Différences entre les versions de « Tutoiement et vouvoiement »

De Arbres
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== Bibliographie ==
== Bibliographie ==


* Le Goff, P. 1927. 'Du tutoiement en breton de Vannes', ''Mélanges bretons et celtiques offerts à M. J. Loth'', ''[[Revue Celtique]]'' 37 bis, 198-203.  
* [[Le Goff (1927)|Le Goff, P. 1927]]. 'Du tutoiement en breton de Vannes', ''Mélanges bretons et celtiques offerts à M. J. Loth'', ''[[Revue Celtique]]'' 37 bis, 198-203.  


* Goyat, Gilles. 2004. 'La deuxième personne dans le parler breton de Plozévet', ''Dialectologie et Géolinguistique'', ''[[La Bretagne Linguistique]]'' 13, 129-138.
* Goyat, Gilles. 2004. 'La deuxième personne dans le parler breton de Plozévet', ''Dialectologie et Géolinguistique'', ''[[La Bretagne Linguistique]]'' 13, 129-138.

Version du 26 mars 2019 à 17:21

En breton comme en français, la marque du vouvoiement est de deuxième personne du pluriel (2PL, comme 'vous'). Cependant, il existe une grande variation dialectale dans les usages des pronoms d'adresse, et la différence tutoiement/vouvoiement du français ne peut pas être importée telle quelle dans un système dialectal breton donné. En (1), La forme pronominale utilisée est 2PL mais la traduction exacte en français serait avec un tutoiement.


(1) Hui 'ra tammou dudoñ.
vous (R) fait morceaux de.lui
'Tu en fais des morceaux.' Scaër, Cheveau & Kersulec (2012-évolutif:Scaër,'dioutañ')


Les cartes de l'ALBB sont parlantes: lorsqu'il a été demandé à des brittophones de traduire des formes françaises de tutoiement 2SG, les réponses avec des pluriels affluent (voir, par exemple, la carte 502, 'attaché à toi/vous', et carte 107, 'à toi, à vous'). Cependant, il ne s'agit à proprement parler de phénomène de vouvoiement que dans les dialectes où l'adresse au singulier existe en contraste. Tous les dialectes n'ont en effet pas le matériel morphologique pour marquer un contraste singulier/pluriel. Certains dialectes n'ont qu'un seul nombre pour la personne 2, qui emprunte la morphologie 2PL. Dans d'autres, les deux paradigmes peuvent co-exister (2).


(2) Lak’ ‘neoñ beke ‘moc’h sell’ !
mets P.lui puisque êtes (à4) regarder
'Mets-la [ceinture de sécurité], puisque tu es en train de regarder!' Loqueffret, Solliec (2015)


Dialectes où le vouvoiement est genré

Dans tous les dialectes où le contraste morphologique singulier/pluriel existe, il est possible de s'adresser à une seule personne en utilisant la forme plurielle. Comme en français pour vous ou votre, l'usage du pronom pluriel est attaché à un usage formel alors que l'usage singulier est attaché à un usage familier.

Cependant, cette règle d'usage croise une règle genrée: l'adresse peut être différente selon qu'on s'adresse à une femme ou un homme. Hemon (2000:§51,n1) considère d'ailleurs que le vouvoiement est genré dans tous ces dialectes où il existe: les hommes se parlent au singulier entre eux et s'adressent aux femmes avec des formes plurielles.

Les auteurs rapportant une asymétrie genrée n'évoquent pas ce qui se passe lorsque deux femmes parlent entre elles (Hemon 2000:§51,n1, Bouzeg 1986:31, Wmffre 1998:25).


breton central

Selon Wmffre (1998:25), le tutoiement en breton central est utilisé dans les rapports familiers entre hommes, mais pas lorsque ceux-ci s'adressent à une femme. Il n'est pas précisé comment les femmes s'adressent à d'autres femmes.


cornouaillais de l'Est maritime

En cornouaillais de l'Est maritime, "dans le secteur de Quimperlé, on ne tutoie que dans les communes littorales" (Bouzec & al. 2017:501). La règle d'adresse est genrée à Riec.

 Bouzeg (1986:31):
 "Le pronom personnel te est utilisé dans la frange côtière de la région (Tregon, Nizon, Pont-Aven, Rieg, Moelan, Nevez, Kloar). Réservé aux proches en général, il est soumis à une règle dans la commune de Riec: le te s'adresse aux garçons et aux hommes des quartiers maritimes, le vouvoiement étant de rigueur envers les filles et les femmes."

Puisque l'auteur est elle-même une femme, il est probable que cette règle s'applique aux locuteurs de tous sexes (c'est-à-dire formes plurielles entre femmes et formes singulières entre hommes).


Dialectes où l'adresse au singulier a disparu

Dans ces dialectes, l'équivalent du vouvoiement est impossible à réaliser car le paradigme ne fournit pas de contraste possible.


Basse-Cornouaille

Il semble qu'à Plozévet, le nombre ait entièrement disparu des pronoms (pronoms incorporés, pronoms forts indépendants, déterminants possessifs). Des formes anciennement opposées en nombre peuvent maintenant co-référer.


(2) /'ɡɥɛz pez a 'ɡa:roh /
Grez ar pez a garoh.
fais le que R1 aimez
'Fais ce que tu voudras.', ou bien
'Faites ce que vous voudrez.' Plozévet, Goyat (2012:306)


Trépos note que dans la partie de Cornouaille qui a perdu la distinction entre tutoiement et vouvoiement, le pronom écho apparaît avec une combinaison de singulier et de pluriel.


(3) ho puoc'h -t -hu
votre3 vache ('te' = 2SG) 2PL Cornouaillais, (Trépos 1980:94)


Goyat ne relève à Plozévet effectivement cette forme qu'en pronom écho.


 Goyat (2012:244-5):
 "Le pronom personnel te n’est pas en usage à Plozévet. [...] aucune forme de la deuxième personne du singulier appartenant au  groupe nominal, à l’exception de l’enclitique /tu/ -t-hu [...] n’est usitée.
 
 Ce pronom personnel /tu/ -t-hu (2ème personne neutre) appelle une explication : le premier composant, /-t-/, provient vraisemblablement du pronom personnel indépendant de la deuxième personne du singulier te et le second, /u/, du pronom indépendant de la deuxième personne du pluriel c’hwi. Il réunit donc des marques des deuxièmes personnes du singulier et du pluriel dans le même morphème. [...] Pour notre part, nous ne l’avons entendue employée qu’à Plozévet. Elle ne s’utilise que de manière suffixale, ou enclitique, comme pronom dépendant, pour renforcer la personne.
 Exemples :
 . /'pe:a ˌres tu/ petra a rez-t-hu?, 'que fais-tu / que faites-vous' ?
 . /nu 'ti tu/, en ho ti-t-hu, 'chez toi / chez vous'"


Wmffre (1998:25) situe la ligne dialectale entre le sud de Plounévézel, où le tutoiement a disparu, et Poullaouen, à 10km au Nord-Ouest, où le tutoiement est répandu.


breton central, cornouaillais de l'est intérieur

Falc'hun (1951a) note une disparition ancienne du tutoiement à Carhaix. Naoned (1952:61) note que de c'hwi et te, seule la forme plurielle est connue à Scaër/Guiscriff.

Humphreys (1985:317) ne mentionne pour Bothoa qu'une forme de pronom fort indépendant de seconde personne, c'hwi, mais deux procédés de désambiguisation utilisent des formes pronominales d'autres paradigmes. Le premier pluralise l'objet. Le second ajoute une adresse plurielle au sujet.

  • Debet ho para, 'mange ton pain' ou 'mangez votre pain' / Debet ho parajoù, 'mangez votre pain' (litt. 'vos pains')
  • ar re-mañ ac'hanoc'h, littéralement 'vous autres' pour un sujet pluriel


Selon les locuteurs de Humphreys (1985:317), "te s'emploie couramment dans les communes de Magoar et de Kérien (à 5 km) au nord-ouest, et de Saint-Connan (à 10 km) au nord-est, et sporadiquement dans la commune de Kerpert".


Le passage cité de Bouzeg (1986:31) semble aussi confirmer, par un effet de contraste avec le cornouaillais de l'est maritime, que le tutoiement est absent des communes de l'intérieur du cornouaillais de l'est: Sant Turian, Banaleg, An Treou, Lokunole, Gellegouarc'h et Tremeven. Ceci est confirmé dans Bouzec & al. (2017:491): "on ne tutoie pas à Bannalec".

vannetais

Il se pourrait que la perte des formes au singulier soit plus étendue que ce qui est signalé dans l'ALBB. Hemon (2000:§51,n1) considère que la forme d'adresse au singulier est perdue dans l'aire Ouest du vannetais, ce qui correspond aux notes de Cheveau (2011:30) et au corpus de Ar Borgn (2011).


(1) Nann c’hwi n’oc’h ket fur! production enfantine (3 ans 8 mois), Pluvigner, Mermet (2006:137)
non vous ne'êtes pas sage
'Non toi tu n'es pas sage!' (dispute avec un autre élève à propos d'une chaise)


Le code-switching enfantin montre clairement l'usage de la personne plurielle du breton en usage équivalent au tutoiement français.


(2) Nann! tu laoskit Production enfantine (3 ans 10 mois), Pluvigner, Mermet (2006:annexe B)
non tu laissez
'Non tu laisses (ça)!' (dispute avec un autre élève à propos d'un feutre)


Lorient

 Cheveau (2011:30):
 "La première chose qui surprend est la présence de nombreuses formes de tutoiement dans l'ALBB pour Ploemeur. En effet, sur le terrain on s'aperçoit vite que dans la zone bas-vannetaise (à l'exception de l'île de Groix), les locuteurs n'utilisent jamais le tutoiement, ni spontanément, ni quand on leur demande de traduire de petites phrases en breton, et ne reconnaissent pas les formes de tutoiement quand on les utilise devant eux.
 [...]
 Dans mon corpus, je n'ai relevé aucune forme de tutoiement à Ploemeur (ni d'ailleurs dans les autres communes étudiées dans ma thèse: Guidel, Caudan et Quéven). [...] Pourtant, mes informateurs étaient enfants à l'époque où les enquêtes de l'ALBB ont été faites (1911) ou sont nés quelques années après, et devraient donc au moins se souvenir de ces formes s'ils les avaient entendues dans leur commune."


Val de Scorff

En val de Scorff, Ar Borgn collecte des formes plurielles en niveau de langue très familier.


(1) Kouchet mat oc'h.
coïncidé bien es.2PL
'Tu tombes pile-poil.' Le Scorff, Ar Borgn (2011:25)


(2) Don 'peus lakaet ho piz en hoc'h lagad.
profond avez mis votre3 doigt dans votre3 oeil
'Tu t'es mis profond le doigt dans l’œil.' Le Scorff, Ar Borgn (2011:36)


guérandais

Le pronom d'adresse familier documenté pour le guérandais était le pronom de la 2PL.


(3) Hi gleuf! Hi ouel houat! Hi zo klef. Guérandais fin XIX°
C'hwi 'glev C'hwi 'wel ervat! C'hwi zo klañv. Equivalent KLT
vous (R)1 entend vous (R)1 voit bien vous (R)1 est malade
'Tu entends.', 'Tu vois bien.', 'Tu es malade.' Mathelier (2017:35)

Moréac

Châtelier (2016:43) collecte en 2013 des formes de tutoiement à Moréac chez une locutrice née en 1924. Séveno, au début du siècle (ENVD.), ne produisait que des formes d'adresse plurielles. Il est possible qu'il s'agisse chez la locutrice d'une évolution due au français en contact, ou chez Séveno au vouvoiement obligatoire d'un texte religieux.


(3) / me we:l /
Me te wel.
moi toi 1 voit
'Je te vois' Haut-vannetais (Moréac), Le Tohic 2013, rapporté dans Châtelier (2016:43)


Perte du vouvoiement?

Léon

En Léon pour Plougerneau, M-L. B. (04/2016) précise que des enfants de sa génération ont eu vouvoyé leurs parents, mais que ce n'était pas son propre cas. Elle montre par ailleurs elle-même un paradigme de vouvoiement incomplet sur les verbes.


Horizons comparatifs

En ancien français au XII°, on trouve des exemples de tutoiements/vouvoiements instables. D'un domaine propositionnel à l'autre, le locuteur peut passer du tutoiement au vouvoiement.


(1) Pren la corone, si seras coronez; O se ce non, filz, laissiez la ester : Je vos defent que vos n'i adesez.

'Prends la couronne, tu seras couronné. Sinon, fils, laisse-là: je te défends d'y toucher. '
Le couronnement de Louis, pdf


Bibliographie

  • Goyat, Gilles. 2004. 'La deuxième personne dans le parler breton de Plozévet', Dialectologie et Géolinguistique, La Bretagne Linguistique 13, 129-138.
  • Kendalc'h Gwalarn (éd.). 1942. 'Te pe c'hwi?', Gwalarn 148-149, p.??, 150-151, 418-424.
  • Le Monze, S. 1998. 'Tutoiement, vouvoiement et autres formes d’adresse en français de Bretagne', La Bretagne Linguistique 11, CRBC.