Différences entre les versions de « Variation dialectale »

De Arbres
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Étudier une langue revient à documenter ses limites, un peu comme dessiner demande de tracer des contours. La [[grammaire générative]], mais aussi tout simplement la grammaire descriptive, utilisent pour ce faire les données [[agrammaticales]] (marquées par une étoile [[*]]). Les phrases agrammaticales, par définition, ne se trouvent pas en [[corpus]] et demandent un travail d'[[élicitation]] avec des locuteurs natifs, ce qui veut dire qu'on a besoin que quelqu'un dont le cerveau humain s'est développé avec la langue nous dise qu'une donnée particulière ne fait pas partie de cette langue.
Étudier une langue revient à documenter ses limites, un peu comme dessiner demande de tracer des contours. La [[grammaire générative]], mais aussi tout simplement la grammaire descriptive, utilisent pour ce faire les données [[agrammaticales]] (marquées par une étoile [[*]]). Les phrases agrammaticales, par définition, ne se trouvent pas en [[corpus]] et demandent un travail d'[[élicitation]] avec des locuteurs natifs, ce qui veut dire qu'on a besoin que quelqu'un dont le cerveau humain s'est développé avec la langue nous dise qu'une donnée particulière ne fait pas partie de cette langue.


Comme les données positives (les phrases grammaticales), une donnée négative (une phrase agrammaticale) doit être documentée en prenant en compte les coordonnées dialectales du locuteur: ce qui est lourdement agrammatical dans un dialecte peut être grammatical dans un autre.   
Tout comme les données positives (les phrases grammaticales), les données négatives (les phrases agrammaticales) doivent être documentées en prenant en compte les coordonnées dialectales du locuteur: ce qui est lourdement agrammatical dans un dialecte peut être grammatical dans un autre.   
Selon le trégorrois natif Gros, l'adverbe ''[[alies]]'' est composé de la préposition ''[[a]]'' suivie de ''lies'', 'beaucoup'. [[Gros (1989)|Gros (1989]]:'aliez'), qui écrit dans les années 60, ajoute que ''lies'' n'est plus jamais employé isolément. La source est solide et on est fondé à croire son expertise, mais cette vérité s'applique uniquement sur les variétés connues de Gros.  
Selon [[Gros (1989)|Gros (1989]]:'aliez'), l'adverbe ''[[alies]]'' est composé de la préposition ''[[a]]'' suivie de ''lies'', 'beaucoup'. Ce trégorrois natif qui écrit dans les années 60  ajoute que ''lies'' n'est plus jamais employé isolément. Cette source est solide et on est fondé à croire l'expertise de l'auteur mais cette vérité s'applique uniquement sur les variétés connues de lui. On trouve ainsi cinquante ans après des occurrences de ''lies'' employé seul dans la vallée du Scorff ([[Ar Borgn (2011)|Ar Borgn 2011]]).
On trouve par exemple cinquante ans après des occurrences de ''lies'' employé seul dans la vallée du Scorff ([[Ar Borgn (2011)|Ar Borgn 2011]]).





Version du 23 juin 2017 à 10:21

La variation dialectale du breton n'a pas été jusqu'ici le sujet d'une enquête systématique et approfondie pour ce qui concerne la syntaxe.

La présente grammaire du breton sur ARBRES est une grammaire des différents parlers du breton. Cette grammaire a pour but de documenter solidement la variation syntaxique réelle des parlers bretons modernes. Son but est d'établir la réalité scientifique de la microvariation syntaxique, dans un esprit de comparaison typologique avec les autres langues humaines.


Quantifier la variation syntaxique

En l'absence d'arguments scientifiques de typification et de quantification de la variation syntaxique, les représentations les plus diverses coexistent.

Pour certains, la variation dialectale serait telle qu'aucune inter-compréhension ne serait possible. L'état de la langue serait réduite à des 'badumes', des formes de langues ultralocales séparées profondément dans leur structure même des variétés géographiquement les plus proches. Pour d'autres, la variation dialectale syntaxique tiendrait toute dans quelques tournures spécifiques à un dialecte donné. Dans cette dernière hypothèse, la variation entre dialectes tient dans sa majeure partie dans des variations morphologiques, phonologiques et prosodiques, (c.a.d. là où, précisément, la variation a été jusqu'ici solidement documentée).


 Merser (1963:ii):
 "Le vannetais possède exactement la même grammaire que les autres dialectes (KLT Kerne-Cornouaille, Léon, Treger-Trégor), a en gros le même vocabulaire, mais diffère profondément par la prononciation."
 "Deux bretonnants, l'un parlant le vannetais littéraire, l'autre le KLT, se comprennent parfaitement."
 Stephens (1982:3):
 "The syntax of the dialect of Bro-Wened does not differ dramatically from the others as can be judged from the grammar and the text books by Guillevic & Le Goff (1931) and by Herrieu (1979). The difference between the dialect of Bro-Wened and the KLT is very pronounced at the phonological level, including a stress on the ultimate syllable in Bro-Wened whereas in the others stress is still on the penultimate."


diachronie de la variation dialectale

A ces divergences profondes sur la réalité grammaticale des divergences dialectales s'ajoute un désaccord des chercheurs quant à l'origine des variations dialectales.

Jackson (1967:6, 33), cité dans Le Dû (1997), considère que le moyen breton tardif constitue virtuellement un point antérieur à la différenciation des dialectes. Selon Fleuriot (1982:269), cité dans Le Dû (1997), la différenciation du vannetais remonte au XII°, puis la différentiation entre eux des dialectes KLT date du XVI°. Falc'hun, lui, soutient depuis sa thèse en 1951 que le parler vannetais a toujours été distinct, reflétant la différence entre le parler des Ossismes et celui des Vénètes.

ce qui n'existe pas dans un dialecte...

Étudier une langue revient à documenter ses limites, un peu comme dessiner demande de tracer des contours. La grammaire générative, mais aussi tout simplement la grammaire descriptive, utilisent pour ce faire les données agrammaticales (marquées par une étoile *). Les phrases agrammaticales, par définition, ne se trouvent pas en corpus et demandent un travail d'élicitation avec des locuteurs natifs, ce qui veut dire qu'on a besoin que quelqu'un dont le cerveau humain s'est développé avec la langue nous dise qu'une donnée particulière ne fait pas partie de cette langue.

Tout comme les données positives (les phrases grammaticales), les données négatives (les phrases agrammaticales) doivent être documentées en prenant en compte les coordonnées dialectales du locuteur: ce qui est lourdement agrammatical dans un dialecte peut être grammatical dans un autre. Selon Gros (1989:'aliez'), l'adverbe alies est composé de la préposition a suivie de lies, 'beaucoup'. Ce trégorrois natif qui écrit dans les années 60 ajoute que lies n'est plus jamais employé isolément. Cette source est solide et on est fondé à croire l'expertise de l'auteur mais cette vérité s'applique uniquement sur les variétés connues de lui. On trouve ainsi cinquante ans après des occurrences de lies employé seul dans la vallée du Scorff (Ar Borgn 2011).


(1) Gober a ra pleg-kein lies.
faire R fait plie-dos souvent
'Il courbe souvent l'échine.' Le Scorff, Ar Borgn (2011:38)

"Ce n'est pas le même breton"

Si la phrase N'eo ket ar memes brezhoneg 'C'est pas le même breton' est bien connue, elle ne doit pas forcément être interprétée comme une impossibilité de communication entre locuteurs. L'existence de liens économiques de longue date en peut être cause ou preuve. Ci-dessous, le léonard Seite de Cléder évoque par exemple une intercompréhension aisée avec la variété trégorroise ou des monts d'Arrée.

 Seite (1985:32), à propos de chifonniers originaires des monts d'Arrée venus vendre des draps:
 "Ne gomzent ket ar brezoneg eveldom-ni : Brezoneg “Kerne” a lavarem a zistagent. Brezoneg “trefoet”, rag kement brezoneg ha ne veze ket heñvel ouz on hini, a veze greet anezañ atao “brezoneg trefoet”. Komprenet mad e vezent koulskoude gand an oll, ha konta ‘reent deom kalzig keleier dastumet ganto a-hed an hent, e Kleder hag e Sibiril, pe war-dro."
 [Ils ne parlaient pas breton comme nous: nous disions qu'ils parlaient du breton de Cornouaille. Du "patois de breton", car tout breton qui n'était pas pareil au nôtre était appelé ainsi. Ils étaient cependant compris de tous, et ils nous racontaient pas mal de nouvelles récoltées sur leur route, à Cléder, à Sibiril ou aux alentours.]
 
 Seite (1985:69):
 "Goud a ouie brezoneg koulz ha ni, med hini Treger. Klederiz, pa gomze dezo brezoneg, her homprene mad, med lavared a reent : « Brezoneg trefoet a zeu gantañ. » Evel-se e veze lavaret atao e Kleder euz an oll re a gomze brezoneg eun tamm bennag disheñvel diouz hini o farrez."
 [Il parlait aussi bien breton que nous, mais trégorrois. Les gens de Cléder, quand il leur parlait, le comprenaient bien, mais ils disaient qu'il parlait du "patois de breton". On disait cela à Cléder de tous ceux qui parlaient un breton un tant soit peu diffférent de celui de la paroisse.]

Quelques précisions

variation vs. breton standard

Dans la mesure où ses locuteurs sont natifs de la langue, le breton standard est une variété particulière de breton parlé.


variation de générations

Une différence peut être générationnelle. Kennard & Lahiri (2017) notent que la particule o du progressif a tendance à n'être pas prononcée par les générations du XX°, alors que les plus jeunes générations tendent à prononcer le o.


variation stylistique

La variation dialectale croise la variation stylistique ou de niveau de langue, mais les deux doivent être distinguées.

Un niveau de parler argotique ou familier préserve prototypiquement les règles de syntaxe d'un dialecte donné, mais varie profondément au niveau lexical.

Un dialecte, au contraire, est une variété syntaxique différente. Un bon exemple est celui des règles de conjugaison du verbe 'avoir' en breton. Ce verbe montre une variation dialectale très grande selon les dialectes (accord ou non-accord avec un sujet pronominal ou lexical, devant ou derrière lui, avec ou sans distinction de genre...). Dans ces variations dialectales, aucune variation lexicale n'est en cause.

orthographe

L'histoire des différents systèmes orthographiques en Bretagne a lié le développement de différentes orthographes à des dialectes particuliers. C'est un fait historique, sociologique et politique, et c'est un fait qui a un rapport avec la langue, mais c'est un fait indépendant de la réalité linguistique des locuteurs.

Au niveau linguistique, le message existe d'abord et essentiellement dans son oralité. La façon dont ce message est transcrit sur papier, que ce soit dans chacune des différentes orthographes disponibles ou même en Alphabet Phonétique International, n'a rien à voir avec la variation dialectale de la langue en soi.

Transcrivez un poème d'Anjela Duval avec des lettres grecques, il n'en deviendra pas pour autant un poème grec.


géographie vs. variation

Une idée répandue est que la géographie influe sur les variétés linguistiques. Cela est vrai dans la mesure où, effectivement, les variétés sont géographisées, représentables, au moins pour une approximation, sur des cartes. Cela est aussi vrai dans la mesure où une frontière naturelle, montagne ou surtout en Bretagne, rivière, peut restreindre des échanges humains et donc être à l'origine d'absences de contacts qui laissent perdurer des distinctions dialectales. Là s'arrête l'influence de la géographie sur les variétés langagières.

Il serait beaucoup plus téméraire de postuler que la géographie en elle-même influe sur la matière langagière: les humains vivent dans des conditions d'échange somme toute assez similaires à travers le monde. Il existe des exemples en phonologie, comme Everett (2013) qui note une corrélation statistique entre les langues qui utilisent des consonnes éjectives et les zones de haute altitude, où la densité de l'air est moindre. Il n'existe au monde aucune donnée ou hypothèse comparable concernant la syntaxe des langues humaines.

Terminologie

Les termes de patois ou de forme patoisante, hormis leur valeur plus ou moins péjorative, renvoient à des formes dialectales.

De même en breton pour les termes comme trefoedaj, trefoedadur utilisés entre autres dans Kervella (1947).

Bibliographie

breton

  • Desseigne, A. 2015. 'Etude de la microvariation en breton. Enquêtes à Trégunc et Névez (Sud-Finistère)', Denis Costaouec & Tanguy Solliec (éds.), Actualité de la recherche sur le breton et les langues celtiques, jeunes chercheurs, Emgleo Breiz, 20-46.
  • Solliec, Tanguy. 2017. 'Explorer la variation en breton grâce à la dialectométrie : la Basse-Bretagne considérée par la distance linguistique', Mannaig Thomas & Nelly Blanchard (éds.), La Bretagne Linguistique 21, CRBC.


ouvrages théoriques

  • Everett Caleb. 2013. 'Evidence for Direct Geographic Influences on Linguistic Sounds: The Case of Ejectives', PLoS ONE 8(6):e65275.