Verbes factifs

De Arbres
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Les verbes factifs et semi-factifs sont ceux qui présupposent la vérité de leur argument propositionnel, la proposition complétive. En (1), le locuteur présuppose vrai le fait que 'l'eau passait par dessus la passerelle'.


(1) Ankouaet 'n'a la 'h ae an dour dreist ar bontenn .
oubli.é R.3SG avait que R+C allait le eau par.sur le 1pont.elle
'Il avait oublié que l'eau passait par dessus la passerelle.'
Favereau (1997:§597)


Les verbes factifs et semi-factifs sont les verbes qui dénotent le mode d'accès à un savoir présupposé vrai, comme deskiñ 'apprendre', dizoloiñ 'découvrir', kompren 'comprendre', gouzout 'savoir', gwelout 'voir', anzav 'avouer', en em rentañ kont 'réaliser', disoñjal, ankounac'haat 'oublier.

Ce sont aussi les verbes qui présupposent la vérité de leur argument propositionnel à partir d'attitudes subjectives kaout keuz e... 'regretter', santout 'sentir'...


Inventaire

les cinq classes de Hooper & Thompson (1973)

Hooper & Thompson (1973) distinguent cinq classes de verbes selon le statut discursif de leur complétive. Cette classification est largment reprise en grammaire générative. Les verbes de volition ne rentrent pas dans cette classification.


(A) assertions fortes, verbes déclaratifs dire, rapporter, être vrai que, être certain que, être sur, être évident...
(B) assertions faibles, verbes dénotant des processus mentaux supposer, croire, penser, s'attendre à, deviner, paraître, se trouver que...
(C) ni présupposée ni assertive être probable, être (im)possible, douter, nier...
(D) factives, présupposée, attitudes subjectives sentir, regretter, s'inquiéter que, être surpris que...
(E) semi-factives, présupposées réaliser, apprendre, découvrir, comprendre, savoir, voir, reconnaître, oublier...


La distinction entre les classes C et D date de Karttunen (1971) qui montre que ces verbes peuvent perdre leur factitivité dans les questions et les conditionnelles. En anglais, leur complément peut aussi être antéposé.


Morphologie

La factitivité peut être signalée morphologiquement dans certaines langues, comme les dialectes de l'Ouest en basque qui lui associent le complémenteur -ena (composition transparente du complémenteur -en et de l'article -a Elordieta & Haddican 2018:). Cependant, il n'est pas clair si ce signal est obligatoire (c'est-à-dire si le complémenteur -ela peut lui être substitué dans ce dialecte).


Syntaxe de la complétive

île pour l'autorisation des items de polarité négative

En (1), on voit que l'item de polarité négative est autorisé par la négation, mais en (2) cette autorisation n'est pas transmise à l'intérieur d'une complétive de verbe factif. La phrase française en (2) peut signifier que pour chaque kopeck que John a réellement donné, Marie ne regrette pas son action, mais pas que Marie ait un sentiment à propos du fait que John n'ait rien donné du tout, qui est la lecture associée au NPI. (3) fournit une paire minimale avec un verbe non-factif.


(1) John didn't give the beggar a red cent., Anglais, Szabolcsi (2006), citant Honcoop (1998)

John n'a pas donné UN KOPECK/le moindre kopeck au mendiant., Français Jouitteau

(2) * Mary didn't regret that John gave the beggar a red cent.

* Marie n'a pas regretté que John donne UN KOPECK/le moindre kopeck au mendiant. (sous la lecture NPI)

(3) Marie n'a pas dit que John a donné UN KOPECK/le moindre kopeck au mendiant.


difficultés d'extraction -wh

Dans la littérature en grammaire générative, la généralisation acceptée est que les complétives sélectionnées par des verbes factifs sont des îles faibles pour l'extraction, alors que les complétives sélectionnées par des verbes non-factifs permettent l'extraction.

Cette généralisation prédit (1).


(1) Pelec'h peus { laret / * gouiet } o doa lezet al levr ?
2.a d.it / s.u [ 3PL avait laiss.é le livre _ ]
'Tu as dit/su qu'ils avaient laissé le livre où ça ?'


En (2), le verbe soñjal (assertion faible de classe B) permet l'extraction.


(2) Petra an archerien e neus soñjet ar seurezed a houie _ ?
quoi le policier.s 3SG a pens.é le sœur.s R1 savait <quoi>
'Qu'est-ce que la police a suspecté que les sœurs savaient ?'
Léonard (Plougerneau), M-L. B. (05/2018)


Dans toutes les langues, le verbe déclaratif 'dire' est typiquement utilisé pour illustrer les extractions longue distance.


(3) Non esa-n duzu utz-i dute-(e)la liburu-a ?
dit-PERF AUX [ laissé-PERF AUX-a livre-le ]
'Tu as dit qu'ils avaient laissé le livre où ça ?'
Basque, Elordieta & Haddican (2018)


L'impossibilité d'extraire de la complétive d'un verbe factif est sujette à variation. Ci-dessous, les exemples fournis par Szabolcsi (2006) ont été répliqués en français. En (4), ils sont parallèles, mais en (5) en français familier, si la phrase a une interprétation première de question écho, elle peut tout de même être énoncée dans un contexte où toute information est nouvelle à part le référent du pronom. L'extraction passe parfaitement avec un vouvoiement et un sujet lexical. L'effet d'étrangeté tient uniquement à la présupposition de vérité de la complétive.

(4) *How did you think/*verify/*realize/*know that he behaved _?

Anglais, Szabolcsi (2006)
Comment tu as pensé/*vérifié/*oublié/*su qu'il se comporte _ ?
Français Jouitteau


(5) *How did you think/*accept/*deny/*realize/*confirm/*admit/*regret/*notive that he behaved _ ?

Anglais, Szabolcsi (2006)
Comment tu as pensé/#accepté/#nié/#réalisé/#confirmé/#admis/#regretté/#remarqué qu'il se comporte _ ?
Français Jouitteau
Comment avez-vous pensé/accepté/nié/réalisé/confirmé/admis/regretté/remarqué que le gouvernement se comporte _ ?
Français Jouitteau


analyses

Certaines analyses pointent vers un effet de la structure informationnelle : Ambridge & Goldberg (2008) proposent précisément que plus les constructions sont établies par le discours (backgrounded), plus elles développent des propriétés d'îles pour l'extraction -wh. Ils montrent que leur protocole construit sur ce prémisse peut prédire plus des deux tiers des possibilités d'extractions -wh.

résistance aux ordres de mots de matrice dans la complétive ?

En (1), la construction factive kaout keuz permet l'ordre SVO et l'antéposition stylistique.


(1)a. Tout an dud o deus keuz Alain e neus lennet an dra-se.
tout le 1gens 3PL a regret Alain R a l.u le 1chose.
'Tout le monde regrette que Alain ait lu ce truc.'
Léonard (Plougerneau), M-L. B. (05/2018)


(1)b. Tout an dud o deus keuz lennet e neus Alain an dra-se.
tout le 1gens 3PL a regret l.u R a Alain le 1chose.
'Tout le monde regrette que Alain ait lu ce truc.'
Léonard (Plougerneau), M-L. B. (05/2018)


Les verbes déclaratifs comme semi-factifs permettent l'antéposition du prédicat.


(2)a. Er bourk, an dud a lavare alkolik e oa.
en.le bourg le 1gens R1 disait "alcoolique" R était
'Dans le bourg, on disait qu'il était alcoolique.'
Léonard (Plougerneau), M-L. B. (05/2018)


(2)b. Er bourk, an dud a ouie alkolik e oa.
en.le bourg le 1gens R1 savait "alcoolique" R était
'Dans le bourg, on savait qu'il était alcoolique.'
Léonard (Plougerneau), M-L. B. (05/2018)


En (3) la construction verbale semi-factive en em rentañ kont 'se rendre compte' autorise une complétive à sujet antéposé, mais pas l'antéposition stylistique ou l'antéposition de l'objet.


(3)a. Amelia e neus rentet kount (ar c'huadur) en neus kemeret an alc'hwezh fall.
Amélia 3SGM a rend.u compte le 5enfant 3SGM a pr.is le clef mauvais
'Amélia a découvert (qu'elle/que l'enfant) avait pris la mauvaise clef.'
Léonard (Plougerneau), M-L. B. (05/2018)


b. * Amelia e neus rentet kount kemeret en neus an alc'hwezh fall.
c. * Amelia e neus rentet kount an alc'hwezh fall en neus kemeret __.


En contraste en (4), le verbe soñjal d'assertion faible permet une disparité d'ordres de mots typique des matrices. À Lesneven/Kerlouan, A. M. (04/2016b) a des complétives du verbe krediñ avec le verbe tensé à l'initiale de proposition, mais aussi un sujet, un objet, un prédicat ou un adverbe. Cependant, l'antéposition stylistique est pour lui agrammaticale.


(4)a. Amelia en deus zouchet (ar c'huadur) en neus kemeret an alc'hwez fall.
Amélia 3SGM a pens.é le 5enfant 3SGM a pr.is le clef mauvais
'Amélia a imaginé qu'elle avait pris la mauvaise clef.'
Léonard (Plougerneau), M-L. B. (05/2018)


b. Amelia e neus zouchet kemeret en neus an alc'hwez fall.
c. Amelia en deus zouchet an alc'hwez fall en neus kemeret.


(5) Me a gred (//?)* plantet neus Simone patatez er bloavezh-mañ egist he amezog.
moi R1 crois plant.é a Simone patates en.le ann.ée.ci comme son2 voisin
'Je crois que Simone a planté des patates cette année comme son voisin.'
Léonard (Lesneven/Kerlouan), A. M. (05/2016)


horizons comparatifs

Les langues germaniques à verbe second asymétrique ont des ordres de mot strictement V2 en matrices, mais des ordres à verbe final en enchâssées. Cependant, des classes de verbes permettent ces ordres V2 dans leur complétive. Typiquement, les verbes factifs n'en font pas partie.

Wiklund & al. (2009) montrent que V2 est possible dans les complétives des verbes de classes A, B et E. Les ordres V2 enchâssés sont beaucoup plus difficiles à obtenir avec des verbes factifs et non assertifs (C, D). Plusieurs hypothèses essaient de dériver cette généralisation empirique en l'associant à une autre propriété syntactico-sémantique. Julien (2009) propose que les ordres V2 sont associés à la présence d'une force illocutoire. Wiklund & al. (2009) notent que les ordres V2 ne peuvent apparaître qu'avec des enchâssées qui peuvent être le point principal de l'énoncé, c'est-à-dire répondre à une question précédente (Tu as vu Julien ? Je pense qu'il est à la plage.).

La généralisation que les factifs autorisent moins facilement dans leur complétive l'ordre des matrices n'est pas universelle. Elordieta & Haddican (2018:411) montrent qu'en basque, les complétives de chacune de ces classes de verbes ont des évitements de V1 par insertion de la particule ba. L'ordre V2 enchâssé y est donc uniforme de façon indépendante de la factitivité du verbe de la matrice. Dans cette langue, la suspension de l'évitement de V1 semble liée au complémenteur de la complétive (-ela est associé aux V2, -en tolère les ordres V1).

antéposition de la complétive

En breton, la construction factive kaout keuz 'regretter' a une complétive complément du nom keuz 'regret'. Cette complétive du nom est antéposable pour M-L.-B.


(1) E neus lennet Alain an dra-se, tout an dud neus keuz _.
[ R a l.u Alain le 1chose. ] tout le 1gens a regret <>
'Tout le monde regrette que Alain ait lu ce truc.'
Léonard (Plougerneau), M-L. B. (05/2018)


Hooper & Thompson (1973:480) considèrent que les factifs ne peuvent pas permettre l'antéposition de leur complétive (sans complémenteur réalisé), au contraire des semi-factifs. Les équivalents français de leurs exemples en (2) sont aussi inégalement heureux.

(2) Santa has lost a lot of weight, I notice/*regret.

Santa a beaucoup maigri, j'ai remarqué/*regretté.
  • She was a compulsive liar, he soon realized.
??Elle était une menteuse compulsive, j'ai réalisé
  • Many problems remain to be solved, I learned.
?Il reste beaucoup de problèmes à résoudre, j'ai appris.

réalisation du complémenteur ?

Les complémenteurs sélectionnés par un verbe factif ont, en anglais du moins, une réalisation obligatoire. Le complément that d'une complétive de verbe factifs y est absolument prononcé (John regrets *(that) Mary is bald), alors que les non-factifs ont un that optionnellement réalisé (John thinks (that) Mary is bald).

En breton, un tel effet serait à chercher dans les complétives V1 en ... penaos e... , si les locuteurs ayant penaos montrent une variation entre factifs et non-factifs.

À ne pas confondre

Les formes en -je qui réalisent en breton un conditionnel irréalis ne marquent pas la non-factitivité. Dans les structures conditionnelles, composées d'une protase et d'une apodose, c'est sur leur relation d'implication que porte la présupposition de vérité, et non sur l'apodose. C'est le cas même si la protase n'est pas réalisée, et aussi si aucune marque de conditionnel n'apparaît.

  • J'ai compris que si la biodiversité disparaissait, les humains disparaitraient.
  • J'ai compris que (si la biodiversité disparait,) les humains disparaitront.


Bibliographie

  • Ambridge, Ben. & Adele E. Goldberg. 2008. 'The island status of clausal complements: Evidence in favor of an information structure explanation', Cognitive Linguistics 19 (3), 357-389.
  • Elordieta, Arantzazu & Bill Haddican. 2018. 'Truncation feeds intervention, Two clause type effects in Basque', Natural Language & Linguistic Theory 36:2, 403–443.
  • Honcoop, Martin. 1998. Dynamic excursions on weak islands, Doctoral dissertation, Leiden University. The Hague: Holland Academic Graphics.
  • Hooper, Joan B., & Sandra A. Thompson. 1973. 'On the applicability of root transformations', Linguistic Inquiry 4 (4): 465–497.
  • Julien, Marit. 2009. 'Embedded V2 in Norwegian and Swedish', Working Papers in Scandinavian Syntax 80: 103–161.
  • Kiparsky, P. & C. Kiparsky. . 1971. 'Fact', Bierwisch, M. & K. Heidolph (éds.), Progress in Linguistics, Mouton and Co., The Hague.
  • Szabolcsi, Anna. 2006. 'Strong and weak islands', Everaert and van Riemsdijk (éds.), The Blackwell Companion to Syntax 4, 479-532
  • Wiklund, Anna-Lena, Kristine Bentzen, Gunnar Hrafn Hrafnbjargarson, & Þorbjörg Hróarsdóttir. 2009. 'On the distribution and illocution of V2 in Scandinavian that-clauses', Lingua 119 (12): 1914–1938.