le [[spécifieur]] du rannig, qui projette syntaxiquement ("''I would like to note that the element triggering the allomorphy is derived by movement, it necessarily occupies a specifier.''"). Le problème est que le breton présente un type de [[V2]] dit 'linéaire', où des têtes fonctionelles peuvent être le prmier élément d'un ordre à verbe second. Certaines têtes ne sont plausiblement pas dérivées par mouvement.


: Les [[complémenteurs]] introduisant les [[enchâssées]] sont très manifestement soudés à la structure, et déclenchent cependant la forme ''e'' du rannig ([[Jouitteau (2007)|Jouitteau 2007]]:194).
: Les [[complémenteurs]] introduisant les [[enchâssées]] sont très manifestement soudés à la structure, et déclenchent cependant la forme ''e'' du rannig ([[Jouitteau (2007)|Jouitteau 2007]]:194).
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: Cette analyse commet l'auteur à une analyse des faits de [[long head movement]] comme impliquant un [[spécifieur]]. C'est une position très controversée dans la littérature, et qui n'explique pas les restrictions d'antéposition de [[VP]]. Le même commentaire s'applique pour les structures de [[conjugaison analytique]] du verbe avec l'auxiliaire ''[[ober]]'' 'faire'.
: Cette analyse commet l'auteur à une analyse des faits de [[long head movement]] comme impliquant un [[spécifieur]]. C'est une position très controversée dans la littérature, et qui n'explique pas les restrictions d'antéposition de [[VP]]. Le même commentaire s'applique pour les structures de [[conjugaison analytique]] du verbe avec l'auxiliaire ''[[ober]]'' 'faire'.


: L'idée que le rannig projette n'est pas corrélée avec une fonction particulière dans l'[[arbre syntaxique]].
: L'idée que le rannig projette, et fait partie de l'épine dorsale de l'arbre, n'est pas corrélée avec une fonction particulière dans l'[[arbre syntaxique]].


=== généralisations incorrectes ===


L'article inclut aussi des généralisations incorrectes, mais qui n'impactent pas le coeur de son hypothèse.
=== quelques généralisations incorrectes ===


L'article mentionne aussi quelques généralisations fausses, mais qui n'impactent pas le coeur de l'analyse.


* "Crucially, the rannig is only overt if its trigger is overt."
* "Crucially, the rannig is only overt if its trigger is overt."
: L'auteur s'appuie sur la généralisation que l'élément déclencheur doit être réalisé phonologiquement. Cette généralisation est fausse. Le rannig apparaît effectivement la plupart du temps après le premier élément de la phrase, mais il peut aussi être la première réalisation, à l'initiale. Dans les cas d'[[topic-drop|effacement d'un topique]], le rannig est en effet réalisé (''...a zo gwir!'', cf. [[Jouitteau (2007)|Jouitteau (2007]]:187), ou l'article sur ce site sur les [[ordres V1]]). A ma connaissance, c'est le cas dans toutes les langues [[V2]].
: La réalisation du rannig lui-même dépend du tempo d'élocution. Son alternance peut rester visible sur la [[mutation]] différente que les deux rannigs provoquent sur l'initiale du verbe tensé.
: La réalisation phonologique de l'élment initial n'est pas non plus un pré-requis. L'auteur s'appuie sur la généralisation que l'élément déclencheur doit être réalisé phonologiquement. Cette généralisation est fausse. Le rannig apparaît effectivement la plupart du temps après le premier élément de la phrase, mais il peut aussi être la première réalisation, à l'initiale. Dans les cas d'[[topic-drop|effacement d'un topique]], le rannig est en effet réalisé (''...a zo gwir!'', cf. [[Jouitteau (2007)|Jouitteau (2007]]:187), ou l'article sur ce site sur les [[ordres V1]]). A ma connaissance, c'est le cas dans toutes les langues [[V2]].
: Une règle morphologique d'allomorphie peut cependant être adaptée de manière à accomoder des éléments présents dans la structure mais non-prononcés.
: Une règle morphologique d'allomorphie peut cependant être adaptée de manière à accomoder des éléments présents dans la structure mais non-prononcés.
: La réalisation du rannig lui-même dépend du tempo d'élocution. Son alternance peut rester visible sur la [[mutation]] différente que les deux rannigs provoquent sur l'initiale du verbe tensé.


* accord: "agreement is only visible when the trigger of agreement is dropped."
* accord: "agreement is only visible when the trigger of agreement is dropped."

Version du 23 avril 2020 à 10:20


analyse l'alternance des rannigs en terme d'allomorphie, et argumente contre une théorie de l'accord pour cette alternance.


 Abstract:
 "Recent work on allomorphy has tried to propose various notions of locality domains in order to constrain the relation between the trigger and the target of allomorphy. However, unless we have a way to clearly distinguish between allomorphy and cases of syntactic agreement, this approach is bound to fail as one can never tell whether a given alternation is due to agreement or non-local allomorphy. The goal of this paper is thus to provide a set of coherent diagnostics to distinguish the two phenomena empirically. In order to do this, I provide three case studies about phenomena previously analyzed as instances of agreement. For each of these cases, I argue that an analysis in terms of allomorphy is empirically more adequate for a number of reasons. Since two of these case studies involve phenomena where the trigger and the target of allomorphy are not part of the same word, the present paper also substantiates the claim that context-sensitive spell-out phenomena are not restricted to words. Building on these case studies, the final section revisits six diagnostics that can be applied to a given alternation to determine whether it is an instance of allomorphy or agreement."


Evaluation critique

L'auteur propose une analyse de l'alternance a/e des rannigs comme répondant à une règle d'allomorphie. Il est commun d'analyser les deux rannigs comme des formes alternatives d'un même élément, mais Weisser (2019b) ajoute qu'ils sont les formes différentes d'un même morphème, et que la règle qui décide de leur alternance est une règle morphologique.

La proposition fait une prédiction fausse qui est un problème important pour son analyse. La proposition que l'élément devant le rannig est toujours dans un spécifieur n'est pas non plus tenable.


prédit incorrectement une condition d'adjacence

L'hypothèse est explicitement construite pour prédire une adjacence obligatoire entre le rannig et l'élément qui déclenchent sa forme a ou e ("the relation between the rannig and the element in the prefield differs from regular agreement in that it is limited to a specific position, which is obligatorily adjacent").

Dans le dialecte du Léon, qui est le seul dialecte avec le vannetais où l'alternance des rannigs soit réellement testable, cette condition d'adjacence est démentie par les faits. Des incises, mais aussi des adjoints, ou même parfois des groupes prépositionnels dérivés peuvent intervenir.


(1) [DP Kement ki klanv a zeuio er vro ] [PP dre Voujez ] a dremeno.
chaque chien malade R1 viendra en.le 1pays par Boujez R1 passera
'Tous les chiens enragés qui arriveront dans la contrée passeront par Boujez.'
Léonard, Kerrien (2000:4)


le V2 linéaire résiste à la proposition d'un spécifieur

L'hypothèse de Weisser (2019b) est que l'élément initial monte dans le spécifieur du rannig, qui projette syntaxiquement ("I would like to note that the element triggering the allomorphy is derived by movement, it necessarily occupies a specifier."). Le problème est que le breton présente un type de V2 dit 'linéaire', où des têtes fonctionelles peuvent être le prmier élément d'un ordre à verbe second. Certaines têtes ne sont plausiblement pas dérivées par mouvement.

Les complémenteurs introduisant les enchâssées sont très manifestement soudés à la structure, et déclenchent cependant la forme e du rannig (Jouitteau 2007:194).
Dans les cas de phrases matrices commençant par l'explétif bez', il n'est pas clair du tout que l'élément déclenchant l'allomorphie soit dérivé par mouvement. L'explétif ou particule focalisatrice bez' n'a jamais d'occurrence en IP, dans le champ du milieu. Rezac (2004) pointe explicitement que la soudure de l'explétif en ferait un exemple unique de satisfaction d'un phénomène d'accord par soudure. Jouitteau (2007) le considère aussi comme un explétif soudé à la structure (cf. sur ce site, article sur bez').
Cette analyse commet l'auteur à une analyse des faits de long head movement comme impliquant un spécifieur. C'est une position très controversée dans la littérature, et qui n'explique pas les restrictions d'antéposition de VP. Le même commentaire s'applique pour les structures de conjugaison analytique du verbe avec l'auxiliaire ober 'faire'.
L'idée que le rannig projette, et fait partie de l'épine dorsale de l'arbre, n'est pas corrélée avec une fonction particulière dans l'arbre syntaxique.


quelques généralisations incorrectes

L'article mentionne aussi quelques généralisations fausses, mais qui n'impactent pas le coeur de l'analyse.

  • "Crucially, the rannig is only overt if its trigger is overt."
La réalisation du rannig lui-même dépend du tempo d'élocution. Son alternance peut rester visible sur la mutation différente que les deux rannigs provoquent sur l'initiale du verbe tensé.
La réalisation phonologique de l'élment initial n'est pas non plus un pré-requis. L'auteur s'appuie sur la généralisation que l'élément déclencheur doit être réalisé phonologiquement. Cette généralisation est fausse. Le rannig apparaît effectivement la plupart du temps après le premier élément de la phrase, mais il peut aussi être la première réalisation, à l'initiale. Dans les cas d'effacement d'un topique, le rannig est en effet réalisé (...a zo gwir!, cf. Jouitteau (2007:187), ou l'article sur ce site sur les ordres V1). A ma connaissance, c'est le cas dans toutes les langues V2.
Une règle morphologique d'allomorphie peut cependant être adaptée de manière à accomoder des éléments présents dans la structure mais non-prononcés.
  • accord: "agreement is only visible when the trigger of agreement is dropped."
Plus précisément, lorsqu'un sujet pronominal est incorporé (cf. Jouitteau & Rezac 2006, ou l'article de ce site sur le système d'accord).


références

L'auteur rapporte partiellement les travaux de Rezac (2004) et Jouitteau (2007), mais ignore les travaux qui proposent que l'alternance des rannigs doit être réalisée dans un module morphologique post-syntaxique (Jouitteau (2005) qui est certes en français, mais aussi, en anglais, Jouitteau 2011, 2012 qui ajoute des faits du Gungbe, 2013, 2020). Des arguments critiques contre l'analyse en terme d'accord étaient aussi déjà présents dans Rezac (2004) et Jouitteau (2005).


  • Jouitteau, M. & M. Rezac. 2006. 'Deriving the Complementarity Effect: Relativized Minimality in Breton Agreement', Lingua 116, numéro spécial sur les langues celtiques, 1915-1945. texte.
  • Jouitteau, M. 2011. 'Post-syntactic Excorporation in Realizational Morphology: Breton Analytic Tenses', Andrew Carnie (éd.), Formal Approaches to Celtic Linguistics, Cambridge Scholars Publishing, 115-142. texte.
  • Jouitteau, M. 2012. 'Verb doubling in Breton and Gungbe; obligatory exponence at the sentence level', The Morphosyntax of Reiteration in Creole and Non-Creole Languages, Aboh, Enoch O., Norval Smith et Anne Zribi-Hertz (éds.), John Benjamins, 135-174. texte ou texte.
  • Jouitteau, M. 2013, 'La conjugaison analytique de doublement du verbe en breton', Ali Tifrit (éd.), Phonologie, Morphologie, Syntaxe Mélanges offerts à Jean-Pierre Angoujard, PUR, 327-354. texte.
  • Jouitteau, M. 2020b. 'Verb Second and the Left Edge Filling Trigger', Rebecca Woods & Sam Wolfe (eds.), Rethinking V2, Oxford: OUP, chap. 19. texte.