Tutoiement et vouvoiement

De Arbres

En breton standard, la marque de déférence et de politesse est de deuxième personne du pluriel (2PL, comme vous en français). Cependant, la différence tutoiement/vouvoiement du français ne peut pas être importée telle quelle dans un système dialectal breton donné. Il existe une grande variation dialectale dans les usages des pronoms d'adresse. En particulier, certains dialectes ont un système à l'anglaise, avec un seul pronom d'adresse. En (1), la forme pronominale utilisée est la seule disponible mais la traduction exacte en français serait avec un tutoiement.


(1) Hui 'ra tammou dudoñ.
vous (R) fait morceaux de.lui
'Tu en fais des morceaux.' Scaër, Cheveau & Kersulec (2012-évolutif:Scaër,'dioutañ')


Les ressources sont diverses mais partielles. Les cartes de l'ALBB fournissent des informations précieuses sur les formes morphologiques disponibles à travers les dialectes, pour les pronoms indépendants (carte 70 pour 'toi, tu étais (malade)'), et pour les pronoms incorporés (cartes 107 et 502 'à toi, à vous'). Manque cependant leurs usages discursifs. La traduction à partir de formes françaises a pu traduire l'usage breton ou français. Les monographies locales renseignent ponctuellement sur quelques dimensions des usages à un point donné. Riwall (1942:4) avait lancé en avril 1942 dans le journal l'Arvor un appel à contribution des lecteurs sur ce thème. On n'en trouve pas de suite dans les numéros suivants de mai et juin. Deux numéros de Gwalarn l'imitent immédiatement et en publient les résultats, avec une belle précision des contextes d'usage, en particulier pour ce qui concerne les usages genrés.


Dialectes de système dual tutoiement/vouvoiement

Dans tous les dialectes où le contraste morphologique singulier/pluriel sur la seconde personne existe, il est possible au moins pour certains locuteurs de s'adresser à une seule personne en utilisant la forme plurielle, comme donc une forme de politesse et de référence. En breton comme en français pour vous ou votre, l'usage du pronom pluriel contrastable avec un pronom singulier est systématiquement celui qui est attaché à un usage formel alors que l'usage singulier est attaché à un usage familier.


Léon

Brignogan, Bro-Bagan, Santec

Le système dual de politesse est documenté en Léon sur le continent, à Brignogan, en pays Pagan et à Santec au milieu du XX°. Les parents tutoient leurs enfants, et en général les gens plus jeunes. Le vouvoiement des enfants aux parents, mais aussi entre époux, existe à Brignogan comme à Santec, mais est archaïsant.


 abbé F. Guivarc'h (Gwalarn 1942:421)
 Santeg

1. Ar vugale a gomz atav dre c'hwi ouz o zad hag o mamm, tud-koz, eontred ha moerebed, hag an holl dud oadet. An dud deut a gomz dre c'hwi ouz an dud a zo kalz kosoc'h egeto, pe o deus da welout warno, evel mistri, beleion... hag ivez ouz an estrañjourion ha tud digenvez. Anaout am eus bet graet priedoù, e-touez ar re goz, hag a yae dre c'hwi an eil d'egile. Rouez-kenañ int. 2. An dud er mêmes oad, hag eus ar mêmes renk, p'en em anavezont mat, a gomz atav dre te etrezo. Ar gerent a ya atav dre te d'o bugale, hag ar re goz d'ar re yaouank. En ur ger : c'hwi eo ger an doujañs ha te ger ar c'hendere pe an trec'h.


Un témoignage d'une native de Brignogan en 1877 (qui a donc 65 ans en 1942) montre que le tutoiement entre époux était fin XIX° un signe de grande dispute.

 Madame Pont:
 "C'hwi a veze implijet em bugaleaj etre ar priedoù. Komz dre te d'ar gwaz pe d'ar wreg a oa zoken ur seurt kunujenn. Ur wech, pa oan c'hoaz bugel, va mamm a c'houlennas diganin mont da gerc'hat un dra bennak e ti un amezegez. Dor he zi a oa digor hag he gwaz a oa e-barz. Ma ! en ur glevout an daou-se o komz dre te etrezo, intentet em eus e oa tabut bras en ti-se, ha me en-dro d'ar gêr diouztu".


En Pays Pagan, c'est plutôt le pronom te qui serait utilisé pour s'adresser à des étrangers. Cet usage pour s'adresser à des non-familiers trahit la conscience qu'un système unitaire sur le singulier est utilisé ailleurs. Il ne s'agit pas d'une attitude vis-à-vis des étrangers en général - le vous leur serait donné en français.


 P. K. (Gwalarn 1942:418):
 Brignogan ha Bro-Bagan
 "Te ha c'hwi a vez implijet dre aman kenkoulz hag out hag oc'h. C'hwi a ziskouez an doujañs. Komzet e vez dre c'hwi d'ar veleion, d'ar mezeg, h.a. Ar stumm-se a reer ganti ivez pa gomzer d'ar re goz. Te evelato a vez implijet alies pa stager da gomz gant un estrañjour bennak, ha pa vefe hemañ un « aotrou » pe un den diwar ar maez (nemet ur beleg e vefe), tra ma vefe graet emichañs '« vous » e galleg en ur gomz gant an hevelep re.
 Ar re goz a lavar e komze ar vugale dre c'hwi d'o c'herent en « o amzer » . Bez' e talc'her d'ar c'hustumse e tiegeziou a zo, war am eus klevet. Hogen te a zo a dra sur kalz implijetoc'h eget c'hwi hiziv an deiz."


bas-cornouaillais

île de Sein

Le système à Sein est dual, avec une association du tutoiement à la familiarité, mais aussi à l'agressivité. La tendresse est associée au vouvoiement. L'usage est de vouvoiement des enfants aux parents, mais aussi entre époux et dans la fratrie, entre familiers et pairs.

 L.D. (Gwalarn 1942:422)
 Chwi : Etre an tad hag ar vamm. Etre ar gerent (tad ha mamm) hag ar vugale. Etre breudeur ha c'hoarezed. Etre ur c'hrouadur hag un den kosoc'h. Etre tud deut war an oad. Etre gwazed ha merc'hed.
 Te : Etre bugale ha paotred yaouank eus an hevelep oad. An tad pe ar vamm da unan eus o bugale a zo bet disent, evit diskouez o displijadur. Etre bugale eus an hevelep tiegez pe tud pa vezont broc'het.
 En ur ger herr : Peurliesañ ez eus gant te ur ster-gwasaat. Tener ha seven eo c'hwi war un dro.


Trégor

Ar Barzhig témoigne en 1942 d'un usage régulier du vouvoiement dans tout le Trégor. Un autre lecteur de Gwalarn en 1942 ajoute que la forme c'hwi est utilisée le plus souvent par les enfants à leurs parents en grandissant. De vieux amis se tutoient, et l'adresse en te à un inconnu est une marque de confiance.


breton central

Ar Barzhig en 1942 considère qu'il existe un système dual à Callac et Carnoëd. Selon les locuteurs de Humphreys (1985:317), "te s'emploie couramment dans les communes de Magoar et de Kérien (à 5 km) au nord-ouest, et de Saint-Connan (à 10 km) au nord-est, et sporadiquement dans la commune de Kerpert".

Humphreys (1985:317) ne mentionne pour Bothoa qu'une forme de pronom fort indépendant de seconde personne, c'hwi, mais deux procédés de désambiguisation utilisent des formes pronominales d'autres paradigmes. Le premier pluralise l'objet. Le second ajoute une adresse plurielle au sujet.

  • Debet ho para, 'mange ton pain' ou 'mangez votre pain' / Debet ho parajoù, 'mangez votre pain' (litt. 'vos pains')
  • ar re-mañ ac'hanoc'h, littéralement 'vous autres' pour un sujet pluriel

Il existe donc un système de vouvoiement, mais il ne passe pas par les pronoms ou l'inflexion verbale.


vannetais de l'Est et Groix

L'ALBB montre nettement un système dual à l'Est du vannetais, comme dans la carte 107 pour 'à toi, à vous'.


Groix et sa bande côtière

Des formes verbales comme ous 'tu es' montrent la présence de la 2SG à Groix.

Cheveau (2011) émet l'hypothèse que sous l'influence de Groix, les parlers directement littoraux du continent aurait pu maintenir le te. Les communes directement proches, comme Ploemeur, dans les terres Lorientaises avaient un tutoiement au début du XX° (ALBB) mais ne le reconnaissent plus (Cheveau 2011).


guérandais

A l'extrème Sud-Est du vannetais, dans le dialecte guérandais disparu, l'ALBB relevait début XX° un contraste émbét 'à toi'/ émbòc'h 'à vous' dans la carte 502. Marie-Françoise Le Berre, au XX°, avait aussi un système dual. Elle utilise une personne singulier dans de vég 'ta bouche' et ka uidet! 'merde pour toi!', ansi qu'un pronom d'adresse hou.


(1) ma hou za ket hou skrevou. Guérandais, XX°
ma c'hwi (ez) za ket c'hwi skrivo. glose en KLT
si vous (R) va pas vous (R) écrira
'Si vous ne venez pas vous écrirez.' Mathelier (2017:34)


Le pluriel est compatible avec l'usage familier. Le pronom d'adresse est le pronom de la 2PL hi dans les phrases collectées vers 1940 par Pierre Le Gall (1924-1991) auprès de son grand-père Guillaume Pain, dans un échange donc entre deux hommes familiers.


(2) Hi gleuf! Hi ouel houat! Hi zo klef. Guérandais fin XIX°
C'hwi 'glev C'hwi 'wel ervat! C'hwi zo klañv. Equivalent KLT
vous (R)1 entend vous (R)1 voit bien vous (R)1 est malade
'Tu entends!', 'Tu vois bien!', 'Tu es malade.' Mathelier (2017:35)


dialectes où le vouvoiement est genré

La règle de politesse a une dimension genrée dans les dialectes centraux, et en descendant vers la cornouaille de l'est maritime (mais pas jusqu'au littoral). Dans ces dialectes, l'adresse peut être différente selon qu'on s'adresse à une femme ou un homme.

Riwall, dans un court article un peu fourre-tout dans l' Arvor, attire l'attention sur la dimension genrée de l'adresse en breton. La précision de son témoignage familial peut être relativisée, car Riwall était de Brest et non-natif (Riwall 1941), mais la dimension genrée se vérifiera dans la collecte effectuée par l'équipe de Gwalarn à la suite de son article.

 Riwall (1942:4):
 "selaouomp kentoc'h ar re goz, e korniou ' zo a Vro-Gerne dreist-holl. Ober a reont gant te pa gomzont ouz ar baotred ha gant c'houi pa gomzont d'ar merc'hed, ne vern pe oad en dije an hini a gomz ha ne vern pe oad en dije an hini a vez komzet outan. Eun tad-koz, da skouer, a lavaro c'houi d'e verc'hig vihan, hag houmañ te d'he zad-koz. Klevet am eus alies gant va mamm penaos va mamm-guñv a lavare te d'he mibien ha c'houi d'he merc'hed, ha bez' am eus, ouspenn em fenn eur ganaouenn a Vro-Leon, enni eun diviz a laka Janed da lavarout te d'he fried Job hag heman da respont gant c'houi da Janed."


La plupart des informations sur l'adresse genrée nous vient de la collecte de Gwalarn de 1942. Hemon (2000:§51,n1) considère que le vouvoiement est genré dans tous ces dialectes où il existe: les hommes se tutoient entre eux et s'adressent aux femmes avec les formes autrement plurielles. Les auteurs qui rapportent une asymétrie genrée oublient souvent d'évoquer l'usage entre femmes (Hemon 2000:§51,n1, Bouzeg 1986:31, Wmffre 1998:25).


La Feuillée, Brennilis

A la Feuillée, un lecteur de Gwalarn en 1942 mentionne que les enfants commencent à vouvoyer leur mère vers l'âge de 6 ou 7 ans, en continuant de tutoyer leur père. Les fils vouvoient leur père plus tard. A La Feuillée, une mère tutoie ses enfants, mais à 4km de là à Brennilis, le vouvoiement est utilisé même pour des petits enfants.

 R. (Gwalarn 1942:419):
 Ar Fouilhez
 "Bep gwech ma fell da unan bennak diskouez doujañs e-keñver den pe zen, e komz dre c'hwi. Te a vez graet gantañ e troioù all. Da skouer, ez implijer c'hwi pa gomzer d'ar person, d'ar mezeg, d'ar skolaer. An dud yaouank etrezo a ra gant te.
 Diwar an amzer ma stag da varvailhat, ne implij ur c'hrouadur nemet te. Da c'hwec'h pe seiz vloaz, avat (da lavarout eo, pa zeu d'an oad a skiant) e krog da gomz dre c'hwi d'e vamm. Nemet e kendalc'h da gomz dre te d'e dad. Hogen, da hemañ ivez, ur mab a gomz dre c'hwi pa'z eo deut war an oad. Ur vamm a lavar te d'he bugale. E Brenniliz, avat, ur pevar c'hilometr diouz ar Fouilhez, e lavar c'hwi dezo, zoken pa'z int yaouank-flamm."


breton central

Selon Wmffre (1998:25), le tutoiement en breton central est utilisé dans les rapports familiers entre hommes, mais pas lorsque ceux-ci s'adressent à une femme. Il n'est pas précisé comment les femmes s'adressent à d'autres femmes.


Trégor; Quimper-Guézennec et le canton de Pontrieux

A Quimper-Guézennec et dans le canton de Pontrieux, l'abbé L. Ar Floc'h (Maodez Glanndour) rapporte dans Gwalarn que les jeunes hommes se tutoient, vouvoient le femmes même souvent leurs soeurs, ainsi que leurs deux parents.

cornouaillais de l'est maritime

En cornouaillais de l'est maritime, "dans le secteur de Quimperlé, on ne tutoie que dans les communes littorales" (Bouzec & al. 2017:501). Cette règle d'adresse est genrée à Riec.

 Bouzeg (1986:31):
 "Le pronom personnel te est utilisé dans la frange côtière de la région (Tregon, Nizon, Pont-Aven, Rieg, Moelan, Nevez, Kloar). Réservé aux proches en général, il est soumis à une règle dans la commune de Riec: le te s'adresse aux garçons et aux hommes des quartiers maritimes, le vouvoiement étant de rigueur envers les filles et les femmes."

Puisque l'auteur est elle-même une femme, il est probable que cette règle s'applique aux locuteurs de tous sexes (c'est-à-dire formes plurielles entre femmes et formes singulières entre hommes).


Pont-l'Abbé

Selon Youenn Drezen, à Pont-l'Abbé, une femme s'adresse en te à tout homme ou garçon, et les hommes s'adressent en c'hwi à toutes les femmes ou petites filles, épouse et soeurs incluses. Dans la ville même de Pont-l'Abbé, Drezen postule que c'est sous l'influence du français que quelques femmes s'adressent en c'whi à des hommes. L'inverse semble tout à fait inenvisageable.


A noter qu'à 20 km au nord-ouest, à Plozévet, la distinction entre tutoiement et vouvoiement est notée perdue par Goyat et Trépos, avec un paradigme dual mais des marquages erratiques.


Douarnenez, Pouldahud, Ploare

L'ALBB atteste de la présence du matériel morphologique d'un système dual à Ploare pour les pronoms indépendants (carte 70 pour 'toi, tu étais (malade)'), et pour les pronoms incorporés (cartes 107 et 502 'à toi, à vous').

A. Gelleg témoigne aussi en 1942 dans Gwalarn d'un système dual dans le bourg de pêcheurs de Pouldavid, mais seulement pour les locuteurs hommes. Le tutoiement est rare, toujours entre hommes proches, frère ou pairs, qui peuvent aussi se vouvoyer. Le te peut être utilisé d'un père à son fils, mais pas inversement. Toutes les autres adresses sont au c'hwi. Le vouvoiement est enforcé dès qu'il y a une fille ou femme dans l'échange, et ce même au sein de la famille, dans les fratries et entre époux. Il témoigne aussi de ce que les femmes se vouvoient entre elles. Comme elles vouvoient aussi tous les hommes, pour ces locutrices, le système n'est pas dual.

Ceci est confirmé par les usages de bilingues en français de Douarnenez. Dans Au bout de la digue de Charles Madézo (Liv'editions 2006), la mère dit à son fils "Je n'ai que vous".


Dialectes sans contraste d'adresse

disparition du te et systèmes erratiques

Tous les dialectes n'ont pas le matériel morphologique pour marquer un contraste singulier/pluriel dans l'adresse, ce qui peut être mis à profit pour un système de politesse. Dans certains dialectes, le te a disparu, et parfois les formes verbales associées. Le paradigme ne fournit donc pas de contraste possible: il n'existe plus qu'une personne d'adresse et l'équivalent du vouvoiement, et donc du tutoiement est impossible à réaliser.

On le voit nettement dans l'ALBB. Lorsqu'il a été demandé à des brittophones de traduire des formes françaises de tutoiement 2SG, les réponses avec des pluriels ont afflué (voir, par exemple, la carte 502, 'attaché à toi/vous', et carte 107, 'à toi, à vous'). Ces dialectes n'ont qu'un seul nombre pour la seconde personne, qui emprunte la morphologie de ce qui est ailleurs 2PL.

Dans d'autres dialectes, les deux paradigmes peuvent co-exister dans la même phrase (2), et ne sont donc pas en opposition. Ces dialectes aussi ont perdu le contraste permettant un système de tutoiement/vouvoiement.


(1) Lak’ ‘neoñ beke ‘moc’h sell’ !
mets P.lui puisque êtes (à4) regarder
'Mets-la [ceinture de sécurité], puisque tu es en train de regarder!' Loqueffret, Solliec (2015)


bas-cornouaillais

pays bigouden, Cap Sizun

L'ALBB montrait nettement la présence du matériel morphologique d'un système dual sur tout le pays bigouden et le Cap Sizun, avec les points d'enquête 46 à Plogoff, 47 à Plouhinec à côté d'Audierne. On le voit pour les pronoms indépendants (carte 70 pour 'toi, tu étais (malade)'), et pour les pronoms incorporés (cartes 107 et 502 'à toi, à vous').

Il semble cependant qu'à Plozévet, le nombre ait entièrement disparu des pronoms d'adresse (pronoms incorporés, pronoms forts indépendants, déterminants possessifs). Des formes anciennement opposées en nombre peuvent maintenant co-référer.


(2) /'ɡɥɛz pez a 'ɡa:roh /
Grez ar pez a garoh.
fais le que R1 aimez
'Fais ce que tu voudras.', ou bien
'Faites ce que vous voudrez.' Plozévet, Goyat (2012:306)


Trépos note que dans la partie de Cornouaille qui a perdu la distinction entre tutoiement et vouvoiement, le pronom écho apparaît avec une combinaison de singulier et de pluriel.


(3) ho puoc'h -t -hu
votre3 vache ('te' = 2SG) 2PL Cornouaillais, (Trépos 1980:94)


Goyat ne relève à Plozévet effectivement cette forme qu'en pronom écho.


 Goyat (2012:244-5):
 "Le pronom personnel te n’est pas en usage à Plozévet. [...] aucune forme de la deuxième personne du singulier appartenant au  groupe nominal, à l’exception de l’enclitique /tu/ -t-hu [...] n’est usitée.
 
 Ce pronom personnel /tu/ -t-hu (2ème personne neutre) appelle une explication : le premier composant, /-t-/, provient vraisemblablement du pronom personnel indépendant de la deuxième personne du singulier te et le second, /u/, du pronom indépendant de la deuxième personne du pluriel c’hwi. Il réunit donc des marques des deuxièmes personnes du singulier et du pluriel dans le même morphème. [...] Pour notre part, nous ne l’avons entendue employée qu’à Plozévet. Elle ne s’utilise que de manière suffixale, ou enclitique, comme pronom dépendant, pour renforcer la personne.
 Exemples :
 . /'pe:a ˌres tu/ petra a rez-t-hu?, 'que fais-tu / que faites-vous' ?
 . /nu 'ti tu/, en ho ti-t-hu, 'chez toi / chez vous'"


Le passage cité plus haut de Bouzeg (1986:31) semble confirmer, par un effet de contraste avec le cornouaillais de l'est maritime, que le tutoiement est absent des communes de l'intérieur du cornouaillais de l'est: Sant Turian, Banaleg, An Treou, Lokunole, Gellegouarc'h et Tremeven. Ceci est confirmé explicitement dans Bouzec & al. (2017:491): "on ne tutoie pas à Bannalec".

Naoned (1952:61) note que seule la forme plurielle c'hwi est connue à Scaër et Guiscriff, ce qui confirme le témoignage de deux lecteurs différents de Gwalarn dix ans plus tôt. Barzhig ajoute Mael-Carhaix. Falc'hun (1951a) confirme à Carhaix une disparition ancienne du tutoiement. Un autre lecteur de Gwalarn qui a vécu à Carhaix-Plouger raconte qu'une domestique avant la guerre ne comprenait pas même les paysans qui la tutoyaient, ce qui montre que la forme te avait entièrement disparu de son paradigme morphologique.

A Loqueffret, Solliec (2015) a documenté un système où les deux marques peuvent co-exister dans la même adresse, et ne constituent pas de forme de politesse. A 9km au nord, à La Feuillée, le vouvoiement était vivant en 1942.

Wmffre (1998:25) situe la ligne dialectale entre le sud de Plounévézel, où le tutoiement a disparu, et Poullaouen, à 10km au Nord-Ouest, où le tutoiement est répandu.


vannetais de l'Ouest

Hemon (2000:§51,n1) considère que la forme d'adresse au singulier est perdue dans l'aire Ouest du vannetais, ce qui correspond au témoignage de Loeiz Herrieu en 1942 pour Hennebont. Le témoignage de R. Kadig pour Pontivy cidessous est assez révélateur. Les villes semblent utiliser le système français, et le français local en 1942 peut être atteint de cette réduction, avec des marquages tu/vous erratiques. L'implication qu'il est plus étonnant de tutoyer une femme qu'un homme en français montre que ce témoin vient, lui, d'un dialecte de système dual où le vouvoiement est genré.

 R. Kadig, (Gwalarn 1942:423)
 "E kanton Fondivi e vez graet gant c'hwi hepken. Te a zo dianav-krenn. Meur a wech em eus klevet-me tud a ziwar ar maez, — mitizion dreist-holl degouezet nevez zo' e kêr, desket ganto un nebeut frazennou gallek, o treuzlec'hiañ e galleg an doare komz ma raent gantañ e brezoneg. Implijout a raent ur furm hepken, toi pe vous, ken na veze iskis meur a wech o c'hlevout o komz galleg. Unan a lavare tu d'an holl, zoken d'an itron : "toi, Madame, tu..." endra ma rae dalc'hmat unan all gant vous hepken, zoken ouz bugale vihan eus he ziegez hag anevaled."


Au XXI° siècle, on a toujours à l'Ouest du vannetais un système unique sur le pronom c'hwi, comme on le voit dans les notes de Cheveau (2011:30) et dans le corpus de Ar Borgn (2011) au Scorff. En (1), des enfants de moins de 4 ans à Pluvignier se chamaillent en c'hwi.


(1) Nann c’hwi n’oc’h ket fur! production enfantine (3 ans 8 mois), Pluvigner, Mermet (2006:137)
non vous ne'êtes pas sage
'Non toi tu n'es pas sage!' (dispute avec un autre élève à propos d'une chaise)


Le code-switching enfantin montre clairement l'usage de la personne plurielle du breton en usage équivalent au tutoiement français.


(2) Nann! tu laoskit Production enfantine (3 ans 10 mois), Pluvigner, Mermet (2006:annexe B)
non tu laissez
'Non tu laisses (ça)!' (dispute avec un autre élève à propos d'un feutre)


Val de Scorff

En val de Scorff, Ar Borgn collecte des formes plurielles en niveau de langue très familier.


(1) Kouchet mat oc'h.
coïncidé bien es.2PL
'Tu tombes pile-poil.' Le Scorff, Ar Borgn (2011:25)


(2) Don 'peus lakaet ho piz en hoc'h lagad.
profond avez mis votre3 doigt dans votre3 oeil
'Tu t'es mis profond le doigt dans l’œil.' Le Scorff, Ar Borgn (2011:36)


Lorient, Ploemeur, Guidel, Caudan, Quéven

Il se pourrait que la perte des formes en te ait progressé en vannetais rapidement après l'époque de l'ALBB. Cheveau (2011) prend le cas de Ploemeur, où l'ALBB documentait solidement le tutoiement. "Sur le terrain on s’aperçoit vite que dans la zone bas-vannetaise (à l’exception de l’Ile de Groix), les locuteurs n’utilisent jamais le tutoiement, ni spontanément, ni quand on leur demande de traduire de petites phrases en breton, et ne reconnaissent pas les formes de tutoiement quand on les utilise devant eux."

 Cheveau (2011:30):
 "Dans mon corpus, je n'ai relevé aucune forme de tutoiement à Ploemeur (ni d'ailleurs dans les autres communes étudiées dans ma thèse: Guidel, Caudan et Quéven). [...] Pourtant, mes informateurs étaient enfants à l'époque où les enquêtes de l'ALBB ont été faites (1911) ou sont nés quelques années après, et devraient donc au moins se souvenir de ces formes s'ils les avaient entendues dans leur commune."


Moréac

Châtelier (2016:43) collecte en 2013 des formes de tutoiement en te à Moréac chez une locutrice née en 1924. Séveno, au début du siècle (ENVD.), ne produisait que des formes d'adresse plurielles. Il est possible qu'il s'agisse chez la locutrice d'une évolution due à l'usage français en contact, ou chez Séveno au vouvoiement obligatoire d'un texte religieux. Toujrours est-il que cette locutrice a une forme proclitique objet bretonne de seconde personne du singulier.


(3) / me we:l /
Me te wel.
moi toi 1 voit
'Je te vois' Haut-vannetais (Moréac), Le Tohic 2013, rapporté dans Châtelier (2016:43)


Langues d'héritage et appauvrissement des paradigmes morphologiques

Les langues d'héritage, pratiquées en environnements discursifs réduits, sont connues pour le rétrécissement qu'elles montrent des paradigmes d'inflexion. Cependant, l'influence du système dual français irait plutôt dans un sens de conservation des paradigmes bretons. L'usage à la française induit la préservation voire l'innovation des paradigmes en te dans les dialectes qui en sont dépourvus.


Perte du c'hwi chez les locuteurs traditionnels de système dual

En Léon pour Plougerneau, M-L. B. (04/2016) précise que des enfants de sa génération ont eu vouvoyé leurs parents, mais que ce n'était pas son propre cas. Elle montre par ailleurs elle-même un paradigme de vouvoiement incomplet sur les verbes.

Les locuteurs qui ne parlent plus le breton qu'en intimité avec des personnes qu'ils tutoient, et qui échangent en breton plûtot avec une seule personne à la fois, peuvent perdre complètement les environnements discursifs qui mobilisent la production de ces pans de paradigmes verbaux.


Perte du te en acquisition scolaire?

Pour les enfants dont le seul contexte discursif est l'école, l'adresse plurielle est assurée par l'enseignant. Une absence de forme en te et des paradigmes associés peut provenir du dialecte adulte en contact, ou d'une pauvreté ou absence de contexte discursif familier. L'infleunce du français induit cependant plutôt l'usage régulier d'un tutoiement des enfants, surtout lorsqu'ils sont très jeunes.

Horizons comparatifs

Le système anglais avec le pronom d'adresse unique you a, comme le breton, emprunté le matériel morphologique d'un ancien pluriel (accusatif/datif).

Pour ce qui concerne l'influence du système breton sur le français de Basse-Bretagne, se reporter à Le Monze (1998). Le décalage des systèmes entre le breton et le français est utilisé comme un élement d'exotisme dans la littérature française. Dans Chapeau bas, madame, roman de Joël Raguénès (2005) qui se passe fin XIX°, frère et soeurs se vouvoient, alors qu'ils se tutoyeraient en français (p.7-9).

En ancien français au XII°, on trouve des exemples de tutoiements/vouvoiements instables. D'un domaine propositionnel à l'autre, le locuteur peut passer du tutoiement au vouvoiement.


(1) Pren la corone, si seras coronez; O se ce non, filz, laissiez la ester : Je vos defent que vos n'i adesez.

'Prends la couronne, tu seras couronné. Sinon, fils, laisse-là: je te défends d'y toucher. '
Le couronnement de Louis, pdf


En allemand (Sie) ou en espagnol (usted), la personne d'adresse de politesse ne coïncide pas avec le seconde personne du paradigme, mais avec la troisième. L'usage de la troisième personne en adresse de politesse n'est pas relevé à travers les dialectes du breton.

La valeur d'usage qui est attachée à l'un ou l'autre morphème peut varier grandement avec le temps. En néerlandais, quatre pronoms d’adresse co-existent (Aalberse 2004): jij qui fut pluriel puis marque de politesse est maintenant une forme très familière du singulier, sa forme simplifiée je également singulier informel, a aussi des usages d'adresse plurielle, ou même formelle, enfin le pronom formel u est plutôt singulier mais aussi pluriel et le quatrième pronom jullie qui a longtemps été informel peut aussi maintenant porter des adresses plurielles.

Bibliographie

breton

  • Goyat, Gilles. 2004. 'La deuxième personne dans le parler breton de Plozévet', Dialectologie et Géolinguistique, La Bretagne Linguistique 13, 129-138.
  • Hemon, Roparz. 1942. 'Te pe c'hwi?, 'Dastumadeg Kendalc'h Gwalarn', Gwalarn 148-149, 326-327, & 150-151, 418-424.
  • Le Monze, Sylvie. 1998. 'Tutoiement, vouvoiement et autres formes d’adresse en français de Bretagne', La Bretagne Linguistique 11, CRBC.
  • Riwall. 1942. 'Petra lavarout, te pe c'houi?', Arvor 68 (26 avril 1942), p.4.
  • Riwall. 1941. 'Comment je suis venu au breton', Arvor 26 (29 juin 1941), p.1.


horizons comparatifs

  • Aalberse, Suzanne. 2004. 'Le pronom de politesse u est-il en voie de disparition?', Langage et société 108, 57-74.