Différences entre les versions de « Verbes factifs »

De Arbres
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| ||colspan="4" |'Amélia a découvert qu’elle avait pris la mauvaise clef.' |||| ''Plougerneau'', M-L. B. (05/2018)
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|||Amelia || 3SGM [[kaout|a]] [[soñjal|pensé]] ||[[art|le]] <sup>[[5]]</sup>enfant|| 3SGM [[kaout|a]] [[kemer|pris]] ||[[art|le]] clef [[fall|mauvais]]
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Version du 28 mai 2018 à 08:17

Les verbes factifs et semi-factifs sont ceux qui présupposent la vérité de leur argument propositionnel, la proposition complétive.


(1) Ankouaet 'n'a la 'h ae an dour dreist ar bontenn .
oublié 3SG avait que R allait le eau par.sur le 1passerelle
'Il avait oublié que l’eau passait par dessus la passerelle.' Favereau (1997:§597)


Ce sont, par exemple deskiñ 'apprendre', dizoloiñ 'découvrir', kompren 'comprendre', gouzout 'savoir', gwelout 'voir', anzav 'avouer', en em rentañ kont 'réaliser', disoñjal, ankounac'haat 'oublier.

Les semi-factifs présupposent aussi la vérité de leur argument propositionnel, mais à partir d'attitudes subjectives kaout keuz e... 'regretter', sentout 'sentir'...


Inventaire

les cinq classes de Hooper & Thompson (1973)

Hooper & Thompson (1973) distinguent cinq classes de verbes selon le statut discursif de leur complétive. Cette classification est largment reprise en grammaire générative. Les verbes de volition ne rentrent pas dans cette classification.


(A) assertions fortes, verbes déclaratifs dire, rapporter, être vrai que, être certain que, être sur, être évident...
(B) assertions faibles, verbes dénotant des processus mentaux supposer, croire, penser, s'attendre à, deviner, paraître, se trouver que...
(C) ni présupposée ni assertive être probable, être (im)possible, douter, nier...
(D) semi-factive, présupposée, attitudes subjectives sentir, regretter, s'inquiéter que, être surpris que...
(E) factives et présupposées réaliser, apprendre, découvrir, comprendre, savoir, voir, reconnaître, oublier...


Morphologie

La factitivité peut être signalée morphologiquement dans certaines langues, comme les dialectes de l'Ouest en basque qui lui associent le complémenteur -ena (composition transparente du complémenteur -en et de l'article -a Elordieta & Haddican 2018:). Cependant, il n'est pas clair si ce signal est obligatoire (c'est-à-dire si le complémenteur -ela peut lui être substitué dans ce dialecte).


Syntaxe

la complétive est une île

pour l'autorisation des items de polarité négative

En (1), on voit que l'item de polarité négative est autorisé par la négation, mais en (2) cette autorisation n'est pas transmise à l'intérieur d'une complétive de verbe factif. La phrase française en (2) peut signifier que pour chaque kopeck que John a réellement donné, Marie ne regrette pas son action, mais pas que Marie ait un sentiment à propos du fait que John n'ait rien donné du tout, qui est la lecture associée au NPI. (3) fournit une paire minimale avec un verbe non-factif.


(1) John didn't give the beggar a red cent., Anglais, Szabolcsi (2006), citant Honcoop (1998)

John n'a pas donné UN KOPECK/le moindre kopeck au mendiant., Français Jouitteau

(2) * Mary didn't regret that John gave the beggar a red cent.

* Marie n'a pas regretté que John donne UN KOPECK/le moindre kopeck au mendiant. (sous la lecture NPI)

(3) Marie n'a pas dit que John a donné UN KOPECK/le moindre kopeck au mendiant.


difficultés d'extraction

Dans la littérature en grammaire générative, la généralisation acceptée est que les complétives sélectionnées par des verbes factifs sont des îles faibles pour l'extraction, alors que les complétives sélectionnées par des verbes non-factifs permettent l'extraction, ce qui prédit (1).


(1) Pelec'h peus laret/* gouiet [ o doa lezet al levr _ ]?
2.a dit/su 3PL avait laissé le livre
'Tu as dit/su qu'ils avaient laissé le livre où ça?'


En (2), le verbe soñjal (assertion faible de classe B) permet l'extraction.


(2) Petra an archerien e neus soñjet ar seurezed a houie _ ?
quoi le policiers 3SG a pensé le soeurs R1 savait <quoi>
'Qu’est-ce que la police a suspecté que les sœurs savaient ?'
Plougerneau, M-L. B. (05/2018)


Dans toutes les langues, le verbe déclaratif 'dire' est typiquement utilisé pour illustrer les extractions longue distance.


(5) Non esa-n duzu [ utz-i dute-(e)la liburu-a ]? Basque, Elordieta & Haddican (2018)
dit-PERF AUX laissé-PERF AUX-a livre-le
'Tu as dit qu'ils avaient laissé le livre où ça?'


L'impossibilité d'extraire de la complétive d'un verbe factif est sujette à variation. Ci-dessous, les exemples fournis par Szabolcsi (2006) ont été répliqués en français. En (3), ils sont parallèles, mais en (4) en français familier, si la phrase a un léger sens de question écho, mais peut tout de même être énoncée dans un contexte où toute information est nouvelle à part le référent du pronom. L'extraction passe parfaitement avec un vouvoiement et un sujet lexical. L'effet d'étrangeté tient uniquement à la présupposition de vérité de la complétive.

(3) *How did you think/*verify/*realize/*know that he behaved _?, Anglais, Szabolcsi (2006)

Comment tu as pensé/*vérifié/*oublié/*su qu'il se comporte _ ?, Français Jouitteau

(4) *How did you think/*accept/*deny/*realize/*confirm/*admit/*regret/*notive that he behaved _?, Anglais, Szabolcsi (2006)

Comment tu as pensé/#accepté/#nié/#réalisé/#confirmé/#admis/#regretté/#remarqué qu'il se comporte _ ?, Français Jouitteau
Comment avez-vous pensé/accepté/nié/réalisé/confirmé/admis/regretté/remarqué que le gouvernement se comporte _ ?

résistance aux ordres de mots de matrice dans la complétive

En (1) la construction verbale factive en em rentañ kont 'se rendre compte' autorise une complétive à sujet antéposé, mais pas l'antéposition stylistique ou l'antéposition de l'objet.


(1)a. Amelia e neus rentet kount (ar c’huadur) en neus kemeret an alc’hwezh fall.
Amelia 3SGM a rendu compte le 5enfant 3SGM a pris le clef mauvais
'Amélia a découvert qu’elle avait pris la mauvaise clef.' Plougerneau, M-L. B. (05/2018)


b. * Amelia e neus rentet kount kemeret en neus an alc’hwezh fall.
c. * Amelia e neus rentet kount an alc’hwezh fall en neus kemeret __.


En contraste en (2), le verbe soñjal d'assertion faible permet une disparité d'ordres de mots typique des matrices.


(2)a. Amelia en deus zouchet (ar c’huadur) en neus kemeret an alc’hwez fall.
Amelia 3SGM a pensé le 5enfant 3SGM a pris le clef mauvais
'Amélia a imaginé qu’elle avait pris la mauvaise clef.' Plougerneau, M-L. B. (05/2018)


b. Amelia e neus zouchet kemeret en neus an alc’hwez fall.
c. Amelia en deus zouchet an alc’hwez fall en neus kemeret.


horizons comparatifs

Les langues germaniques à verbe second asymmétrique ont des ordres de mot strictement V2 en matrices, mais des ordres à verbe final en enchâssées. Cependant, des classes de verbes permettent ces ordres V2 dans leur complétive. Typiquement les factifs n'en font pas partie.

Wiklund & al. (2009) montrent que V2 est possible dans les complétives des verbes de classes A, B et E. Les ordres V2 enchâssés sont beaucoup plus difficiles à obtenir avec des verbes factifs et non assertifs (C, D). Plusieurs hypothèse essaient de dériver cette généralisation empirique en l'associant à une autre propriété syntaxico-sémantique. Julien (2009) propose que les ordres V2 sont associés à la présence d'une force illocutoire. Wiklund & al. (2009) notent que les ordres V2 ne peuvent apparaître qu'avec des enchâssées qui peuvent être le point principal de l'énoncé, c'est-à-dire répondre à une question précédente (Tu as vu Julien? Je pense qu'il est à la plage.).

La généralisation que les factifs autorisent moins facilement dans leur complétive l'ordre des matrices n'est pas universelle. Elordieta & Haddican (2018:411) montrent qu'en basque, les complétives de chacune de ces classes de verbes ont des évitements de V1 par insertion de la particule ba. L'ordre V2 enchâssé y est donc uniforme de façon indépendente de la factitivité du verbe de la matrice. Dans cette langue, la suspension de l'évitement de V1 semble liée au complémenteur de la complétive (-ela est associé aux V2, -en tolère les ordres V1).

réalisation du complémenteur ?

Les complémenteurs sélectionnés par un verbe factif ont, en anglais du moins, une réalisation obligatoire. Le complément that d'une complétive de verbe factifs y est absolument prononcé (John regrets *(that) Mary is bald), alors que les non-factifs ont un that optionnellement réalisé (John thinks (that) Mary is bald).

En breton, un tel effet serait à chercher dans les complétives V1 en ... penaos e..., si les locuteurs ayant penaos montrent une variation entre factifs et non-factifs.

A ne pas confondre

Les formes en -je qui réalisent en breton un conditionnel irréalis ne marquent pas la non-factitivité. Dans les structures conditionnelles, composées d'une protase et d'une apodose, c'est sur leur relation d'implication que porte la présupposition de vérité, et non sur l'apodose. C'est le cas même si la protase n'est pas réalisée, et aussi si aucune marque de conditionnel n'apparaît.

  • J'ai compris que si la biodiversité disparaissait, les humains disparaitraient.
  • J'ai compris que (si la biodiversité disparait,) les humains disparaitront.


Bibliographie

  • Elordieta, Arantzazu & Bill Haddican. 2018. 'Truncation feeds intervention, Two clause type effects in Basque', Natural Language & Linguistic Theory 36:2, 403–443.
  • Honcoop, Martin. 1998. Dynamic excursions on weak islands, Doctoral dissertation, Leiden University. The Hague: Holland Academic Graphics.
  • Hooper, Joan B., & Sandra A. Thompson. 1973. 'On the applicability of root transformations', Linguistic Inquiry 4 (4): 465–497.
  • Julien, Marit. 2009. 'Embedded V2 in Norwegian and Swedish', Working Papers in Scandinavian Syntax 80: 103–161.
  • Szabolcsi, Anna. 2006. 'Strong and weak islands', Everaert and van Riemsdijk (éds.), The Blackwell Companion to Syntax 4, 479-532
  • Wiklund, Anna-Lena, Kristine Bentzen, Gunnar Hrafn Hrafnbjargarson, & Þorbjörg Hróarsdóttir. 2009. 'On the distribution and illocution of V2 in Scandinavian that-clauses', Lingua 119 (12): 1914–1938.